En Inde, la faim et la malnutrition sont des problèmes chroniques qui sévissent sur une vaste échelle. La prévalence de la malnutrition y est un des problèmes les plus importants au monde, plus important que dans certains pays pauvres de l'Afrique subsaharienne. Selon le rapport 2007 : Progrès pour les enfants : bilan statistique du Fonds des Nations Unies pour l'enfance1, la proportion des enfants de moins de cinq ans souffrant d'insuffisance pondérale - un signe de malnutrition - était de 28 % en Afrique subsaharienne et 42 % en Asie du Sud (43 % en Inde). Le Rapport 2006 sur l'État de l'insécurité alimentaire dans le monde2 de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture confirme que l'Inde est le pays qui compte le plus grand nombre de personnes souffrant de sous-alimentation chronique au monde*.
Selon l'Enquête nationale sur la santé de la famille3 réalisée en 2005/06, 45,9 % d'enfants de moins de trois ans souffraient d'insuffisance pondérale ou de malnutrition calculée en comparant le rapport poids-âge. La proportion correspondante était de 46,7 % en 1998/99. Au cours des sept dernières années, l'amélioration de cet indicateur de base de malnutrition des enfants a été négligeable. De plus, le taux de prévalence de l'anémie (une réduction du nombre de globules rouges dans le sang qui transportent l'oxygène) a augmenté passant de 52 % en 1998/99 à 56 % en 2005/06 chez les femmes de 15 à 49 ans, un état qui touche 58 % des femmes enceintes. Le taux de prévalence de l'anémie a également augmenté chez les enfants âgés de 6 à 36 mois : 74 % étaient anémiques en 1998/99 et 79 % en 2005/06. Les données fournies par le National Nutrition Monitoring Bureau en 1993-94 indiquaient que 48,5 % de la population adulte avait un indice de masse corporelle au-dessous de la normale. Ces indicateurs indiquent que près de la moitié de la population indienne souffre aujourd'hui de malnutrition. Le nombre absolu de personnes sous-alimentées a un peu diminué, mais à un rythme plus faible que le but fixé lors du Sommet mondial sur l'alimentation qui s'est tenu à Rome en 1996. L'Inde n'a pas atteint les Objectifs du développement pour le Millénaire qu'elle s'était fixés.
Ces résultats sont un reflet non seulement de la situation présente de l'Inde mais aussi de son avenir. L'échec de la politique nationale a des conséquences désastreuses sur cette génération, car les enfants sous-alimentés ont peu de chances de réaliser pleinement leur potentiel, et aussi sur la génération suivante, les jeunes filles anémiques et sous-alimentées risquant plus tard de donner naissance à des nourrissons qui souffrent d'insuffisance pondérale.
À la fin de juillet 2008, la situation s'est probablement aggravée par la hausse rapide des prix des produits alimentaires de base. Le taux d'inflation, qui a atteint près de 12 %, est au plus haut depuis 13 mois, mais certains produits alimentaires comme le riz, certains légumes secs, les légumes, le thé et les huiles comestibles, ont encore plus augmenté. À New Delhi par exemple, entre mai 2007 et mai 2008, les prix au détail ont augmenté : 20 % pour l'huile d'arachide, 21 % pour l'huile de moutarde et 10,5 % pour les lentilles jaunes. Selon une étude de la National Sample Survey Organization, un organisme du gouvernement central, les prix élevés actuels des denrées alimentaires et du pétrole risquent de pousser 5 % de la population indienne au bord de la famine4.
Cet article examine les interventions politiques importantes menées en Inde pour améliorer la sécurité alimentaire. Je me concentrerai davantage sur les politiques qui concernent les ménages et les consommateurs plutôt que les producteurs. L'intervention la plus importante en Inde est le système public de distribution de produits alimentaires, un programme visant à fournir aux ménages l'accès à des produits alimentaires bon marché dans l'ensemble du pays. Deux autres programmes d'aide alimentaire sont Midday Meal, un repas gratuit distribué dans les écoles primaires et le Programme pour le développement intégré de l'enfant (icds) qui vise à améliorer l'état nutritionnel des jeunes enfants et des femmes enceintes et de celles qui allaitent. En 2006/07, 31,6 millions de tonnes de céréales (riz et blé) ont été fournis par le biais du système public de distribution (pds). Les autres programmes d'aide alimentaire ont reçu 5,1 millions de tonnes5,6.
LES POLITIQUES DE SÉCURITÉ ALIMENTAIRE : RÉPONDRE AUX FAMINES OU À LA FAIM CHRONIQUE
Dans leur ouvrage innovant intitulé Hunger and Public Action et les volumes de l'Institut mondial de recherche sur les aspects économiques du développement de la série de l'Université des Nations Unies, Jean Drèze et Amartya Sen ont établi une nette distinction « entre la faim chronique (la privation persistante de nourriture) et la famine (la privation de nourriture à grande échelle et une mortalité élevée)7 ». En s'appuyant sur des études de cas dans plusieurs pays, les auteurs discutent des différentes stratégies et politiques nécessaires pour traiter ces deux problèmes8. Dans le cas de l'Inde, il existe de nombreux éléments expliquant la nature des interventions du gouvernement pendant les famines, dont la dernière - la famine au Bengale en 1943 durant l'époque coloniale - qui a fait environ 3 millions de morts9. MM. Drèze et Sen démontrent de manière convaincante qu'après l'indépendance, l'Inde a fait face avec efficacité aux périodes de pénuries alimentaires, de sécheresse et aux autres crises alimentaires de façon à prévenir les risques de famine. Je considère toutefois que le pays n'a pas réussi à garantir l'accès de tous les Indiens à la nourriture.
LE SYSTÈME PUBLIC DE DISTRIBUTION ALIMENTAIRE DE L'INDE
Le système public de distribution (pds) en Inde est un mécanisme qui permet aux ménages d'avoir accès à des denrées de base à des prix subventionnés par le gouvernement. Ces denrées sont vendues dans un réseau de magasins à prix équitables. Dans de nombreuses régions du pays, le pds était universel jusqu'en 1977, et tous les ménages ruraux et urbains pouvant prouver leur adresse avaient droit à des rations alimentaires. Les ménages éligibles recevaient une carte qui leur permettait d'acheter une quantité déterminée de denrées alimentaires. Les modalités exactes (quantité, choix des denrées et prix) varient selon les régions. En 2006, on comptait 480 000 magasins à prix équitables dans le pays. La plupart étaient gérés par des agents et des coopératives privés, seuls quelques-uns étaient nationalisés. Au total, 222,2 millions de familles indiennes détenaient des cartes de ration et avaient accès à un magasin à prix équitable qui servait en moyenne 454 personnes.
