En raison des changements radicaux qui ont eu lieu dans le monde, un nouveau droit international doit émerger. Les États souverains constituent la majorité des États et le pouvoir demeure l’élément décisif de l’ordre international ambiant. Les organisations internationales continuent d’opérer dans le cadre de leurs mandats, sous la coupe d’États puissants et avec des majorités requises pour le vote. Et cependant, le contenu et les procédures du droit international peuvent être améliorés pour devenir un droit international de la sécurité et de la protection, les Nations Unies devant jouer un rôle de premier plan.

Nouvelles menaces pour la sécurité internationale
Dans la troisième édition de La Charte des Nations Unies : un commentaire, publiée par Bruno Simma et al., les auteurs font référence au rapport de l’ancien Secrétaire général Kofi Annan intitulé « Dans une liberté plus grande : développement, sécurité et droits de l’homme pour tous  », notant qu’« au XXIe siècle les menaces pour la paix et la sécurité ne sont pas seulement la guerre et les conflits internationaux, mais aussi la violence civile, la criminalité organisée, le terrorisme et les armes de destruction massive. Il faut aussi inclure la pauvreté, les épidémies mortelles et la dégradation de l’environnement, tous aussi lourdes de conséquences. Tous ces phénomènes sont meurtriers ou peuvent compromettre la survie. Ils peuvent tous saper les fondements de l’État en tant qu’élément de base du système international1 ».

Le terme « sécurité internationale », poursuivent-ils, nécessite « une transformation des relations internationales afin que chaque État veille à ce que la paix ne soit pas brisée ou, au moins, que toute rupture de la paix ait des conséquences limitées. La sécurité internationale implique le droit de chaque État de tirer parti des systèmes de sécurité pertinents et, également, les obligations juridiques de chaque État pour soutenir ces systèmes ». L’Assemblée générale, ont ajouté les auteurs, « a fait valoir que la sécurité nationale et la sécurité internationale étaient de plus en plus liées entre elles, ce qui oblige les États à envisager la sécurité internationale de façon globale et coopérative2  ».

Ils ont poursuivi leur commentaire en faisant remarquer que « traditionnellement, le concept de sécurité internationale était considéré principalement comme un problème relevant de la sûreté de l’État. Ces dernières années, cependant, un autre concept a émergé – celui de la sécurité humaine, reconnaissant que les menaces ne venaient pas seulement des États ou des acteurs non étatiques, mais pouvaient aussi mettre en danger la sécurité à la fois des États et des populations3 ». Ils sont partis du principe qu’« il est possible de promouvoir la sécurité internationale par la mise en place de politiques ou de mesures dont deux sont mentionnées dans le paragraphe 1 [de l’article 1 de la Charte], à savoir des mesures de sécurité collectives et l’ajustement ou le règlement de différends de caractère international… La paix et la sécurité internationales peuvent être menacées non seulement pas des actes d’agression, mais aussi par d’autres menaces à la paix4 ».

Que signifient ces nouvelles menaces pour l’avenir du droit et de l’ordre international ? Nick Butler, du Policy Institute au King’s College de Londres, a abordé ces questions dans un article publié le 20 octobre 2015 dans le Financial Times dans lequel il expliquait que la lutte contre les changements climatiques était un acte d’autodéfense et non d’altruisme. Il a souligné qu’à la mi-octobre de cette année-là, lors d’un séminaire organisé par le Sénat et par le Ministère de la défense à l’École militaire de Paris, des militaires et des acteurs de la société civile ont débattu des risques posés par les changements climatiques ainsi que des implications pour la défense et la sécurité. Un grand nombre de risques sont connus – la désertification dans certaines régions ou la pénurie d’eau endommageant les récoltes, le manque de denrées alimentaires, le risque d’inondations ou de variations soudaines de la température; ainsi que le risque de maladies et d’épidémies transmises par l’eau insalubre.

Selon l’auteur de l’article, les « changements » climatiques décrits n’étaient pas considérés à leur juste mesure et impliquaient une hausse graduelle, linéaire de 2 °C au cours des décennies par rapport à celles que nous connaissons. En réalité, il s’agit d’un dérèglement climatique – des fluctuations irrégulières dans une direction ou une autre. D’où la nécessité de ce que les Français appellent la « défense verte ». Les changements climatiques provoqueraient une migration plus massive. À l’ère du commerce et des voyages internationaux, les épidémies sont susceptibles de se propager rapidement. « Dans ces circonstances, il est difficile de voir comment la sécurité nationale et la sécurité européenne peuvent être préservées sans une intervention rapide pour traiter les problèmes à leur source. Cela signifie que les pays européens et peut-être d’autres pays devront dépêcher du personnel sur le terrain et investir dans un processus de développement apte à gérer chacun des risques et encourager la population locale à rester sur place au lieu d’émigrer5 ».

Les Français, a ajouté Nick Butler, « ont raison de considérer les risques associés aux changements climatiques comme des questions non seulement liées à la politique énergétique et à la protection de l’environnement, mais aussi comme des défis majeurs en matière de défense et de sécurité6 ».

