COMMISSION DE CONCILIATION DES NATIONS UNIES POUR LA PALESTINE
APERCU HISTORIQUE ET JURIDIQUE SUR LES
RENONCIATIONS RECIPROQUES AUX INDEMINTES DITES DE GUERRE
(Document de travail préparé par l’Office pour les réfugiés)
On définite1 généralement les indemnités de guerre comme des biens mis dans le patrimoine d’un Etat — ou de plusieurs Etats — à la fin d’un conflit, soit, pour l’indemniser des frais occasionnés par ce dernier, soit pour le dédommager de l’assistance aux victimes. D’une manière générale, ces biens sont constitués par des sommes d’argent que L’Etat vaincu s’engage à payer à l’Etat vainqueur, selon des modalités fixées au cours des négociations de paix ou des préliminaires de paix.
La pratiqué des indemnités de guerre est très vieille et a pris au cours des âges des formes et des destinations différentes. Dans l’antiquité, le vainqueur se faisait payer par le vaincu un tribute. Au cours du Moyen-âge, l’indemnité de guerre était constituée par le butin et la guerre devenait un moyen pour les Etats de s’enrichir aux dépens d’autres Etats. On exigeait le plus souvent rançon pour la libération des prisonniers de guerre. Elle fut pratiquée jusqu’à la fin du 17ème siècle (Traité de Carlowitz du 26 janvier 1699).
La notion de l’indemnité de guerre, telle qu’elle est comprise de nos jours, a, en fait, pris corps au cours du 17ème siècle. On la voit apparaître dans certains traités tels que les Traités de Münster (24 octobre 1648)) d’Osnabrück (24 octobre 1648), des Pyrénées (7 novembre 1657) et de Yassi (9 janvier 1792), soit sous forme d’une compensation par des cessions territoriales, soit sous celle de remboursement des frais occasionnés par la guerre. Mais le versement des sommes pour les damages causés aux personnes est plutôt rare. Au cours du 18ème siècle, la paix se fait en principe sans indemnité. Au 19ème siècle, les indemnités de guerre prennent un caractère arbitraire. Les traités conclus après les guerres napoléoniennes contiennent des stipulations pour le versement de sommes globales qui comprennent, outre les frais de guerre, des charges imposées aux vaincus. Le Traité de Francfort (1871) entre la France et l’Allemagne en constitue l’exemple le plus typique.
A la fin du 19ème siècle, la clause de l’indemnité de guerre tend à disparaître des traités conclus entre Etats, comme par exemple dans les traités concernant les Balkans. Par contre, dans la première moitié du 20ème siècle, on voit réapparaître cette clause sous forme de réparations. C’est l’idée de base qui gouverne tous les traités conclus après la Première et la Deuxième guerre mondiales.
C’est ainsi que par son article 231, le Traité de Versailles impose à l’Allemagne le paiement des réparations pour “toutes les pertes et dommages subis par les gouvernements alliés et associes et leurs nationaux en conséquence de la guerre.:.”
I. LA NOTION PROPREMENT DITE DE L’INDEMNITE DE GUERRE
Dans la pratique moderne, l’indemnité de guerre est une charge imposée par un Etat vainqueur à un Etat vaincu sous le prétexte fictif ou réel de le dédommager totalement ou partiellement des frais occasionnés par le conflit. Elle peut prendre des formes différentes. En général s’agit du paiement d’une somme d’argent plus ou moins importante. Si l’Etat vaincu est considéré comme partiellement ou totalement insolvable, les indemnités en espèces sont partiellement ou totalement remplacées par des indemnités en nature. C’est ainsi que le Traité d’Andrinople (14 septembre 1829) engage la Turquie à payer à la Russie; outre 6 millions de ducats hollandais, du bois de construction, du cuivre et de la soie. De même par le Traité de Paris (10 février 1947) — la Hongrie s’est engagée à fournir des réparations en nature, Une stipulation identique se trouve insérée dans le traité conclu, à la même date, avec la Bulgarie.
L’insolvabilité du vaincu a servi quelquefois de prétexte à des cessions territoriales. Par le préliminaires de San Stefano, (8 mars 1878) et le traité de Constantinople (8 février 1879) la Turquie a du céder à la Russie, comme indemnité de guerre, certaine territoires faisant partie de ses provinces orientales (Kars et Ardahan). Par le traité de Portsmouth (5 septembre 1905), la Russie à cédé au Japon la partie méridionale de l’ile de Sakaline, comme indemnité de guerre.
