19 mai 2016

Les catastrophes naturelles brisent des vies. J’en sais quelque chose. En 2004, le tsunami qui est survenu dans l’océan Indien a brisé la mienne.

Elles détruisent aussi les communautés et, parfois même, des pays entiers. Les catastrophes soudaines, comme les séismes, les tsunamis, les ouragans et les inondations, causent des dégâts. Les catastrophes à évolution lente, comme les sécheresses, causent des dégâts permanents à long terme.

Au cours des dernières catastrophes, les pertes en vies humaines ont été élevées. Lors du tsunami survenu en 2004, quelque 250 000 personnes ont perdu la vie dans plusieurs pays. On estime que le séisme de 2010 en Haïti a fait 140 000 morts. Au Myanmar, 120 000 ont péri lorsque le cyclone Nargis a frappé le pays en 2008. Le séisme qui a secoué le Cachemire (Pakistan) en 2005 et celui qui a frappé le Sichuan (Chine) en 2008 ont fait chacun plus de 85 000 victimes. Le séisme et le tsunami qui ont frappé le Japon en 2011 ont fait 18 000 morts. Entre 2010 et 2012, l’extrême sécheresse a été l’une des causes de la mort de 230 000 personnes en Somalie. Chacune de ces vies était précieuse – individuelle, complexe, humaine. Parfois aveuglés par ces chiffres, nous l’oublions trop souvent.

Ces catastrophes sont d’une telle ampleur qu’il est pratiquement impossible d’y faire face ou de se rétablir. Les survivants et les communautés peinent à se remettre des pertes en vies humaines et de la disparation de leurs moyens de subsistance. Les nations et les gouvernements sont confrontés à une immense tâche, à savoir restaurer et reconstruire les biens détruits, à la fois économiques et sociaux.

Mais il nous faut impérativement comprendre clairement les problèmes de développement économique après une catastrophe. Globalement, nous serons de plus en plus exposés à ce type d’événements. On prévoit que les changements climatiques intensifieront la gravité des phénomènes météorologiques extrêmes. En outre, le nombre de personnes vivant dans des régions exposées au risque ne fera qu’augmenter a lors que nous migrons vers des villes qui ne disposent pas de plans de protection suffisants contre les catastrophes ou vers des zones géographiques (plaines inondables, coteaux à forte déclivité) qui sont particulièrement vulnérables aux risques.

 

LES PERTES ECONOMIQUES DUES AUX CATASTROPHES

Les effets destructeurs des catastrophes naturelles sont davantage ressentis dans les pays pauvres que dans les pays riches. Alors que tous ces pays sont exposés aux catastrophes naturelles, la plupart des 3,3 millions de personnes qui ont péri dans des catastrophes au cours des 40 dernières années vivaient dans des pays pauvres. Par exemple, le séisme de magnitude 7 qui a frappé Haïti en 2010 a fait environ 140 000 morts et provoqué un désastre économique, tandis que la même année celui de magnitude 9,1 qui eu lieu au Chili a fait 500 victimes et a eu un impact relativement limité sur l’économie nationale.

Les dégâts économiques causés par les catastrophes varient. Les biens immobilisés et l’infrastructure, comme les habitations, les écoles, les usines et les équipements, les routes, les barrages et les ponts, sont détruits. Le capital humain est réduit à cause des pertes en vies humaines, de la perte de travailleurs qualifiés et de la destruction des infrastructures éducatives qui perturbe la scolarité. Les ressources naturelles d’un pays peuvent aussi être affectées – les ouragans détruisent les forêts, et les ouragans et les sécheresses diminuent la fertilité des sols. Les catastrophes naturelles cycliques peuvent induire un changement de comportement chez les personnes et chez les communautés, ce qui entraîne des pertes économiques. Dans les zones exposées à la sécheresse, les agriculteurs investissent moins pour accroître la productivité de leurs terres de crainte de perdre leur investissement.

