Au cours des 70 années passées, l’ampleur de la tâche à laquelle l’Organisation des Nations Unies a été confrontée a considérablement augmenté pour inclure des questions comme le changement climatique, le sport en faveur du développement et de la paix et la sécurité routière. En me penchant sur le passé, je constate que les domaines dans lesquels elle a joué le rôle le plus important sont ceux qui figurent au cœur de la Charte des Nations Unies : le maintien de la paix et de la sécurité internationales, la promotion des droits de l’homme pour tous et l’autodétermination des peuples, ainsi que d’autres questions économiques, sociales et culturelles comprenant la gouvernance et le développement. Elle s’est aussi avérée parfaitement capable de créer des centres visant à mobiliser et à harmoniser les efforts des États Membres vers la réalisation de ses objectifs thématiques.

C’est particulièrement vrai pour l’Afrique. Après la création des Nations Unies et l’adoption de la Charte en 1945, les peuples africains ont pris conscience de leurs droits fondamentaux et se sont sentis soutenus dans leur lutte pour l’autodétermination. L’article 73 de la Charte, appelant au droit des populations de « s’administrer elles-mêmes » et au « développement progressif de leurs libres institutions politiques dans la mesure appropriée aux conditions particulières de chaque territoire et de ses populations », leur a donné l’espoir de devenir les maîtres de leur destin. L’Assemblée générale des Nations Unies leur a fourni un forum au sein duquel ils ont pu exprimer leurs aspirations politiques et obtenir un soutien.

L’année 1960 a été cruciale tant pour l’Afrique que pour les Nations Unies, 15 pays africains ayant obtenu leur indépendance. En septembre de cette même année, 17 nouveaux États, dont 16 États africains, ont été admis aux Nations Unies. Toujours en 1960, l’Assemblée générale a adopté la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, un document historique qui stipule que tous les peuples ont le droit à l’autodétermination et qui a proclamé la nécessité de mettre fin rapidement et inconditionnellement au colonialisme. En plus de la loi relative à l’autodétermination, l’Assemblée générale avait pour objectif d’élaborer un cadre complet et efficace qui conduirait les pays africains nouvellement indépendants vers une souveraineté politique et économique effective, comme le montre l’adoption en 1962 de la résolution sur « la souveraineté permanente des États sur leurs ressources naturelles1 ».

La période postcoloniale, toutefois, a été un moment difficile. N’étant pas dotés d’institutions démocratiques solides, les États nouvellement indépendants sont devenus le théâtre de conflits civils où des groupes ethniques, religieux ainsi que d’autres groupes rivaux se sont affrontés pour accéder au pouvoir et aux ressources. Consciente de la menace que ces conflits représentaient pour la paix et la sécurité régionales, l’Organisation s’est efforcée d’y répondre, y compris par l’intermédiaire des bons offices du Secrétaire général et de son Envoyé spécial ainsi que par le déploiement d’opérations de la paix de plus en plus complexes.

Un moment essentiel dans l’histoire de l’Afrique et des Nations Unies est la mise sur pied de la première opération de maintien de la paix sur le continent, l’Opération des Nations Unies au Congo (ONUCO) le 4 juillet 1960 (par la résolution 143 (1960) du Conseil de sécurité). Déployée pour répondre aux troubles politiques et au conflit qui déstabilisaient ce pays (aujourd’hui la République démocratique du Congo) à l’aube de son indépendance, l’opération comprenait, à son niveau maximal, près de 20 000 soldats.

Cinquante-cinq ans plus tard, l’Afrique de l’Ouest a la plus grande concentration d’acteurs de l’ONU de toutes les régions du monde, y compris quatre opérations de maintien de la paix (en Côte d’Ivoire, au Liberia, au Mali et, jusque récemment, en Sierra Leone), un bureau pour consolidation de la paix (en Guinée-Bissau), une opération régionale pour faire face à la flambée du virus Ebola (Mission des Nations Unies pour l’action d’urgence contre Ebola (UNMEER), un Représentant spécial pour l’Afrique de l’Ouest et un Envoyé spécial pour le Sahel ainsi que de nombreux bureaux régionaux et nationaux des Nations Unies. La région abrite aussi le bureau régional dirigé par le Département des affaires politiques, le Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest (UNOWA), le premier du genre, afin d’harmoniser et de renforcer les efforts visant à prévenir un conflit et à consolider la paix en Afrique de l’Ouest.

