La preuve est faite que la migration contribue plus efficacement au développement que tout autre moyen que nous connaissons. Lorsque les États et les parties prenantes se réuniront en octobre 2013 lors du Dialogue de haut niveau sur les migrations et le développement, ils devront s’appuyer sur ce constat en s’engageant à prendre des mesures concrètes. Si davantage d’États collaborent et font de meilleurs choix éclairés, ils produiront des avantages sociaux et économiques importants tout en assurant des conditions de vie et de travail décentes aux migrants.
La coopération internationale en matière de migration a réalisé de réels progrès depuis le premier Dialogue de haut niveau en 2006. Il y a sept ans, la situation était sombre. La méfiance entre les États était profonde. L’idée que la migration pouvait être débattue de manière constructive à l’ONU était largement rejetée. Toutefois, la création du Forum mondial sur la migration et le développement, un processus dirigé par les États, créé lors du Dialogue de haut niveau de 2006, a fondamentalement modifié l’esprit de coopération.
Durant ses six premières années, le Forum mondial s’est avéré propice pour discuter des défis de la migration d’une manière collégiale et non contraignante. Les anciens paradigmes se sont effondrés, les mythes ont volé en éclats et la confiance a commencé à poindre. Les États et d’autres parties prenantes, s’appuyant sur les faits et les pratiques, favorisent une compréhension commune de la migration et des migrants. L’importance du Forum est désormais évidente – environ 150 pays se réunissent chaque année pour étudier les défis communs. Les pays qui étaient jusqu’à présent silencieux sur la migration dans les débats internationaux sont devenus des partenaires solides. La société civile est également devenue un interlocuteur solide et persuasif sur les questions politiques.
En fonction de ce que nous savons aujourd’hui, nous devons agir d’une manière plus résolue. Les transferts de fonds sont une indication de l’impact de la migration : les migrants ont envoyé 401 milliards de dollars vers les pays en développement en 2012 seulement, le triple du montant de l’aide au développement à l’étranger. Ces flux sont de loin plus fiables que les autres sources de financement. Lorsque la crise financière mondiale a frappé, l’investissement étranger direct dans les pays en développement a chuté de 89 %, alors que les transferts de fonds ont seulement baissé de 5 %; aujourd’hui, ils augmentent de 9 % par an. Les transferts de fonds vont directement à ceux qui savent le mieux les utiliser. Au Bangladesh, seulement 13 % des ménages qui en reçoivent sont au-dessous du seuil de pauvreté, comparés à 34 % qui n’en reçoivent pas. Toutefois, les transferts de fonds n’expliquent qu’en partie comment la mobilité humaine façonne le monde.
Les communautés d’accueil, par exemple, dépendent des migrants pour répondre aux besoins de main-d’œuvre. Ils accomplissent les tâches les plus fondamentales, de la construction des routes et des logements à la prise en charge des très jeunes et des personnes âgées. Nous savons aussi qu’ils stimulent l’innovation : aux États-Unis, la délivrance de brevets a augmenté de 15 % pour chaque augmentation de 1,3 % de la proportion de diplômés universitaires. En plus, nous devons prendre en compte les taxes payées par les migrants, leurs investissements et les activités commerciales qu’ils génèrent.
En même temps, nous avons appris que la migration n’accapare pas, en termes nets, les emplois des autochtones : selon une étude récente, chaque nouveau migrant crée en moyenne un nouvel emploi, ce qui contribue donc à la croissance de l’économie. Dans les pays d’origine, les flux financiers venant des migrants contribuent à la balance des paiements, ce qui facilite le paiement des importations, l’accès aux marchés des capitaux et permet de réduire les taux d’intérêt de la dette souveraine. Tout cela contribue à rendre nos nations plus prospères et plus résilientes.
Depuis trop longtemps, nous nions les leçons de l’histoire et la vérité sur l’esprit humain. Les migrations continueront d’avoir lieu, car c’est dans notre nature. Le XXIe siècle est construit sur la mobilité. Les capitaux, les biens et l’information circulent à faible coût et à la vitesse de l’éclair. Pourtant, paradoxalement, la migration internationale est devenue plus périlleuse. Elle est déterminée par des notions démodées sur la mobilité humaine. Elle se heurte à des politiques et à des cadres juridiques inappropriés et est dominée par des considérations sécuritaires.
Alors que nos marchés du travail mondialisés recherchent des migrants et qu’un plus grand nombre de personnes veulent sortir de la pauvreté, notre système de mobilité internationale les en empêchent. En effet, il renforce le pouvoir de ceux qui exploitent les migrants –passeurs et trafiquants, recruteurs sans scrupule et employeurs corrompus. Il a gravement compromis les droits des migrants, dont beaucoup doivent voyager, vivre et travailler sans être légalement protégés. Il a miné la confiance du public à l’égard des gouvernements. Et il a sapé notre capacité à élaborer des politiques migratoires qui nous aident à atteindre nos objectifs de développement.
