20 mai 2024

Le préambule de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, adoptée par la Conférence générale des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) le 20 octobre 2005, contient l’affirmation suivante « [L]a diversité culturelle crée un monde riche et varié qui élargit les choix possibles, nourrit les capacités et les valeurs humaines, et est donc un ressort fondamental du développement durable des communautés, des peuples et des nations ». 

Alors que l’on s’apprête à célébrer les 20 ans de cette Convention, aujourd’hui ratifiée par 153 Parties, il est essentiel de rappeler les liens intrinsèques qui existent entre diversité culturelle, développement durable et droits culturels. Il faut aussi saisir cette occasion pour repenser ces liens dans un contexte radicalement différent de celui qui a vu naître la Convention, puisque les artistes et leur entourage professionnel évoluent aujourd’hui dans un environnement fortement numérique, une dimension ne faisant l’objet d’aucune référence explicite dans le texte.  

Amplifier nos diversités par la technologie est possible. Si les États s’engagent fermement à une actualisation de sa mise en œuvre dans le contexte numérique, la Convention de 2005 pourrait bien jouer un rôle pivot pour l’atteinte de cet objectif. 

S’attaquer à la fracture numérique pour favoriser une meilleure gouvernance culturelle 

On ne peut évoquer les défis apportés par le numérique à la diversité de nos expressions culturelles sans rappeler, d’abord, la fracture numérique : un phénomène complexe, qui se trouve à la source de nombreuses inégalités entre les nations, mais aussi au sein même de ces dernières. Ne se limitant pas à la question de l’accès à l’internet ou à du matériel informatique, la fracture numérique réfère également, notamment, aux inégalités en matière de compétences numériques. 

Dans tous les pays, mais de façon plus marquée dans ceux où la fracture numérique est importante, les développements technologiques mettent au défi les capacités de gouvernance en matière culturelle. Pour les gouvernements comme pour la société civile, il est essentiel de développer et de renforcer les compétences nécessaires pour tirer le maximum de profit de ces avancées tout en ayant la capacité d’anticiper les défis que ces dernières amènent.  

Deux enjeux importants pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles retiennent notre attention : la question de la découvrabilité des contenus locaux et nationaux et celle de l’impact de l’intelligence artificielle (IA) générative. 

Découvrabilité : un levier à activer pour lutter contre l’homogénéisation 

Une poignée de plateformes numériques opérant dans plusieurs pays contrôlent aujourd’hui l’accès du public à une masse de contenus. On pourrait croire que l’accès aisé à des millions d’œuvres et de productions facilite une consommation plus diversifiée que jamais. Ce n’est pas le cas. Prenons à titre d’exemple un récent rapport publié par l’Observatoire européen de l’audiovisuel qui démontre que l’effet obtenu est inverse. On y apprend que, sur les plateformes d’audiovisuel en continu en Europe, les œuvres américaines sont systématiquement surconsommées, occupant 61,2% du temps de visionnage total, alors que la consommation d’œuvres provenant autres que les États-Unis et l’Europe n’occupe que 8,3% du temps d’écoute.  

Participants au 7e Congrès de la Fédération internationale des coalitions pour la diversité culturelle au siège de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SADC), Paris, le 3 juin 2023. © FICDC/IFCCD - Orélie Brûlet

Entre curation humaine et recommandation algorithmique les « découvertes » faites par les différents publics sur des plateformes d’écoute en continu sont fortement orientées par les outils développés par les entreprises les opérant, avant tout pour répondre à des objectifs économiques. 

C’est ici qu’entre en jeu le concept de découvrabilité, défini dans un rapport publié en 2020 dans le cadre d’une mission menée par la France et la province de Québec, au Canada : « La découvrabilité d’un contenu dans l’environnement numérique se réfère à la fois à sa disponibilité en ligne et à sa capacité à être repéré parmi un vaste ensemble d’autres contenus, notamment par une personne qui n’en faisait pas précisément la recherche. » 

Atteindre une véritable découvrabilité des contenus locaux et nationaux sur les plateformes en ligne est essentiel pour répondre aux objectifs de diversité culturelle. Pour y arriver, il faudra compter sur une pluralité de facteurs, notamment en lien avec les compétences numériques des acteurs du milieu culturel ou le développement d’innovations technologiques. Mais il faudra surtout susciter une prise de conscience des entreprises opérant ces plateformes, qui ne pourra survenir que par la mise en place de cadres législatifs audacieux, comme on en voit actuellement émerger dans certains États comme le Canada ou au sein d’organisations interétatiques telle que l’Union européenne. 

