28 avril 2020 — Les personnes âgées figurent parmi les premières victimes de la pandémie de COVID-19. Au décompte sans cesse croissant des décès, notamment dans les maisons de retraite, s‘ajoutent les drames quotidiens de l’isolement, de la discrimination, de l’insécurité alimentaire et du manque d’accès aux soins. Face à cette situation insupportable, les Nations Unies tirent le signal d’alarme et en appellent à la solidarité et à l’obligation de protection.

Alors que l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) recense désormais plus de 3 millions d’infections à la COVID-19 et quelque 200 000 décès dans le monde, en grande majorité parmi des personnes âgées, le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, prévoit de publier prochainement une note d’orientation en réponse à cette urgence.  

Les données disponibles confirment l’extrême vulnérabilité des personnes âgées confrontées à cette maladie. En Europe, région la plus touchée avec 1,3 million de cas confirmés et plus de 124 500 morts, l’OMS estime qu’au moins 95% des personnes qui succombent au coronavirus sont âgées de 60 ans et plus. Aux États-Unis, autre épicentre majeur, 80% des décès dus à la COVID-19 enregistrés à la mi-mars touchaient des personnes âgées de 65 ans et plus, une proportion semblable à celle signalée en Chine.     

Toutefois, « les personnes âgées ne sont pas seulement confrontées à un risque de décès disproportionné », fait observer Rosa Kornfeld-Matte, Experte indépendante des Nations Unies sur la jouissance de tous les droits de l'homme par les personnes âgées. « Elles sont également menacées par la COVID-19 en raison de leurs besoins en matière de soins ou du fait qu'elles vivent dans des environnements à haut risque tels que les institutions ».

Pour cette spécialiste, il est « inacceptable » d’entendre parler « de personnes âgées abandonnées dans des centres de soins ou de cadavres trouvés dans des maisons de soins ». Une réalité alarmante dont on découvre aujourd’hui l’ampleur dans un grand nombre de pays.

La tragédie des établissements spécialisés

« Une tragédie humaine inimaginable » : c’est ainsi que Hans Kluge, Directeur de l’OMS pour l’Europe, a décrit, le 23 avril, la situation qui prévaut derrière les portes closes de maisons de retraite européennes. Le problème est loin de ne concerner que l’Europe, mais, dans cette région, plus de la moitié des décès en lien avec la COVID-19 concernent des résidents de longue durée dans des établissements spécialisés pour personnes âgées.

La situation est particulièrement grave en Espagne, où plus de 12 000 pensionnaires de ce type d’établissements sont morts depuis l’apparition de l’épidémie, certains ayant été retrouvés sans vie par des militaires venus désinfecter les lieux. Au total, pas moins de 86 enquêtes préliminaires sont ouvertes dans tout le royaume.

Comme dans bon nombre de pays, l’essentiel de ces décès ne figurent pas dans les statistiques officielles, qui ne font état que des morts survenues dans des établissements de soins, lesquelles s’élevaient mardi à plus de 23 190 en Espagne, selon l’OMS.

Dans ces établissements, a expliqué M. Kluge, les résidents sont exposés à des risques accrus de décès du fait de « leur âge avancé, les conditions de santé sous-jacentes, les difficultés cognitives à comprendre et à suivre les conseils de santé et d’hygiène en raison d’une déficience intellectuelle ou d’une forme de démence ». Cependant, a-t-il ajouté, « même chez les personnes très âgées qui sont fragiles et vivent avec de multiples maladies chroniques, beaucoup ont de bonnes chances de se rétablir si elles sont bien soignées ».

De fait, les personnes âgées vivant dans ces établissements sont plus susceptibles de souffrir d’abus et de négligence, a constaté le chef de l’OMS/Europe. Or « elles ont le droit d’être soignées, y compris en étant soulagées des symptômes (de la COVID-19) », a-t-il martelé, en écho aux consignes de l’agence sanitaire de l’ONU en la matière, appelant à une réforme du fonctionnement de ces centres afin de « donner la priorité aux besoins des personnes » et de permettre une ouverture contrôlée aux familles.

Différentes formes de discrimination liée à l’âge  

Dans ce contexte pandémique, les personnes âgées sont par ailleurs confrontées à une discrimination liée à l’âge, qui a pour effet d’accroître leur isolement et de faire reculer leurs droits à la vie et à la santé.  Cette situation renforce le besoin d'une approche holistique des droits de l'homme pour ces personnes, afin d’assurer la réalisation égale de tous leurs droits, y compris l'accès aux soins de santé, estime Mme Kornfeld-Matte.

Tout en exacerbant les stéréotypes négatifs associés aux personnes âgées, certains discours présentant la COVID-19 comme une « maladie de vieux » entraînent une stigmatisation sociale des malades âgés, de leurs proches et même des soignants, avertissent l’OMS, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) et la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR) dans un guide thématique à l’attention des gouvernements, des médias et des organisations locales.