En d’autres termes, le système actuel ne fonctionne pas. Par exemple, rien ne saurait justifier le fait que certains États protègent les droits fondamentaux de leurs travailleurs à l’étranger, et d’autres pas. Il n’est pas acceptable que seulement 20 % des migrants internationaux puissent bénéficier du transfert des prestations de sécurité sociale lors de leur retour dans leur pays. De plus, la vie des migrants ne devrait jamais être en danger.
Le temps est donc venu de construire un système de mobilité humaine qui répond aux besoins du XXIe siècle. Progressivement, attentivement et systématiquement, nous devons créer une architecture adaptable qui permet aux individus de réaliser leur plein potentiel, aux communautés de mieux intégrer les nouveaux arrivants, aux entreprises d’accéder aux travailleurs dont ils ont besoin et aux gouvernements de regagner la confiance du public.
Il y a dix ans, nous n’avions ni les éléments concrets ni la confiance nécessaires pour prendre des mesures d’envergure sur la migration internationale. Aujourd’hui, la situation a changé. Le Forum mondial sur la migration et le développement a été une étape décisive. Tout aussi importante a été la création du Groupe mondial sur la migration (GMM) qui a réuni 14 organismes des Nations Unies, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et la Banque mondiale pour coordonner leurs travaux liés à la migration. De leur côté, les processus consultatifs régionaux permettent de tester de nouvelles idées tout en développant des habitudes de coopération.
D’autres facteurs importants sont également en jeu : les contraintes géographiques croissantes, la mondialisation des marchés du travail et l’essor économique des pays en développement changent fondamentalement la manière dont les migrants circulent dans le monde et les destinations qu’ils choisissent. Pratiquement tous les pays dans le monde sont confrontés aux défis et aux opportunités de la migration et ne peuvent plus être divisés de manière nette entre les pays d’origine et les pays de destination aux intérêts opposés. Aujourd’hui, les pays en développement accueillent autant de migrants que les pays développés.
Des améliorations tangibles ont été observées. Le 5 septembre 2013, la Convention sur les travailleurs domestiques est entrée en vigueur, offrant un cadre de protection à des dizaines de millions de travailleurs les plus vulnérables, dont beaucoup sont des migrants. Elle a été ratifiée par des pays qui n’avaient pas signé la Convention relative aux travailleurs migrants de 1990, ce qui indique une nouvelle ouverture à l’égard des traités relatifs à la migration. Les frais des envois de fonds ont, pour leur part, baissé de manière significative au cours des dernières années.
Les pays collaborent de plus en plus avec leur diaspora. Aujourd’hui, 77 bureaux, organismes et postes ont été spécialement créés par les gouvernements pour structurer leurs relations avec les diasporas. Ces initiatives encouragent les migrants à renforcer leurs liens avec leur pays d’origine par le biais d’investissements, de transferts de capitaux humains, de contributions philanthropiques, d’investissements sur le marché des capitaux et du tourisme. Chacun de ces domaines fait preuve d’une grande richesse d’idées sur la façon de mobiliser les communautés de migrants. Forts de cette volonté commune, nous devons chercher de manière plus systématique à tirer parti des avantages de la migration et à atténuer ses effets négatifs. Le Dialogue de haut niveau des Nations Unies ne doit pas se cantonner à créer de nouveaux processus comme le Forum mondial et le GMM. En octobre, nous devons conclure nos délibérations par l’engagement clair des États et des parties prenantes d’entreprendre des actions sur des questions spécifiques.
La migration n’a pas été initialement intégrée dans les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD). Toutefois, les migrants ont joué un rôle essentiel dans leur réalisation, de la réduction de la pauvreté à l’amélioration de l’égalité des sexes ou de la prévention des maladies infectieuses. Maintenant, il est temps d’intégrer la migration dans le programme de développement pour l’après 2015. Cela nous permettra de nous libérer de nos idées préconçues sur le développement. Ce programme est centré sur les êtres humains et place les individus au cœur de nos préoccupations, au lieu des intérêts des États et des acteurs du développement. Il est universel, car il a un impact sur pratiquement tous les pays du monde, et est bénéfique pour les pays du Nord et du Sud. C’est un test pour la gouvernance et les gouvernements, demandant une action coordonnée non seulement parmi les États, mais aussi à tous les niveaux des gouvernements, locaux, régionaux et mondiaux.
En intégrant la migration dans le programme de développement pour l’après 2015, nous pouvons enfin placer la migration sous l’égide des Nations Unies. Cela peut se faire de multiples façons. Par exemple, au cours des dernières années, nous avons fait de réels progrès en ce qui concerne la réduction des frais d’envois de fonds qui sont passés de presque 15 % à moins de 9 %. Nous avons encore des progrès à faire à cet égard, mais notre champ d’action va bien au-delà des envois de fonds. La communauté internationale pourrait, par exemple, prendre l’engagement d’élaborer des politiques innovantes pour réduire les honoraires versés aux recruteurs.
