Nous sommes à une période de l’histoire où il est possible de trouver des espaces dans lesquels l’égalité des sexes est une réalité : le Parlement rwandais, une salle de classe en Islande ou, peut-être, votre café local. Ce n’est cependant pas le cas du sport. On peut dire qu’il est l’une des dernières frontières de l’égalité des sexes. C’est une activité où la discrimination à l’égard des femmes et la domination masculine sont globalement considérées comme acceptables bien que le droit au sport soit inscrit dans les conventions internationales comme la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) et la Convention relative aux droits de l’enfant. À Mumbai, en Inde, généralement une fille n’est toujours pas la bienvenue sur un terrain de cricket local. Même dans les environnements de sport les plus visibles, les attitudes et les pratiques machistes persistent. Cela transparaît clairement dans le fait que les femmes représentent moins de 1 % des membres ayant droit de vote à la Fédération Internationale de Football Association (FIFA), l’organe directeur du sport le plus populaire dans le monde.

C’est précisément ce déséquilibre affligeant en matière d’égalité des sexes qui fait du sport un levier puissant pour accélérer les changements dans ce domaine. La stratégie visant à l’utiliser pour améliorer les résultats est transgressive et improbable. L’histoire montre, cependant, que lorsque les espaces sportifs sont accessibles aux garçons et aux filles, les possibilités offertes aux filles et aux femmes sont développées de façon exponentielle.

En 1972, les États-Unis ont promulgué une loi appelée le Titre IX des amendements sur l’éducation interdisant la discrimination fondée sur le sexe pour toute institution bénéficiant d’un financement fédéral. L’une de ses implications les plus importantes a donc été l’obligation des établissements sportifs de financer des programmes sportifs de manière égale. Plus de 40 ans après, le Titre IX a permis de réduire l’écart en matière de participation des filles au sport aux États-Unis, qui est passé de 1 sur 27 à 1 sur 3.

L’impact de ce Titre transcende le terrain de jeu. Des études récentes semblent indiquer que la participation des filles au sport a un effet sur leur vie sociale en tant qu’adultes1. Phoebe Clark et Ian Ayres, de la Yale Law School, écrivent dans le Journal of Socio-Economics que les compétitions sportives « créent des lieux qui favorisent la réussite individuelle » et que ce désir de l’accomplissement semble durer pendant la vie d’adulte. Leur étude montre que le sport rend les femmes « plus fortes sur le plan physique et mental et favorise le développement émotionnel ». De cette façon, « la participation aux activités sportives encourage l’indépendance et l’initiative » ajoutent-ils2.

Women Win est une organisation non gouvernementale (ONG) qui utilise le sport comme stratégie pour donner aux adolescentes les moyens de se prendre en charge pour réaliser leurs droits. Notre travail repose sur le principe que le sport présente une capacité inégalée à renforcer les compétences en matière de leadership et à défier les normes sexospécifiques qui limitent la participation des femmes aux activités sportives au niveau communautaire. Depuis 2007, nous avons eu une influence positive sur plus de 1,75 million de filles et abordé les questions de l’adolescence les plus pressantes par le biais du sport, les aidant à faire valoir leur droit aux services de santé en matière de sexualité et de procréation et à avoir accès à ceux-ci, à lutter contre la violence sexiste et à réaliser l’autonomisation économique.

À Women Win, nous constatons des défis considérables dans le domaine du sport concernant l’Objectif de développement durable 5 visant à « parvenir à l’égalité des sexes et à autonomiser toutes les femmes et les filles ». En même temps, des possibilités de progrès importantes existent, si elles sont bien inexploitées, pour que le sport ait un impact positif dans le cadre des efforts menés pour réaliser cet Objectif.

Des preuves venant des programmes partenaires que nous soutenons révèlent précisément comment la participation au sport peut avoir une incidence sur certaines cibles de l’Objectif 5.

Cible 5.2 : Éliminer de la vie publique et privée toutes les formes de violence faite aux femmes et aux filles, y compris la traite et l’exploitation sexuelle et d’autres types d’exploitation.

Partout dans le monde, la violence sexiste est omniprésente et est un handicap pour les jeunes femmes, et les adolescentes en particulier sont vulnérables. Selon un rapport de 2005 du Fonds des Nations Unies pour la population, près de  50 % des agressions sexuelles sont perpétrées contre des filles de moins de 15 ans.

Building Young Women's Leadership through Sport, un programme de trois ans, visait à renforcer le leadership des adolescentes et des jeunes femmes dans les processus décisionnels formels et informels. Women Win a travaillé étroitement avec huit organisations partenaires dans sept pays pour mettre en place des activités sportives de qualité et fournir un apprentissage des compétences pratiques en fonction du sexe à plus de 65 000 adolescentes et jeunes femmes. Un aspect important du programme avait pour but d’accroître les connaissances en matière de violence sexiste et d’améliorer les attitudes concernant l’égalité des sexes. Après une année, les résultats suivants ont été constatés :

•        90 % des participantes savaient qu’une femme a le droit de dire non si une personne tentait de la toucher ou d’avoir des relations sexuelles avec elle;

•        87 % des participantes connaissaient un lieu où elles pouvaient se rendre ou une personne qu’elles pouvaient contacter pour signaler des actes de violence ou des sévices infligés à une fille ou à une femme; et

•        97 % des parents étaient davantage enclins à voir leur fille comme leader3.

