Trois faits notables sur la migration sont souvent occultés dans le débat animé portant sur les politiques en matière de migration. Premièrement, la contribution des migrants à leur pays d’accueil et à leur pays d’origine est immense, plus de 500 milliards de dollars de transferts de fonds (dont plus de 400 milliards de dollars ont été effectués en direction des pays en développement en 2012). Ensuite, la migration Sud-Sud est aujourd’hui plus importante que la migration Sud-Nord, ce qui signifie que non seulement l’émigration est un facteur important pour les pays en développement, mais aussi l’immigration. Enfin, la migration interne est environ quatre fois plus importante que la migration internationale et fait partie intégrante des changements structurels et du processus de développement d’une économie. Pourtant, la circulation des personnes figure rarement dans les stratégies de développement des pays.

La migration vers un pays plus riche peut être une voie rapide pour réduire la pauvreté non seulement des migrants mais aussi des membres de leur famille restés dans leur pays d’origine. Une fois dans le pays d’accueil, les revenus des migrants augmentent rapidement, ils sont souvent multipliés par 10, et les gains sont répartis entre les membres de la famille et les amis dans le pays d’origine au moyen de transferts de fonds. Ces transferts sont utilisés pour payer la nourriture, le logement, les soins de santé de la famille et l’éducation des enfants ainsi que pour investir dans des entreprises. Au fil des ans, les migrants facilitent les exportations et les importations entre les pays. Les plus qualifiés partagent aussi leurs connaissances et leur savoir-faire avec ceux qui sont restés au pays. Certains retournent dans leur pays après avoir travaillé à l’étranger, apportant avec eux des compétences et des économies. Dans les pays de destination, les migrants offrent aux employeurs une main-d’œuvre bon marché, peu qualifiée et, au fil des ans, beaucoup investissent dans l’immobilier, des commerces et de nouvelles entreprises qui créent des emplois.

Les envois de fonds envoyés par les migrants à leur famille et à leurs amis offrent le lien le plus concret et peut-être le moins controversé entre la migration et le développement. En 2012, les flux internationaux des transferts de fonds vers les pays en développement, tels qu’ils sont officiellement enregistrés, représentaient près de quatre fois le montant de l’aide publique au développement (figure 1). (Le montant réel des transferts de fonds, y compris les flux non enregistrés, est plus élevé, peut-être un multiple du niveau actuel dans de nombreux pays pauvres.) De plus, les envois de fonds tendent à être stables durant les crises financières et à résister à leurs effets – contrairement aux flux de capitaux privés qui ont soudainement chuté durant la crise financière mondiale en 2009, les transferts de fonds vers les pays en développement ont baissé de moins de 5 % et ont rapidement retrouvé leur niveau d’avant la crise. En cas de bouleversements économiques, de catastrophes naturelles ou de crise politique dans le pays d’origine, les migrants envoient davantage d’argent pour aider leur famille. Les transferts de fonds permettent donc de réduire leur vulnérabilité face aux événements imprévus.

RENFORCER LES LIENS ENTRE LES ENVOIS DE FONDS ET LE DÉVELOPPEMENT – LE PROGRAMME D’ACTION MONDIAL SUR LES ENVOIS DE FONDS

Les envois de fonds des migrants assurent la survie économique de nombreux pays. En 2012, l’Inde a reçu 70 milliards de dollars en transferts de fonds, soit plus de trois fois le montant des investissements étrangers directs. L’Égypte a reçu 21 milliards de dollars, soit trois fois la valeur des revenus qu’elle tire de l’exploitation du canal de Suez. Dans les pays de plus petite taille, comme le Tadjikistan ou le Libéria, les envois de fonds représentent entre un tiers et la moitié du revenu national. Ces envois constituent la source la plus importante en devises étrangères dans de nombreux pays, en particulier les pays pauvres ou touchés par un conflit, ce qui représente une source essentielle à l’équilibre de leur balance des paiements. Parfois cependant, les envois importants d’argent peuvent entraîner une appréciation de la monnaie qui doit être traitée en améliorant l’environnement des entreprises et en augmentant la productivité économique.