Les problèmes futurs de la protection internationale
Un mois avant la publication de l’article de Nick Butler sur la « défense verte », Martin Rees, l’astronome britannique, a écrit un article dans le Financial Times disant qu’il fallait que les scientifiques et les hommes politiques unissent leurs efforts pour protéger la vie sur terre7. L’auteur a mis en garde : « Ceux qui vivent sans climatisation seront les plus vulnérables au stress thermique, ceux qui ont déjà des difficultés à se nourrir seront les plus touchés par les mauvaises récoltes, ceux dont les habitations sont fragiles seront les plus affectés par des phénomènes climatiques extrêmes… Les changements climatiques pourraient conduire à un effondrement de la biodiversité comparable aux cinq grandes extinctions observées dans l’histoire de la planète. Nous détruisons le livre de la vie avant de l’avoir lu… Pour élaborer des politiques adéquates, nous avons besoin du concours des scientifiques, des économistes et des techno- logues et devons mettre à profit les meilleures connaissances que le XXIe  siècle peut offrir. Mais pour les mettre en œuvre avec succès, nous avons besoin de l’engagement des dirigeants politiques et du soutien sans faille des électeurs8 ».

Le 2 février 2011, le Secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-moon, lors de la quatrième conférence Cyril Foster à l’Université d’Oxford qui avait pour thème « La protection humaine et les Nations Unies au XXIe siècle », a noté que « les fondateurs de l’Organisation avaient compris que la souveraineté conférait une responsabilité, celle d’assurer la protection des êtres humains contre le besoin, la guerre et la répression. Lorsque cette responsabilité n’est pas assumée, la communauté internationale est moralement tenue de prendre acte de son devoir d’agir pour assurer la protection humaine ».

« La protection humaine », a-t-il reconnu, « est une tâche qui n’est ni simple ni aisée. Nous ne réussissons pas toujours à la mener à bien. Mais nous devons continuer de nous efforcer de changer les choses. C’est notre responsabilité individuelle et collective. Des personnes comme moi, en ma qualité de Secrétaire général ainsi que les dirigeants mondiaux ont une responsabilité morale et politique de protéger les populations. Les défis auxquels nous sommes confrontés ont changé, mais pas notre responsabilité première de maintenir la paix et la sécurité internationales. Lentement, mais sûrement, parfois en commettant des erreurs, nous avons appris à utiliser d’une nouvelle façon les instruments prévus par la Charte, nous adaptant aux circonstances. Au cours de cette évolution, le besoin de rendre opérationnel un concept de protection humaine est apparu », a-t-il ajouté. Et de souligner, « il ne fait aucun doute que l’ONU doit s’acquitter plus efficacement de ses devoirs de protection… La meilleure forme de protection est la prévention. La prévention sauve des vies ainsi que les ressources9 ».

« Au-delà de la protection immédiate », a-t-il ajouté, « l’ONU examine les “vulnérabilités insidieuses”. Celles-ci mettent les populations en danger, affaiblissent les sociétés et sèment les germes de la violence et des conflits : pénurie d’eau, insécurité alimentaire, corruption, criminalité transnationale, effets des changements climatiques. Souvent, ces phénomènes engendrent des conflits et des conflits régionaux très graves. Il n’est donc pas surprenant que ces questions liées à la sécurité humaine aient fait leur apparition dans notre programme de consolidation de la paix et, en particulier, dans celui de la Commission de consolidation de la paix ». « L’ONU », a-t-il indiqué, « reconnaît que la protection humaine occupe une place centrale dans ses objectifs et ses principes10 ».

Les Nations Unies devront changer leur approche de façon radicale si elles veulent relever les défis de la protection internationale. Elles devront faire preuve d’une grande audace. Dans son ouvrage intitulé L’ordre mondial, Henry Kissinger a fait remarquer que « l’idée selon laquelle […] les pays signaleront les violations de la paix d’une façon identique et seront préparés à agir ensemble pour y remédier est contredite par l’expérience historique […] La sécurité collective s’est révélée à maintes reprises irréalisable dans des situations qui menacent gravement la paix et la sécurité internationales11 ». Il a posé la question de savoir si « les règles et les principes modelaient l’ordre international ou si elles étaient un échafaudage installé en haut de la structure géopolitique, exigeant de fait une gestion plus sophistiquée12 ».

Dans ses réflexions, il n’a pas pris en compte les nouveaux défis de la sécurité internationale et de la protection humaine. Les menaces actuelles et futures pour la sécurité internationale et les défis de la protection internationale sont tels que même les grandes puissances devront reconnaître que l’action de l’ONU est nécessaire pour sauver l’humanité et son habitat.

