24 juin 2020

24 juin 2020 — Destinées à limiter la propagation du coronavirus, les mesures de confinement s’accompagnent d’une montée en flèche des violences au sein du foyer. Face à ce fléau, qui transforme le domicile en piège pour nombre de femmes, d’enfants et de personnes âgées, les Nations Unies appellent à l’action dans la durée et avertissent que la levée progressive des restrictions ne fera pas disparaître le problème.  

Bien qu’encore partielles, les données glanées par les différentes agences de l’ONU donnent un aperçu très clair de la situation. Dans la plupart des pays touchés par la COVID-19, les services d’assistance téléphonique, les forces de police et d’autres services de secours font état d’une nette augmentation des cas de violence domestique, notamment de maltraitance à enfants et de violences infligées aux femmes par leur partenaire intime.  

Dans un rapport d’étape sur cette question, l'Entité des Nations Unies pour l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes (ONU-Femmes) signale que les appels de victimes de violence domestique ont progressé de près d’un tiers à Singapour, à Chypre et en Argentine. Au Royaume-Uni, ils ont même bondi de 65 % le premier week-end d’avril. En Australie, la hausse a atteint 40 % en Nouvelle-Galles du Sud après un mois de confinement. Durant la même période, le nombre des cas de violence conjugale et intrafamiliale a augmenté de 30 % en France.

« Avant même la pandémie, la violence contre les femmes était l'une des violations des droits humains les plus répandues. Depuis le confinement, elle s'est multipliée et se propage à travers le monde telle une pandémie fantôme », a résumé Phumzile Mlambo-Ngcuka, Directrice exécutive d'ONU-Femmes, lors du lancement, fin mai, d’une campagne de sensibilisation portée par l’actrice Kate Winslet.

Si environ 243 millions de femmes et de filles âgées de 15 à 49 ans sont victimes chaque année de violences physiques ou sexuelles d’un membre de leur entourage proche, « ce chiffre risque de gonfler à mesure que se prolonge le confinement », prévient l’agence onusienne.  

Les femmes, mais aussi les enfants et les personnes âgées

L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) rappelle pour sa part que les enfants paient, eux aussi, un lourd tribut à cette violence de l’ombre, exacerbée par l’isolement et les effets de la crise socio-économique. Dans une nouvelle note d’orientation sur les réponses à apporter à la violence domestique pendant et après la COVID-19, elle cite l’exemple de l’Inde, dont la ligne d’assistance téléphonique pour enfants en détresse a reçu 92 000 appels en 11 jours au début du confinement.   

L’institution sanitaire de l’ONU souligne également que ces violations ne concernent pas seulement les femmes et les filles. « Bien que moins signalée, la combinaison d'un risque accru de violence et d'une capacité réduite à obtenir de l'aide pendant la pandémie de COVID-19 est susceptible d'être similaire pour les personnes âgées victimes d'abus et de négligence », explique-t-elle.

Une poupée abandonnée.

L’OMS craint, d’autre part, que la tendance observée au cours des mois de repli dans les foyers se prolonge au-delà de la crise actuelle. L’agence relève à cet égard que les statistiques sur la violence domestique en temps de COVID-19 « ne représentent pas la prévalence du problème », la majorité des cas n’étant pas signalés aux services sociaux.

Dans certains pays, indique-t-elle, le nombre des victimes de maltraitance infantile et des femmes demandant de l’aide à la suite de violences domestique semble même diminuer depuis la mise en œuvre des mesures de confinement. « Cela peut être dû à l’incapacité de l’enfant ou de la femme à quitter le domicile ou à accéder à cette aide de manière confidentielle ou encore à la réduction ou la fermeture de services ».

Pour atténuer les effets néfastes de la COVID-19 sur ces trois catégories vulnérables, l’OMS propose des actions spécifiques aux décideurs politiques, aux gestionnaires de programmes et d'établissements sanitaires ainsi qu’aux agents de santé. Des mesures qui s’appuient sur ses recommandations existantes et qu’il conviendrait d’appliquer au-delà de la période pandémique.