Intelligence artificielle générative : légiférer et bâtir des partenariats pour une utilisation responsable 

Au cours de la dernière année, les avancées fulgurantes relatives aux systèmes d’intelligence artificielle générative ont entrainé un changement de paradigme majeur dans le secteur culturel. La définition d’une œuvre ou l’idée même d’originalité humaine ont été remises en question, alors que ces systèmes qui produisent des nouveaux contenus (texte, son, image ou vidéo) se développent à partir d’œuvres protégées utilisées sans transparence, sans consentement ni rémunération, ce qui va à l’encontre de tout principe de protection et promotion des droits culturels et de la diversité des expressions culturelles.   

Rapidement, il faut mettre en place des cadres législatifs pour renverser la vapeur. En plus d’imposer la transparence nécessaire pour permettre aux créateurs qui le souhaitent de consentir à l’utilisation de leurs œuvres et d’être rémunérés pour cette utilisation, il faut reconnaître le caractère humain de la création en refusant d’octroyer des nouveaux droits à des productions générées uniquement par des machines. Il faut également renforcer la protection des artistes interprètes face à la prolifération des hypertrucages.  

L’IA générative pourrait améliorer la diversité des expressions culturelles. Des projets prometteurs émergent déjà, incluant des projets visant à revitaliser des langues minoritaires ou en voie d’extinction. witsarut/Adobe Stock

Un développement responsable de l’IA générative pourrait améliorer la diversité des expressions culturelles. Des projets prometteurs émergent déjà, incluant des projets visant à revitaliser des langues minoritaires ou en voie d’extinction. Pensons par exemple aux projets Masakhane, un mouvement communautaire qui travaille à la création de technologies linguistiques pour les langues africaines, ou à First Language AI Reality, développé par des chercheurs autochtones basés au Canada, en collaboration avec le MILA, un centre de recherche en IA. 

Ces projets inspirants illustrent l’importance de bâtir des maillages entre les milieux de la recherche et la société civile pour favoriser l’émergence d’IA au bénéfice de toutes et tous.  

Une Convention propulsée dans le futur 

En juin 2025, un groupe d’experts indépendants nommés par les Parties à la Convention de 2005 de l’UNESCO présentera des recommandations visant à protéger la diversité de nos expressions culturelles dans l’environnement numérique. La Fédération internationale des coalitions pour la diversité culturelle, avec le soutien de son membre canadien, contribuera d’ailleurs à alimenter leurs réflexions en organisant une journée de conférences, ce qui rappelle le rôle crucial joué par la société civile dans ces questions.  

Le travail mené par le Groupe de réflexion sur la diversité des expressions culturelles dans l’environnement numérique et les actions qui en découleront sont vitales pour la diversité des expressions culturelles, mais aussi pour notre futur collectif. Les droits culturels et la capacité des États à préserver leur souveraineté culturelle sont essentiels à des démocraties saines et à un véritable développement durable. Concrètement, comme le réclame le collectif #culture2030goal, il faut intégrer pleinement la culture en tant que pilier du développement durable d’ici à et au-delà de l’horizon 2030, en commençant par élaborer un objectif (ODD) spécifique à la dimension culturelle du développement. 

Plus largement, le rôle clé que peut et doit jouer le secteur culturel dans ce contexte doit être plus systématiquement promu et reconnu dans l’ensemble des enceintes de l’ONU. À cet égard, le Forum politique de haut niveau pour le développement durable ainsi que le Sommet de l’avenir, à l’issue duquel seront adoptés notamment le Pacte pour l’avenir et le Pacte numérique mondial sont les prochaines grandes occasions à saisir. 

 

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