15 juin 2020 — Modérément frappés par la COVID-19, les pays en développement sans littoral (PDSL) subissent en revanche de plein fouet les retombées de la pandémie.  Vulnérables aux chocs extérieurs, ils paient leur isolement des marchés mondiaux, leur dépendance à l’égard des pays de transit voisins et leur manque de capacités de production. C’est pourquoi les Nations Unies enjoignent les gouvernements à faciliter de toute urgence le transport des marchandises vers et depuis ces pays fragiles.

Dans un appel lancé conjointement le 9 juin, six entités de l’ONU avertissent que « les conditions économiques et sociales se dégradent rapidement » dans ces pays enclavés - souvent les plus pauvres de leur région - en raison des mesures de confinement et des restrictions internationales à la circulation des personnes et des biens prises pour faire barrage au coronavirus.

« Compte tenu des défis déjà existants, d'un vaste secteur informel et de systèmes de filets de sécurité limités, les effets socio-économiques sur les PDSL pourraient être graves », soulignent la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), le Bureau du Haut Représentant des Nations Unies pour les pays les moins avancés, les pays en développement sans littoral et les petits États insulaires en développement (UN-OHRLLS), et les commissions économiques et sociales de l’ONU pour l'Afrique (CEA), l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), l’Asie-Pacifique (ESCAP) et l’Europe (UNECE).

Des pays qui cumulent les handicaps

Ces 32 pays vulnérables, dont 17 font partie des pays les moins avancés (PMA), accusent déjà un retard de 20 % par rapport à la moyenne mondiale dans l’indice de développement humain (IDH) établi par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Un tiers de leurs 440 millions d'habitants vivent dans l'extrême pauvreté, 51 % sont confrontés quotidiennement à l'insécurité alimentaire et 40 % n'ont pas accès à l'électricité.

Du fait de leur enclavement, les PDSL dépendent fortement des ports maritimes de leurs voisins pour la circulation des marchandises. Ils font également face à des coûts commerciaux plus élevés que les pays de transit, en dépit des efforts internationaux pour faciliter leur accès aux marchés.

Si bon nombre de ces pays sont tributaires de leurs exportations de produits de base, d’autres dépendent en grande partie des envois de fonds de leurs émigrés ou du tourisme pour leurs recettes en devises, ce qui les rend très vulnérables aux fluctuations des flux extérieurs.

De surcroît, observe le Département des affaires économiques et sociales de l’ONU (DAES) dans une nouvelle note d’orientation, des pays comme l'Afghanistan, le Mali, la République centrafricaine et le Soudan du Sud sont plongés dans une guerre civile ou des conflits prolongés, tandis que plusieurs autres PDSL - Burundi, Éthiopie, Népal, Niger, Tchad et Ouganda - ont connu la violence et l'instabilité ces dernières années. De fait, ajoute-t-il, leur fragilité endémique pourrait s’aggraver « si les conditions économiques et les perspectives d'emploi se détérioraient rapidement ».

Un homme avec un haut-parleur s'adresse a des gens qui font la queue.

« Les effets conjugués des mesures de confinement, d’une pandémie et d'une récession mondiale risquent de mettre à l’arrêt voire d’inverser l’avancée des PDSL vers les Objectifs de développement durable ainsi que les aspirations incluses dans le Programme d'action de Vienne en faveur des pays en développement sans littoral pour la décennie 2014-2024 », préviennent les signataires de l’appel.

Le Programme d’action de Vienne, pour rappel, a été adopté par la communauté internationale pour répondre aux besoins particuliers des PDSL en matière de développement. Il vise à accroître le taux de croissance de ces pays, notamment via le développement de systèmes de transit et de transports favorisant l’expansion de leurs échanges.

Un contexte particulièrement défavorable 

L’initiative des agences onusiennes en faveur des PDSL intervient à un moment critique pour le commerce international de marchandises. Déjà en berne avant la pandémie de COVID-19, il s’est tassé d’environ 5 % au premier trimestre de cette année et devrait encore reculer de 27 % au deuxième trimestre, selon les dernières projections de la CNUCED.

En tout état de cause, les échanges internationaux devraient rester inférieurs aux niveaux observés en 2019 au second semestre. En anticipant une incertitude persistante, la CNUCED table sur une baisse d’environ 20 % pour 2020, ce qui est conforme aux prévisions de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui envisage un recul compris entre 13 % et 32 %.

Or les économies des PDSL dépendent fortement du commerce international, comme en atteste leur ratio commerce/produit intérieur brut (BIP) d’environ 73 %, contre une moyenne mondiale de 59 % en 2018, comme le soulignent les ambassadeurs de ces pays auprès de l’ONU dans une récente déclaration.

Les PDSL sont donc particulièrement vulnérables aux restrictions transfrontières. « En ces temps sans précédent, il est encore plus urgent d'assurer un transport sans heurts des marchandises à destination et en provenance de ces pays », plaident les six entités de l’ONU.