Soutien, écoute et services essentiels pour les femmes victimes  

« Nous savons que les mesures de confinement et les mises en quarantaine sont essentielles pour venir à bout de la COVID-19. Mais elles peuvent en conséquence piéger les femmes avec des partenaires violents », a mis en garde le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, dans son appel du 6 avril pour « la paix dans les foyers ».

Soumises de manières disproportionnées aux charges ménagères et à l’éducation des enfants durant le confinement, les femmes sont en outre exposées au risque de coercition sexuelle ou de relations sexuelles non désirées. Le Nigéria, par exemple, vient d’annoncer que le nombre de cas de viols et de violences domestiques enregistrés dans le pays, en forte augmentation ces derniers mois, s’est élevé à 717 entre janvier et mai.

Sous la coupe de leur conjoint, certaines femmes n’ont qu’un accès limité au téléphone ou à Internet et sont souvent dépendantes financièrement, ce qui peut entraîner des abus, précise l’OMS, qui exhorte les gouvernements à inclure la prévention et le traitement de ces situations dans leurs plans de réponse à la COVID-19 et leurs dispositifs de relèvement.

Les établissements de santé sont appelés à fournir aux victimes des informations sur les services disponibles au niveau local : numéros d’urgence, refuges pour femmes, centres d’aide psychosociale et services de protection. Les prestataires de soins doivent quant à eux être à l’écoute des femmes en détresse et leur proposer un soutien de première ligne et un traitement médical.

Afin de faciliter la communication entre les victimes de violences et les services sanitaires et sociaux, des solutions de santé mobile et de télémédecine se font jour. À l’image des services de soutien à distance, via Skype, Viber et Zoom, que fournit Tetyana Franchuk, membre d’une équipe psychosociale soutenue par le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA) à Vychneve, près de Kiev, en Ukraine.

« Maintenant, certains habitués préfèrent ce mode de fonctionnement, qui leur convient mieux que de se déplacer », explique cette psychologue. « Ils veulent continuer ainsi même après la levée du confinement ».

Des systèmes d’alerte discrets et accessibles ont par ailleurs été mis en place dans plusieurs pays. En France, en Allemagne, en Italie, en Norvège et en Espagne, les victimes de violences domestiques peuvent se rendre dans des pharmacies ou des superettes et demander un « masque 19 », message codé signalant un besoin d’aide urgent. Des services semblables sont proposés en Argentine et en Bolivie et pourraient survivre à la COVID-19.

Protéger les enfants de la violence physique et des abus en ligne  

« La pandémie est une crise sanitaire qui devient rapidement une crise des droits de l'enfant », a récemment déclaré Henrietta Fore, Directrice exécutive du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), alors que les fermetures d’école obligeaient plusieurs d’un milliard d’écoliers et d’étudiants à rester chez eux, dans des conditions parfois menaçantes pour leur santé physique et mentale.

En dehors de l’école, « les enfants sont davantage exposés à la violence, à l’exploitation ou aux abus », rappelle l’UNICEF dans une note sur la préparation à l’après-confinement. « De plus, dans un grand nombre de pays, deux enfants sur trois sont victimes de punitions violentes de la part des adultes avec qui ils vivent ».

Comme le résume l’OMS dans sa note d’orientation, le confinement offre aux enfants « moins d'occasions qu’aux adultes de quitter le domicile et d'accéder à de l'aide ».  Outre le stress de l’isolement et le « manque d’accès à l’école en tant qu’espace sûr », les membres les plus jeunes d’un foyer sont également exposés à un « risque accru d’abus en ligne » en raison de l’augmentation du temps passé sur Internet.   

Ces longs séjours sur des plateformes virtuelles peuvent rendre les enfants « plus vulnérables au pédo-piégeage et à l’exploitation sexuelle sur Internet », les prédateurs cherchant à tirer parti de la situation, prévient l’UNICEF, qui évoque également un plus grand risque de cyberharcèlement et d’exposition à des contenus potentiellement néfaste et violents.