Le programme de distribution a été lancé en 1939 en tant que mesure de rationnement durant la guerre. Le gouvernement britannique a introduit cette initiative à Bombay puis l'a étendue à six autres villes et à d'autres régions. La sécheresse et la pénurie alimentaire qui ont sévi au milieu des années 1960 ont souligné la nécessité de renforcer et de poursuivre la mise en place d'un système de distribution alimentaire et le pds est devenu un programme universel dans les années 1970. Conçu au départ comme un programme de rationnement dans les grandes villes pendant la Deuxième Guerre mondiale, le pds est donc devenu un programme universel de distribution de nourriture à un prix raisonnable et a été intégré à la stratégie de réduction de la pauvreté.
Historiquement, le système de distribution alimentaire avait plusieurs objectifs10 : maintenir la stabilité des prix, augmenter les programmes d'aide aux pauvres en leur donnant accès à des produits de base à un prix avantageux et en leur assurant des rations alimentaires pendant les périodes de pénurie et exercer un contrôle sur le commerce privé11 pour prévenir les risques de spéculation et la vente sur le marché noir. Il est clair que certains de ces objectifs sont moins importants aujourd'hui. Alors que le rationnement n'est plus pertinent aujourd'hui, le maintien de la stabilité des prix a été crucial après la libéralisation du commerce (dans les années 1990 et encore plus dans les années 2000) où les négociants privés ont eu libre cours et où les variations internationales des prix pouvaient facilement affecter les prix intérieurs. Face à l'ampleur de la malnutrition et à l'inflation des prix de denrées alimentaires, l'accès aux produits alimentaires de base à un prix raisonnable continue d'être une initiative politique importante.
L'histoire du système public de distribution en Inde11 comporte quatre phases. Durant la première phase, qui débute de la création du système jusqu'en 1960, le système a été étendu à d'autres villes, et la distribution alimentaire dépendait généralement des importations de céréales alimentaires. La deuxième phase, de 1960 à 1978, a connu d'importants changements d'organisation. En réponse à la crise alimentaire qui a apparu au milieu des années 1960, le gouvernement a adopté une approche globale de la sécurité alimentaire et mis en place la Commission des prix agricoles et la Food Corporation of India (FCI) afin d'améliorer le système d'achats et le stockage des céréales au niveau national. La troisième phase, qui va de 1978 à 1991, a été marquée par une expansion à grande échelle du pds, appuyée par les achats et les stocks nationaux. Dans la quatrième phase, de 1991 à nos jours, la politique du pds pour tous a été remplacée par une politique ciblée conforme aux objectifs de la libéralisation économique. Créé au départ dans quelques villes, le pds est devenu un programme national de distribution alimentaire pour tous, puis une politique en faveur des pauvres.
L'IMPACT DU SYSTÈME PUBLIC DE DISTRIBUTION ALIMENTAIRE
En 1997, suite à une recommandation de la Banque mondiale12, le gouvernement indien a introduit le Targeted pds (tpds - pds ciblé) dans le but de réduire les subventions alimentaires13. La politique visait à démarquer les ménages « pauvres » des ménages « non pauvres ». Ce système est différent des autres variantes du système public de distribution à plusieurs égards.
* D'après le recensement indien, la population de l'Inde comptait 1,02 milliard d'habitants en décembre 2003 -- ed.
Le ciblage : La caractéristique la plus importante du tpds par rapport à politique précédente est l'introduction d'une politique ciblée, en particulier la division de la population en deux catégories : les ménages au-dessous du seuil de pauvreté et les ménages au-dessus du seuil de pauvreté, telles qu'elles sont déterminées par la Commission de la planification de l'Inde, un centre d'études du gouvernement central. Les deux groupes ont accès à des quantités et à des prix différents. Avec cette formule, le gouvernement a mis en place une politique de ciblage des ménages vivant au-dessous du seuil de pauvreté.
Un double (multiple) système de prix : La deuxième caractéristique importante est le double système de prix pour les deux catégories de ménages. Un troisième prix a été introduit en 2001 pour les bénéficiaires du projet Antyodaya qui fournissait aux familles les plus pauvres des céréales plus largement subventionnées. En mars 2000, le gouvernement a annoncé un changement de politique majeur. Les prix auxquels la fci vend les céréales pds aux États seront établis à la moitié du « prix économique » encouru par la fci pour les ménages vivant au-dessous du seuil de pauvreté et au « prix économique » fort pour les ménages vivant au-dessus du seuil de pauvreté14. En somme, les ménages vivant au-dessus du seuil de pauvreté ne bénéficieraient plus de subventions.
Le contrôle du gouvernement central : Un troisième élément important concerne les responsabilités du gouvernement central et des gouvernements des États concernant les droits et les allocations au pds. Le système conçu et géré par les États est différent d'un État à l'autre en ce qui concerne les droits à la nourriture, les produits offerts et les prix au détail fixés. Auparavant, les États recevaient une partie de leur ravitaillement à partir des stocks centraux et, en fonction de certains facteurs, en particulier les besoins antérieurs et le régime de rationnement statutaire, le gouvernement central allouait aux États des céréales et autres produits de base pour alimenter leurs systèmes publics de distribution. Avec le tpds cependant, c'est le gouvernement central qui décide du nombre de personnes vivant au-dessous du seuil de pauvreté et qui recense les bénéficiaires, tandis que les quantités destinées à la population vivant au-dessus du niveau de pauvreté, ou les quantités supplémentaires pour les deux catégories, sont décidées de manière assez arbitraire en fonction des besoins antérieurs et des demandes faites par les États.
Il est clair que le tpds n'a pas réussi à assurer la sécurité alimentaire des plus démunis. Selon une évaluation de la performance réalisée en 2005 par la Commission de planification de l'Inde15, « la transition entre le pds et le tpds n'a ni été dans l'intérêt des pauvres ni permis de réduire les subventions alimentaires budgétaires ». De fait, le ciblage du tpds a entraíné l'exclusion du réseau pds d'un grand nombre de familles dans le besoin et provoqué l'effondrement des systèmes de distribution, le tpds n'a pas réussi à maintenir la stabilité des prix en transférant les céréales des régions excédentaires aux régions déficitaires du pays et les céréales ont parfois été détournées de leur destination finale, le consommateur.