Les envois de fonds étant des fonds personnels, les gouvernements n’ont aucun moyen efficace de les orienter vers des fins spécifiques. Pourtant, ils peuvent faciliter leur flux en réduisant les frais d’envoi et promouvoir l’accès à l’épargne, aux prêts et aux produits de régimes d’assurance maladie liés aux envois de fonds (voir le résumé du programme d’action mondial sur les envois de fonds à la figure 2). Ils peuvent même réduire les coûts des emprunts souverains en utilisant les flux des transferts de fonds futurs en tant que garantie. Ils peuvent aussi émettre des obligations de la diaspora afin de mobiliser l’épargne des diasporas. Mais, d’abord, les gouvernements doivent s’efforcer d’améliorer la qualité des données sur la migration et les transferts de fonds.

La qualité des données sur les transferts de fonds et celles sur la migration qui précèdent les transferts de fonds est très insuffisante. Actuellement, les données sur les effectifs d’immigrants internationaux (grossièrement définis comme la population née à l’étranger) sont disponibles par pays, mais, dans la plupart des pays ne faisant partie de l’Organisation de coopération et de développement économiques, elles ne sont collectées que tous les dix ans. Les données portant sur le suivi des flux migratoires sur une année ne sont pas plus fréquentes, ce qui fausse l’analyse des effets des événements récents (comme la crise financière mondiale). Il n’existe pas de données concernant l’émigration. Les données sur les flux bilatéraux de migration et les transferts de fonds sont des éléments essentiels pour l’élaboration des politiques, mais nous venons tout juste de commencer à créer des matrices de flux bilatéraux. De leur côté, les statistiques sur la migration interne sont très approximatives.

Les données sur les transferts de fonds sont disponibles chaque année, sauf pour certains pays (par exemple, le Canada). La plupart des pays ne publient aucune donnée mensuelle ou trimestrielle, alors qu’elles sont essentielles pour suivre l’évolution de la balance des paiements (par exemple, au Pakistan). Et même les données annuelles sur les transferts de fonds ne prennent pas en compte une grande partie des flux qui passent par des circuits parallèles. De nombreux pays continuent de se référer à une vieille définition des transferts de fonds et doivent commencer à collecter les données selon les nouvelles directives de la sixième édition du Manuel de la balance des paiements publiée par le Fonds monétaire international. Les flux sortants d’envois de fonds étant nettement sous-estimés dans la plupart des pays, l’estimation des flux bilatéraux est pratiquement impossible. Actuellement, aucune donnée n’existe sur les transferts de fonds nationaux, pas même des estimations.

Il est difficile de croire qu’avec les technologies modernes actuelles, le coût moyen d’un transfert d’argent représente 9 % du montant envoyé et, dans certains corridors Sud-Sud, 15 à 20 %. La structure des coûts de transfert est également très régressive : moins le montant du transfert est important, plus les frais sont élevés. Les réglementations internationales, en particulier en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (LBC/FC), augmentent les frais associés aux paiements mobiles et en ligne des envois d’argent internationaux. Ces réglementations empêchent également les banques internationales de gérer les comptes bancaires des sociétés de transferts de fonds, ce qui contribue à l’augmentation des coûts. Les accords de partenariat exclusif entre les bureaux de poste nationaux et les importantes sociétés de transfert d’argent renforcent la position de celles-ci sur le marché et freine la concurrence. Les contrôles des capitaux empêchent les transferts de fonds vers l’extérieur de nombreux pays en développement, et le contrôle des changes ainsi que le régime de double taux de change ont, dans de nombreux pays, un effet dissuasif sur les transferts de fonds.

Depuis 2009, le G20 a adopté un objectif visant à réduire de 5 % les coûts de transfert au cours des 5 prochaines années. Ils sont passés de 12 % à environ 9 % aujourd’hui. Mais il reste encore beaucoup à faire, en particulier dans de nombreux corridors Sud-Sud et certains corridors Nord-Sud moins importants comprenant de petits pays.

Le seul contact que la plupart des pauvres ont avec le système financier a lieu lorsqu’ils envoient ou reçoivent des transferts de fonds. Après trois ou quatre déplacements à la banque ou à l’établissement de crédit, l’expéditeur ou le destinataire décide souvent d’y ouvrir un compte. Ce fait n’a pas encore été pleinement mis à profit par les partisans de l’inclusion financière pour tous. Encourager les transferts de compte à compte permettrait de mobiliser l’épargne et de rapprocher celle-ci et les possibilités d’investissement. Or, pour de nombreuses banques internationales, la tendance actuelle est de fermer les comptes bancaires de correspondants des services de transfert de fonds (comme, par exemple, au Royaume-Uni et aux États-Unis où les comptes de transferts de fonds des sociétés somaliennes ont été récemment fermés) dans le strict respect du règlement financier. Ce règlement stipule la nécessité d’un rééquilibrage. Si les expéditeurs et les destinataires de fonds ouvrent des comptes bancaires, très rapidement ils feront des emprunts pour l’achat d’un logement ou d’une voiture, ce qui profitera à la fois aux banques et aux particuliers.