 

LES PAUVRES SONT TOUCHES DE MANIERE DISPROPORTIONNEE

Les pauvres sont les plus touchés par les catastrophes naturelles. Les taux de mortalité sont généralement plus élevés parmi les populations dont les revenus sont les plus faibles. Elles ont plus de chance de vivre dans des zones exposées au risque ou dans des habitations fragiles. Lorsque le cyclone Nargis a frappé le delta d’Irrawaddy (Myanmar) en 2008, les habitations d’une famille sur deux ont été complètement détruites par le vent et les inondations. En Haïti, la mortalité due au séisme de 2010 a été la plus élevée parmi les pauvres de Port-au-Prince qui vivaient dans des habitations mal construites et surpeuplées.

Les pauvres souffrent aussi de manière disproportionnée de la perte des biens économiques. Les catastrophes naturelles détruisent les fermes, le bétail, les ateliers et les équipements. Les familles sont parfois forcées de vendre leurs biens pour survenir à leurs besoins de base – dans les régions exposées à la sécheresse, les familles rurales vendent souvent leur bétail pour acheter de la nourriture. Étant moins en mesure de remplacer ces sources de revenus, les pauvres risquent de s’enfoncer dans le « piège de la pauvreté » à long terme duquel ils seront incapables de sortir. Partout dans le monde, des Philippines à l’Éthiopie, en passant par la Colombie, on constate que les taux de pauvreté sont souvent plus élevés parmi les communautés touchées par des catastrophes.

Ces chocs économiques subis par les pauvres ont souvent des effets néfastes qui se répercutent sur des générations. Le nombre d’enfants scolarisés diminue, car les parents retirent leurs enfants de l’école et les font travailler pour qu’ils apportent des revenus à la famille. Même s’il s’agit d’une mesure qui est censée être temporaire, cette situation peut devenir permanente, comme pendant les périodes de sécheresse qui ont sévi dans le centre du Mexique à la fin des années 1990. Lorsque les enfants sont atteints de malnutrition à cause de la sécheresse et du manque de nourriture, leurs capacités cognitives et leur productivité en sont altérées par la suite. En Tanzanie et au Zimbabwe, les enfants mal nourris pendant la sécheresse ont des revenus inférieurs tout au long de leur vie.

 

COMMENT FAIRE FACE ?

La conception et la mise en œuvre de politiques et de mesures de relance économique à la suite d’une catastrophe naturelle sont compliquées. Il faut reconstruire et remplacer les biens détruits, rétablir les moyens de subsistance ou en créer de nouveaux, mettre en place des mesures rapides et efficaces, à la fois pour soutenir la croissance économique et le bien-être général dans les pays frappés par une catastrophe et atténuer les souffrances des communautés directement touchées.

Il n’existe pas de plan universel pour le relèvement et la reconstruction des communautés et des nations. Le processus de reconstruction économique est unique à chaque pays touché par une catastrophe naturelle. Certaines difficultés et certains défis sont cependant communs à la plupart de ces pays et il est important de les comprendre si nous voulons que les politiques et les actions réduisent les souffrances humaines lorsqu’une catastrophe survient.

 

LES DEFIS

La rapidité du relèvement est importante. C’est particulièrement vrai dans les pays en développement où les moyens de subsistance sont précaires même s’il n’y a pas de catastrophe. Lorsque la reconstruction après des catastrophes est lente, les familles et les communautés font face à des difficultés économiques et à de grandes privations de longue durée. Des études réalisées cinq ans après le cyclone Nargis, qui est survenu au Myanmar, ont révélé que plus de la moitié des familles qui avaient survécu n’avaient toujours pas remplacé leurs bateaux de pêche et leur bétail détruits par la tempête.

La qualité du relèvement économique est également importante. Les catastrophes naturelles sont souvent perçues comme une occasion de « reconstruire en mieux » habitations, routes, écoles et hôpitaux. Il est toutefois important de préciser ce que nous entendons par « mieux ». Il est essentiel que les habitations et l’infrastructure publique soient reconstruites dans le respect de normes de sécurité plus strictes afin d’atténuer le risque de catastrophe. Ces mesures permettent de réduire les pertes humaines et économiques lors des catastrophes suivantes et d’atténuer les peurs et le traumatisme des survivants lorsqu’ils sont réintégrés dans la vie sociale et économique. Lors du séisme sur venu en 2008 dans la province de Sichuan, en Chine, le nombre de victimes tragiquement élevé parmi les enfants qui se trouvaient à l ’école a été en grande partie dû au manque de conformité des codes de construction. Le respect des normes de sécurité a été au centre des activités de relèvement.

