La promotion des droits de l'homme comme contre-culture Les droits de l'homme sont des droits que les êtres humains revendiquent auprès de l'État et de la société. Pourtant, ces droits ont été continuellement bafoués partout dans le monde. Toutes les civilisations ayant été patriarcales1, quelle que soit la situation générale des droits de l'homme dans une société, les femmes plus que les hommes ont été victimes des violations des droits de l'homme. Les femmes constituent les groupes les plus pauvres et les plus démunis de leur communauté. On leur nie l'accès à l'éducation, à la formation professionnelle, à l'emploi, aux loisirs, aux revenus, à la propriété, aux soins de santé, aux fonctions publiques, à la prise de décision, aux libertés, ainsi qu'au contrôle de leur propre corps et de leur propre vie2. Les normes culturelles, les lois et les philosophies, notamment celles qui sont considérées progressistes et émancipatrices, sont généralement discriminatoires à l'égard des femmes.
ABSENCE DES FEMMES
La notion du droit naturel chez les Stoïciens, selon laquelle les êtres humains dont dotés de certains droits inaliénables à la naissance, n'a pas inclus les femmes. Quand le chef de l'Église chrétienne, saint Thomas d'Aquin (1225-1274), a étudié la philosophie grecque - en grande partie par le biais des écrits des philosophes musulmans Avicène (Inn Sina, 980-1037) et Averroès (Inb Rushd, 1126-1198) qui ont étudié la philosophie grecque, ont réconcilié la raison et la foi et se sont faits les champions de l'égalité et de la tolérance religieuse - il a intégré la théorie des droits naturels dans son enseignement. Il n'a toutefois pas repris la thèse égalitaire d'Averroès qui s'opposait au traitement inégal des sexes considérant que réduire le rôle des femmes à la procréation et les exclure de la société était nuisible au progrès économique de la société et entraínait la pauvreté3. Au contraire, saint Thomas d'Aquin a adopté la conception misogyne d'Aristote selon laquelle la femme est un « mâle manqué » et s'est demandé pourquoi Dieu avait créé la femme, cet être défectueux, dans la création des choses4, tandis que d'autres Pères de l'Église se sont demandé si les femmes avaient une âme, c'est-à-dire si elles étaient des êtres humains à part entière.
Plus tard, des philosophes modernes comme Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) ont défendu les libertés et les droits politiques mais rejeté la notion d'égalité des sexes. Au XVIIIe siècle, la ferveur révolutionnaire qui a combattu l'oppression a donné lieu à la Déclaration française des droits de l'homme et du citoyen (1789). Toutefois, la formulation des droits de l'homme dans ce document, qui continuera d'inspirer les peuples du monde entier pendant des siècles, est l'expression du sexisme qui prévalait alors et a omis les femmes. Quelques femmes de l'élite, comme la dramaturge et essayiste française Olympe de Gouges (1748-1793) et la philosophe anglaise Mary Wollstonecraft (1759-1797) ont objecté et ont défendu les droits des femmes en publiant respectivement la Déclaration des droits de la femme (1790) et la Défense des droits des femmes (1791). La collaboration d'Harriet Taylor Mill (1807-1858) et de son mari John Styart Mill (1806-1873) a donné lieu à des écrits qui défendent les droits de femmes et l'égalité politique5.
Pourtant, les préjugés à l'égard des femmes ont prévalu durant le XXe siècle. Même les membres de la Commission qui ont rédigé le projet de Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 ont approuvé l'emploi du terme « homme » pour désigner le détenteur des droits. Quand le délégué soviétique, Vladimir Korestsky, a critiqué l'emploi de l'expression « tous les hommes » comme étant « un atavisme historique qui nous empêchait de comprendre que nous les hommes formions seulement la moitié de l'espèce humaine », la présidente de la Commission, Eleonor Roosevelt, a défendu la formule en disant : « Quand nous disons "tous les hommes sont des frères", nous voulons dire que tous les êtres humains sont des frères et nous ne faisons pas de distinction entre les hommes et les femmes6. » L'expression a donc été maintenue pendant un certain temps. Dans la plupart des cas, le projet final a adopté l'emploi de termes neutres comme « êtres humains », « quiconque » et « toute personne », et le Préambule a inclus une référence spécifique aux « droits égaux des hommes et des femmes » grâce, en grande partie, aux efforts de deux femmes membres de la Commission, Hansa Mehta (Inde) et Minerva Benardino (République dominicaine)7.
