Cette année, la Louisiane (États-Unis d’Amérique) dont je suis originaire, a adopté une réforme du système pénitentiaire qui réduira la population carcérale de 10 % et fera économiser plus de 250 000 millions de dollars à l’État au cours des dix prochaines années. Lorsqu’on entend un shérif se plaindre de perdre une source de main-d’œuvre non rémunérée, on comprend pourquoi cette réforme est absolument nécessaire. « Ils libèrent de bons éléments, ceux qui lavaient nos voitures, en changeaient l’huile, faisaient la cuisine, tout ce qui nous faisait économiser de l’argent », a commenté le shérif Steve Prator, de Caddo Parish, au sujet des délinquants non violents1. Une vidéo de sa déclaration a été largement reprise sur les réseaux sociaux, certains comparant le système de travail en établissement pénitentiaire à l’esclavage.

Aux États-Unis, la prison n’est pas tant motivée par le souci de justice que par la recherche du profit. Non seulement l’industrie pénitentiaire représente des milliards de dollars, mais les prisons privées et les entreprises continuent de prospérer, fournissant des services et des produits aux prisons fédérales et créant des incitations financières importantes pour augmenter le nombre d’incarcérations et prolonger les peines. Selon l’initiative impartiale Prison Policy Initiative, les entreprises fournissant des biens et des services, comme des produits alimentaires destinés aux établissements pénitentiaires et des services de téléphone, gagnent presque autant d’argent que les prisons privées. Le profit entache presque chaque aspect de la vie carcérale, détruisant les familles pour aucune raison valable pouvant être invoquée pour assurer la sécurité. Par exemple, dans certains établissements, les visites par vidéo ont remplacé les visites des proches, ce qui coûte cher. Les entreprises privées font payer plus de 1,30 dollar par minute le temps passé devant l’écran.

Parmi les objectifs de développement durable des Nations Unies (ODD) du Programme de développement durable à l’horizon de 2030, qui est entré en vigueur le 1er janvier 2016, figurent les objectifs suivants :

  • Éliminer la pauvreté sous toutes ses formes et partout dans le monde (ODD 1).
  • Promouvoir une croissance économique soutenue, inclusive et durable, le plein emploi productif et un travail décent pour tous (ODD 8).
  • Réduire les inégalités dans les pays et d’un pays à l’autre (ODD 10).
  • Promouvoir l’avènement de sociétés pacifiques et ouvertes aux fins du développement durable, assurer l’accès de tous à la justice et mettre en place, à tous les niveaux, des institutions efficaces, responsables et ouvertes à tous (ODD 16).

Cette incarcération massive aux États-Unis entrave la réalisation de ces objectifs ainsi que l’accès à la citoyenneté mondiale. Elle limite la capacité de gain et empêche de sortir de la pauvreté pendant des décennies après la sortie de prison. Selon les recherches réalisées par les sociologues Bruce Western et Becky Pettit, parmi la minorité des anciens détenus qui peuvent trouver un emploi, moins de 25 % sont capables de gagner plus que les 20 % des salariés les moins payés2. Les communautés de couleur subissent le plus ce fardeau de la pauvreté. Les États-Unis représentent 5 % de la population mondiale, mais comptent 25 % de la population carcérale. Les personnes de couleur, qui représentent seulement 37 % de la population américaine, comptent 67 % des personnes incarcérées. En général, les Afro-Américains sont plus susceptibles que les Américains blancs d’être arrêtés. Une fois arrêtés, ils sont plus susceptibles d’être condamnés et, une fois condamnés, de subir de lourdes peines. Les hommes noirs ont six fois plus de chances d’être incarcérés que les hommes blancs et les hommes hispaniques ont deux fois plus de chances que les hommes blancs non hispaniques. À la lumière des commentaires du shérif Prator, il convient de noter qu’en Louisiane, le taux d’incarcération est plus élevé et les disparités raciales plus marquées que dans l’ensemble du pays. Huit Louisianais sur 1 000 sont incarcérés, soit environ deux fois plus que la moyenne nationale, et deux fois plus de Noirs que de Blancs sont envoyés en prison. Si le volume de la population carcérale génère des milliards aux entreprises privées, cela coûte aux contribuables américains 80 milliards de dollars par an, en dépit du lavage de voitures non rémunéré du bureau du shérif de Cado Parish.

