Le monde de plus en plus globalisé et urbanisé dans lequel nous vivons pose de nombreux défis complexes à l’humanité et à notre environnement. Ces événements représentent une menace pour l’action humanitaire actuelle et future, mais offrent aussi des possibilités. Plutôt que d’être limitée par les transformations sans précédent qui ont lieu dans les pays du Sud où, par exemple, les villes se développent à un rythme record, l’action humanitaire devrait, à l’avenir, jouer un rôle de premier plan dans la recherche de nouvelles stratégies pour repenser et redéfinir des établissements humains équitables.

À l’approche du premier Sommet mondial sur l’action humanitaire, qui aura lieu à Istanbul en mai 2016, la communauté internationale cherche de manière urgente à élaborer un agenda pour l’action humanitaire qui examine les vulnérabilités diverses associées à l’urbanisation. Près de 50 % de la population mondiale, soit environ 3,5 milliards d’habitants, vit déjà dans des zones urbaines, un chiffre qui, selon les prévisions, devrait augmenter de 70 % d’ici à 2050. La majorité des zones urbaines qui connaissent la croissance la plus rapide dans le monde étant situées dans les pays du Sud, leur avenir dans une économie de plus en plus mondialisée et une société de plus en plus interconnectée revêt une importance accrue lorsque nous prenons en compte l’ampleur des vulnérabilités liées aux phénomènes naturels et aux processus provoqués par l’homme.

Face à l’ampleur et à l’impact sans précédent des crises urbaines, qui risquent de poser des défis immenses aux organisations humanitaires et aux communautés en développement ainsi qu’aux urbanistes et aux citadins, il est impératif de trouver des solutions. Comment peut-on le mieux remédier aux vulnérabilités croissantes dans la continuité de la prévention des catastrophes et des interventions fondées sur les mécanismes institutionnels, structurels et de gouvernance actuels ? Quelles actions pourront prévenir la fréquence des catastrophes urbaines ? Quels types de solutions, de mouvements sociaux et de coalitions politiques pourront nous aider à faire face aux nouveaux problèmes et à les aborder le mieux possible ?

Comment pouvons-nous appliquer les leçons tirées des dernières catastrophes naturelles, comme les séismes, les tsunamis, les inondations et les sécheresses causées par le changement climatique, qui ont contribué à la détérioration des conditions de vie de nombreuses populations dans des villes côtières en Afrique, en Asie, en Océanie et en Amérique du Sud ?

Alors que l’urbanisation est l’un des résultats de la mobilité humaine croissante et de la recherche de meilleures possibilités, les villes sont exposées aux effets du changement climatique, à la mauvaise gouvernance et aux violences qui apparaissent souvent après les conflits à grande échelle. Depuis la fin de la guerre froide, le monde a connu de nouvelles formes de conflit impliquant des acteurs étatiques et non étatiques, ciblant les populations civiles les plus vulnérables et transformant les villes en zones de réfugiés et de combat. Des villes comme Bangui, Beyrouth, Goma, Maiduguri,  Mogadiscio, Mumbaï, Nairobi et Tripoli ont particulièrement souffert de ces « nouvelles » guerres, y compris des attaques terroristes dans les zones urbaines, tout en accueillant un flux continu de réfugiés et de personnes déplacées dans leur propre pays fuyant les régions et les pays voisins ravagés par la guerre. La destruction des villes et leur reconstruction après un conflit, qui entraînent des déplacements et des vagues de migration massive à travers les frontières, éprouvent les limites même de la sur vie, de la résilience, de la créativité et de l’humanité elle-même.

Selon des études récentes, plus de 35 millions de personnes ont été déplacées en 2014 par des conflits violents dans leur propre pays, un nombre identique ayant cherché refuge à l’étranger. De nombreux réfugiés et de déplacés vivent dans des camps situés dans des zones urbaines, dont certaines souffrent déjà d’une planification insuffisante, de surpeuplement ainsi que du manque de services sociaux, de commodités et d’emplois. C’est le cas de villes comme, entre autres, Bagdad, Damas, Djouba, Goma, Kinshasa et Maiduguri.

