Le contrôle des armes nucléaires jusqu'à ce jour
Cela fait près de 65 ans que la première bombe nucléaire a été fabriquée, et pourtant les armes nucléaires ont été utilisées en temps de guerre seulement à deux occasions, à Hiroshima et à Nagasaki. Les horreurs d'une vaste guerre nucléaire nous ont donc été épargnées pendant cette période où plus de 130 000 armes nucléaires ont été fabriquées. C'est un fait peu banal dans l'histoire de l'humanité : des armes fabriquées en grand nombre et jamais utilisées. Comment en sommes-nous arrivés là ? Premièrement, les deux grandes puissances nucléaires et les autres États nucléaires de plus petite taille ont pris des décisions judicieuses concernant le contrôle des armes nucléaires et de la restriction de leur utilisation. La dissuasion a donc été efficace, même si la crise des missiles de Cuba en 1962 et d'autres crises de moindre importance (par ex. en 1973) ont frôlé la catastrophe. En outre, la dissuasion nucléaire a marché et continue de marcher sur la base de la capacité de chaque puissance nucléaire à réagir rapidement dès la détection d'une d'attaque nucléaire. Il s'agit de réagir avant que l'ennemi ne détruise les missiles nucléaires stockés dans ses silos. Avec ce système, appelé état d'alerte nucléaire ou « lancement sur alerte », de nombreuses fausses alertes ont failli déclencher une guerre nucléaire accidentelle. Parmi les facteurs qui ont épargné à l'humanité les horreurs d'une guerre nucléaire, on peut citer la chance : personne n'a pris de mauvaises décisions aux moments critiques et les erreurs et les défaillances ont pu être rectifiées à temps.
Nous savons que la probabilité d'une catastrophe dépend du nombre d'incidents : plus ils sont élevés, plus la catastrophe est probable. Dans notre cas, la probabilité d'une guerre nucléaire dépend clairement du nombre de crises susceptibles de provoquer une guerre nucléaire et du nombre de défaillances techniques des systèmes de contrôle nucléaire, qui eux-mêmes dépendent du nombre d'arsenaux nucléaires existants, du nombre d'armes nucléaires stockées dans ces arsenaux et du nombre de personnes ayant accès au bouton nucléaire.
Nous avons pu éviter une catastrophe nucléaire grâce au fait que, contrairement à ce qu'on pensait au début des années de l'âge nucléaire, la plupart des nations n'ont pas acquis l'arme nucléaire, c'est-à-dire que la prolifération a été contenue.
Le régime de non-prolifération
L'instrument de base qui a permis de contenir la dissémination des armes nucléaires est le Traité de non-prolifération des armes nucléaires (TNP) de 1968, considéré comme la pierre angulaire de la stabilité nucléaire. Le TNP fait la distinction entre les États dotés de l'arme nucléaire (EDAN) (États qui ont effectué un essai nucléaire avant 1967) et les autres États qui, pour être membres du TNP, doivent être des États non dotés de l'arme nucléaire (ENDAN). Les trois aspects du Traité sont :
Le principe de non-prolifération. Les États non dotés de l'arme nucléaire s'engagent à ne pas en acquérir ou à en rechercher le contrôle, tandis que les États dotés de l'arme nucléaire s'engagent à ne pas transférer leurs armes nucléaires ou leurs pièces détachées à d'autres. De plus, tous les États parties au Traité doivent s'engager à ne pas transférer les matières fissiles aux États non dotés de l'arme nucléaire.
Le principe du désarmement. Les parties au Traité, et en particulier les États dotés de l'arme nucléaire, s'engagent à négocier de bonne foi afin de lancer la première étape du désarmement nucléaire et l'arrêt de la course aux armements nucléaires.
Le principe d'accès à la technologie nucléaire à des fins pacifiques. Toutes les parties au TNP ont le droit de développer l'énergie nucléaire à des fins pacifiques et de coopérer dans ce but avec d'autres États.