Il y quelques mois, la National Urban League a présenté le Main Street, notre nouveau Marshall Plan : From Poverty to Prosperity, un plan détaillé de développement économique et de réforme institutionnelle visant à transformer les quartiers pauvres et à réduire les inégalités structurelles en Amérique. Parmi nos recommandations en matière d’inégalités structurelles figurent :

  • Identifier les politiques axées vers la réduction de la population carcérale fédérale et des États et les adopter.
  • Éliminer les peines minimales obligatoires et augmenter le pouvoir discrétionnaire par une loi bipartisane comme le Smarter Sentencing Act et le Justice Safety Valve Act.
  • Voter la loi End Racial and Religious Profiling Act, comme elle a été présentée au Sénat des États-Unis, ou voter la loi End Racial Profiling Act, comme elle a été présentée à la Chambre des Représentants des États-Unis.
  • Éliminer l’incitation à incarcérer par le recours aux prisons privées.

Peu après que le National Urban League a présenté le Main Street Marshall Plan, les sénateurs Cory Booker (New Jersey) et Richard Blumenthal (Connecticut) ont présenté le Reverse Mass Incarceration Act de 2017. Basé sur une proposition de 2015 par le Brennan Center for Justice de la New York University School of Law, le projet de loi est essentiellement l’inverse du Violent Crime Control and Law Enforcement Act, appelé souvent simplement « Crime Bill », de 1994. Au lieu d’inciter les États à accroître la population carcérale, les États seraient rémunérés pour la réduire tout en diminuant la criminalité. Cette proposition serait un outil puissant pour accélérer les efforts menés par les États pour inverser l’effet dévastateur de l’incarcération massive. Au début d’octobre 2017, les sénateurs américains Chuck Grassley (Iowa) et Dick Durbin (Illinois) ont présenté une loi visant à alléger les peines de certains contrevenants non violents, comme les trafiquants de drogue, tout en durcissant les peines des contrevenants violents et ayant commis des violations sérieuses.

Mettre fin à l’incarcération massive nécessitera un immense effort politique. Selon une étude réalisée en 2015 par le Washington Post, les établissements pénitentiaires privés ont « versé plus de 10 millions de dollars à des candidats depuis 1989 et dépensé près de 25 millions en lobbying3 ». L’Attorney General Jeff Sessions, dont deux anciens assistants sont aujourd’hui des lobbyistes des prisons privées, a récemment annoncé l’annulation de la directive du Président Obama pour réduire le nombre de prisons privées. Mais une lueur d’espoir existe. Une coalition bipartisane de sénateurs a soutenu le projet de loi Grassley-Durbin et le conseiller de la Maison Blanche Jared Kushner les a rencontrés en privé pour discuter d’une réforme de la justice pénale.

Comme l’a déclaré Martin Luther King après la marche de Selma à Montgomery le 25 mars 1965, « le but que nous recherchons est une société en paix avec elle-même, une société qui puisse vivre selon sa conscience4 ». Tant que nous n’aurons pas résolu notre système d’incarcération et les inégalités raciales, nous ne pourrons pas être en paix avec nous-mêmes.

Notes

1 Jonah Engel Bromwich, « Louisiana sheriff’s remarks evoke slavery, critics Say », New York Times, 12 octobre 2017. Disponible sur le site https://www.nytimes.com/2017/10/12/us/prison-reform-steve-prator.html.

2 Bruce Western et Becky Pettit, Collateral Costs: Incarceration’s Effect on Economic Mobility (Washington, D.C., Pew Charitable Trusts, 2010). Disponible sur le site http://www.pewtrusts.org/~/media/legacy/uploadedfiles/pcs_assets/2010/co....

3 Michael Cohen, « How for-profit prisons have become the biggest lobby no one is talking about », Washington Post, 28 avril 2015. Disponible sur le site https://www.washingtonpost.com/posteverything/wp/2015/04/28/how-for-prof....

4 Martin Luther King, Jr., « Our God Is Marching On! », le 25 mars 1965. Disponible sur le site https://kinginstitute.stanford.edu/our-god-marching.