Cependant, la Déclaration universelle et les documents sur les droits de l'homme suivants adoptés par les Nations Unies et d'autres organisations intergouvernementales ont continué d'employer le pronom « il » conformément à la tradition selon laquelle le pronom masculin signifie et comprend le pronom féminin. Malgré leurs dispositions antidiscriminatoires clairement définies et fréquemment invoquées stipulant que le sexe en tant que caractéristique ou statut ne peut être utilisé à des fins discriminatoires ou de déni des droits de l'homme, les documents publiés par les Nations Unies n'ont pas réussi à garantir que les droits de l'homme soient applicables de manière égale aux deux sexes8. Même à l'ONU, les postes élevés étaient réservés aux hommes, les femmes étant cantonnées aux emplois administratifs peu rémunérés, perpétuant ainsi la ségrégation professionnelle. Toutefois, à partir des années 1970, des progrès importants ont été réalisés par plusieurs organisations intergouvernementales et non gouvernementales ainsi que par des organisations gouvernementales pour réduire les disparités entre les sexes.
LE CEDAW : UN TRAITÉ INTERNATIONAL POUR LES DROITS DES FEMMES
Une étape importante fut la résolution de l'Assemblée générale de l'ONU en décembre 1972, qui a déclaré 1975 l'Année internationale de la femme. En 1975, la première conférence mondiale de l'ONU sur les femmes, qui s'est tenue à Mexico, a proclamé 1976-1985 la Décennie des femmes des Nations Unies. D'importants efforts ont été déployés et un grand nombre de mesures ont été prises pendant la Décennie : davantage de conférences sur les femmes ont été organisées, des institutions spécialisées ont été créées, comme le Fonds de développement pour les femmes (UNIFEM) et l'Institut de recherche et de formation international pour la promotion de la femme (instraw), qui a promu le Service de la promotion de la femme au statut de « division » et placé les droits des femmes sur l'agenda d'autres conférences et organisations. L'événement le plus important de la Décennie fut, sans doute, la préparation de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW), qui a été adoptée par l'Assemblée en 1979.
La cedaw a été l'aboutissement d'un long processus, mais a connu une impulsion nouvelle en 1973 avec la Commission de la condition de la femme (CCF). Dans son dossier de travail, la Commission a déclaré que ni la Déclaration sur l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes (1967), ni les traités des droits de l'homme juridiquement contraignants n'avaient réussi à améliorer la situation des femmes. Elle a également plaidé pour la convocation d'une seule convention générale qui contraindrait les États à éliminer les lois discriminatoires ainsi que la discrimination de fait. Composée de 30 articles divisés en six parties, la cedaw définit la « discrimination à l'égard des femmes » dans le premier article comme suit : « Aux fins de la présente Convention, l'expression "discrimination à l'égard des femmes" vise toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le sexe qui a pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire la reconnaissance, la jouissance ou l'exercice par les femmes, quel que soit leur état matrimonial, sur la base de l'égalité de l'homme et de la femme, des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social, culturel et civil ou dans tout autre domaine. »
Les 15 articles suivants de la Convention (articles 2 à 16) spécifient les domaines de discrimination, le domaine juridique, la structure légale, la vie politique et publique, l'éducation, l'emploi, la santé, l'environnement rural, le mariage et la famille, où les États doivent s'engager à prendre des mesures pour éliminer la discrimination. Les deux dernières parties (articles 17 à 30) sont consacrées à la mise en œuvre de la Convention. « Aux fins d'examiner les progrès réalisés dans l'application de la présente Convention », l'Article 17 établit le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes ou cedaw, un organe de surveillance et de conseils. Le Comité évalue les rapports soumis périodiquement par les États parties, interroge les délégations gouvernementales qui présentent le rapport, guide et conseille les États parties pour atteindre l'objectif de la Convention et formule des recommandations générales qui aident à interpréter l'objet et la portée de la Convention.