La discrimination fondée sur l’âge peut aussi réduire la capacité des personnes âgées à accéder aux services et aux biens, relève le Département des affaires économiques et sociales de l’ONU (DAES) dans une note d’orientation.  Il ajoute que ce phénomène est souvent aggravé par les mesures de distanciation sociale prises pour enrayer la propagation du virus, lesquelles privent les personnes âgées du soutien dont elles ont besoin.

Un ainé reçoit des soins dans un hôpital d'Azaz, en Syrie. Photo OMS/K. Akacha

Référentiel sur ces questions, le Plan d’action international de Madrid sur le vieillissement, adopté en 2002, reconnaît qu’il existe de nombreux obstacles à l’accès de ces personnes aux services de santé, qui peuvent les dissuader de se faire soigner ou de poursuivre leur traitement. En période de crise sanitaire, elles risquent également de subir une discrimination basée sur l’âge dans la fourniture de soins.

À cet égard, l’Experte indépendante chargée des droits des personnes âgées se dit « préoccupée par le fait que des décisions relatives à l'allocation de ressources médicales rares telles que les ventilateurs dans les unités de soins intensifs puissent être prises uniquement sur la base de l'âge ». Selon le DAES, une telle discrimination entraîne une hausse encore plus forte de la mortalité chez ces personnes. 

Pour prévenir de telles dérives, des « protocoles de triage » doivent être élaborés et suivis pour garantir que ces décisions sont prises « sur la base des besoins médicaux, des meilleures preuves scientifiques disponibles et non sur des critères non médicaux tels que l'âge ou le handicap », fait valoir Mme Kornfeld-Matte.

Soutien social et inclusion, les propositions de l’ONU

Les personnes âgées sont de plus en plus susceptibles de vivre seules, sans cohabitation avec leurs éventuels enfants. C’est le cas de 17% des femmes et de 9% des hommes de plus de 60 ans dans le monde, selon les données du DAES. Les politiques de distanciation physique doivent prendre en compte la situation particulière de ces personnes, explique le département onusien, faute de quoi nombre d’entre elles risquent de connaître l’exclusion sociale et l’insécurité alimentaire.  

Il en va de même pour les personnes qui vivent dans des espaces confinés tels que les prisons et les centres de soins résidentiels, sans visite de l’extérieur pour cause de COVID-19. « La distance physique est cruciale, mais il faut trouver des moyens créatifs et sûrs d'accroître les liens sociaux », avance Mme Kornfeld-Matte. « Les personnes âgées doivent avoir la possibilité de rester en contact en ligne, y compris celles qui vivent dans des maisons de retraite et des régions éloignées ».

Facteurs d’exclusion et de marginalisation, les obstacles à la participation des personnes âgées à la vie de la société peuvent les priver d’informations sur leur protection et sur les services essentiels. La barrière de la langue chez les minorités ou les personnes illettrées, font partie de ces obstacles, tout comme le manque d’accès à la technologie, indique le DAES.  

Si le fossé générationnel pour l’utilisation d’Internet tend à se réduire, il reste marqué dans toutes les régions, y compris dans les pays développés. Aux États-Unis, par exemple, un tiers des habitants âgés de 65 ans, et plus, déclaraient en 2017 ne s’en être jamais servi, la moitié affirmant ne pas avoir de services haut débit à domicile, selon une étude du Centre de recherche Pew.   

Pour le DAES, il est crucial de combler cet écart numérique qui peut affecter la capacité des personnes âgées à utiliser des services tels que la télémédecine ou les achats en ligne, essentiels en temps de confinement. C’est encore plus vrai dans le monde en développement où les défis liés à l’accès des personnes âgées à la technologie sont exacerbés par la pandémie.

En période d’épidémie, le taux de malnutrition augmente aussi fortement chez les populations âgées et conduit à plus de mortalité, avertit le Programme alimentaire mondial (PAM). Lorsque les mesures de distanciation ne prennent pas en compte les contraintes spécifiques de ces personnes, observe l’entité onusienne, l’insécurité alimentaire devient critique, en particulier pour celles en situation d’isolement et celles qui vivent sans filet de sécurité sociale ou dans la pauvreté.

Ces questions se posent tout particulièrement pour les plus de 65% de personnes âgées qui vivent dans des pays en développement, souligne le DAES dans son dernier rapport sur le vieillissement de la population mondiale. Dans les régions où la réalisation du droit à la santé est quasi impossible pour les ainés et où l’institutionnalisation est souvent le seul moyen d’accéder aux soins, les besoins de ces personnes doivent être inclus dans les plans de développement, précise-t-il.

De surcroît, les personnes âgées étant victimes de manière disproportionnées des crises humanitaires, les gouvernements et les acteurs impliqués doivent intégrer cette situation de vulnérabilité dans leurs stratégies d’assistance et prévoir un accès aux services de santé primaire et de soins. Comme le souligne un récent rapport du Secrétaire général de l’ONU sur le suivi de l’Année internationale des personnes âgées célébrée en 1999, la prise en compte des droits et des besoins de ces personnes dans les situations d’urgence est une priorité dans la mise en œuvre par les pays du Programme de développement durable à l’horizon 2030.