Erreurs d'exclusion et de ciblage : L'un des arguments avancés par les partisans du tpds est que ce programme permettra de mieux toucher les pauvres et les plus démunis que le pds universel. Deux types d'erreur sont inhérents aux programmes d'aide sociale ciblée dus à un mauvais calcul : les erreurs d'exclusion (type I) c'est-à-dire le nombre de personnes ou de ménages pauvres qui ne participent pas au programme et les erreurs d'inclusion (type II) c'est-à-dire le nombre de personnes ou de ménages pauvres qui ne remplissent pas les conditions d'éligibilité mais qui participent au programme.
Ces deux types d'erreur ont des avantages et des inconvénients. Dans les programmes universels, les erreurs d'exclusion sont probablement peu importantes et les erreurs d'inclusion importantes. En revanche, un programme ciblé sur un groupe spécifique comportera des erreurs d'inclusion peu importantes mais des erreurs d'exclusion importantes. Quand un type d'erreur diminue, l'autre augmente. Il faudrait donc rétablir l'équilibre. Les partisans d'une réforme économique orthodoxe n'ont implicitement attaché aucune importance aux erreurs d'inclusion et sont surtout concernés par la réduction des erreurs d'exclusion. Cette échelle de valeurs implicite devrait être reconnue ouvertement et débattue, car il y a de bonnes raisons de soutenir un système qui accorde une plus grande importance aux erreurs d'exclusion qu'aux erreurs d'inclusion16.
Toute décision concernant le ciblage doit être donc régie avec discernement pour éviter ce type d'erreur. Il est à noter qu'il existe une différence fondamentale dans les coûts attribués à ces deux types. Les erreurs d'inclusion entraínent des coûts fiscaux et financiers, c'est-à-dire des dépenses qui sont causées par l'inclusion de bénéficiaires qui ne répondent pas aux critères d'éligibilité. Les erreurs d'exclusion cependant entraínent des coûts sociaux, c'est-à-dire des coûts pour les contribuables et la société dus à une alimentation insuffisante, la malnutrition, une mauvaise santé, etc. Tandis que les coûts fiscaux sont connus et faciles à mesurer, il est plus difficile d'évaluer les coûts sociaux causés par la malnutrition, bien qu'ils risquent d'être élevés et d'avoir un impact négatif d'une génération à l'autre. De plus, l'importance relative des deux types d'erreur dépendra de la taille du groupe ciblé.
Comme l'indiquent les études mentionnées ci-dessus, le nombre de personnes souffrant de malnutrition en Inde est très élevé. Il est donc important de déterminer le niveau d'erreurs d'exclusion dans le pds ciblé et ses conséquences sociales. D'après les résultats du 61e questionnaire de la National Sample Survey récemment publiés dans un rapport intitulé Public Distribution System and Other Sources of Household Consumption 2004-2005 17, le ciblage dans l'Inde rurale a augmenté le niveau d'exclusion des ménages pauvres du système de distribution alimentaire et entraíné une nette détérioration de la couverture des services dans des États comme le Kerala où le pds universel était le plus efficace.
La première étape de l'exclusion est l'exclusion des ménages qui ne sont pas titulaires d'une carte de ration alimentaire. Les ménages sont répartis en quatre catégories : les titulaires d'une carte Antyodaya; les titulaires de cartes dont les revenus sont situés au-dessous du seuil de pauvreté; les titulaires d'autres cartes (principalement pour les ménages vivant au-dessus du seuil de pauvreté) et ceux ne détenant aucune carte. En excluant les États du Nord-Est (où la fiabilité des données est discutable), c'est dans l'État de l'Orissa, situé à l'est de l'Inde, que l'on rencontre la proportion la plus élevée de ménages non-titulaires de carte (33 %). Dans l'État de l'Orissa, caractérisé par une insécurité alimentaire grave, un tiers de ménages ruraux ne relevaient pas de la compétence du pds18. Dans dix autres États, plus de 20 % des ménages ruraux n'étaient pas titulaires d'une carte de ration. L'État du Tamil Nadu, situé au sud de l'Inde, est un cas à part, car c'est le seul État où le pds est universel.
À partir de mars 2000, les prix des céréales ont augmenté pour les ménages au-dessus du seuil de pauvreté et l'écart entre les prix des deux catégories de ménages s'est creusé. Dans de nombreux États, les prix des céréales pour les ménages vivant au-dessus du seuil de pauvreté étaient pratiquement similaires aux prix du marché, ce qui les a exclus de fait du pds. Ceci s'est immédiatement traduit dans une baisse des achats de ces ménages. À quelques exceptions, la majorité des ménages vivant au-dessus du seuil de pauvreté étaient titulaires d'une carte dans 19 États : 60 % dans le Bihar, 57 % dans le Kerala, 63 % dans l'Assam, 65 % dans l'Uttar Pradesh et 78 % au Rajasthan.
Dans la grande majorité des États, 60 % ou plus de la population a effectivement été exclue du pds. Ceci comprend les États du Bihar, de Madhya Pradesh, du Rajasthan et de l'Uttar Pradesh - considérés relativement en retard à la fois en termes de revenus et d'industrialisation et d'indicateurs de développement humain - ainsi que d'autres États comme le Kerala, qui était un modèle pour le reste du pays avant l'introduction du tpds. Seules exceptions : les États de l'Andhra Pradesh et du Karnataka où une majorité des ménages ruraux possédaient une carte de pauvreté ou une carte Antyodaya. Il est important de comprendre les conséquences de cette exclusion des ménages pratiquée sur une grande échelle. Le rapport de la National Sample Survey fournit des données sur les titulaires de cartes selon plusieurs critères : type d'emplois des ménages, appartenance au groupe social, propriété foncière et niveau des dépenses. À partir de ces données, il est possible d'identifier les caractéristiques des ménages qui sont exclus du pds.
Prenons d'abord les ménages agricoles, puisque ce sont eux qui ont le plus besoin du pds19. Les résultats étaient impressionnants. Dans quatre États seulement (l'Andhar Pradesh, le Kanarnataka, le Jammu-Cachemire et le Tripura, sauf le Tamil Nadu), deux tiers ou plus des ménages de travailleurs agricoles étaient inclus au pds et 33 % ou moins en étaient exclus. Pour la moyenne nationale, 52 % des travailleurs agricoles possédaient la carte délivrée aux ménages vivant au-dessus du seuil de pauvreté ou aucune. Le taux d'exclusion était de 71 % dans le Bihar et de 73 % dans l'Uttar Pradesh.
Comment est-il possible que 70 % des ménages agricoles ne répondent pas aux critères d'éligibilité à un système de subventions alimentaires comme le pds ?