Les recommandations générales formulées par le Comité ont été importantes pour élaborer les clauses de la Convention et attirer l'attention sur les violations des droits de l'homme fondées sur le sexe ainsi que sur les comportements et les pratiques qui portent atteinte à la dignité des femmes. En mettant l'accent sur des questions comme la violence fondée sur le sexe, l'inégalité des salaires entre les hommes et les femmes occupant le même emploi, la sous-estimation et la sous-rémunération des travaux ménagers des femmes, la polygamie et d'autres pratiques maritales qui désavantagent les femmes et portent atteinte à leur dignité, les recommandations générales ont élargi la portée de la CEDAW et en a fait un document vivant. En d'autres termes, elles ont permis de rectifier certaines limites dans la formulation de la CEDAW , comme prendre les hommes comme une norme, en demandant aux États parties de veiller à ce que les femmes jouissent de droits « sur un pied d'égalité avec les hommes », ou ne pas faire explicitement référence à certaines violations dont les femmes font principalement l'objet.
La popularité de la CEDAW, attestée par le nombre important de ratifications, a été une initiative encourageante. Elle est entrée en vigueur le 3 septembre 1981, moins de deux ans après son adoption par l'Assemblée le 18 décembre 1979. Selon le Haut Commissariat aux droits de l'homme, au 15 février 2008, 185 pays sur les 192 États Membres sont devenus parties à la Convention. Toutefois, 78 pays (42 % des États parties) ont formulé des déclarations ou des réserves lors de la ratification, de l'accession ou de la succession, ce qui leur permet de limiter leurs obligations en vertu du traité9 . Faisant partie des instruments des droits de l'homme qui comptent le plus grand nombre de réserves10 , laCEDAW semble être « l'instrument des droits de l'homme le moins respecté par ses États parties11 ». Les réserves peuvent être levées à un stade ultérieur. À ce jour, 14 États ont levé leurs réserves et un nombre similaire a retiré ou modifié les réserves qui avaient été formulées pour certaines dispositions. Toutefois, il est peu probable que les réserves émises en vertu d'incompatibilités culturelles ou religieuses soient retirées de sitôt. Ces réserves minent « l'objet et l'objectif » du traité et le rendent inapplicable à toutes fins pratiques.
Les objections culturelles et religieuses aux dispositions peuvent être contestées par deux arguments : premièrement, on devrait faire remarquer que le régime des droits de l'homme des Nations Unies, y compris les régimes régionaux, s'attaquent essentiellement à certaines valeurs culturelles; et deuxièmement, même si des conflits peuvent exister entre les objectifs (par ex. la préservation de la culture versus l'élimination des normes culturelles discriminatoires) ou entre deux ou trois droits de l'homme (par ex. le droit des peuples à l'autodétermination versus les droits de l'homme), les régimes internationaux des droits de l'homme requièrent de résoudre ces conflits en réaffirmant les principes d'universalité et de d'égalité en dignité.