La nécessité de lier les transferts de fonds à la micro-assurance, en particulier à l’assurance maladie pour les pauvres, revêt une importance particulière. Le cercle de pauvreté est souvent perpétué par des maladies débilitantes auxquelles de nombreux membres des ménages (en particulier le chef de famille) sont confrontés à un âge moyen; on peut facilement encourager l’assurance maladie des familles en facilitant le paiement des primes par les migrants utilisant les circuits des transferts de fonds.

De fait, ces circuits qui permettent à l’expéditeur d’affecter ses envois de fonds à des fins spécifiques (par exemple, rembourser un prêt hypothécaire, payer des frais de scolarité, des factures de services publics ou des primes d’assurance) peuvent, sans aucun doute, augmenter les transferts de fonds et améliorer leurs impacts sur le développement.

LES OBLIGATIONS DE LA DIASPORA

En plus de l’envoi de transferts de fonds, les membres de la diaspora épargnent dans les pays de destination des sommes d’argent importantes estimées à plus de 400 milliards de dollars par an. La plus grande partie de cet argent est investi dans des dépôts bancaires rapportant des intérêts à des taux très bas ou ne rapportant aucun intérêt. Ces épargnes pourraient être mobilisées en vendant des obligations de la diaspora qui offrent un taux d’intérêt de 3 à 4 % en termes de dollars. Les membres de la diaspora obtiendraient non seulement des rendements financiers, mais pourraient utiliser leurs obligations pour financer des projets de développement dans le pays d’origine. Les taux d’intérêt des obligations de la diaspora peuvent être considérablement moins élevés que ceux des obligations institutionnelles, car les membres de la diaspora ont une perception du risque plus faible que les investisseurs institutionnels. Aussi, le prix des obligations de la diaspora qui sont détenues par un grand nombre d’investisseurs dans des commerces de détail est probablement moins volatil que les investissements institutionnels.

Les obligations de la diaspora peuvent être vendues essentiellement aux membres de la diaspora, mais il n’y aucune raison de limiter leur vente à celle-ci. Elles doivent être enregistrées conformément à la loi sur les valeurs mobilières du pays de destination. En matière de gestion prudentielle de la dette, les recettes des obligations doivent être investies dans des projets qui génèrent des revenus financiers. Les fonds collectés par ces obligations pourraient être utilisés pour financer des projets (aéroports internationaux, trains à grande vitesse, routes, centrales électriques, télécommunications, écoles et hôpitaux) pour attirer le financement de la diaspora via des obligations. Certains pays envisagent également de payer leur dette avec les recettes des obligations afin de réduire les taux d’intérêt élevés de la dette. Avant d’émettre des obligations des diasporas, cependant, il est nécessaire de les consulter afin de connaître leurs capacités d’investissement dans leur pays et leur point de vue en la matière.

RÉDUCTION DES COÛTS DE MIGRATION

La réduction des coûts de migration peut même être plus efficace pour améliorer les revenus et l’épargne des migrants (augmentant ainsi les transferts de fonds et les investissements de la diaspora) que le programme d’action mondial sur les envois de fonds mentionné plus haut. Il a été amplement prouvé que ces coûts, en particulier ceux payés aux agences de recrutement, peuvent être exorbitants. La réduction de ces frais et l’élimination des abus devraient être une priorité des responsables politiques à la fois dans les pays d’origine et dans les pays d’accueil. Les grands absents des débats politiques sont les frais élevés et les processus longs et laborieux pour obtenir un passeport, un visa et un permis de séjour. Dans nombre de pays, obtenir un passeport peut prendre des mois, ce qui décourage souvent les employeurs. Mais, naturellement, pour améliorer la délivrance des passeports, il faut améliorer les procédures nationales de délivrance de cartes d’identité et les systèmes d’enregistrement des naissances. La réduction des frais de visa semble moins problématique, mais il est à noter que les frais de visa élevés – souvent au nom de la réciprocité – peuvent décourager la migration de la main-d’œuvre temporaire et les voyages d’affaires fréquents. Le coût élevé des permis de séjour (pour les migrants internationaux et internes) peut être une charge supplémentaire pour les migrants et leurs employeurs et réduire la capacité des migrants à envoyer de l’argent dans leur pays.