Avec la fin de la guerre froide, un effort important a été mené vers un désarmement nucléaire. Entre la deuxième moitié des années 1980 et le début des années 1990, les États-Unis et la Fédération de Russie ont considérablement réduit la taille de leurs arsenaux. De plus, bien avant la fin de la guerre froide, les États non dotés de l'arme nucléaire avaient décidé de ne pas en acquérir. Le nombre de pays possédant l'arme nucléaire est donc resté inchangé : il s'agissait des cinq membres permanents du Conseil de sécurité et - non officiellement - d'Israël. L'accident de Tchernobyl en 1986 a donné une image négative à l'activité nucléaire civile et, pendant un certain temps, l'énergie nucléaire et les risques de prolifération liés au cycle du combustible nucléaire ont été relégués au second plan, ainsi que la dissémination de la technologie de l'énergie nucléaire. Le TNP a fait l'objet d'une extension illimitée en 1995, contribuant à ce qui semblait être une perspective dynamique de non-prolifération et de désarmement.
La gestion du désarmement et de la non-prolifération au cours des vingt dernières années
Au milieu des années 1990, le TNP a connu des changements considérables. Premièrement, la Fédération de Russie et les États-Unis ont littéralement gelé leur programme du désarmement, le dernier traité signé laissant 1 700 à 2 200 armes stratégiques déployées de chaque côté, ainsi que d'autres armes nucléaires qui avaient été retirées, mais pas détruites. De leur côté, les autres puissances nucléaires de moindre envergure, la République populaire de Chine, la France et le Royaume-Uni, n'ont pas honoré leurs promesses en matière de désarmement nucléaire complet. Il existait et il existe toujours environ 25 000 armes nucléaires dans le monde. En 1998, deux nouveaux pays sont devenus des puissances nucléaires « non officielles », l'Inde et le Pakistan. Ensuite, la République populaire démocratique de Corée (RPDC) s'est retirée du TNP et a effectué son premier essai nucléaire.
De plus, certaines initiatives importantes - comme l'adoption du Traité d'interdiction complète des essais (TICE) interdisant les essais nucléaires qui empêchait le développement de nouveaux types d'armes nucléaires - ne se sont pas concrétisées, ce qui a donné à penser que la période du désarmement nucléaire était terminée. D'autres mesures importantes (dites les 13 étapes pratiques) visant à renforcer le désarmement nucléaire ont été débattues et approuvées lors de la Conférence d'examen du TNP en 2000, mais n'ont pas été mentionnées dans la Conférence d'examen du TNP en 2005 qui s'est conclue sans document final. Enfin, l'énergie nucléaire civile a connu un regain d'intérêt dans diverses parties du monde. Le contrôle efficace visant à prévenir le détournement de la technologie civile à des fins militaires est devenu une question de plus en plus pertinente; l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), située à Vienne, a élaboré des contraintes plus strictes pour les pays qui développaient des programmes d'énergie nucléaire civile, notamment le protocole additionnel2 qui a eu un succès limité. De nombreux pays contribuant impliqués dans les risques de prolifération ont refusé de le signer. Un pays spécifique a fait l'objet d'un examen attentif et a été accusé d'avoir entrepris illicitement des activités liées au cycle du combustible nucléaire en vue de la fabrication d'armes nucléaires.
L'article VI du TNP stipule non seulement le désarmement nucléaire en tant qu'objectif final, mais aussi la poursuite des négociations en vue d'un arrêt rapide de la course aux armements parmi les puissances nucléaires, en tant que mesure intermédiaire. Pourtant, nous avons vu au cours des vingt dernières années des signes préoccupants de recul du régime de contrôle des armes tel que nous le connaissons. La cessation du Traité sur les systèmes antimissiles balistiques (ABM); la menace par la Russie de se retirer du Traité sur les Forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI) en réponse aux nouvelles propositions américaines de déployer des systèmes de défenses antimissiles en Europe et les capacités accrues des missiles à moyenne portée dans de nombreux pays asiatiques portent un coup dur au régime de contrôle des armes.
On comprend donc pourquoi beaucoup considèrent que le TNP est de plus en plus menacé.