Nous avons classé dans la catégorie des États qui présentent un niveau élevé d'exclusion du pds les États où plus de 50 % des ménages ont une carte pour ménages vivant au-dessus du seuil de pauvreté ou aucune carte. Nous avons classé dans la catégorie des États présentant un niveau d'exclusion élevé parmi les travailleurs agricoles ceux où plus de 33 % des ménages agricoles sont titulaires d'une carte pour personnes vivant au-dessus du seuil de pauvreté ou d'aucune carte. Il existe une relation claire entre l'exclusion générale des ménages et l'exclusion des ménages agricoles : les États présentant de faibles niveaux d'exclusion de l'ensemble des ménages ont de faibles niveaux d'exclusion des ménages agricoles, et vice-versa. Il n'y a que deux États qui présentent un faible niveau d'exclusion des ménages agricoles et également un niveau élevé d'exclusion de l'ensemble des ménages : l'Andhra Pradesh et Karnataka. Il y a toutefois deux exceptions, le Tripura et le Jammu-et-Cachemire.
Pour illustrer le contexte social des ménages en Inde, j'ai choisi les États où la population rurale des castes répertoriées représentait plus de 10 % de la population. Dans les zones rurales, un fort chevauchement existe entre la situation des castes répertoriées, le fait de ne pas avoir de terres et la pauvreté. Selon les données de la National Sample Survey, moins de 30 % des ménages des castes répertoriées étaient titulaires d'une carte Antyodaya ou d'une carte pour personnes vivant au-dessous du seuil de pauvreté dans les États de l'Assam, du Bihar, de l'Himachal Pradesh, du Jammu et Cachemire, du Punjab, du Rajasthan et de l'Uttar Pradesh. En d'autres termes, dans ces États, parmi lesquels seul le Punjab a un surplus de céréales, 70 % ou plus des ménages des castes répertoriées étaient titulaires d'une carte pour les familles vivant au-dessus du seuil de pauvreté ou bien d'aucune carte. Au niveau national, 60 % des ménages des castes répertoriées dans les zones rurales étaient exclus du pds. L'Andhra Pradesh, le Karnataka et le Kerala étaient les seuls États qui affichaient un niveau élevé d'inclusion des castes répertoriées.
Enfin, j'ai établi une classification selon les dépenses des ménages par habitant. En utilisant le seuil de pauvreté officiel (revenu mensuel de 360 roupies par habitant), tous les ménages dont les dépenses par habitant étaient inférieures à 365 roupies ont été classés dans la catégorie des ménages « pauvres ». Il faut noter que le seuil de pauvreté officiel en Inde correspond à un état de pénurie grave20. Nous avons demandé combien de ménages pauvres avaient reçu une carte destinée à la population vivant au-dessous du seuil de pauvreté ou bien une carte Antyodaya. Prenons cinq États, le Bihar, l'Orissa, le Madhya Pradesh, le Jharkhand et le Chhatisagarh où plus de 40 % des ménages ruraux font partie de la catégorie « pauvres ». La majorité des ménages considérés pauvres dans quatre États, à l'exception de l'Orissa, n'étaient titulaires d'aucune des deux cartes. Le niveau d'exclusion du pds était de 77 % dans le Bihar, 67 % dans le Jharkland, 54 % dans le Madhya Pradesh et 54 % dans le Chhatisagarh; dans l'Orissa, il était de 44 %. Au cœur de l'Inde, le ciblage a eu des effets pervers, il a exclu une grande proportion des ménages vivant au-dessous du seuil de pauvreté.
De plus, dans 13 États sur 27 (à l'exception du Tamil Nadu), il y avait plus de ménages non titulaires d'une carte de pauvreté ou d'une carte Antyodaya que ceux possédant une carte. À force de rechercher l'efficacité en effectuant un ciblage étroit, les ménages à qui l'on devrait garantir une sécurité alimentaire de base par le biais du pds ont été laissés de côté. L'analyse des données de la National Sample Survey montre clairement qu'une vaste proportion des ménages des travailleurs agricoles et des travailleurs manuels, les ménages qui font partie des castes et des tribus répertoriées, ceux qui possèdent peu ou pas de terres et ceux qui figurent dans la catégorie « très faibles dépenses », sont aujourd'hui exclus du pds. Les exceptions sont le Tamil Nadu, qui est le seul État à avoir un système de pds qui couvre toute la population et les deux États, au sud de l'Inde, l'Andhra Pradesh et Karnatak, où les ménages vivant au-dessous du seuil de pauvreté et figurant dans les catégories Antyodaya bénéficient d'une couverture importante.
Quantités des rations : Comme nous ne pouvons pas comparer les quantités achetées au pds par les ménages titulaires d'une carte de pauvreté et les ménages titulaires d'une carte au-dessus du deuil de pauvreté car ces derniers n'utilisent probablement pas régulièrement le pds au prix courant, je porterai mon attention sur les ménages qui détiennent une carte de pauvreté et une carte Antyodaya pour évaluer dans quelle mesure le pds a contribué à la consommation des ménages. Pour ce faire, je m'appuierai sur les données du 61e questionnaire de la National Sample Survey.
Même avec la détérioration du système de rations alimentaires, la consommation mensuelle de céréales (riz et blé) achetées par le biais du pds a été supérieure aux autres sources pour les ménages titulaires de la carte de pauvreté et la carte Antyodaya dans sept États : l'Himachal Pradesh, le Jammu-et-Cachemire, le Karnataka, le Maharashtra, le Sikkim, le Tamil Nadu et le Tripura (voir tableau). Dans l'Hymachal Pradesh, l'Arunachal Pradesh, le Jammu-et-Cachemire, le Karnataka, le Mizoram, le Sikkim, le Tamil Nadu, le Tripura et l'Uttar Pradesh, les détenteurs de carte ont consommé 20 kilogrammes ou plus par mois. De plus, le pds a fourni 15 kg ou plus de céréales par mois et par ménage dans 17 États. En conclusion, les ménages détenteurs de la carte de pauvreté et de la carte Antyodaya ont acheté une quantité importante de céréales alimentaires par l'intermédiaire du pds. La classification erronée des ménages pauvres dans la catégorie des ménages vivant au-dessus du seuil de pauvreté a sans aucun doute contribué à l'insécurité alimentaire de la population de l'Inde.
