En 2008, à l'occasion du soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme, le groupe des droits de l'homme appelé les Aínés, fondé et dirigé par Nelson Mandela, a lancé un message retentissant proclamant que « chaque être humain a des droits ». Cette déclaration rappelle celle de Voltaire qui, lorsqu'on lui a demandé ce qu'il fallait faire au sujet des droits de l'homme, a répondu « les faire connaítre au peuple ». Ayant facilité depuis 25 ans l'apprentissage et l'intégration des droits de l'homme comme une façon de vivre dans plus de 60 pays, j'ai envoyé une note aux Aínés disant « Mais les êtres humains les connaissent-ils ? Non. La plupart les ignorent ! » Il est donc impératif d'ajouter au message lancé par les Aínés que les êtres humains doivent apprendre à les connaítre et à les considérer comme une façon de vivre. Cela ne suffit pas d'avoir des droits de l'homme, il faut que chaque être humain puisse en jouir et soit guidé dans sa vie par les cadres relatifs aux droits de l'homme, offrant aux femmes la possibilité de participer sur un pied d'égalité à la prise de décision pour réaliser une transformation économique et sociale durable. Il n'y a pas d'autres choix.
Ayant rencontré des centaines de communautés dans le monde et facilité le dialogue comme une façon de vivre, j'ai choisi de ne pas engager le débat sur la diversité et/ou le dialogue interculturel, ou même la paix. Je pense que ces discussions nous détournent des conversations essentielles qui peuvent nous aider à trouver les moyens de faciliter l'apprentissage des droits de l'homme comme une façon de vivre partout dans le monde. Ces efforts, lorsqu'ils seront mis en oeuvre, donneront aux populations le sentiment que les droits de l'homme leur appartiennent et mettront entre leurs mains un puissant outil pour mener une action positive, améliorant ainsi leur capacité de vivre avec différentes cultures et au sein de celles-ci dans la confiance et le respect d'autrui. Ce n'est pas utopique. Alors que les gens, les femmes ainsi que les hommes, continuent de rechercher une participation égale dans la prise de décision, ils s'unissent pour créer une nouvelle base d'égalité pour tous et l'élimination de toutes les formes de discrimination, ce qui est en fait l'essence même des droits de l'homme.
L'idée que toutes les préoccupations dans le domaine des droits de l'homme et la progression vers la réalisation de ces droits - qu'ils soient politiques, économiques, civil, sociaux culturels - sont indivisibles, interdépendants et indissociables, et tiennent compte de la dimension sexospécifique, transmet aux communautés le message que malgré nos différences, nous aspirons à vivre ensemble dans la dignité. Bien que nous ayons des affiliations culturelles différentes et diverses et plusieurs identités personnelles, nous sommes unis à l'ensemble de l'humanité par la vision et la mission des droits de l'homme comme une façon de vivre. Bien que nous ayons tous une interprétation différente de notre appartenance et un rapport différent à la mémoire et à l'histoire qui sont l'objet de notre fierté et de notre spécificité au sein de nos familles, de nos villages et de nos villes, pour ne pas parler des identities religieuses et nationales, nous devons pourtant être unis et guidés par le cadre général des droits de l'homme. Nous pouvons tous dépasser ces différences et briser le cercle vicieux de l'humiliation en apprenant à reconnaítre l'humanité de l'autre et cesser de sacrifier l'égalité à la survie.
Pour passer de la théorie à la pratique, les écoliers de Thies, au Sénégal, ayant appris que l'éducation est un droit de l'homme, ont découvert que certains de leurs camarades qui n'avaient pas été déclarés à la naissance n'avaient pas pu recevoir d'éducation. Avec la population de cette communauté de 250 000 habitants, ils ont inscrit, en trois ans, 4 312 enfants pour qu'ils soient scolarisés tout en faisant pression sur les autorités pour accroítre la capacité de leurs écoles. De même, dans le village de Malikunda, au Sénégal, suite aux discussions sur le sens à donner aux droits de l'homme, des hommes et des femmes ont déclaré l'élimination de la mutilation génitale féminine et ont donné à la première fillette qui n'a pas subi ce traitement le nom de Sensen, ce qui signifie droits de l'homme. Apprendre que les droits de l'homme s'appliquent à sa propre vie est un puissant outil pour surmonter toutes les sortes d'oppression. Malgré leurs différences génétiques, les enfants et les villageois de Thies et de Malikunda ont surmonté ce que certains appellent le « caractère inévitable de la nature » et ont forgé un nouvel avenir pour la communauté sachant que les droits de l'homme sont la seule façon de vivre.