Il a été dit que la « promesse de l’Afrique de l’Ouest n’a pas été tenue » à cause des guerres civiles qui ont touché la plupart des pays de la région. Je pense que les immenses défis auxquels la région fait face sont parfois négligés. De par sa position stratégique, l’Afrique de l’Ouest, bordée par l’océan Atlantique avec un accès relativement facile aux Amériques et cependant proche de l’Europe, a été une région où la géopolitique internationale a eu une incidence importante sur la situation de plusieurs pays. Ses vastes ressources, dont le cacao, les diamants, l’or et le pétrole, ont attiré des investisseurs étrangers dans l’intention de les exploiter. Afin de renforcer leur influence dans la région, divers acteurs étrangers ont offert aux groupes locaux leur soutien, politique, militaire ou financier, modifiant la dynamique interne et alimentant souvent le conflit au sein des pays et dans la sous-région. En effet, les conflits civils en Afrique de l’Ouest ont généralement une dimension à la fois régionale et internationale due aux liens politiques, ethniques et religieux qui s’étendent de part et d’autre des frontières poreuses de la région.

Ces 20 dernières années, l’ONU a joué un rôle important pour relever les défis auxquels l’Afrique de l’Ouest est confrontée. Dans les pays où le conflit s’est aggravé et constitue une menace majeure pour la paix et la stabilité, comme en Côte d’ivoire, au Liberia, en Sierra Leone et, plus récemment, au Mali, elle a aidé les parties au conflit à négocier un accord de paix et a fourni un appui à sa mise en œuvre, qui s’est conclu par le déploiement d’une opération de maintien de la paix. Tout au long du processus, elle a travaillé étroitement avec les États Membres concernés et les organisations régionales, comme l’Union africaine et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), qui ont souvent fourni la première réponse à la crise.

Par le déploiement d’une opération de maintien de la paix multidimensionnelle, l’appui apporté par l’ONU au pays hôte ne s’est pas cantonné à la sécurité. En effet, les opérations de maintien de la paix en Afrique de l’Ouest ont, entre autres, permis de faciliter le dialogue entre toutes les parties au conflit, contribué à renforcer la sécurité nationale et les forces de défense ainsi que les institutions démocratiques, apporté leur appui au désarmement, à la démobilisation et à la réintégration des anciens combattants et contribué à promouvoir les droits de l’homme, la cohésion sociale et la réconciliation à la fois aux niveaux national et local. L’évolution des opérations de maintien de la paix, qui d’une simple force d’intervention sont devenues une entité chargée de promouvoir une stabilité à long terme, y compris par le renforcement des institutions nationales, constitue une avancée majeure dans l’histoire des Nations Unies au cours des deux dernières décennies.

Avec l’établissement des opérations de maintien de la paix multidimensionnelles et des opérations politiques, l’Organisation a non seulement contribué à la stabilisation progressive de l’ensemble de la région ouest africaine, mais a considérablement influencé la dynamique, la politique et les politiques régionales. L’infrastructure régionale au service de la paix a évolué, s’adaptant au contexte de sécurité et faisant sienne les valeurs, les principes et les stratégies des Nations Unies. Cela s’est fait par des réformes continues de la CEDEAO ainsi que par l’évolution progressive de sa législation et de ses pratiques diplomatiques, en coopération étroite avec les Nations Unies et avec le soutien des partenaires bilatéraux et multilatéraux internationaux. Non seulement la CEDEAO a adopté un cadre de prévention des conflits et élargi les compétences de ses tribunaux communautaires pour inclure la protection des droits de l’homme, mais elle a aussi développé sa capacité à recourir à la diplomatie préventive, seule ou avec les Nations Unies, sur la base de nouveaux protocoles thématiques2. Actuellement, la Commission de la CEDEAO gère le système d’alerte régional rapide le plus avancé, le plus ambitieux et le plus intégré du continent africain. Les mêmes progrès ont été constatés concernant la prise en main du programme thématique des Nations Unies sur la gouvernance, les droits de l’homme, la drogue et la traite des personnes, la criminalité organisée, la corruption, les questions féminines, la paix et la sécurité. L’ONU a étroitement coopéré en ce qui concerne la plupart de ces questions et/ou soutenu la CEDEAO dans le développement des stratégies sous-régionales et intégrées. L’adoption de la stratégie et du plan d’action de la CEDEAO pour lutter contre le trafic de drogues et la criminalité organisée a été le résultat des efforts menés conjointement par la CEDEAO, l’UNOWA et l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC). Les exemples illustrant les efforts de collaboration de l’ONU et de la CEDEAO sont nombreux, mais aucun n’est plus apparent que les succès obtenus en Sierra Leone, qui est aujourd’hui stable après 10 ans de guerre civile et dont l’économie a connu un essor important avec un taux de croissance du produit intérieur brut à deux chiffres.