Cible 5.3 : Éliminer toutes les pratiques préjudiciables, telles que le mariage des enfants, le mariage précoce ou forcé et la mutilation génitale féminine.

Le mariage avant 18 ans est une violation des droits de l’homme fondamentaux. Le mariage précoce et forcé touche de façon disproportionnée les fillettes qui sont plus susceptibles d’être mariées pendant leur enfance que les jeunes garçons4. Selon les estimations internationales les plus récentes, environ une adolescente sur sept (de 15 à 19 ans) est actuellement mariée ou en couple5. Le Centre international de recherche sur les femmes a procédé à un examen systématique de 23 programmes visant à aborder la question du mariage précoce et forcé pour mieux savoir quelles solutions sont efficaces. L’autonomisation des filles au moyen de l’information, des compétences et des réseaux de soutien était citée comme étant la meilleure stratégie6.

Depuis 2013, Girl Determined a mis en œuvre Goal, un programme fondé sur le sport, par le biais de leur initiative Colourful Girl Circles au Myanmar, y compris dans les camps de personnes déplacées internes dans l’État de Kachin. Les participantes, âgées de 12 à 17 ans, sont vulnérables à l’extrême pauvreté et aux nombreuses conditions associées, notamment la violence sexuelle, le trafic et le mariage précoce et forcé. Malgré leur curiosité et leur engagement, les filles manquent souvent d’assurance, ont des moyens de communication et des compétences relationnelles limités et ont souvent recours à l’automutilation. Avec des séances hebdomadaires de volleyball, elles participent à des activités éducatives expérimentales visant à développer leurs compétences en matière de leadership et à leur faire connaître leurs droits. Selon les résultats, les filles et leurs parents ont constaté une amélioration de leur santé, une meilleure cohésion sociale, une plus grande confiance en elles et une meilleure connaissance de leurs droits, y compris ceux liés à la violence sexiste et au mariage précoce et forcé.

Cible 5.6 : Assurer l’accès de tous aux soins de santé sexuelle et procréative et faire en sorte que chacun puisse exercer ses droits en matière de procréation, ainsi qu’il a été décidé dans le Programme d’action de la Conférence internationale sur la population et le développement et le Programme d’action de Beijing et les documents finals des conférences d’examen qui ont suivi.

Grassroot Soccer est une organisation pour les jeunes qui utilise le pouvoir du football pour les responsabiliser afin qu’ils fassent des choix éclairés sur les défis urgents en matière de santé comme le VIH/sida, la santé sexuelle, la violence sexiste et le paludisme. Skillz Street, son programme ciblant les filles, associe des activités de prévention du VIH et un programme d’apprentissage des compétences pratiques pour la vie quotidienne avec le football. De nombreuses évaluations formelles7, réalisées par l’Université de Stanford, le Conseil de population et la Harvard T.H Chan School of Public Health, ont documenté l’efficacité des initiatives menées par Grassroot Soccer pour réduire de manière significative les comportements sexuels à risque et la stigmatisation ainsi que pour améliorer les connaissances, les comportements, les compétences des filles en matière d’attitudes, de communication et de prise de décision ainsi que la perception du soutien social lié au VIH/sida.

Cible 5.5 : Garantir la participation entière et effective des femmes et leur accès en toute égalité aux fonctions de direction à tous les niveaux de décision, dans la vie politique, économique et publique.

Il est clair que les femmes sont sous-représentées dans les organismes sportifs à la fois nationaux et internationaux. Environ 45 % des athlètes qui participeront aux Jeux olympiques d’été de Rio en 2016 seront des femmes, mais ces dernières sont toujours sous-représentées dans les conseils d’administration du Comité international olympique, des fédérations internationales et de nombreux comités sportifs nationaux8. S’il est important que les femmes soient plus nombreuses à occuper des postes de direction dans les organismes sportifs, il faut également qu’elles bénéficient d’un réseau de soutien et des conditions propices pour réussir.

Isha Johansen est Présidente de la Fédération de Sierra Leone  de football (SLFA); membre de la Commission de sécurité et d’intégrité de la FIFA ainsi que de la Commission du football féminin et de la Coupe du monde féminine de la FIFA; et PDG de FC Johansen, un club de football en Sierra Leone. Seules deux femmes sont à la tête d’une Association de football dans le monde. Lorsqu’elle évoque ses expériences, on comprend pourquoi le nombre de femmes est aussi limité.