Aucun pays ne soutient la prolifération nucléaire. Aucun gouvernement ne soutient l'idée d'augmenter le nombre d'États dotés de l'arme nucléaire, mais les pays peuvent individuellement décider qu'ils ont besoin de posséder des armes nucléaires.
De plus, des différences apparaissent entre les pays sur le respect des obligations de non-prolifération et leurs points de vue divergents sur la menace posée par les différents cas de prolifération.
Les pays peuvent décider d'acquérir des armes nucléaires pour deux raisons fondamentales :
1. La présence d'une menace extérieure, en particulier mais pas exclusivement, quand cette menace est représentée par des États dotés de l'arme nucléaire (officiels ou de facto).
2. Le prestige et la puissance que confèrent ces armes.
Jusqu'ici, le TNP est parvenu à empêcher que les pays acquièrent des armes nucléaires en évoquant, bien que de façon imparfaite, ces deux motivations ci-dessus. Le principe de non-prolifération du TNP permet de créer un environnement partiellement exempt de menaces nucléaires, tandis que le principe de désarmement vise à diminuer à la fois la pertinence des armes nucléaires et le prestige associé à leur possession. Le TNP, tel qu'il existe, fait la distinction entre les EDAN et les ENDAN. La distinction a été établie à titre temporaire, car il a toujours été évident que le seul moyen de réaliser un équilibre stable était de résoudre cette distinction en éliminant les armes nucléaires, c'est-à-dire en les rendant illégales, comme c'est le cas pour les armes chimiques et biologiques. Il est primordial d'atteindre cette stabilité pour réaliser des progrès concrets et continus vers un désarmement nucléaire.
Le manque d'initiatives de désarmement par les États dotés de l'arme nucléaire n'a pas été le seul responsable de l'érosion du régime de non-prolifération. L'un des problèmes les plus importants auquel est confronté le TNP est que certains de ces États nucléaires, notamment les États-Unis, ont contourné le TNP, tout en reconnaissant son rôle. Dans leur lutte contre la prolifération, ils ont adopté une approche unilatérale qui comprenait les points suivants :
♦La prolifération nucléaire menace le système actuel des relations internationales, mais des différences importantes doivent être prises en compte en fonction des États qui acquièrent de facto les armes nucléaires ou essaient de les acquérir. Certains États représentaient un risque sérieux de prolifération, d'autres moins. Les États relativement plus sûrs, comme Israël et l'Inde, ont été bien sûr traités très différemment des autres.
♦Les progrès en matière de désarmement nucléaire n'ont pas semblé avoir une influence sur la décision d'un autre pays d'acquérir ou non des armes nucléaires. Une référence symbolique a été faite aux succès précédents de désarmement, qui a très peu influé sur les décisions politiques devant être prises.
♦La lutte contre la prolifération a été principalement fondée sur la limitation et la répression des pays jugés à la fois des proliférateurs hostiles ou potentiels. Les instruments de répression allaient des sanctions diverses à la guerre (préventive).
♦La nécessité de contrôler les matières fissiles et d'empêcher qu'elles soient illégalement utilisées par les pays proliférateurs potentiels ou des terroristes a été reconnue en principe, bien que la place actuelle que ces derniers occupent sur la liste des priorités pour empêcher la propagation des armes nucléaires ait fait l'objet de discussions.
Examinons de plus près les tendances décrites ci-dessus et leurs conséquences. On ne peut sous-estimer le ressentiment suscité par la différence de traitement réel ou perçu comme injuste entre les pays et les conséquences politiques qui en ont résulté. Aucune pression n'a jamais été exercée sur Israël pour qu'il renonce à la possession de ses armes nucléaires. L'Inde et le Pakistan ont subi des sanctions, qui ont été ensuite retirées, mais c'est l'Inde qui a obtenu le résultat avec « l'accord nucléaire entre les États-Unis et l'Inde ». La RPDC, qui s'est retirée du TNP, est sous le coup de sanctions. Alors que nous ne pouvons pas nier que l'inégalité de ces traitements est motivée par des raisons valables, l'impression générale est que le désarmement nucléaire n'ést plus un idéal ou une valeur partagée par la communauté internationale et est devenu l'un des nombreux instruments d'une politique étrangère partisane. Nous devrions nous rappeler que le TNP à l'origine ne visait pas à inclure seulement les pays qui avaient des objectifs communs en politique étrangère, mais était plutôt un accord entre les pays qui avaient des points de vue différents, voire antagonistes sur le monde, et qui acceptaient certaines contraintes communes en matière d'armes nucléaires.