Aussi, de par sa position stratégique et ses frontières poreuses, associées, entre autres, à des institutions généralement faibles et à l’instabilité politique, l’Afrique de l’Ouest est devenue une plaque tournante du trafic d’armes et du commerce de stupéfiants qui, à leur tour, ont engendré l’insécurité et l’instabilité. La présence accrue de groupes terroristes au Mali et dans la région du Sahel peut être liée, dans une certaine mesure, à leur participation au trafic de drogues et à d’autres formes de criminalité organisée. Afin de lutter contre ces activités illicites, il est arrivé que Conseil de sécurité impose un embargo sur les pays de la région et mis en place des mécanismes connexes.  Le Groupe d’experts sur la Côte d’Ivoire est un exemple, participant aux efforts visant à exposer les activités illicites qui peuvent compromettre la paix fragile dans le pays.

En outre, il ne faut pas oublier que de vastes zones d’Afrique de l’Ouest sont encore très sous-développées et affectées par les crises humanitaires récurrentes causées par les mouvements de population, l’insécurité alimentaire, les épidémies, la sécheresse et autres catastrophes naturelles. La récente épidémie due au virus Ebola a non seulement causé des morts et des souffrances, mais a eu aussi des effets désastreux sur les économies des trois pays les plus touchés et a mis en évidence l’insuffisance des infrastructures sanitaires qui a entravé la lutte contre la maladie. Par le travail de ses institutions spécialisées et le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (BCAH), l’ONU a été le principal défenseur de la fourniture de l’aide humanitaire et de l’aide au développement dans la région, faisant mieux connaître « les situations d’urgence parfois oubliées », comme dans le cas de la famine au Niger en 2005-2006.

Malgré les efforts déployés en Afrique de l’Ouest et sur tout le continent, il reste beaucoup à faire. Il est donc nécessaire de prendre des mesures supplémentaires pour donner à l’Organisation les moyens d’être plus efficace dans ces régions.

Dans plusieurs parties d’Afrique, le Conseil de sécurité, avec ses cinq membres permanents, a contribué à donner l’impression que l’Organisation protège les intérêts de quelques superpuissances et, plus spécifiquement, des anciennes puissances coloniales. Une grande partie de la population des pays africains prêtent peu d’attention à l’ONU. Plusieurs groupes armés, dont Boko Haram, est un exemple frappant, ont une attitude de défiance vis-à-vis de l’Organisation. Un Conseil de sécurité où les pays africains auraient un plus grand rôle – si ce n’est pas un siège permanent –pourrait contribuer à combler le fossé entre l’Organisation et les peuples qu’elle est appelée à aider. Dans une autre perspective, l’Organisation devrait améliorer et institutionnaliser sa coopération avec les organisations régionales, comme la CEDEAO et l’Union africaine, en les aidant à prendre l’initiative et la responsabilité de régler les conflits en Afrique. Il serait nécessaire que les États Membres concernés accélèrent la mise en œuvre opérationnelle des forces de réserve, des mécanismes d’alerte rapide et des infrastructures pour la paix prévues pour chacun des cinq groupes africains régionaux et leur accorder les ressources pour le faire.

L’attitude de défiance de certains groupes à l’égard de l’ONU est peut-être due à ses faiblesses. Les agents du maintien de la paix sont souvent perçus comme passifs, incompétents ou peu disposés à recourir à la force pour répondre aux attaques. Dans ce contexte, l’établissement d’une brigade d’intervention directe dans la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO) constitue une évolution bienvenue qui pourrait changer cette perception. Dans la mesure du possible, cette mesure pourrait être appliquée dans d’autres régions, comme au Mali où l’ONU est récemment devenue une cible d’attaques et où le déploiement d’une plus grande force militaire pourrait être nécessaire pour protéger le personnel de l’ONU et la population locale.