PROMOTION DES DROITS DE L'HOMME COMME CONTRE-CULTURE
Bien que la reconnaissance et le respect de certains droits énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l'homme figurent dans les références culturelles et les textes religieux de nombreuses communautés, les normes et les pratiques culturelles traditionnelles comprennent aussi de nombreuses clauses discriminatoires. La nouveauté de la Déclaration universelle et des documents des droits de l'homme suivants ne réside pas seulement dans son universalisme - la notion que tous les peuples détiennent certains droits du fait qu'ils sont des êtres humains - mais aussi dans son désir de mettre fin à toutes les formes de violations qui ont été autorisées dans les cultures existantes. En d'autres termes, les droits de l'homme internationaux suivent un schéma réactif : quand les violations sont signalées, les droits qui ont été violés dans les cultures dominantes sont inscrits dans les déclarations et les traités pour qu'ils soient protégés. Dans le cas des femmes, de nombreuses violations des droits humains et de nombreuses discriminations ont été non seulement autorisées par la culture mais aussi encouragées ou produites par les normes culturelles. C'est pourquoi la cedaw fait spécifiquement référence à la culture, ainsi qu'aux traditions et aux coutumes incarnées dans les cultures, et souligne la nécessité de changer les normes, les valeurs et les pratiques culturelles discriminatoires.
- Elle souligne que « le rôle traditionnel de l'homme dans la famille et dans la société doit évoluer autant que celui de la femme si on veut parvenir à une réelle égalité de l'homme et de la femme » (préambule);
- Les États parties [.] acceptent [.] « de prendre toutes les mesures appropriées, y compris des dispositions législatives, pour modifier ou abroger toute loi, disposition réglementaire, coutume ou pratique qui constitue une discrimination à l'égard des femmes; (article 2[f]);
- Les États parties doivent prendre dans tous les domaines, notamment dans les domaines politique, social, économique et culturel, toutes les mesures appropriées, y compris des dispositions législatives, pour assurer le plein développement et le progrès des femmes, en vue de leur garantir l'exercice et la jouissance des droits de l'homme et des libertés fondamentales sur la base de l'égalité avec les hommes (article 3);
- Les États parties doivent prendre toutes les mesures appropriées : (a) Pour modifier les schémas et les modèles de comportement socioculturel de l'homme et de la femme en vue de parvenir à l'élimination des préjugés et des pratiques coutumières, ou de tout autre type, qui sont fondés sur l'idée de l'infériorité ou de la supériorité de l'un ou l'autre sexe ou d'un rôle stéréotypé des hommes et des femmes (article 5).
CONFLITS ENTRE DROITS CONCURRENTS
L'universalité des droits de l'homme, et en particulier les droits de femmes, sont souvent remis en cause par les tenants du relativisme culturel. Leurs arguments, en particulier lorsqu'ils sont combinés aux accusations d'impérialisme culturel, posent un dilemme à la communauté des droits de l'homme. Comment peut-on reconnaítre les cultures des peuples et le droit à l'autodétermination quand plusieurs aspects de ces cultures violent systématiquement un certain nombre de droits de l'homme ? La question est particulièrement importante pour les droits des femmes. Toutes les sociétés contemporaines étant des sociétés patriarcales, la promotion des droits des femmes s'oppose aux valeurs « culturelles » patriarcales, aux normes religieuses ainsi qu'aux autres structures hiérarchiques de tous les pays. Suivre rigoureusement les principes du relativisme culturel revient donc à nier les droits des femmes dans toutes les sociétés et à remettre en cause les aspects des droits de l'homme internationaux en faveur de l'émancipation des femmes au nom de la préservation des valeurs culturelles.
En ce qui concerne la culture et la religion, nous devons nous poser les questions suivantes : Qui parle au nom des peuples et de la religion ? Qui définit le sens de la culture ou interprète les sources religieuses et développe les doctrines ? Les cultures, bien entendu, ne sont ni monolithiques ni statiques, mais il existe dans chaque culture un certain groupe de personnes qui ont tout intérêt à ce qu'elles soient monolithiques et statiques. En d'autres termes, les cultures sont fondées sur des structures de pouvoir et en établissant des normes et des valeurs, elles perpétuent ces structures. Les valeurs établies culturellement (et officiellement) privilégient certains membres de la société et désavantagent d'autres, les privilégiés tendant à user de leur pouvoir pour maintenir ces valeurs qui justifient et renforcent leurs positions. Sans une démocratisation de l'interprétation et des processus de prises de décision, le relativisme culturel et la préservation de la culture finissent par servir seulement les intérêts de groupes privilégiés.