Alors qu'il n'existe pas de corrélation immédiate entre le rythme du désarmement nucléaire engagé par les grandes puissances nucléaires et le développement des ambitions nucléaires parmi les États non dotés de l'arme nucléaire, il est aussi vrai que si une tendance générale au soutien du désarmement nucléaire est établie, l'environnement mondial est moins menaçant pour les proliférateurs potentiels, et il leur est plus difficile d'acquérir l'arme nucléaire sans perdre de leur crédibilité et de leur influence. Même si l'insuffisance du désarmement n'est pas une motivation à la prolifération, elle l'encourage néanmoins. En d'autres termes, si les puissances nucléaires continuent à dire aux autres « faites ce que je dis, mais pas ce que je fais », il n'y a aucune garantie que ce message soit écouté indéfiniment.
Il pourrait même être nécessaire de créer un environnement où les pays puissants imposent des contraintes de non-prolifération indépendantes et autonomes pour limiter le transfert de la technologie et des matières nucléaires dangereuses. Le rôle complémentaire entre les pays individuels et les institutions internationales dans la lutte contre la prolifération pourrait alors être souhaitable (voir l'Initiative de sécurité contre la prolifération ou la résolution 1540 du Conseil de sécurité). Des problèmes se posent quand la campagne en faveur de la non-prolifération sert d'excuse pour imposer des sanctions ou mener une guerre contre un pays qualifié de pays du mal ou quand l'objectif principal n'est pas de mettre fin à la prolifération, mais d'amener un changement de régime. Les problèmes s'intensifient si l'intervention ne conduit pas au rétablissement de la paix et de l'ordre mais entraíne des troubles civils. Même s'il serait trop long d'examiner la complexité du problème lié au dernier conflit en Irak, nous voulons souligner que du point de vue de la prolifération nucléaire, la guerre en Irak a eu comme effet de réduire considérablement l'importance de la question de la non-prolifération, la réduisant à une simple excuse pour atteindre un autre objectif. Cette guerre a également envoyé deux autres messages : le premier, c'est que les grandes puissances peuvent contourner les institutions internationales comme l'ONU; et le second, que les pays qui sont très proches d'acquérir des capacités nucléaires militaires sont beaucoup moins dans le collimateur que les pays qualifiés de pays du mal qui sont loin de les acquérir. Cette attitude crée une incitation à la prolifération nucléaire.

La perspective actuelle en matière de gestion de la non-prolifération et du désarmement
Depuis 2008, et plus tard avec la nouvelle administration américaine, une approche différente a vu le jour dans le domaine du désarmement et de la prolifération. Un groupe de quatre anciens responsables américains de haut niveau ont publié un article dans le Wall Street Journal3 lu par un grand nombre de personnes, suivis par des hommes politiques de pays européens4, lançant un appel en faveur du désarmement nucléaire. « Je souligne avec conviction l'engagement de l'Amérique à œuvrer à la recherche de la paix et de la sécurité d'un monde sans armes nucléaires », a ensuite déclaré le président Barack Obama. Il a aussi rappelé l'objectif du TNP : « Les pays dotés d'armes nucléaires s'engageront à prendre des mesures dans la voie du désarmement, les pays non dotés de ces armes à ne pas les acquérir, et tous les pays peuvent avoir accès à l'énergie nucléaire pacifique5. » Aujourd'hui, l'administration américaine manifeste un intérêt marqué à reprendre le dialogue avec la Russie sur Traité sur la réduction des armes stratégiques (START) et à faire des progrès en matière de contrôle des armements et de désarmement.
