04/11/2019

Développement durable : des progrès ralentis en partie par le manque de financement

par António Guterres

Partout dans le monde, la rue se mobilise pour manifester contre l’accroissement du coût de la vie et la montée de l’injustice, que celle-ci soit ressentie ou bien réelle.

Ces femmes et ces hommes jugent que l’économie ne contribue pas à améliorer leur qualité de vie et, dans certains cas, ils ont raison. Tout miser sur la croissance, sans penser à son véritable prix et à ses conséquences, entraîne une catastrophe climatique, une perte de confiance dans les institutions et un manque de foi en l’avenir.

Le secteur privé a un rôle clé à jouer afin de résoudre ces problèmes. De nombreuses entreprises collaborent déjà étroitement avec l’ONU pour bâtir un avenir plus stable et plus équitable, fondé sur les objectifs de développement durable. Ces 17 objectifs arrêtés par les dirigeants du monde entier en 2015 visent à lutter contre la pauvreté, les inégalités, la crise climatique et la dégradation de l’environnement et à instaurer la paix et la justice d’ici à 2030.
 
Des progrès ont été faits depuis qu’ils ont été adoptés il y a quatre ans. Les taux d’extrême pauvreté et de mortalité juvénile sont en baisse ; de plus en plus d’hommes et de femmes ont accès à l’énergie et à un travail décent. Mais, dans l’ensemble, nous sommes loin du compte : la faim augmente ; la moitié de la population mondiale n’a pas accès à l’éducation de base et aux soins de santé essentiels ; partout, les femmes se heurtent à la discrimination et sont désavantagées.
 
La lenteur des progrès s’explique en partie par le manque de financement. Les fonds publics ne suffisent tout simplement pas à financer l’élimination de la pauvreté, à améliorer l’éducation des filles et à atténuer les effets des changements climatiques. Il nous faut des investissements privés en complément, et l’ONU s’emploie à les mobiliser en travaillant avec le secteur de la finance. C’est un moment charnière pour le monde des entreprises et de la finance, et pour le lien qui l’unit aux politiques publiques.
 
D’abord, les entreprises doivent se doter de politiques d’investissement à long terme qui servent la société, pas seulement leurs actionnaires. Certains grands fonds de pension éliminent les combustibles fossiles de leur portefeuille : c’est un début. Plus de 130 établissements bancaires, avec 47 000 milliards de dollars d’actifs, ont signé les Principes pour un secteur bancaire responsable, en collaboration avec l’ONU. Ces principes traduisent un engagement sans précédent des entreprises envers des stratégies alignées sur les objectifs de développement durable, l’Accord de Paris de 2015 visant à empêcher l’élévation de la température de la planète et des pratiques bancaires qui créent une prospérité partagée. J’engage vivement toutes les institutions financières à adhérer à cette transformation.
 
Ensuite, nous trouvons de nouveaux moyens pour que le secteur privé investisse dans la croissance et le développement durables. En octobre, une trentaine de dirigeants de multinationales ont lancé à l’ONU l’Alliance mondiale des investisseurs en faveur du développement durable. De hauts responsables d’Allianz et de la bourse de Johannesburg sont parmi ceux qui se sont engagés publiquement à jouer le rôle d’agent du changement dans leur entreprise et ailleurs. Ils soutiennent déjà de grands projets d’investissement dans des infrastructures durables : énergie propre et accessible en Afrique, en Amérique latine et en Asie et recours à des instruments financiers innovants visant à réunir des milliards de dollars au service de la sécurité alimentaire et de l’énergie renouvelable. Désormais, ils s’impliqueront encore davantage dans la mobilisation de capitaux en faveur du développement durable en faisant le lien entre projets et investisseurs.
 
Je souhaite que tous les chefs d’entreprise leur emboîtent le pas, qu’ils investissent dans l’économie du futur : une croissance propre et verte qui crée des emplois décents et améliore les conditions de vie de toutes et tous à long terme. Il faut aller plus loin, plus vite, si nous voulons obtenir les milliers de milliards de dollars dont nous avons besoin pour atteindre les objectifs de développement durable.
 
Enfin, nous invitons les chefs d’entreprise à ne pas se contenter d’investir et à se mobiliser pour une transformation des politiques. Dans bien des cas, les entreprises montrent déjà la voie. La durabilité est un bon investissement. Les consommateurs eux-mêmes font pression. Un investisseur a qualifié le financement durable de « phénomène de masse ». Mais l’investissement du secteur privé se heurte souvent aux subventions accordées pour les combustibles fossiles, qui ont pour effet de fausser les marchés, et à des intérêts profondément ancrés, qui favorisent le statu quo. De gros investisseurs, dont Aviva, mettent en garde contre le fait que les subventions aux combustibles fossiles pourraient nuire à la compétitivité de certains secteurs clés, notamment à l’économie sobre en carbone. L’État est à la traîne, il rechigne à changer cadres réglementaires et politiques et régimes fiscaux pourtant dépassés. Le reporting trimestriel décourage l’investissement à long terme. L’obligation de loyauté des investisseurs doit être revue pour tenir compte de considérations plus larges liées à la durabilité.
 
Les chefs d’entreprise doivent user de leur vaste influence pour faire campagne en faveur de la croissance partagée et de la création de débouchés pour toutes et tous. Aucune entreprise ne peut se permettre de ne pas prendre part à cet effort et tous les objectifs de développement durable peuvent bénéficier des investissements privés.
 
Investir dans le développement durable équitable, c’est à la fois bon sur le plan éthique et bon pour les affaires. Les chefs d’entreprise peuvent faire toute la différence en forgeant un avenir de paix, de stabilité et de prospérité sur une planète en bonne santé.
 

via Financial Times