De même, tous les textes religieux et toutes les traditions orales sont reçus dans un contexte culturel, puis filtrés et intégrés aux normes culturelles dominantes. Toujours ouverts à l'interprétation, leurs messages peuvent être rejetés et affaiblis par les structures de pouvoir en place. Les religions peuvent donc incarner des normes contradictoires, qui sont utilisées de manière sélective et réinterprétées à la fois par les classes privilégiées et par ceux qui contestent la compréhension de la religion et de ses valeurs. Il va sans dire que, dans les systèmes patriarcaux, ce sont les hommes privilégiés qui dictent les normes culturelles et religieuses, même si les femmes participent à leur transmission et à leur perpétuation. Peu d'attention est généralement accordée aux interprétations égalitaires et émancipatrices faites par les femmes et par ceux qui défendent leurs droits.
QUE FAUT-IL FAIRE ?
Les droits de l'homme étant étroitement liés à la culture, l'expansion, la pleine reconnaissance et la protection des droits de l'homme nécessiteront la transformation des normes culturelles et de leurs bases matérielles. Le respect des droits de l'homme internationaux nécessitera donc une évolution des mœurs culturels ainsi qu'un engagement politique. La défense des droits de l'homme doit comprendre : (1) l'analyse des normes culturelles en termes de conformité avec les principes des droits de l'homme; (2) la reconnaissance des diverses interprétations des cultures et des sources religieuses; (3) la nécessité pour les États parties aux conventions de formuler des réserves spécifiques, indiquant quand et comment ils les retireront.
Pour contrer les théories relativistes, les universalistes font généralement valoir le fait que plusieurs droits énoncés dans la Déclaration universelle et d'autres instruments des droits de l'homme existaient et étaient respectés dans les traditions culturelles et religieuses de la plupart des sociétés. Même si ces affirmations peuvent être étayées concrètement, comme je l'ai déjà fait remarquer, les normes et les pratiques culturelles traditionnelles comportent également de nombreuses règles discriminatoires. Il est important de reconnaítre les aspects des deux cultures - égalitaires/émancipatrices et discriminatoires/oppressives - et de les analyser pour voir dans quels cas et de quelle manière elles appliquent le principe d'universalité. Puisque les droits de l'homme accordent une place importante à la dignité humaine, le principe d'universalité signifie que chacun est égal en droits et en dignité. Il convient donc d'examiner les cultures pour relever les contradictions avec le principe d'égalité. Une fois mis à jour, les aspects « égalitaires » des cultures peuvent être mis en valeur et liés aux droits de l'homme internationaux en termes de principes12 .
Les évaluations critiques sur les cultures et l'interprétation égalitaire des sources culturelles existent déjà, mais ces voix sont généralement réprimées dans les pays et ignorées dans les débats internationaux. Les nations et les autres membres de la communauté internationale des droits de l'homme doivent se départir de l'habitude de tolérer les discriminations culturelles au nom du respect des différences, attribuant les violations seulement à la culture, mettant la culture et la religion sur un pied d'égalité et considérant les cultures comme monolithiques et statiques. Alors qu'une attention considérable a été accordée aux conflits entre religions et communautés et la domination d'un groupe sur un autre, c'est-à-dire les droits de minorités religieuses et ethniques, aucun effort n'a été mené pour examiner les différences et les hégémonies à l'intérieur des communautés. La reconnaissance par les États parties et les forums internationaux de la diversité au sein d'une culture et d'une communauté religieuse apporterait un soutien aux autres voix et contribuerait à démocratiser les processus d'interprétations.