On attend donc beaucoup de la Conférence d'examen du TNP en 2010. Soit il sera clairement établi que les trois aspects fondamentaux du TNP devront être rigoureusement respectés, c'est-à-dire que le désarmement doit être accompagné du respect des obligations de non-prolifération et que l'aide pour développer l'énergie nucléaire peut être obtenue sans restrictions ou discrimination excessives, mais dans un cadre d'une surveillance et d'un contrôle des activités nucléaires efficaces, soit le régime de non-prolifération risque d'être remis en cause. La communauté internationale entière et en particulier les grandes puissances, comme le G-8, devraient prendre des mesures pour préserver l'intégrité du TNP et renforcer sa mise en œuvre, comme le président Obama l'a indiqué dans son discours de Prague.
Vous trouverez ci-après une liste des problèmes qui devraient ou pourraient être examinés ainsi qu'une série de mesures que la communauté internationale entière devrait prendre avant la tenue de la Conférence d'examen du TNP en 2010. Il est clair que les responsabilités des divers États varient en fonction de leurs programmes militaires ou civils nucléaires. Par exemple, la réduction des armes des États-Unis et de la Fédération de Russie concerne seulement ces deux États. Il est toutefois important que les actions concrètes visant à promouvoir le désarmement et à réduire la prolifération soient incluses dans un cadre renforçant toutes les obligations liés au TNP. Tous les pays pourraient et devraient y contribuer.
♦Les États dotés de l'arme nucléaire devraient réduire leur arsenal nucléaire au strict « minimum ». Cette idée à été déjà clairement évoquée par les présidents des États-Unis et de la Fédération de Russie. Dans ce domaine, certaines des décisions concrètes à prendre seront claires lors des discussions visant à remplacer le Traité START. La réduction des armes nucléaires pose le problème du rôle ou de l'importance des armes nucléaires dans la planification militaire. Il faut donc réduire le rôle des armes nucléaires dans la planification militaire. De plus, il faudrait réduire l'état d'alerte des armes nucléaires : aucune arme nucléaire ne devrait être lancée dans les minutes qui suivent la notification d'un lancement de missiles. Il est aussi important que jamais d'éviter de déclencher une guerre nucléaire consécutive à une erreur de jugement.
♦Le développement de la Défense antimissiles balistiques devrait être soigneusement examiné. Si l'efficacité de ces systèmes est, comme il le semble, très douteuse, les pays devraient se pencher de plus près sur les conséquences politiques et stratégiques de leur déploiement. Cela ne vaut pas la peine de compromettre la réduction des armes nucléaires et les accords passés sur le contrôle des armes par le déploiement de systèmes de défense d'une efficacité douteuse.
♦Les armes nucléaires tactiques devraient être ajoutées à la liste des armes nucléaires à réduire ou à éliminer.
♦Les armes éliminées devraient être détruites ou démantelées. Elles ne devraient pas être stockées dans des dépôts et prêtes à être utilisées au cas où il faudrait de nouveau augmenter les arsenaux nucléaires.
♦Le problème des armes nucléaires déployées dans d'autres territoires et d'autres pays devrait être soigneusement examiné. Les États-Unis sont le seul pays à déployer des armes nucléaires dans d'autres pays : en Allemagne, en Belgique, en Italie, aux Pays-Bas et en Turquie. D'autres puissances nucléaires officielles ou de facto pourraient décider de suivre leur exemple, ce qui pourrait créer des situations très dangereuses. Il semble donc raisonnable d'interdire le déploiement des armes nucléaires dans d'autres pays avant que de nouveaux risques apparaissent. ♦L'OTAN devrait réduire l'importance du rôle des armes nucléaires dans sa planification et sa stratégie militaires.