L’urbanisation dans les pays du Sud entraîne aussi des niveaux élevés d’inégalités, de criminalité, de chômage et de pauvreté, conduisant à la marginalisation d’une grande partie de la population et contribuant à une discorde sociale et à une instabilité politique élevées. Les défis auxquels est confrontée l’action humanitaire dans le contexte de la crise urbaine croissante dans les pays du Sud sont immenses. Comme le souligne le Rapport du Secrétaire général Ban Ki-moon pour le Sommet mondial sur l’action humanitaire, intitulé Une seule humanité, des responsabilités partagées, « l’urbanisation rapide et sauvage conjuguée aux catastrophes naturelles, aux pandémies et aux bombardements aériens aggravent les risques auxquels sont exposées les populations1 ».

 

VERS UN AGENDA POUR L’ACTION HUMANITAIRE : URBANISATION ET DEVELOPPEMENT EQUITABLE

La situation liée aux crises urbaines actuelles dans les pays du Sud peut être caractérisée comme « une urbanisation sans développement ». Pour que l’action humanitaire sorte de l’impasse dans cette partie du monde, il est nécessaire de comprendre pourquoi les politiques de planification du développement urbain ont échouées ou ont été mal appliquées depuis des dizaines d’années. Dans de nombreux cas, l’urbanisation rapide a dépassé la capacité des villes à gérer la croissance, laissant les autorités démunies face à une population urbaine en pleine expansion et exposant les citadins à des contraintes croissantes et à des catastrophes imprévisibles.

Un agenda pour le changement nécessitera que l’action humanitaire soit fondée sur l’égalité des droits des citoyens. Pour surmonter la crise urbaine actuelle, il faudra des idées nouvelles et innovantes et combler le fossé qui existe entre la connaissance et la pratique de l’urbanisation et du développement équitable. Il faudra aussi travailler avec les urbanistes à l’échelon municipal et national, ainsi qu’avec des acteurs régionaux et internationaux. De nouvelles bases doivent être établies en mettant au premier plan l’urbanisation dans la planification participative nationale du développement.

Nombreux sont ceux qui ont demandé l’adoption d’approches interdisciplinaires et intégrées dans les mesures préventives conçues pour faire face aux catastrophes et aux crises urbaines causées par l’homme. Ces mesures devront lier les efforts nationaux à un engagement mondial visant à construire des remparts socio-économiques contre les inégalités, la pauvreté, la corruption, le chômage des jeunes et la marginalisation ainsi que d’autres vulnérabilités sous-jacentes aux crises urbaines.

Un autre type d’avenir repose sur la mise en place d’actions orientées vers la construction et une nouvelle conception de milieux urbains plus égalitaires, plus sûrs et plus vivables. Il sera aussi nécessaire d’assurer l’égalité d’accès à des services d’assainissement efficaces, à des abris appropriés et durables, à l’eau salubre, à une éducation de qualité, à des soins de santé et à la sécurité. Le moment est venu de donner un nouvel élan mondial qui dépasse la rhétorique habituelle et les « remèdes » technocratiques à court terme, qui ont tendance à être élitistes et exclusifs. Les leçons tirées du siècle dernier montrent clairement que le développement urbain dans les pays du Sud est une question fondamentale relevant des droits de l’homme. Nous devrions adopter une approche globale, humaniste en prenant des mesures qui témoignent d’une nouvelle prise de conscience des enjeux : l’avenir de l’existence humaine et de la civilisation. Le monde est à la croisée des chemins, où le présent et l’avenir de nos villes dépendent en fin de compte des résultats des pays du Sud. Le moment est venu de tracer une nouvelle voie pour centrer les populations au cœur de l’action humanitaire.

 

Notes

1      Rapport du Secrétaire général pour le Sommet mondial sur l’action humanitaire « Une seule humanité: des responsabilités partagées », 2 février 2016 (A/70/709, par. 3).