Il est possible de contrer les arguments relativistes et les réserves formulées dans les traités en invoquant le fait que les normes internationales des droits de l'homme requièrent l'évolution des coutumes et des traditions et que les éléments d'une religion qui sont présentés comme une exigence soient ouverts à l'interprétation. Les États qui soutiennent ces théories devraient être tenus non seulement d'expliquer pleinement leurs réserves mais aussi de fixer un calendrier de leur retrait. Le comité d'experts qui supervise la mise en œuvre de la CEDAW a déjà pris des mesures à cet égard. Par exemple, il a émis plusieurs recommandations pour inciter les États parties qui ont formulé des « réserves générales », déclarant qu'ils appliqueront la Convention tant que ses dispositions ne sont pas en contradiction avec la loi islamique, la charia, de clarifier les points qui font l'objet de réserves13 . Il a également soulevé la question de l'interprétation : «[.] lors de sa réunion de 1987, le Comité de la CEDAW a adopté une décision demandant que les Nations Unies et les institutions spécialisées encouragent ou entreprennent des études sur la situation des femmes qui sont soumises à la loi et aux coutumes islamiques, en particulier sur la condition et l'égalité des femmes dans la famille, sur des questions comme le mariage, le divorce, la garde des enfants, les droits fonciers ainsi que leur participation à la vie publique de la société, prenant en compte le principe de l'ijtihad [effort d'interprétation] de l'islam14 . »
Les États parties affectés par la décision l'ont naturellement dénoncée comme étant une menace à leurs libertés religieuses et ont rejeté les recommandations du Comité, mais celui-ci a remis cette question sur le devant de la scène. En 1994, il a amendé les directives pour la préparation des rapports afin de fournir des directives complémentaires et spécifiques aux États Parties qui ont émis des réserves fondées sur la culture et la religion. Jane Connors a fait un résumé de la situation : « Ces États devront expliquer de manière spécifique la raison de leurs réserves, pourquoi ils considèrent qu'elles sont nécessaires, leur effet précis sur la législation et la politique nationales et donner des informations sur toutes les réserves similaires qu'ils auraient formulées dans d'autres traités des droits de l'homme qui garantissent des droits semblables. Ces États devront également indiquer les mesures qu'ils envisagent de prendre pour limiter les effets des réserves ou pour les retirer et, quand cela est possible, de fixer un calendrier pour leur retrait. Le Comité a fait, en particulier, référence à «. [certains États], indiquant que le Comité considère que ces réserves sont incompatibles avec l'objet et le but de la Convention et nécessitent un effort particulier de la part des pays qui doivent expliquer les effets de leurs réserves et en donner l'interprétation 15 . »
Dans le cadre de son effort, le Comité devrait aussi encourager la présentation de rapports parallèles qui présenteraient non seulement les évaluations de ce qui a ou n'a pas été fait par les États concernés pour mettre en œuvre la Convention, mais aussi d'autres interprétations de la culture ou des sources religieuses. Ces rapports fourniraient au Comité les informations nécessaires pour contester la validité des réserves émises par les États parties et leur permettre de reconnaítre la diversité dans leur société. Ils permettraient aussi de soutenir les femmes et les défenseurs des droits des femmes en validant leur droit d'interpréter leurs sources culturelles et religieuses.
Notes
1 Dans ce contexte, le terme « civilisation » est employé comme terme sociologique en référence aux sociétés qui atteignent un niveau élevé de productivité économique, débouchant sur la spécialisation des emplois, la stratification sociale et l'établissement d'institutions. Les nations iroquoises sont un cas intéressant. Le rôle important que jouaient les femmes iroquoises dans la conduite des affaires publiques a amené de nombreux observateurs impressionnés à classer ces nations comme « matriarcales ». Même si les femmes iroquoises jouissaient d'une certaine autorité, elles ne pouvaient pas être chefs ou siéger au Conseil des aínés - l'organe directeur le plus élevé de la Confédération des Six nations iroquoises. Les femmes avaient principalement un droit de veto et exerçaient une influence indirecte en raison de leur contrôle sur la nourriture et d'autres approvisionnements. Aucune société matriarcale - en tant qu'opposé de la société patriarcale - n'a été enregistrée dans l'histoire. Même si certaines sociétés anciennes ont instauré des relations plus égalitaires entre les sexes, l'équilibre du pouvoir a généralement penché en faveur des hommes. Voir, Rayna R. Reiter, ed., Toward an Anthropology of Women. New York: Monthly Review Press, 1975.