♦L'entrée en vigueur du TICE est liée à la ratification de 44 pays spécifiques (Annexe 2 du Traité). Elle enverra un signal fort à la communauté internationale selon lequel il ne sera plus possible de poursuivre la modernisation des armes nucléaires. L'inde, le Pakistan et la RPDC devraient signer et ratifier l'Annexe 2. La Chine, l'Égypte, l'Indonésie, l'Iran, Israël et les États-Unis devraient ratifier le Traité. La nouvelle administration américaine soutient clairement la ratification du TICE, mais peut rencontrer des réticences au Sénat, le processus de ratification nécessitant une majorité qualifiée. La communauté internationale devrait encourager les pays de l'Annexe 2 restants à signer et à ratifier le TICE. De leur côté, les États dotés de l'arme nucléaire devraient assurer que les activités techniques pour maintenir la fiabilité des armes n'interfèrent pas avec le TICE. C'est techniquement possible et la question de la fiabilité des têtes nucléaires ne devrait pas être une raison pour différer ou contourner le TICE.
♦Un autre instrument important pouvant faire progresser l'agenda du désarmement nucléaire est le Traité sur l'arrêt de la production des matières fissiles qui interdira la production des nouvelles matières fossiles à des fins militaires.
♦Il est évident que quelle que soit la taille de leur arsenal, les cinq pays nucléaires (États-Unis, Fédération de Russie, Chine, France et Royaume-Uni) ont une responsabilité légale et politique à promouvoir le désarmement et doivent prendre des mesures pour réduire leurs armes et leur utilisation.
♦Les États dotés de l'arme nucléaire qui ne sont pas signataires du TNP (Inde, Israël et Pakistan) et la RPDC devraient être conduits à prendre les mesures appropriées pour diminuer le rôle des armes nucléaires ainsi que leur nombre et signer tous les accords possibles sur le contrôle des armes compatibles avec leur statut de non-membres du TNP, à renforcer le contrôle strict des matières nucléaires, respectant tous les accords pertinents avec l'AIEA, et finalement à adhérer au TNP.
♦Enfin, la création de nouvelles zones exemptes d'armes nucléaires et l'expansion des anciennes sont un instrument important permettant d'empêcher l'introduction d'armes nucléaires dans certaines zones. Malgré les difficultés évidentes, il faut poursuivre les efforts menés pour créer une zone exempte d'armes nucléaires dans la région du Moyen-Orient.
L'utilisation possible des armes nucléaires par des terroristes est débattue depuis un certain temps. Heureusement, jusqu'à présent les terroristes n'ont pas mis la main sur ces armes ni ont été capables de fabriquer un dispositif explosif nucléaire6. La bonne stratégie pour faire face au terrorisme nucléaire potentiel est de réduire les risques. Premièrement, en exerçant un contrôle sur toutes les matières fissiles et en éliminant les matières fissiles en excès provenant du démantèlement des armes (c-à-d. le mélange de l'uranium très enrichi en excès et l'élimination et/ou l'utilisation des mélanges d'oxyde en excès et de plutonium). Deuxièmement, il est important que tous les États s'entendent, quelle que soit leur orientation politique, pour contrôler la quantité de matières fissiles produites en appliquant les garanties disponibles les plus strictes. En ce qui concerne ces deux points, la communauté internationale est à la traíne. Il reste une grande quantité de matières fissiles en excès à éliminer, principalement dans la Fédération de Russie (environ 20 ans après le Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire), et comme il a été mentionné ci-dessus, le consensus international sur de nouvelles mesures strictes visant à contrôler les activités nucléaires est encore relativement limité, le contrôle international (par l'AIEA) ne concernant pas de toute façon les matières fissiles à des fins militaires. Les causes de cette situation sont multiples, allant des problèmes commerciaux, qui ont ralenti l'élimination des matières fissiles en ex-Union soviétique, au sentiment que des garanties strictes sont parfois un instrument de discrimination plutôt qu'un instrument visant à assurer la sécurité de chaque pays. Sans un effort important - à la fois technique et diplomatique - pour contrôler et éliminer les matières fissiles, la menace du terrorisme nucléaire n'est pas près de disparaítre. Encore une fois, il faut espérer que la nouvelle administration américaine sera sensible à l'argument en faveur du contrôle et de la protection des matières nucléaires pour éviter qu'elles ne soient détournées à des fins terroristes, mais cette lourde responsabilité n'incombe pas seulement aux États-Unis, mais aussi à la communauté internationale entière.