Viabilité des magasins à prix équitables : La viabilité économique des magasins à prix équitables, qui a été affectée par l'exclusion du pds de la population vivant au-dessus du seuil de pauvreté, est une préoccupation institutionnelle importante. Cette exclusion virtuelle a conduit à une baisse importante des achats des ménages. Par exemple, la quantité totale de céréales (riz et blé) distribuée par l'intermédiaire du pds est passée de 20,8 millions de tonnes en 1991 à 11,3 millions en 2001. Avec la réduction du nombre de bénéficiaires, la baisse des ventes et des marges bénéficiaires étroites, les propriétaires de magasins à prix équitables et les intermédiaires ont réalisé des profits inférieurs avec le Tpds. Puisque des économies d'échelle existent par exemple concernant le coût du transport, la distribution de plus petites quantités risque de n'être pas rentable pour de nombreux magasins. Quand les magasins à prix équitables sont viables sur le plan économique, les incitations à tricher sont moins importantes.
Distribution régionale des céréales alimentaires : L'un des objectifs du pds a été d'assurer la stabilité des prix dans le pays en transférant les céréales des régions excédentaires aux régions déficitaires. Or le tpds n'a pas rempli cet objectif car, dans le cadre de ce programme, la demande en céréales n'est plus déterminée par le gouvernement des États (en fonction de leurs besoins et de l'utilisation passée), mais par le gouvernement central (sur la base de statistiques sur la pauvreté préparées par la Commission de la planification de l'Inde). Comme l'a fait remarquer le Comité de haut niveau pour une politique céréalière sur le long terme21, le nouveau système d'allocation a créé un déséquilibre entre les allocations réelles et « les allocations nécessaires pour combler l'écart entre la production céréalière et les besoins céréaliers ». Le Comité de haut niveau a été créé pour réviser un large éventail des politiques concernant la gestion des céréales alimentaires, notamment le prix de soutien minimum et la fixation des prix, les questions liées à la Food Corporation of India, le fonctionnement du pds, l'allocation des céréales aux programmes d'aide sociale et la mise en place d'un système de stocks régulateurs.
Quand le pds couvre toute la population, la stabilité des prix est automatiquement assurée, la demande en céréales des magasins à prix équitables augmentant quand l'écart entre le prix pds et le prix du marché augmente. Dans le nouveau système, toutefois, avec les quotas des ménages vivant au-dessus du seuil de pauvreté exclus du pds à cause des prix et les quotas bas et fixés des ménages vivant au-dessous du seuil de la pauvreté, le pds n'a pas assuré son rôle de stabilisateur.
Gaspillages : Il est clair que dans de nombreuses régions de l'Inde, le système de distribution actuel comporte des lacunes qui ont donné lieu à d'importants gaspillages à différents stades. Comme le fait remarquer la Commission de la planification15, « le retrait des stocks centraux s'est accompagné d'un gaspillage anormalement élevé, à l'exception des États du Bengale occidental et du Tamil Nadu ». Elle identifie également les facteurs associés aux gaspillages relativement bas au niveau des magasins à prix équitables et conclut que « la prise de conscience générale des bénéficiaires, le niveau élevé de l'alphabétisation et les organisations au niveau local, en particulier les institutions du Panchayat Raj (un comité élu géré par les villageois) ont permis aux États comme le Bengale occidental et l'Hymachal Pradesh de réduire les gaspillages au niveau des magasins à prix équitables et dans l'État du Tamil Nadu d'éliminer les points de vente de détail privés ». Il n'est pas possible de réduire les gaspillages en effectuant un ciblage encore plus étroit. La réduction du gaspillage nécessite en engagement politique et la participation des personnes au processus de distribution.
LE KERALA : UN MOUVEMENT SOCIAL POUR ACCÉDER À LA NOURRITURE
C'est un fait avéré qu'avant la libéralisation le Kerala possédait l'un des réseaux de pds le mieux géré et le plus efficace de l'Inde. Il est important de rappeler que la mise en place d'un pds efficace a été le résultat d'un mouvement social de masse. À Malabar et à Travancore, « le système public de distribution a vu le jour grâce à un mouvement social important et à la réponse du gouvernement pendant la période de la crise alimentaire22». Dans un entretien, E.M.S Namboodiripad, leader communiste et premier Ministre principal du Kerala [le bureau politique élu le plus élevé dans un État], a décrit comment les « kisan sabhas [coopératives d'agriculteurs], les syndicats et d'autres organisations communautaires ont insisté pour que les céréales soient achetées aux agriculteurs et que la distribution soit assurée par les magasins de ration », si bien que la demande publique fût très forte. Plus tard, après 1957, le premier ministère communiste s'est attelé à la tâche de fournir un système de distribution de céréales alimentaires efficace dans l'ensemble de l'État. En 1964, pendant la pénurie alimentaire, sous la pression du public, le système de magasins à prix équitables a été étendu. Les combats politiques ont donc participé étroitement à la mise en place et au renforcement du pds au Kerala.
Avant l'introduction du ciblage, le pds au Kerala présentait les caractéristiques suivantes :
♦ Le Kerala était le seul État indien à proposer un pds à pratiquement toute la population. Tous les ménages qui ne possédaient pas suffisamment de terres pour produire des céréales pour leur propre consommation ont reçu une carte de ration. En 1991, environ 95 % de l'ensemble des ménages faisaient partie du pds et possédaient une carte de ration23.
♦ Chaque adulte avait droit à 13,8 kg de céréales par mois (ou 460 g par jour), ce qui répondait à la proportion minimum de 370 grammes de céréales par jour et par personne recommandée par le Conseil indien de la recherche médicale.
♦ La quantité de céréales alimentaires achetée au pds a été plus importante que dans la plupart des autres États, contribuant de manière significative à la nutrition des ménages. En 1991, l'achat annuel de céréales au pds était en moyenne de 69,6 kg de céréales par personne au Kerala. L'achat annuel de céréales au pds a permis de répondre à près de la moitié des besoins en céréales par personne.
♦ Alors que le programme couvrait toute la population, le système était progressif et les pauvres étaient relativement plus dépendants du pds que les riches24,25.
♦Le fonctionnement des magasins de rations et du système de distribution a été plus efficace que dans les autres parties régions du pays, ce qui s'est reflété dans les sondages auprès des consommateurs.
De par l'ampleur et l'efficacité du pds, il a été noté que le système a contribué à l'amélioration de la consommation et de la nutrition au Kerala.
Le ciblage introduit dans le cadre de la libéralisation économique dans les années 1990 a nui au pds du Kerala de plusieurs façons :
♦ Premièrement, alors que selon la Commission de la planification 25 % de la population du Kerala vit au-dessous du seuil de pauvreté, l'allocation de céréales garantie et subventionnée pour les ménages de cette catégorie représente dans le cadre du pds ciblé seulement 10 % des ressources du pds précédent. Étant donné que le Kerala est un État déficitaire en produits alimentaires, dans la période qui a précédé le tpds, la production locale couvrait 20 % des besoins en céréales, le pds 32% et le reste était assuré par le commerce privé. Si l'allocation aux ménages vivant au-dessus du seuil de pauvreté est supprimée, la distribution faite au Kerala par le pds couvrira environ 3,8 % des besoins en céréales de l'État26. Le tpds a donc considérablement changé la part du pds dans la couverture des besoins en céréales du Kerala, ce qui a des conséquences pour la disponibilité des céréales et les prix au niveau national.