Il nous faudra faire appel à l’Organisation en tant que système d’ordre public, comme le préconisait Ian Brownlie :

« La structure de l’ONU constitue un système d’ordre public global. Malgré les faiblesses de la prise de décision multilatérale, l’hypothèse de base est que l’Organisation détient le monopole de l’usage de la force et la responsabilité principale d’intervenir pour rétablir l’ordre, faire face aux menaces ou aux actes d’agression. Tous les États Membres ont le droit exceptionnel à l’autodéfense individuelle ou collective. Les organisations régionales peuvent recourir dans certaines circonstances à une action coercitive que le Conseil de sécurité confie à l’organisation concernée.

L’action coercitive peut comprendre le recours à la force au nom de la communauté contre un État. Toutefois, la pratique s’est établie d’autoriser les opérations du maintien de la paix soumises au consentement de l’État dont le territoire est le site des opérations. Récemment, les rôles des missions de maintien de la paix et de l’action coercitive ont été parfois confondus, et les résultats ont été malheureux13  ».

Nous devons transformer le droit international en un droit de la sécurité et de la protection internationales. 

Un nouveau droit international de la sécurité et de la protection
Les bases d’un nouveau droit international de la sécurité et de la protection sont déjà en place. Ces bases sont les suivantes :

  • Les compétences du Conseil de sécurité en vertu du chapitre 7 de la Char te des Nations Unies : le Conseil de sécurité doit se transformer en un pouvoir exécutif mondial.
  • Les compétences du Secrétaire général en vertu de l’article 99 de la Charte : le Secrétaire généra l doit soumettre au Conseil de sécurité des argumentations, y compris des argumentations juridiques, et l’inviter à exécuter les ordres en vertu du chapitre 7 de la Charte.
  • Les compétences de l’Assemblée générale des Nations Unies en matière de recommandations et le processus d’élaboration du droit international coutumier : le Secrétaire général doit  présenter ses rapports annuels à l’Assemblée générale pour attirer son attention sur les menaces pour la sécurité humaine et indiquer les politiques et les recommandations qui peuvent, par le biais d’un vaste consensus, permettre d’établir des normes du droit international coutumier.
  • Le rôle interprétatif de la Cour internationale de Justice pour clarifier le rôle de la législation face aux défis auxquels est confrontée la société contemporaine : le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale doivent utiliser leurs compétences pour demander à la Cour internationale de Justice son avis consultatif sur les devoirs des États en matière de coopération afin d’assurer la sécurité et la protection de l’humanité et de son habitat.

On pourrait aussi :

  • demander aux directeurs des institutions des Nations Unies de donner des avis de sécurité.
  • demander au Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme de lancer des alertes.
  • demander aux organisations régionales de mener des actions de sécurité et de protection.

Le besoin urgent d’une évolution progressive du droit international dans des domaines clés a été également identifié par des universitaires et des spécialistes. Dans son dernier ouvrage, An Unfinished Foundation: The United Nations and Global Environmental Governance, Ken Conca appelle la communauté internationale :

  • à reconnaître le droit explicite à un environnement sûr et sain;
  • à reconnaître une responsabilité environnementale pour protéger la planète;
  • à intégrer l’approche associant loi et développement à la promotion de la paix et des droits;
  • à définir un rôle environnemental légitime (et clairement limité) au Conseil de sécurité;
  • à mettre en place des pratiques de consolidation de la paix et de l’environnement ;
  • à redéfinir en quoi consiste une action à l’échelle du système de l’ONU pour traiter les  problèmes environnementaux14.

Conclusion

Comment la communauté internationale procédera-t-elle pour conceptualiser le droit international afin de répondre aux nouveaux défis de la sécurité et de la protection humaine ? La première chose à faire serait que le Conseil de sécurité organise un débat urgent sur la nécessité d’un nouveau droit international de la sécurité et de la protection. Un membre éclairé du Conseil pourrait soumettre un aperçu général et encourager un tel débat.  

Notes

1    Comme cité par Bruno Simma et al., dir. publ., La Charte des Nations Unies : un commentaire, vol. I., 3e  éd. (Oxford, Oxford University Press, 2012), p. 111.

2    Ibid.

3    Ibid.

4    Ibid., p. 112.

5    Nick Butler, « Action on climate change is self-defence not altruism », Financial Times, 20 octobre 2015.

6    Ibid.

7    Martin Rees, « Scientists and politicians alike must rally to protect life on Earth », Financial Times, 5 septembre 2015.

8    Ibid.

9    Ban Ki-moon, Secrétaire général des nations Unies, « La protection humaine et les Nations Unies au XXe siècle », conférence Cyril Foster à l’Université d’Oxford, au Royaume-Uni, 2 février 2011.
Disponible sur le site http://www.un.org/sg/selected-speeches/statement_full.asp?statId=1064.

10  Ibid.

11  Henry Kissinger, L’ordre mondial (New York, Penguin Press, 2014), p. 264

12  Ibid., p. 266.

13 Ian Brownlie, Principles of Public International Law, 6e  éd. (Oxford, Oxford University Press, 2003), p. 706.

14  Ken Conca, An Unfinished Foundation: The United Nations and Global Environmental Governance (Oxford, Oxford University Press, 2015), p. 14.