Si 1’on examine les divers traités conclus au cours des 19ème et 20ème siècles, les indemnités de guerre y apparaissent tantôt comme une pénalité, tantôt comme un transfert unilatéral et arbitraire des biens et tantôt comme des versements destinés à indemniser l’Etat vainqueur et ses ressortissants des frais et dommages causés par la guerre. Ces trois éléments peuvent se combiner2 et constituer la base des sanctions imposée. C’est ainsi pin y a des:
a- indemnités en tant que sanction pénale
b- indemnités pour dommages de guerre proprement dits
c- indemnités pour frais de guerre
d- indemnités pour frais de guerre et dommages subis par les personnes et les biens, droits et intérêts des ressortissants de l’Etat vainqueur
e- indemnités pour, entre autres, l’entretien des prisonniers et les pensions dues aux ex-combattants
f- indemnités totales ou partielles sous forme de cessions territoriales
g- indemnités sous forme de réparations
a- Indemnités en tant que sanctions pénales3
1- Traité de Paris — 20 novembre 1815 entre la France et les Alliés
2- Traité de Prague — 23 août 1866 entre la Prusse et 1’Autriche
3- Traité de Berlin — 17 août 1866 entre la Prusse et 1’Etat de Bade
4- Traité de Shimonoseki 1— 7 avril 1895 entre le Japon et la Chine
b- Indemnités pour dommages de guerre proprement dits
Traité de Tétouan — 26 avril 1860 Espagne — Maroc
c- Indemnités pour frais de guerre
Traité de Saigon — 5 juin 1862 — France – Espagne – Annam
d- Indemnités pour frais de guerre et dommages subis par les personnes et les biens, droits et intérêts des ressortissants de l’Etat vainqueur
1- Traité d’Andrinople — 14 septembre 1829 — Turquie – Russie
2- Traité de Nankin — 29 août 1842 — Royaume-Uni – Chine
3- Traité de Milan — 6 août 1849 — Autriche – Sardaigne
4- Traité de Pékin — 24 octobre 1860 — Royaume-Uni – Chine
5- Traité de Miramar — 10 avril 1864 — France – Mexique
6- Traits de Yokohama — 22 octobre 1864 — Royaume-Uni, France, Etats-Unis d’Amérique, Pays-Bas et Japon
7- Préliminaires et Traité de paix de Constantinople — 18 septembre 1897 — 4 décembre 1897 — Turquie – Grèce
e- Indemnités pour entre autres l’entretien des prisonniers et les pensions dues aux ex-combattants
1- Préliminaires de Versailles et Traité de Francfort — 18 février 1871
Allemagne – France
Préliminaires de San Stefano — 3 mars 1878 Traité de Constantinople — 8 février 1879 Russie – Turquie
f- Indemnités totales ou partielles sous forme de cessions: territoriales
1- Traité d’Andrinople — 14 septembre 1829 — Russie – Turquie
2- Préliminaires de San Stefano — 3 mars 1878
Traités de Constantinople — 8 février 1879 — Russie – Turquie
3- Traité de Paris — 30 mars 1856 — Royaume-Uni, France, Turquie, Sardaigne, Prusse, Russie
4- Traité de Berlin — 13 juillet 1878 — Royaume-Uni, France, Autriche, Allemagne, Italie, Russie – Turquie
5- Traité de Portsmouth — 5 septembre 1905 — Japon – Russie.
6- Traité de Londres — 30 mai 1913 — Etats balkaniques – Turquie
7- Traité de Lausanne — 18 octobre 1912 — Italie — Turquie
g- Indemnités sous forme de réparations
D’une manière générale, tous les traités conclus après la première et deuxième guerre mondiales, stipulent des indemnités de guerre sous forme de réparations. Y font exception les traités conclus avec 1’Union soviétique, à Brest Litowsk, Rapallo, Riga, etc. ainsi que le Traité de Lausanne entre la Turquie et les Alliés.
II. RENONCIATIONS RECIPROQUES AUX INDEMNITES DE GUERRE
Les renonciations réciproques aux indemnités de guerre peuvent être tacites ou expresses. Plusieurs traités, conclus du 16ème au 18ème siècles et au cours du 19ème siècle et de la première moitié du 20ème4, contiennent des renonciations expresses aux indemnités de guerre, Mais ces renonciations peuvent être, en vérité, considérées comme fictives en ce qui concerne l’Etat vainqueur, étant donné que dans la grosse majorité des cas, ce dernier`se trouve avoir bénéficie de concessions territoriales plus ou moins importantes, au détriment de 1’Etat vaincu. En effet, et sauf de rares exceptions, des indemnités de guerre auront été payées par l’Etat vaincu sous forme de cessions territoriales.
Aux 17ème et 18ème siècles, on trouve plusieurs exemples de renonciations réciproques aux indemnités de guerre:
1- Traité de Ryswick — 20 septembre 1697 — France Angleterre (art. 3 — voir page 36)
Article 3.