« Reconstruire en mieux » est parfois perçu par les pays touchés comme une occasion de faire un pas en avant dans le développement en créant, par exemple, des infrastructures complexes qui, autrement, n’auraient pas existé. Mais pour que cela  réussisse, les mesures doivent être adaptées aux capacités locales disponibles. « Reconstruire en mieux, de manière appropriée » pourrait donc être ce dont les économies dévastées ont le plus besoin, bien que cela soit très difficile à réaliser pour les pays pauvres qui font face à des problèmes de ressources humaines. Après le séisme sur venu en Haïti en 2010, le pays a perdu les compétences et la créativité nécessaires pour accompagner la reconstruction.

« Reconstruire en mieux » doit également être adapté à la culture du pays. Les cas sont nombreux où les habitations résistantes au risque restent inoccupées parce qu’elles ont été mal conçues ou mal adaptées. Au Sri Lanka, des habitations nouvellement construites ont servi d’entrepôts de riz parce que les communautés locales trouvaient que ces habitations de forme circulaire, conçues pour résister au tsunami, paraissaient trop étranges pour y vivre.

Quels sont les gagnants et les perdants du relèvement économique après des catastrophes ? C’est une question importante parce que les bénéficiaires ne sont pas toujours ceux qui ont subi les plus lourdes pertes économiques. Au lendemain d’une catastrophe, les gouvernements et les donateurs évaluent les dégâts et les pertes et font des propositions techniques pour la reconstruction. Les résultats de ces plans peuvent toutefois souvent diverger des intentions initiales. De nombreux autres facteurs peuvent entrer en jeu, comme la disponibilité des fonds et des compétences, la qualité des institutions chargées de la mise en œuvre, les intérêts en place et les relations de pouvoir. Parfois, les groupes vulnérables sans droits fonciers établis (les femmes, les métayers et les squatters dans les zones urbaines) souffrent beaucoup de la perte de vies humaines et de revenus pendant une catastrophe et sont encore plus pénalisés par la non-reconnaissance de leurs droits de propriété coutumiers dans les programmes de réinstallation ou par l’influence de puissants groupes économiques qui accaparent les terres. De nouvelles inégalités sociales et économiques peuvent donc apparaître même pendant une relance économique plus importante au niveau national.

Même après la reconstruction, les anciennes formes de vulnérabilité et de dénuement peuvent persister, même dans des pays riches. Dix ans après que l’ouragan Katrina a frappé la Nouvelle-Orléans, aux États-Unis, les taux de pauvreté infantile dans l’État de la Louisiane demeuraient très élevés. Ces exemples soulignent la nécessité de repenser le concept du « reconstruire en mieux »; il doit comprendre non seulement les infrastructures, mais aussi une trajectoire de développement économique plus équitable.

Après une catastrophe, on ne peut jamais restaurer tout ce qui a été perdu sur le plan économique et il est rare que les communautés puissent reprendre une vie normale. Il s’agit souvent d’une « nouvelle situation normale », car les sociétés et les économies sont à jamais transformées. Une reconstruction économique efficace dans ce nouveau contexte peut atténuer les souffrances endurées par les personnes et les communautés, relancer la croissance économique et promouvoir le bien-être futur. Mais nous devons rester vigilants pour détecter les difficultés et les écueils potentiels. Les politiques et l’action menées par les pays et par les donateurs ne devraient pas exacerber le traumatisme ni les tragédies causées par les catastrophes naturelles.

 

EN CONCLUSION

Alors que je rédige cet article, j’apprends que le séisme en Équateur a fait des centaines de victimes, laissant un champ de ruines dans les provinces qui bordent la côte Pacifique. Ma famille a péri dans le tsunami qui est survenu en 2004 au Sri Lanka. Je comprends la stupeur et la douleur auxquelles feront face les survivants de ce séisme. En tant qu’individus, communautés et nations, nous commençons tant bien que mal à comprendre comment survivre lorsque nous sommes si impitoyablement frappés par des catastrophes naturelles.

 

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