Depuis qu’elle occupe le poste de Présidente de la SLFA, Isha Johansen et son bureau ont fait l’objet de contestations, de menaces, d’agressions verbales et de violence physique. Elle est fermement convaincue que cela est dû au fait qu’elle est une femme et qu’elle essaie d’imposer des changements en promouvant une bonne gouvernance dans un domaine traditionnellement dominé par les hommes. En exposant la corruption tout en s’efforçant de donner aux femmes une voix par le biais du football et d’une nouvelle gestion de ce sport, elle a reçu un soutien limité après avoir condamné certaines malversations. Dans une récente tribune parue dans le Huffington Post, elle a décrit la mauvaise gestion du football et la corruption dans son pays comme une « épidémie », comparant son pouvoir destructeur pour la nation à celui du virus mortel Ebola.

Les filles sont des leaders nés. Ce qui leur manque, presque à toutes, c’est de pouvoir exercer ce leadership dans des conditions d’égalité et de renforcer la résilience nécessaire à la prise de décision dans la vie politique, économique et publique. Il est clair que le sport a un rôle à jouer pour changer le cours de l’histoire à cet égard.  Le sport renforce la résilience vitale nécessaire à l’engagement dans le cadre difficile d’un bureau politique, public et économique. Cependant, les efforts individuels et les programmes des ONG ne suffisent pas à donner aux filles et aux femmes les moyens d’accéder au sport et, pour nous toutes, de bénéficier des avantages que le sport peut offrir. Aux États-Unis, le Titre IX a été une nouvelle règle de jeu en matière d’égalité des sexes. La question de l’égalité des sexes dans le sport et par le sport doit être débattue par les décideurs qui non seulement ont compris l’importance de l’expérience sportive, mais en ont aussi bénéficié.

Nous demandons donc avec insistance comme première mesure que les mécanismes thématiques des Nations Unies et les rapporteurs ayant compétence appellent à la création d’une commission des preuves des ONG, des dirigeants sportifs, des ministères du sport et des organes directeurs pour expliquer les mesures prises pour éliminer le sexisme et la discrimination à l’égard des femmes et des filles. Le sport pourrait être un outil puissant pour résoudre le problème de la discrimination entre les sexes et promouvoir des modèles positifs, mais l’examen des conventions pertinentes, comme les articles 10 et 13 de la CEDAW et leur mise en œuvre ne couvrent pas le rôle des femmes dans le sport.

En même temps, nous demandons que la recherche, les ressources et les investissements soient renforcés et orientés vers des programmes qui utilisent le sport comme stratégie susceptible de changer la donne pour les filles et les femmes dans le monde. Le leadership des filles et des femmes est nécessaire pour construire un monde juste et prospère et le potentiel inexploité du sport pour accélérer le progrès vers l’égalité des sexes dans le monde est un investissement vers cet objectif.

 

Sarah Murray (Women Win), Isha Johansen (SLFA), Yasmin Waljee OBE et Emma Rehal-Wilde (Hogan Lovells) ont contribué à cet article.

Notes

1. Phoebe Clarke et Ian Ayres, « The Chastain effect: using Title IX to measure the causal effect of participating in high school sports on adult women’s social lives », The Journal of Socio-Economics, vol. 48 (février 2014), pp. 62-71. Disponible sur le site http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1053535713001455.

2. Ibid., pp. 70, 63. Les auteurs font référence à cet article de Reed W. Larson, de l’University of Illinois, analysant le développement de l’initiative dans les contextes les plus appropriés comme le sport, les arts et la participation aux organisations. Voir Reed W. Larson, « Toward a psychology of positive youth development », American Psychologist, vol. 55, n° 1 (janvier 2000), pp. 170-83.

3. Women Win, « Building young women’s leadership through sport, 2013−2015 », Évaluation du programme. Disponible sur le site http://womenwin.org/BYWLTS (consulté le 29 juin 2016).

4. Sanyukta Mathur, Margaret Greene et Anju Malhotra, « Too young to wed: the lives, rights, and health of young married girls », rapport de recherche (Washington, Centre international de recherche sur les femmes, 2003). Disponible sur le site https://www.icrw.org/files/publications/Too-Young-to-Wed-the-Lives-Right....

5. Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), Protection de l’enfant, mariage des enfants : situation actuelle + progrès, le mariage des enfants est une violation des droits de l’homme, mais cette pratique est trop répandue. Mise à jour en juin 2016. Disponible sur le site http://data.unicef.org/child-protection/child-marriage.html#sthash.tmHVu... (consulté le 29 juin 2016).

6. Anju Malhotra et coll., « Solutions to end child marriage: what the evidence shows », rapport de recherche (Washington, Centre international de recherche sur les femmes, 2011). Disponible sur le site http://www.icrw.org/files/publications/Solutions-to-End-Child-Marriage.pdf.

7. Les évaluations et les rapports sur les activités de Grassroot Soccer sont disponibles sur le site http://www.grassrootsoccer.org/research-development/proven-results/ (consulté le 29 juin 2016).

8. Comité international olympique, « Women in the Olympic Movement », Factsheet (Lausanne, 2016). Disponible sur le site https://stillmed.olympic.org/Documents/Reference_documents_Factsheets/Wo....