La dernière question que je voudrais aborder est celle de la prévention de la prolifération. Comme je l'ai dit plus haut, une lutte efficace contre la prolifération nucléaire va de pair avec un progrès réel dans la voie du désarmement. Il faut aussi comprendre que la lutte contre la prolifération nucléaire sera plus efficace si les contraintes requises pour mettre en vigueur le contrôle et la surveillance des activités nucléaires sont perçues comme un instrument impartial exigé par la communauté internationale, et non pas comme un instrument visant à discriminer les pays en fonction de leur orientation politique ou stratégique. Comme nous l'avons déjà dit, le TNP a été conçu comme un accord entre des États qui ont une vision du monde très différente. Dans le cadre de ce traité, les États-Unis ont coopéré avec l'URSS afin d'empêcher la dissémination des armes nucléaires et, depuis quelque temps, afin de réduire considérablement la taille des arsenaux. La diversité des points de vue n'a pas empêché le TNP de fonctionner : cela devrait être vrai même aujourd'hui où les États qui s'opposent aux États-Unis ne sont pas aussi puissants que ne l'était l'URSS, mais résistent en général aux pressions.
L'impartialité et la non-discrimination (au-delà de la discrimination acceptée entre les États nucléaires et les États non nucléaires, telle qu'elle est définie par le TNP) devraient être l'élément essentiel du maintien et de l'amélioration du régime de non-prolifération. Afin d'améliorer la sécurité collective dans le domaine nucléaire, il est urgent de revoir les garanties et les contraintes mises en place en matière de production de matières fissiles. Le protocole additionnel n'ayant pas encore été adopté par un nombre suffisant d'États, il faudrait établir un contrôle international plus strict sur la production des matières fissiles à des fins civiles. De nouvelles idées ont été proposées par l'AIEA qui vont dans ce sens, en particulier en ce qui concerne l'internationalisation du cycle du combustible nucléaire, mais cela ne suffit pas. L'adhésion universelle à l'AIEA pourrait facilement être obtenue, étant donné que même les pays qui n'ont pas signé le TNP sont membres de l'AIEA. De plus, il n'y a aucune raison objective pour que tous les pays qui sont membres de l'AIEA ne soient pas incités à signer et à ratifier le protocole additionnel et d'autres mesures strictes, sans exception.
L'AIEA devrait être renforcée et en mesure d'assumer une tâche de plus en plus vaste et exigeante en matière de contrôle des activités nucléaires.
La question des violations présumées des règles de non-prolifération a été évoquée dans le passé et elle le sera probablement encore. Le principe devrait être clair : les violations devraient entraíner des sanctions afin de corriger le comportement qui est à l'origine des violations. Les auteurs de violations ne devraient plus être autorisés à tirer parti des avantages que confère l'adhésion au TNP en matière d'accès à la technologie nucléaire civile, et le recours à la force pourrait être envisagé. Des problèmes se posent quand les sanctions sont injustes, quand la « justice internationale » est peu crédible et quand d'autres controverses politiques ou stratégiques interviennent dans la définition des violations présumées des règles de non-prolifération. Il est probablement préférable d'adopter une approche souple que d'exercer de fortes pressions, mais il n'y a pas de règle générale. Le dialogue peut parfois être très difficile, mais il peut aider, et devrait être le principal instrument pour résoudre les différends. L'efficacité des sanctions dépend de nombreux facteurs : les importantes sanctions à long terme, par exemple, sont généralement moins efficaces, les pays ayant tendance à s'adapter à une série de sanctions prolongées. L'isolement qui en découle favorise les attitudes nationalistes et évince le pouvoir politique et économique de la scène internationale. De plus, les régimes autoritaires tendent à se renforcer et s'ils sont déterminés à fabriquer des armes nucléaires ou de destruction massive, les sanctions ne font qu'encourager leurs ambitions nucléaires.