“Tous les torts, damages, injures et offenses que lesdits seigneurs roys et leurs sujets auront soufferts ou reçus les uns des autres pendant cette guerre, seront absolument oubliés; et leurs Majestés et leurs sujets, pour quelque cause et occasion que ce puisse être, ne se feront désormais ni ne commanderont ou ne souffriront qu’il soit réciproquement fait de part ni d’autre aucun acte d’hostilité ou d’inimitié, trouble ou préjudice de quelque nature et matière que puisse être par autrui ou par soi-même, en public ou en secret, directement ou indirectement, par voie de fait, ou sous prétexte de justice.”
2- Traité de Paris — 11 avril 1713 — France – Angleterre
Article 3
“Tous les torts, dommages, injures, offenses que Led. Roy T.C. et Lad. Reyne de la Grande Bretagne et leurs sujets auront soufferts et reçus les uns des autres pendant cette guerre seront absolument oublies.”
3- Traité d’Utrecht — 11 avril 1713 — France, Prusse, Duché de Savoie
Article 3.
« Toutes les injures qu’on a reçues de part et d’autre, en paroles, écrits, actions, hostilités, dommages et dépenses, sans aucun égard aux personnes et aux choses, seront entièrement abolies de manière que tout ce que l’un pourrait demander sur 1’autre à cet égard soit entièrement oublié.”
4- Traité de Hubertsbourg — 15 janvier 1763 — Prusse – Pologne
Article 3.
“Il y aura une paix solide, une amitié sincère et un voisinage entre Sa Majesté le Roy de Prusse et Sa Majesté le Roy de Pologne, électeur de Saxe et. leurs héritiers, Etats, pays et sujets; en conséquence de quoi, il y aura une amnistie générale et un oubli éternel de tout ce qui est arrivé entre les hautes parties contractantes, à l’occasion de la présente guerre, de quelque nature que cela puisse avoir été et il ne sera point demandé de dédommagement de part et d’autre et toutes les prétentions réciproques occasionnées par cette guerre, demeureront éteintes, annulées et anéanties.”
Au 19ème siècle, l’exemple typique de renonciation réciproque et expresse est celui fourni par 1’Article 7 du Traité de Paris, 10 décembre 1898, conclu entre l’Espagne et les Etats-Unis d’Amérique. Cet article est ainsi conçu:
“The United States and Spain mutually relinquish all claims for indemnity, national and individual, of every kind, of either Government, or of its citizens or subjects, against the other Government that may have arisen since the beginning of the late insurrection in Cuba and prior to exchange of ratifications of the present Treaty, including all claims for indemnity for the costs of the war. The United States will adjudicate and settle the claims of its citizens against Spain relinquished in this Article.”
Il est vrai que par ce traité, l’Espagne a cédé aux Etats-Unis les Philippines, mais cette cession n’a pas été gratuite, Les Etats-Unis, en effet, ont payé à l’Espagne 20 millions de dollars pour cette cession.
La première moitie du 20ème siècle nous fournit d’autres exemples de renonciations réciproques aux indemnités de guerre. Tels sont, entre autres les traités conclus par l’Union Soviétique au lendemain de la révolution de 1917. C’est ainsi que les traités de Brest-Litowsk, de Riga, de Dorpat, stipulent tous une renonciation réciproque et expresse aux indemnités de guerre.
Les articles y relatifs des traités en question sont ainsi conçus
Traité de Brest Litowsk — 3 mars 1918
Autriche, Hongrie, Bulgarie, Allemagne, Turquie, et l’Union soviétique.
Article 9
“The contracting parties mutually renounce repayment of their war expenses, that is to say their State expenditure for the prosecution of the war, as well as compensation for war damages, that is to say damages suffered by them and their nationals in the war areas through military measures, including all requisitions effected on enemy soil.”
Traité de Brest Litowsk — 9 février 1918
Autriche, Hongrie, Bulgarie, Allemagne, Turquie et République d’Ukraine
Article 5
“The contracting parties mutually renounce repaynent of their war expenses, that is to say their state expenditure for the prosecution of the war, as well as compensation for war damages, that is to say damages sustained by them and their nationals in the war area through military measures, including all requisitions effected on enemy soil,”
Traité de Riga — 18 mars 1921
Pologne – Union soviétique
Article 8
“Les deux parties contractantes renoncent réciproquement au remboursement des frais de guerre, c’est-a-dire des dépenses de l’Etat affectées à la guerre, ainsi qu’à l’indemnisation des dommages causés par la guerre, c’est-à-dire pour les dommages causés à eux ou à leurs ressortissants sur le terrain des opérations de guerre par suite de ces opérations et des mesures militaires prises pendant la guerre polono-ukrainienne.”