En attendant, les cibles possibles n’ont pas besoin d’être seulement mesurables en termes économiques. Le programme de développement pour l’après 2015 vise, par exemple, à éliminer la discrimination à l’égard des migrants qui séjournent légalement dans leur territoire, en particulier en ce qui concerne leur salaire, leurs conditions de travail et l’accès à l’éducation pour leurs enfants. D’autres cibles pourraient comprendre une réduction drastique des victimes de la traite – illustrée par le nombre de poursuites engagées contre les trafiquants, le nombre d ’États offrant une protection légale spéciale aux victimes de la traite et le nombre d’entreprises passant au crible leurs chaînes d’approvisionnement pour éliminer le travail forcé; l’augmentation de la proportion de travailleurs très qualifiés; et la diminution du nombre de migrants sans autorisation légale pour séjourner dans leur pays de résidence.
Les parties prenantes ont développé de nombreuses idées sur la manière dont les gouvernements, le secteur privé et la société civile peuvent créer des partenariats autour de politiques de mobilité permettant (i) de réduire la discrimination à l’égard des migrants et de protéger leurs droits; (ii) de réduire les coûts humains, sociaux et économiques des migrations, y compris ceux liés au recrutement, aux envois de fonds et à la délivrance de documents comme les visas et les permis de séjour; (iii) d’accroître les possibilités pour les migrants d’investir leurs revenus de façon plus productive et partager leurs connaissances; et (iv) d’impliquer les migrants et les organisations de la diaspora dans le renforcement du développement dans leurs communautés d’origine et de destination.
Si l’intégration de la migration au programme de développement pour l’après 2015 demande un effort considérable, il faut reconnaître qu’il est limité. En effet, cet effort implique de persuader les parties prenantes à mieux comprendre comment la migration peut leur permettre d’atteindre leurs objectifs, tout en montrant aux responsables de la migration comment élaborer des politiques qui amplifient l’impact de la migration sur le développement.
La mise en place d’un système de mobilité humaine dynamique, efficace, adapté au XXIe siècle exigera une action sur tous les fronts : l’éducation, la santé, le logement et le travail, entre autres. La prochaine frontière d’une gouvernance efficace en matière de migration appelle à une action coordonnée, collaborative à tous les niveaux des gouvernements et entre eux. Si nous prenons les défis un par un, ils pourront être résolus et le seront. L’année dernière, par exemple, j’ai demandé aux parties prenantes d’examiner la situation des migrants touchés par les crises aiguës, comme les conflits civils ou les catastrophes naturelles ou causées par les activités humaines. Mon initiative a inspiré les États à prendre des mesures. En particulier, les États-Unis et les Philippines ont proposé de diriger une initiative visant à créer un cadre d’action pour venir en aide aux migrants lorsque des crises aiguës surviennent. Des experts indépendants, la société civile, l’OIM et le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme les ont rejoints, ainsi que d’autres États.
Cette question n’est pas la seule question importante à laquelle nous sommes confrontés, mais c’est un problème pour lequel nous pouvons envisager des solutions réelles, pratiques, car la coopération mondiale est nécessaire pour traduire les paroles en actes. Elle élargit les discussions au-delà du cadre strict de la migration et du développement, de la même manière que le Forum mondial a catalysé la coopération internationale. Elle nécessite une coordination plus complexe qui englobe non seulement les organisations internationales, mais principalement les États, les employeurs et la société civile.
Nous devons relever de nombreux défis de ce type. Notre réussite ouvrira la voie à d’autres réussites et à une plus grande confiance, atténuant le point de vue selon lequel les questions liées à la migration sont reléguées au deuxième plan. Elle nous permettra aussi de répondre plus efficacement aux craintes légitimes du public concernant les changements apportés par la migration. J’invite instamment les États à prendre part au Dialogue de haut niveau, prêts à s’engager dans un débat vigoureux sur les problèmes et les opportunités liés à la migration, car nous avons la détermination et le savoir pour le faire.
Nous devons travailler sans relâche à partir de la base pour résoudre les problèmes liés à la migration. De plus petits groupes d’États et de parties prenantes peuvent développer et tester des solutions aux problèmes communs qui pourraient ensuite devenir des normes mondiales. Cela pourrait permettre une action collective plus vaste. L’approche pratique ascendante et l’approche normative descendante ont un objectif commun : améliorer les résultats pour les migrants et nos sociétés.
La liste des défis auxquels nous sommes confrontés est impressionnante. Nous devons trouver les moyens de répondre aux besoins spécifiques des femmes qui représentent aujourd’hui la moitié de la population de migrants au monde; investir de manière équitable dans le développement des compétences; transférer les droits; faire des diasporas des acteurs du développement; réunir les données utiles; et créer des approches innovantes comme les visas à entrées multiples et l’assurance pour les migrants, pour ne citer que quelques exemples.
Même si nous relevions tous ces défis, ceux qui demeurent sont immenses. À la prochaine génération, nous devrons absolument rejeter l’idée que nous avons des citoyens de seconde zone dans nos sociétés; c’est une idée qui a ruiné des civilisations. Un enfant, où qu’il se trouve, ne doit jamais être considéré comme un clandestin ou placé en détention. Aucun homme ni aucune femme ne devrait être emprisonné pour migration illégale – certainement pas dans les conditions qui violent ses droits de base. Nous sommes au seuil d’une nouvelle ère de coopération internationale en matière de migration, et le Dialogue de haut niveau est notre chance de le franchir.
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