En 1991, à Nairobi, au Kenya, un événement important a imprimé une nouvelle orientation à notre travail. Un policier a été envoyé pour observer un stage de formation sur les droits de l'homme économiques, sociaux et culturels auquel participaient 25 organisations de développement. Alors que la discussion se poursuivait, le policier s'est soudainement adressé aux participants sidérés : « Arrêtez ! Arrêtez ! Si c'est cela les droits de l'homme, venez dans mon village pour les enseigner. »Nous, à People's Movement for Human Rights (PDHRE), avons répondu à la demande de ce policier dans de nombreux villages à travers le monde. Nous continuons de faciliter la formation des dirigeants communautaires locaux pour qu'ils défendent les droits de l'homme. Nous portons en nous la vision d'Eleanor Roosevelt qui disait : « En fin de compte, où commencent les droits de l'homme ? Dans les lieux modestes. »
Dans l'introduction du processus d'apprentissage, j'ai récemment lancé une discussion sur les droits de l'homme conçus comme la maison. Lorsque vous êtes jeune, la maison est l'endroit où vous êtes à l'abri de la pluie, protégé du soleil brûlant et souvent aimé par vos parents. Plus tard, la maison peut être associée au souvenir d'une libellule, aux histoires qu'on vous a racontées ou que vous avez entendues, aux vêtements que vous avez portés, à la terre que vous avez labourée, à un livre que vous avez lu, à l'aspiration à vivre dans la dignité, ainsi qu'aux bons et aux mauvais souvenirs qui font partie de notre vie quotidienne, en somme, le monde où nous vivons et que nous voulons pouvoir revendiquer comme étant le nôtre. En apprenant qu'on peut choisir de vivre décemment et dans l'acceptation de l'autre, ce qui est stipulé dans le cadre des droits de l'homme, nous apprenons comment aller de l'avant, restaurer ou construire une nouvelle maison, alors que nous intégrons les connaissances relatives aux droits de l'homme comme chemin de la liberté. Le terme « maison » revêt de nombreux sens. Fondamentalement, c'est un espace où l'on peut vivre à l'abri de la peur et du besoin et souvent un refuge contre la persécution. C'est un endroit, un état d'esprit, une introduction à la sagesse, qui nous aide à intégrer les droits de l'homme dans notre vie afin que nos espoirs deviennent une réalité, parfois même une transcendance. Certains d'entre nous sont tourmentés par des souvenirs d'avoir été expulsés ou violés ou d'avoir expulsé leurs ennemis de leur maison afin de sécuriser leur chemin avec un faux sentiment de liberté. Les droits de l'homme sont une maison où la dignité de tous les peuples est célébrée, l'habitat ultime de l'humanité et pour l'humanité.
Cela peut paraítre utopique dans un monde - une maison - qui, en 60 ans (de 1950 à 2010), est passé de deux milliards à sept milliards d'habitants, où 50 % de la population a moins de 25 ans, et qui ont tous besoin d'une maison qui leur soit propre. C'est aussi un monde où les réseaux sociaux nuisent aux systèmes de valeurs, propagent des idées contradictoires et orientent beaucoup dans de multiples directions.
Au vu de ces observations souvent contradictoires, je ne peux qu'adhérer à cette vérité, la meilleure qui soit - tous les peuples doivent apprendre, connaítre et détenir les droits de l'homme comme façon de vivre et s'unir pour créer un
mouvement politique qui forgera un nouvel avenir pour l'humanité. Dans un village de Dalit, après avoir informé des femmes que l'alimentation, l'éducation, la santé, le logement et le travail à un salaire décent étaient des droits de l'homme inaliénables, celles-ci ont applaudi, dansé et répété ces cinq impératifs comme un mantra.
On parle beaucoup d'une culture des droits de l'homme. Je citerai Nelson Mandela qui a parlé du « développement d'une culture politique fondée sur les droits de l'homme ! » - qui englobe tout. Une telle culture politique est un phénomène en constante évolution, c'est vivre ensemble, appartenir et définir l'autre, choisir ou naítre dans une culture et/ou une religion spécifiques et, plus important, créer un mouvement des droits de l'homme. Il est important de noter qu'une culture politique des droits de l'homme perçoit le système patriarcal comme un système qu'il faut abandonner pour pouvoir remplir la mission globale des droits de l'homme. Les femmes ainsi que les hommes doivent reconnaítre que le patriarcat est un système où l'injustice est considérée comme une justice et où les femmes acceptent les inégalités pour survivre, un système qui autorise la mutiliation génitale féminine, le mariage forcé et la traite.
Est-ce trop demander ou trop ambitieux de faire appel aux organisations de la société civile, aux autorités locales et au secteur privé pour qu'ils intègrent un processus d'apprentissage continu sur les droits de l'homme comme une façon
de vivre, pour aider les femmes, les hommes, les jeunes et les enfants à se prendre en main, pour passer de l'esclavage à la liberté, de l'autosatisfaction à la justice et de la charité à la dignité?
Winston Churchill a dit que la démocratie est la pire forme de gouvernement à l'exception de toutes les autres. La démocratie est devenue une structure plutôt qu'un organisme vivant qui permet la participation de tous dans l'égalité et sans discrimination. De par mon expérience et en toute humilité, j'en suis venue à la conclusion qu'une vraie démocratie est un système global de droits de l'homme qui peut être réalisé par le biais d'un processus continu d'apprentissage et d'intégration, à tous les niveaux de la société, des droits de l'homme comme une façon de vivre.
Il faut établir une distinction entre l'apprentissage des droits de l'homme et l'éducation aux droits de l'homme. Ce sont deux catégories et deux approches différentes. Alors que j'ai pratiquement créé seule la Décennie des Nations Unies pour l'éducation dans le domaine des droits de l'homme, le People's Movement for human Rights Education s'est efforcé d'intégrer l'apprentissage des droits de l'homme dans les communautés locales. L'éducation dans le domaine des droits de l'homme est un processus qui s'inscrit dans le temps, principalement dans les établissements universitaires et scolaires, et ne touche pas 95 % de la communauté mondiale. Dans 5 à 10 ans, nous espérons devenir un mouvement qui aura réussi à éduquer tous les peuples aux droits de l'homme, à les leur faire connaítre et à les intégrer dans leur vie quotidienne. Ils seront à même d'utiliser les droits de l'homme comme un puissant outil du changement, comme une stratégie au développement économique, sociétal et humain.
Notre mantra décrit les droits de l'homme comme les berges du fleuve où la vie coule librement. Lorsque les inondations arrivent, ceux qui connaissent et détiennent les droits de l'homme renforcent les berges pour contenir les inondations et maintenir la liberté. Savoir c'est pouvoir et l'apprentissage des droits de l'homme comme façon de vivre renforce les droits de l'homme. ❖
Pour plus d'informations, visitez le site www.pdhre.org ou écrivez à pdhre@igc.org.