Traité de Dorpat — 2 février 1920
Estonie – Union soviétique
Article 8
“The two parties mutually surrender their claims to the repayment of the war expenses, i.e., military expenses, and also to the repayment of war losses, i.e. those caused to the State or the individuals is a result of military measures, including losses arising from requisitions of whatever measures made in enemy territory.”
Par ailleurs, l’article 7 des préliminaires de paix de Lausanne, conclus le 15 octobre 1912 entre la Turquie et l’Italie stipule; ce qui suit :
“Les dépenses supportées par les deux gouvernements pour l’entretien des prisonniers de guerre et des étages seront considérées comme compensées.”
D’autre part, en 1922, le 16 avril, l’Union soviétique et 1’Allemagne signaient le Traité de Rapallo, en vertu duquel
“The German Reich and the Russian Socialist Federal Sovietic Republic renounce mutually all compensation, in respect of the costs of the war and of war losses, that is to say all losses incurred by them and their nationals in the war areas through military measures including requisitions, made in enemy country. Both parties also renounce compensation in respect of civilian losses caused to nationals of one party by the so-called exceptional war legislation or by compulsory measures taken by State Departments on the other side.”
(Article 1 (a) )
Enfin, le Traité de Lausanne du 24 juillet 1923, entre la Turquie et les Puissances alliées et associées, stipule dans les articles 58 et 59, ce qui suit:
Article 58
“La Turquie, d’une part, et les autres puissances contractantes (à l’exception de la Grèce) d’autre part, renoncent réciproquement à toute réclamation pécuniaire pour les pertes et dommages subis par la Turquie et lesdites puissances ainsi que par leurs ressortissants (y compris les personnes morales) pendant la période comprise entre le ler août 1914 et la mise en vigueur du présent traité (6 août 1924), soit de frais de guerre, soit de mesures de réquisitions, séquestre, dispositions ou confiscation……. »
Article 59
“La Grèce reconnaît son obligation de réparer les dommages causés en Anatolie par des actes de l’armée ou de l’administration hellénique contraires aux lois de la guerre. D’autre part, la Turquie, prenant en considération la situation financière de la Grèce telle qu’elle résulte de la prolongation de la guerre et de ses conséquences, renonce définitivement à toute réclamation contre le gouvernement hellénique pour des réparations.”
Telles sont les principales clauses par lesquelles certains Etats ont expressément renoncé soit à titre gracieux, soit réciproquement, aux indemnités dites de guerre. Pour ce qui est des renonciations tacites, elles consistent en l’absence d’une stipulation quelconque relative à ces indemnités. C’est ainsi que les traités suivants, par exemple, ne contiennent aucune disposition sur les indemnités de guerre:
1- Traité de Zurich — 10 novembre 1859
entre la France, la Sardaigne, et 1’Autriche
2- Traité de Berlin — 13 juillet 1878
entre la Grande Bretagne, Autriche, France, Allemagne, Italie, Russie et Turquie
3- Traité d’Ancon — 20 octobre 1883
entre Chili et Pérou
On pourrait ajouter cette liste d’autres traits se caractérisant par l’absence d’une stipulation concernant les indemnités de guerre. Mais, dans la plupart des cas, de telles renonciations résultent de cessions territoriales consenties par l’Etat vaincu au profit de l’Etat vainqueur, de sorte que dans le contexte général du traité, des indemnités de guerre auront été payées sous forme de cessions territoriales. Cette remarque s’applique, dans certains cas, même aux renonciations expressément stipulées.
Quant à la question de la responsabilité des Etats servant de base aux indemnités de guerre, sous toutes leurs formes, celle-ci n’a pas fait l’objet d’un examen du fait qu’elle sort du cadre fixé pour la présente étude.
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1Voir aussi pour cette définition L. CAMUZET : « Indemnité de guerre en droit international. (Paris 1928)
2Voir à ce sujet: Indemnities of war: (subsidies and loans) H.M. Stationery Office No. 158 1920 et Corpus Pacificationum Berlin 1924.
3Cette liste ainsi que celles qui suivent ne sont pas exhaustives.
4du 16ème an 18ème siècles, 1’amnistie complète de l’agression fondée sur le principe de la souveraineté absolue des Etats dont le droit de guerre est un corollaire essentiel, est une règle presque constante. Op. citée L. Camuzet p. 39.
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Document Type: French text, Working paper
Document Sources: United Nations Conciliation Commission for Palestine (UNCCP)
Subject: Armed conflict, Economic issues, History, Legal issues
Publication Date: 15/10/1951