La force militaire a été récemment utilisée contre des pays soupçonnés de violer les règles de non-prolifération. Quelle que soit la légitimité de ces actions, cela a été un échec. Généralement, il est vrai que certaines actions militaires peuvent ralentir la fabrication d'armes nucléaires ou de destruction massive en détruisant des infrastructures ciblées, mais que se passe-il ensuite ? Si après la destruction d'infrastructures nucléaires spécifiques, le pays est capable de remettre le programme en route, rien n'aura alors été « obtenu », si ce n'est un temps de répit. Si la pression militaire sur ce pays va au-delà de la destruction des centrales nucléaires, on voit avec l'exemple de l'Irak les problèmes inextricables que cela a posés.

ConclusionsDans la perspective de la Conférence d'examen du TNP en 2010, il est nécessaire de renforcer les trois aspects du TNP : le désarmement nucléaire, la non-prolifération et l'aide aux membres du TNP dans le développement des programmes nucléaires civils. Tous les États dotés de l'arme nucléaire doivent poursuivre le désarmement nucléaire d'une façon transparente. De plus, il faudrait rénover les systèmes de surveillance du nucléaire civil, sans apporter une discrimination supplémentaire à celles qui existent déjà dans le TNP. Le développement de l'énergie nucléaire devrait se faire dans un cadre qui doit garantir et renforcer la sécurité de tous et promouvoir le sentiment de responsabilité collective.
Il incombe clairement aux pays les plus développés de guider la communauté internationale vers un environnement plus coopératif et moins discriminatoire, où le risque d'une guerre nucléaire sera considérablement réduit et finalement réduit à zéro. Les armes nucléaires devraient bientôt être déclarées illégales comme le sont toutes les autres armes chimiques et biologiques de destruction massive. À cette fin, il faudra créer une convention sur les armes nucléaires semblable à la convention sur les armes chimiques et biologiques. Il faut que les pays indiquent de manière claire et sans équivoque qu'ils vont dans cette direction.
Cet article est une adaptation d'une présentation préparée par l'ISPI (Istituto Studi Politica Internazionale) de Milan (Italie) et publiée pour la premiére fois dans la Chronique de l'ONU.


Notes1. Le protocole additionnel : http://www.iaea.org/Publications/Documents/Infcircs/1997/infcirc540c.pdf2. Kissinger, Nunn, Perry, Schultz : http://online.wsj.com/article/SB120036422673589947.html?mod=opinion_main_commentaries3. Douglas Hurd, Malcolm Rifkind, David Owen et George Robertson, « Start worrying and learn to ditch the bomb » The Times (Londres), 30 juin 2008 (http://www.timesonline.co.uk/tol/comment/columnists/guest_contributors/article4237387.ece ) F.Calogero, M. DíAlema, G. Fini, G. La Malfa, A. Parisi, « Towards a Nuclear-Weapon-Free World », Il Corriere della Sera, 24 juillet 2008. Helmut Schmidt (SPD), ancien Chancelier de l'Allemagne, Richard von Weizsäcker (CDU), ancien Ministre des affaires étrangères, Hans-Dietrich Genscher (FDP) et l'homme politique du SPD Egon Bahr, Frankfurter Allgemeine Zeitung et International Herald Tribune, 9 janvier 2009. Field Marshal Lord Bramall, General Lord Ramsbotham, General Sir Hugh Beach, « UK does not need a nuclear deterrent: Nuclear weapons must not be seen to be vital to the secure defence of self-respecting nations », Letter, The Times (Londres), 16 janvier 2009 (http://www.times
online.co.uk/tol/comment/letters/article5525682.ece) 4. Discours de Prague http://www.huffingtonpost.com/2009/04/05/
obamaprague-speech-on-nu_n_183219.html5. Il y a souvent confusion souvent entre une bombe sale (qui entraíne la dispersion de matières nucléaires dans l'atmosphère) et un dispositif nucléaire explosif où l'explosion est causée par une réaction nucléaire en chaíne. Nous examinons seulement la possibilité que les terroristes acquièrent ou fabriquent des dispositifs nucléaires explosifs.