Elles y voient une nécessité « à la fois dans la réponse sanitaire à court terme à la crise, en assurant la livraison d'équipements médicaux et de produits de base indispensables, et dans la réponse économique à long terme, en facilitant le commerce et l'accès aux marchés mondiaux et en stimulant les choix économiques post-COVID-19 ».

Les postes frontaliers, points névralgiques

Si la plupart des restrictions de transport introduites en réponse à la COVID-19 ont exempté le mouvement des produits essentiels, le fret ne circule pas pour autant librement à travers les frontières. Les fermetures et les contrôles accrus entraînent, partout, de longues files d'attente aux frontières terrestres et des embouteillages dans les ports et les aéroports.  

Afin de réduire les retards et de maintenir les chaînes d'approvisionnement vitales en service, l’UNECE a créé fin mars, avec l’appui des autres commissions et organisations régionales de l’ONU, un « Observatoire sur le statut des postes frontaliers en raison de la COVID-19 », qui fournit un aperçu en temps réel des limitations en vigueur pour le passage frontalier du fret dans le monde.

Dans certains pays, dont un grand nombre de PDSL, les infrastructures aux points de passage des frontières sont extrêmement précaires, ce qui pose non seulement des problèmes de gestion des flux mais expose également le personnel à des risques de contagion plus élevés. D’ores et déjà, précisent les entités de l’ONU, « la pandémie de COVID-19 a commencé à générer des impacts négatifs sur les importations en provenance des pays en développement sans littoral ».

Un chef traditionnel au Niger s'adresse a un automobiliste pour le sensibiliser fait passer des messages de sensibilisation a la COVID-19 et aux mesures de prevention.

Le ralentissement des services portuaires a aussi des effets sur ces pays.  Il entraîne une augmentation substantielle des coûts de la logistique maritime, ce qui renchérit le coût du transport terrestre et, en fin de compte, le coût des produits pour les consommateurs, constate la CNUCED. Les PDSL étant déjà assujettis à des coûts plus élevés que les autres pays, ils voient leur compétitivité encore amoindrie sur les marchés internationaux.

À période exceptionnelle, réponse exceptionnelle

« Il est fondamental de faciliter la libre circulation des marchandises et de maintenir les frontières ouvertes au commerce », affirment les agences de l’ONU, en appelant les gouvernements et les organisations des différentes régions à « collaborer pour maintenir autant que possible les couloirs de transport transfrontaliers et les réseaux de transport régionaux, tout en protégeant la santé publique ».

Les États sont ainsi invités à « s'abstenir de toute restriction injustifiée au trafic et aux marchandises en transit pour faire en sorte que les marchandises puissent sortir des PDSL et y entrer selon que de besoin, sans délai ni entrave ». Il leur est aussi demandé de « simplifier et accélérer » les procédures de dédouanement à la frontière des PDSL pour les équipements médicaux et les produits de base.

Les entités onusiennes estiment, d’autre part, que le moment est venu pour les PDSL et les pays voisins d’utiliser « des technologies numériques qui limitent les contrôles en transit, réduisent les contacts physiques aux frontières et protègent la santé des travailleurs ».  Elles plaident pour la mise en œuvre accélérée du système international eTIR, qui permet un franchissement des frontières sans contact ni papier, et la généralisation du projet eCMR [EN/PDF] de suivi et traçage électroniques des marchandises.

Elles rappellent à cet égard que la mise en œuvre de traités internationaux tels que la Convention de Kyoto révisée, l'Accord de l'OMC sur la facilitation des échanges, la Convention TIR et la Convention internationale sur l'harmonisation des contrôles de marchandises aux frontières est « de la plus haute importance en cette période pour faciliter le transport en transit ».

La crise actuelle doit, selon elles, être l’occasion de renforcer la coopération régionale et de réorienter le transport international de marchandises « vers une voie plus durable », comme le transport ferroviaire. « Les systèmes et services de transport à destination et en provenance des PDSL doivent être durables, abordables et résilients pour les aider à répondre à la pandémie de COVID-19 et aux perturbations futures de même nature », assurent les six agences.

Plus largement, un plan de sauvetage apparaît nécessaire pour empêcher l’effondrement des économies des PDSL, estime le Département des affaires économiques et sociales, non sans rappeler que 40 % des allègements de dette consentis cette année par le Fonds monétaire international (FMI) pour aider à surmonter la crise concernent des pays enclavés d’Afrique et d’Asie. 

« Le coût de l'inaction ou de l'action retardée sera trop élevé, car la crise économique, le chômage et la faim dans les PDSL alimenteront inévitablement des conflits qui toucheront non seulement ces pays mais aussi leurs voisins et le monde au-delà de leurs frontières immédiates », met en garde le DAES.