2 Pour les informations statistiques actuelles sur les écarts entre les sexes dans de nombreux domaines, voir le Rapport sur le développement humain 2007/2008. New York: Oxford University Press, 2007, tableaux 28-33.
3 Majid Fakhry. Averroes: His Life, Work. Oxford: Oneworld Publications, 2001.
4 Pour saint Thomas d'Aquin, la femme (créée dans la création des choses) a seulement un rôle important dans la reproduction (la procréation). Voir, Saint Thomas d'Aquin, Summa Theologicae, question XCII, art. 1, Whether Woman Should Have Been Made in the First Production of Things, disponible à http://newadvent.org/summa/109201.htm
5 John Stuart Mill et Harriet Taylor Mill. Essays on Sex Equality. Edité avec Alice S. Rossi qui a également écrit un essai d'introduction. Chicago: University of Chicago Press, 1970.
6 Mary Ann Glendon. A World Made New. New York: Random House, 2001:68.
7 Glendon 2001:111-112 et 162.
8 Hilary Charlesworth. « Human Rights as Men's Rights. » In Women's Rights Human Rights: International Feminist Perspectives. Édité par Julie Peters et Andrea Wolper. New York: Routledge, 1995: 103-113.
9 L'article 28 permet d'émettre des réserves lors de la ratification de la Convention, à condition qu'elles soient compatibles avec « l'objet et le but » de la Convention. Bien qu'il ne soit pas fait mention des « déclarations » dans le texte, celles-ci tendent à employer un langage similaire à celui employé dans les réserves et jouent le même rôle concernant les obligations des États. Dans le cadre de cet essai, aucune distinction ne sera donc faite entre les déclarations et les réserves.
10 Henry J. Steiner et Philip Alston, International Human Rights in Context: Law, Politics, Morals. Deuxième édition. Oxford: Oxford University Press, 2000, p. 180.
11 Belinda Clark, « The Vienna Convention Reservations Regime and the Convention on the Discrimination against Women. » American Journal of International Law 85:2 (avril 1991): 281-321, at p. 318.
12 Cette étude du Coran, texte sacré et autorité suprême de l'islam, montre que les femmes musulmanes sont égales aux hommes sur le plan spirituel, mais pas sur le plan social, et plaide pour que l'égalité spirituelle reconnue dans le texte sacré devienne la norme pour redéfinir les rôles sociaux. Voir Zehra Arat, « Women's Rights in Islam: Revisiting Qur'anic Rights." In Human Rights: New Perspectives, New Realities. Édité par Peter Schwab et Adamanta Pollis, eds., Boulder, CO: Lynne Rienner Publishers, 2000: 69-94.
13 Michele Brandt et Jeffrey A. Kaplan. "The Tension between Women's Rights and Religious Rights: Reservations to CEDAW by Egypt, Bangladesh and Tunisia." The Journal of Law and Religion 12:1 (1995-96): 105-142; Connors, 1997; Clark, 1991.
14 Documentation ONU E/1987/SR/11.
15 Jane Connors. « The Women's Convention in the Muslim World ». In Human Rights as General Norms and a State's Right to Opt Out: Reservations and Objections to Human Rights Convention. Édité par J. P. Gardner. London: British Institute of International and Comparative Law, 1997: 85-103, at pp. 99-100.