De  plus, il semblerait important que l’engagement politique des États  Membres pour répondre à la crise soit  accompagné de l’engagement  financier nécessaire. Aujourd’hui, il est demandé à l’Organisation de faire plus avec moins. Les États Membres souhaitent que le budget du maintien de la paix reste identique même si de grandes opérations sont mises sur pied, comme au Mali ou en République centrafricaine. Ce n’est pas réaliste. Les efforts de maintien de la paix coûtent cher. Si le Conseil de sécurité décide de déployer une opération, un mécanisme plus efficace doit être mis en place pour pouvoir débloquer facilement des fonds afin de couvrir tous les aspects du mandat.

Il faut aussi reconnaître que le maintien de la paix prend du temps et que la consolidation de la paix en prend encore plus. Lorsque de nouvelles opérations de maintien de la paix sont mises sur pied, on s’empresse de réduire ou de fermer d’autres missions (p. ex. en Côte d’ivoire, en Haïti, au Liberia) alors que la situation dans ces pays n’a pas été entièrement stabilisée. Il est important que la fin du mandat de la mission soit bien pensée afin de minimiser le risque de reprise du conflit après le départ de la mission. Il ne faut pas oublier que dans certains de ces pays, comme Haïti et le Liberia, l’ONU a déjà été déployée deux fois après la reprise des conflits, tandis que le Burundi a connu une période de troubles et d’instabilité moins d’un an après le départ de l’ONU.

À vrai dire, l’Organisation doit fournir de plus grands efforts pour prévenir les crises avant qu’elles n’éclatent. Si des progrès ont été faits au cours des dix dernières années pour renforcer les outils de la diplomatie préventive et les capacités de prévention des conflits de l’Organisation, il lui est toujours difficile de trouver l’espace politique nécessaire pour agir rapidement, respectant les principes de souveraineté des États et de non-ingérence dans les affaires intérieures des pays. Elle devrait envisager la mise en place d’un mécanisme d’alerte rapide et solide qui comprendrait, entre autres, un système de renseignement plus efficace. La prévention des conflits, comme les droits de l’homme et les fonctions politiques, l’expertise et les ressources, devrait aussi être intégrée de manière plus cohérente dans ses institutions, ses fonds et ses programmes afin de pouvoir intervenir rapidement et traiter les causes émergentes des conflits et régler de manière pacifique les sources possibles de tensions.

L’intégration et l’harmonisation des stratégies et des programmes de prévention des conflits allant du développement économique et de la protection des droits de l’homme à la gouvernance et à la démocratie seront essentielles pour aider les États Membres et les organisations régionales à s’attaquer à ces problèmes qui sont source de conflits. À cette fin, il faudrait tirer les leçons de l’expérience acquise par les bureaux régionaux du Département des affaires politiques, comme l’UNOWA et le Bureau des Nations Unies à Addis-Abeba, afin d’examiner comment mettre en place une approche et une stratégie de prévention des conflits, de maintien et de consolidation de la paix en Afrique à l’échelle des Nations Unies, qui définit les rôles et les responsabilités des partenaires régionaux ainsi que le cadre de la coopération stratégique avec, à la fois, le Secrétariat des Nations Unies et le Conseil de sécurité dans la mise en œuvre des Chapitres VI et VII de la Charte.

Enfin, en tant que Chef d’une opération des Nations Unies, je ne peux que souhaiter la mise en place de mesures qui permettent à l’Organisation de répondre plus rapidement aux crises et aux situations sur le terrain. Son action est en grande partie limitée par des procédures complexes qui régissent, entre autres, les fonds, le recrutement et le déploiement de son personnel. En effet, il semble que les États Membres ont de plus en plus tendance à réglementer, voire même à « micro-gérer », les fonds et les ressources dont disposent les départements, les bureaux et les opérations de maintien de la paix. Il ne fait aucun doute que l’Organisation serait beaucoup plus efficace si les États Membres étaient prêts à placer une plus grande confiance dans la capacité du Secrétaire général et de ses hauts responsables à prendre les décisions stratégiques et tactiques requises pour traduire leurs objectifs politiques en une action efficace sur le terrain.  

Notes

1    A/RES/1803/XVII.

2   Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest, Protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance additionnel au Protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règle- ment des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité A/SP1/12/01, Dakar, décembre 2001.