♦ Deuxièmement, le gouvernement du Kerala a identifié 42 % de ménages vivant au-dessous du seuil de pauvreté (alors que le ratio de pauvreté établi par le gouvernement est de 25 %) et octroie sur le budget de l'État des subventions à ces ménages.
♦ Troisièmement, le gouvernement du Kerala a continué de distribuer des céréales aux ménages vivant au-dessous de la pauvreté, ainsi qu'à maintenir les droits des ménages vivant au-dessus du seuil de pauvreté. L'État subventionne le prix des denrées alimentaires destinées à ces ménages.
♦ Quatrièmement, l'achat des ménages du riz et du blé au pds a baissé. Alors qu'il était d'environ 2 millions de tonnes en 1991 et en 1992, il a chuté à 1,6 million de tonnes en 1999 pour n'atteindre que 0,71 million de tonnes en 2000. En 2006/07, les rations des ménages vivant au-dessus du seuil de pauvreté ont subi des réductions importantes.
♦ Enfin, n'étant pas rentables, les magasins à prix équitables ont fermé27. Avant l'introduction du tpds, tous les magasins à prix équitables vendaient en moyenne 7 500 kg de riz et 2 000 kg de blé par mois. En 2001, ils ne vendaient plus que 1 400 kg de riz et 200 kg de blé, entraínant des pertes. Selon les estimations du gouvernement du Kerala, les revenus bruts par magasin sont passés de 3 711 roupies en mars 2000 à 1 493 roupies en août 2001, et le revenu net d'un marchand était négatif. En termes de participation au pds et de quantité de céréales distribuées, le Kerala était exemplaire. Il a souffert de la politique de ciblage introduite en 1996.
LE TAMIL NADU : UN SYSTÈME DE DISTRIBUTION ALIMENTAIRE EFFICACE
Le Tamil Nadu se distingue nettement de tous les autres États et, de fait, est unique aujourd'hui pour son pds qui couvre presque toute la population. Il existe au Tamil Nadu une classification de la population vivant au-dessus et au-dessous du seuil de pauvreté. Dans le passé, une politique de ciblage a été mise en œuvre, des coupons alimentaires ont été attribués aux personnes aux faibles revenus remplissant les critères d'éligibilité, mais un grand nombre de personnes étant exclues, cette politique a été abandonnée sous la pression du public. Le système fonctionnait mal et cette question est devenue un enjeu électoral. Aujourd'hui, avec son pds couvrant presque toute la population, le Tamil Nadu a introduit une option pour les ménages qui ne veulent pas acheter du riz au pds en leur donnant la possibilité d'acheter plus de sucre et de kérosène. Au total, 100 000 titulaires de cartes ont choisi cette option et 52 000 autres se sont retirés complètement du pds. Les 17,8 millions de titulaires de cartes restants (malgré les différents types de cartes) sont tous traités sur un pied d'égalité et achètent du riz au même prix - 2 roupies le kg depuis juin 2006. Comme le Tamil Nadu achète des céréales au gouvernement central à des prix plus élevés (les volumes alloués aux ménages vivant au-dessous du seuil de pauvreté aux prix fixés pour cette catégorie et vice-versa pour les ménages vivant au-dessus du seuil de pauvreté), il a dû verser une subvention supplémentaire pour maintenir un prix bas. En 2006/07, les subventions lui ont coûté 15 milliards de roupies.
Un autre élément intéressant du réseau de distribution du Tamil Nadu est le fait qu'il n'existe pas de magasins à prix équitables privés. Le secteur des coopératives gère 96 % de ces magasins et le reste est géré par les panchayats et les groupes d'entraide. La District Central Cooperative Bank propose des crédits en espèces aux entreprises pour acheter des céréales pour le pds. La Commission de planification a noté que le gaspillage dans les magasins à prix équitables et la distribution de fausses cartes sont peu importantes au Tamil Nadu. Selon une étude détaillée du pds, le succès du pds est dû à un engagement politique fort de l'État et au contrôle minutieux exercé par la bureaucratie28.
Bien que les résultats nutritionnels ne soient pas directement attribués au pds seul, il est à noter que le Tami Nadu a montré une amélioration continue des résultats nutritionnels au cours des dix dernières années. Les données de l'Enquête nationale sur la santé de la famille montrent que la proportion d'enfants de moins de trois ans souffrant d'insuffisance pondérale est passée de 46 % en 1992/93 à 37 % en 1998/99 et a même chuté à 33 % en 2005/06 contre 46 % pour la moyenne nationale. De même, la malnutrition parmi les femmes, mesurée par la proportion de femmes ayant un indice de masse corporelle inférieur à la normale, était de 23,5% au Tamil Nadu en 2005/06 en comparaison de 33 % dans l'ensemble du pays. Il faut reconnaítre au Tamil Nadu le mérite d'avoir réussi à gérer un système universel de distribution de denrées alimentaires à un prix avantageux dans cette époque de libéralisation.
PROGRAMMES DE NUTRITION POUR LES ENFANTS
Programme de repas à midi : Bien que la distribution des repas scolaires ait commencé plus tôt dans certains États, cette initiative a été lancée en 1995 dans le cadre de la politique nationale. Appelé le Programme national de soutien nutritionnel à l'éducation primaire, il vise à fournir un repas à midi ou 3 kg de céréales par enfant, avec comme condition un taux de fréquentation scolaire de 80%29. En 2001, en réponse à une action intentée pour la défense de l'intérêt public, la Cour suprême indienne a ordonné de « mettre en œuvre un programme de repas à midi en fournissant à chaque enfant de chaque école gouvernementale ou bénéficiant d'une aide gouvernementale un repas quotidien qui devait contenir au minimum 300 calories et 8 à 12 g de protéines pendant un minimum de 200 jours ». Si cette initiative a été suivie à divers degrés selon les régions, elle a été concluante dans deux États, le Tamil Nadu et le Gujarat30. Examinant la performance de ce programme après l'ordre de la Cour suprême, Reetika Khera note que celui-ci a eu un effet positif sur la fréquentation scolaire, en particulier celle des filles. L'effet de ce programme sur l'état nutritionnel des enfants est toutefois plus difficile à évaluer.