Ces dangers sont exposés dans le rapport de situation 2020 sur la prévention de la violence à l’encontre des enfants dans le monde, que publient ce mois l’OMS, l’UNICEF, l’Organisation des Nations pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), la Représentante spéciale du Secrétaire général chargée de la question de la violence contre les enfants et le Partenariat pour l’élimination de la violence.

Le rapport met notamment en lumière le nombre croissant d’enfants qui sont victimes de blessures, de handicaps et d’homicide parce que les pays ne suivent pas les stratégies instaurées pour les en protéger. Il souligne par ailleurs que le confinement et la fermeture des établissements scolaires ont limité les sources habituelles de soutien aux familles, privant les jeunes victimes des moyens de se protéger de la crise et de réorganiser leur vie quotidienne.

« Nous sommes collectivement responsables de veiller à ce que tous les enfants soient en sécurité à l’école. Nous devons réfléchir et agir collectivement pour en finir avec la violence en milieu scolaire et dans nos sociétés en général », a plaidé Audrey Azoulay, Directrice générale de l’UNESCO.  

Aider les personnes âgées à rompre l’isolement social

Un homme âgé se lave les mains sous un arbre avec de l'eau en bouteille.

La situation n’est pas plus reluisante pour les personnes âgées confrontées au confinement et aux violences qui peuvent en découler. Pour elles, la pandémie est synonyme « d’innombrables peurs et souffrances » qui s’ajoutent au risque accru de contracter le coronavirus, a fait remarquer M. Guterres à l’occasion de la publication de sa note de synthèse dédiée à l’impact de la COVID-19 sur cette population vulnérable.

Selon l’OMS, les personnes âgées font face à un ensemble d’obstacles lorsqu’elles sont retranchées en milieu familial ou en institution. Souvent sujettes à des problèmes de mobilité, voire dépendantes d’autres membres du foyer, elles ont aussi des difficultés à accéder à des informations fiables, en raison notamment de leur faible taux d’utilisation des nouvelles technologies, y compris Internet. Compte tenu du risque plus élevé d’infection, elles peuvent être encouragées à rester confinées plus longtemps, ce qui renforce leur isolement social et augmente les possibilités d’abus. 

Aggravés par la COVID-19, les mauvais traitements infligés aux aînés concernent en temps normal une personne sur six âgée de plus de 60 ans, soit 141 millions de personnes dans le monde, selon les estimations de l’OMS.  L’agence reconnaît toutefois que « ce nombre pourrait être beaucoup plus élevé, car la maltraitance des personnes âgées est l'une des violations les plus cachées et sous-déclarées ».

Tout doit donc être fait pour entretenir l’interaction de ces personnes avec la société. « Il nous faut redoubler de sollicitude et d’ingéniosité pour garder le lien avec les personnes âgées grâce aux technologies numériques », a insisté le chef de l’ONU. « Il en va de l’intérêt vital des personnes âgées, que le confinement total ou les autres restrictions mettent en situation de détresse ou d’isolement ».

Profitant de la Journée mondiale de sensibilisation à la maltraitance des personnes âgées, le 15 juin, l’ancienne Administratrice du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), Helen Clark, a rappelé que cette violation des droits humains « englobe la violence physique, sexuelle, psychologique et économique, mais également la négligence et l'abandon ».

« En raison de l'effet cumulatif des inégalités de genre subies à tous les âges de la vie, les femmes âgées sont particulièrement vulnérables à ces formes de maltraitance », a-t-elle fait valoir, se réjouissant au passage que les objectifs de développement durable soient « le premier cadre international à ne pas fixer de limite d'âge pour la collecte de données sur la violence entre partenaires intimes et la violence sexuelle ».

Dans sa note de synthèse, M. Guterres constate que l'absence de législation nationale et d'un cadre juridique international sur ces questions contribuent à la vulnérabilité des personnes âgées et peuvent expliquer certaines « réponses inadéquates » apportée à la crise de COVID-19.

« Alors que nous cherchons à sortir de la crise par le haut, avec audace et clairvoyance, sachons construire des sociétés inclusives, durables, adaptées au vieillissement et prêtes à affronter l’avenir », a-t-il souhaité.