Le Tamil Nadu a été le premier État à créer un programme national de repas scolaire. En 1982, le Ministre principal, M.G. Ramachandran, a lancé un programme de repas à midi pour les enfants de moins de cinq ans. Puis, ce programme a été étendu aux enfants d'âge préscolaire, aux enfants d'école primaire, aux adolescents jusqu'à l'âge de 15 ans dans les zones rurales, aux retraités âgés, aux plus démunis, aux veuves et à partir de 1995 à toutes les femmes enceintes. En 1999/2000, les repas à midi ont été servis tous les jours au Tamil Nadu à 8,3 millions de personnes, dont 7,7 millions d'enfants. Alors que tous les enfants de 2 à 15 ans peuvent bénéficier d'un repas scolaire, les données indiquent que la participation est plus importante parmi les enfants relativement plus pauvres31.
Le programme de repas à midi existe au Tamil Nadu depuis de nombreuses années et a touché un grand nombre de personnes. En même temps, divers indicateurs de malnutrition montrent une tendance à la baisse dans cet État. Par exemple, l'incidence de la malnutrition aiguë (3e et 4e degrés) parmi les enfants jusqu'à 36 mois a diminué de 12,3 % en 1983 à 0,3 % en 2000.
Il n'est pas dans mon intention d'attribuer entièrement le mérite aux politiques alimentaires et nutritionnelles mises en vigueur au Tamil Nadu, mais il faut reconnaítre qu'elles ont considérablement participé à améliorer l'état nutritionnel des enfants.
Programme pour le développement intégré de l'enfant (ICDS) : Lancé comme programme pilote en 1975, c'est aujourd'hui le seul programme national qui « fournit un ensemble de services intégrés » aux enfants de moins de six ans32. Les services fournis par le réseau de centres de l'icds ou Anganwadis sont centrés sur la nutrition, la santé et l'éducation préscolaire. Ces dernières années, une forte demande a été formulée pour encourager l'« universalisation de l'icds de qualité ». La Cour suprême a également ordonné au gouvernement indien d'universaliser le programme33. Cette initiative comprendrait la création d'un centre Anganwadi dans chaque village ou établissement humain, l'extension des services de l'icds à tous les enfants de moins de six ans, ainsi qu'aux femmes qui répondent aux critères d'éligibilité (femmes enceintes et qui allaitent) et l'accroissement du nombre et de la qualité des services.
Comme pour les autres programmes sociaux, la mise en œuvre et l'impact de l'icds varient selon les régions. On constate des différences dans le contenu du programme ainsi que dans la mise en œuvre. Des États fournissent des repas complets, d'autres des collations prêtes à la consommation29. D'après une évaluation faite en 2000, l'offre alimentaire a été irrégulière dans environ 67 % des centres. Les États les plus touchés ont été les États situés au nord-est de la région, les mieux lotis étant l'Himachal Pradesh, le Maharastra, le Tamil Nadu et Goa.
LEÇONS POLITIQUES
Le rôle de l'Inde en tant que puissance économique grandissante a été reconnu au cours des dernières années. Pourtant, de par sa forte population, le nombre de personnes souffrant de la faim chronique et de malnutrition y est plus élevé que dans les autres nations en développement. Les politiques et leur mise en œuvre ont échoué à résoudre cette crise alimentaire à grande échelle.
Au milieu des années 1960, une série de politiques ont été introduites dans les domaines de la production, de l'entreposage et de la distribution pour répondre au problème de l'insécurité alimentaire. Elles ont connu un certain succès et ont permis en particulier d'accroítre la production de céréales alimentaires et de garantir des prix de céréales bas et stables. À partir de 1991, la libéralisation économique a affaibli les politiques de sécurité alimentaire et a eu des conséquences désastreuses sur la consommation et la nutrition. Aujourd'hui, la situation est même plus cruciale du fait du taux d'inflation élevé.
La période de libéralisation économique a porté un coup dur à nos programmes de sécurité alimentaire. Les trois objectifs importants des réformes économiques - qui sont énoncés de manière très explicite dans de nombreux documents politiques, y compris les Études économiques officielles réalisées tous les ans - ont été de réduire les subventions alimentaires, de confier au marché la distribution des denrées alimentaires et de réduire les programmes de politiques et de subventions alimentaires destinés aux plus pauvres. En s'adressant au Conseil national pour le développement en décembre 2007, le Premier ministre Manmohan Singh a estimé que le gouvernement devait « veiller à ce que les céréales subventionnées soient seulement destinées aux défavorisés et aux pauvres34 ». De fait, le montant absolu et relatif des subventions alimentaires - dont la totalité n'est bien sûr pas destinée à la consommation - a diminué de manière constante. Pendant les années 2002/07, le budget alloué par le gouvernement indien à l'aide alimentaire a diminué en termes nominaux et réels. La part du produit intérieur brut consacrée à l'aide alimentaire est passée de 0,99 % en 2002/03 à 0,6 % en 2006/07.
L'un des instruments importants de la politique alimentaire indienne a été le système public de distribution. Une leçon importante de ces dernières années est que la politique de ciblage introduite dans le cadre de la libéralisation n'a pas réussi à nourrir les personnes qui souffrent de la faim chronique. J'ai montré dans cet article qu'à cause du ciblage étroit utilisé pour améliorer l'efficacité du programme de sécurité alimentaire, les ménages qui auraient dû en bénéficier ont été exclus du pds. Les données de la National Sample Survey réalisée en 2004/05, indiquent clairement qu'une grande proportion de ménages de travailleurs agricoles et d'autres travailleurs manuels, les ménages appartenant aux castes et tribus répertoriées, les ménages possédant peu ou pas de terres, ainsi que les ménages des classes à revenus bas sont aujourd'hui exclus du pds. Le pds ciblé a donc entraíné l'exclusion du système public de distribution d'un grand nombre de personnes qui sont véritablement dans le besoin. Il a eu un effet négatif sur le fonctionnement et la viabilité économique du réseau du pds et a entraíné la détérioration du système de distribution. Il a échoué à stabiliser les prix en transférant les céréales des régions excédentaires vers les régions déficitaires de l'Inde.
En réponse aux pressions venant de la base et à celles venant de hauts lieux (par exemple de l'appareil judiciaire), des programmes de nutrition supplémentaires, destinés en particulier aux nourrissons et aux enfants d'âge scolaire, ont été créés au cours de ces dernières années. Il existe une forte demande pour assurer l'« universalisation de l'icds de qualité » et distribuer à tous les enfants d'âge scolaire un repas équilibré.
La tâche la plus importante aujourd'hui est de garantir un accès suffisant à la nourriture afin d'assurer la sécurité alimentaire et d'endiguer la faim endémique. Un système public de distribution efficace couvrant toute la population peut être le moyen d'assurer cet accès aux niveaux local et des ménages. Ces propositions - la mise en place d'un système public de distribution pour tous, l'universalisation du Programme pour le développement intégré de l'enfant et la distribution d'un repas à midi à tous les enfants des écoles primaires et secondaires nécessiteront probablement des subventions supplémentaires. Privilégier la rigueur financière à la sécurité alimentaire de base aura un coût social très élevé pour cette génération et la suivante.
Notes 1 Voir www.unicef.org/progressforchildren/2007n6 2 Voir www.fao.org/docrep/009/a0750e/a0750e00.HTM 3 L'Enquête nationale sur la santé de la famille a effectuée trois questionnaires : NFHS -1 en 1992-1993, NFHS -2 en 1998-1999 et NFHS -3 en 2005-2006 (see www.nfshindia.org). 4 Srinivas, A., 2008, "Starvation threat looms as food, fuel prices shoot up", Businessline, 14 juillet (à partir d'un article de K. Thomas sur la National Sample Survey Organization). 5 Un autre programme, appelé Annapurna, fournit des céréales aux personnes pauvres âgées (voir Medrano, 2004). 6 Gouvernement de l'Inde, 2008, ministère des Finances, Enquête économique 2007-08 (http://indiabudget.nic.in). 7 Dreze, J and Amartya Sen, 1989, Hunger and Public Action, Oxford: Clarendon Press. 8 Dreze, J and Amartya Sen, 1989, The Political Economy of Hunger, Vol. 1; 1990, The Political Economy of Hunger, Vol. 2; 1991, The Political Economy of Hunger, Vol. 3, Oxford: Clarendon Press. 9 Sen, Amartya K, 1981, Poverty and Famines, Oxford: Clarendon Press. 10 Bapna, S. L., 1990, "Food, Security through the PDS : The Indian Experience", in D. S. Tyagi and V. S. Vyas (eds.) Increasing Access to Food: The Asian Experience. New Delhi: Sage Publications. 11 Swaminathan, Madhura, 2000, Weakening Welfare: The Public Distribution of Food in India, New Delhi: LeftWord Books. 12 Banque mondiale, 1996. "India's Public Distribution System: A National and International Perspective", Poverty and Social Policy Department, novembre (réimprimé sous le titre Radhakrishna, R. and Subbarao, K. 1997, World Bank Discussion Paper No 380). 13 Gouvernement de l'Inde, 1997, Focus on the Poor, Ministère des affaires des consommateurs, de l'alimentation et de la distribution publiques, New Delhi. 14 Le coût économique est le coût total supporté par la Food Corporation of India et la somme des prix d'achat (y compris le prix payé aux agriculteurs) et des prix de distribution (y compris l'entreposage et le transport). 15 Commission de la planification, Organisation de la planification et de l'évaluation, 2005, Performance Evaluation of Targeted Public Distribution System, mars, New Delhi. 16 Cornia, G. A. and F. Stewart, 1993, "Two Errors of Targeting", Journal of International Development, vol. 5, n° 5, pp 459-490. 17 Gouvernement de l'Inde, 2007, Ministère des statistiques et mise en œuvre du programme, NSSO, Public Distribution System and Other Sources of Household Consumption 2004-05, volume I, 61e questionnaire de La National Sample Survey, juillet. 18 MSSRF (Fondation de recherche M. S. Swaminathan) et Programme alimentaire mondial, 2001, Food Insecurity Atlas of Rural India, Chennai. 19 La National Sample Survey définit cinq types de ménages ruraux selon les informations sur les sources de revenus : emploi indépendant (agricole), emploi indépendant (non agricole), travail agricole, autres emplois et autres ménages. 20 Saith, A., 2005, "Of Calories and Things: Reflections on Nutritional Norms, Poverty Lines and Consumption Behaviour in India", Economic and Political Weekly, vol. 40, n° 43, octobre 22-28, pp 4611-4618. 21 Gouvernement de l'Inde, 2002, Final Report of the High-Level Committee on Long-Term Grain Policy, New Delhi, July (présidé par Abhijit Sen). 22 Ramachandran, V. K., 1996, "Kerala's Development Achievements: A Review", in J. Dreze and Amartya Sen (eds.), Indian Development: Selected Regional Perspectives, Oxford University Press. 23 Kannan, K. P., 1995, "Declining Incidence of Rural Poverty in Kerala", Economic and Political Weekly, 30, 41 and 42, octobre 14-21, pp.2651-2662. 24 George, P. S., 1979, Distribution of Food grains in Kerala, Income Distribution Implications and Effectiveness, IF PRI, rapport de recherche 7 mars. 25 Koshy, A., A. A. Gopalakrishnan, V. Vijayachandran and N. K. Jayakumar, 1989, Report of the Study on Evaluation of the Public Distribution System in Kerala, Centre for Management Development, Trivandrum. 26 S uryarayana, M.H., 2001, "Economic Reform versus Food Security: Kerala's Gordian Knot", Journal of International Development, 13 (2), pp 239-253. 27 Krishnakumar, R., 2000, "PDS : A System in Peril", Frontline, vol. 17, n° 19, sept 16-29. 28 Venkatasubramanian, A. K., 2006, "The Political Economy of the Public Distribution System in Tamil Nadu", in Vikram K. Chand (ed.) Reinventing Public Service Delivery in India, New Delhi: Sage Publications. 29 Medrano, P., 2004, "The Experience with Food Safety Nets in India", M. S. Swaminathan, Pedro Medrano, Daniel J. Gustafson and Pravesh Sharma (eds.), Sommet national sur la sécurité alimentaire 2004, articles sélectionnés, New Delhi: Programme alimentaire mondial. 30 Khera, Reetika, 2006, "Mid-day Meals in Primary Schools", Economic and Political Weekly, Nov. 18, pp 4742-4750. 31 Rajivan, Anuradha K., 2001, "Nutrition Security in Tamil Nadu", in S. Mahendra Dev, P. Antony, V. Gayathri and R. P. Mamgain (eds.) Social and Economic Security in India, New Delhi: Institute for Human Development. 32 Citizen's Initiative for the Rights of Children under Six, 2006, Focus on Children Under Six, rapport abrégé, décembre, New Delhi. 33 Un groupe de travail de la Commission de la planification a également fait la même recommandation (voir projet de rapport du troisième sous-groupe, groupe de travail sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle, octobre 2006). 34 Le discours du Premier ministre Manmohan Singh est disponible à www.nerve.in/news:2535000119124
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