Le braconnage est un problème mondial persistant qui a de graves conséquences en Afrique de l’Est. La demande internationale pour l’ivoire et la corme entraîne un déclin catastrophique des éléphants et des rhinocéros au Kenya, en Tanzanie et dans toute l’Afrique. Comme c’est le cas dans de nombreux pays africains, la criminalité liée aux espèces sauvages a évolué au fil des ans et présente de nouveaux défis à la conservation de ces espèces. On estime qu’au Kenya, 33 000 éléphants et 1 010 rhinocéros, en plus d’un vaste éventail d’autres espèces sauvages, sont concentrés non seulement dans les parcs nationaux, mais aussi dans des zones protégées, des ranchs privés, des territoires régis par les conseils régionaux et sur des terres communales et privées.

Par le passé, le braconnage des éléphants et des rhinocéros était pratiqué sur une grande échelle, ce qui menaçait leur survie. Les braconniers étaient principalement des bandits armés venus de Somalie qui sévissaient dans des zones rurales en dehors des zones protégées. La période qui a précédé la mise en place du Service kenyan pour la vie sauvage (KWS) en 1989 a été marquée par un braconnage de grande envergure, l’insécurité dans les parcs, l’inefficacité du Département de la faune et une baisse de moral chez les responsables, dus en partie au manque de soutien pour la conservation et la gestion des espèces sauvages du Kenya. Face à ces défis, le KWS, uniformisé et discipliné, a apporté une amélioration considérable à la sécurité des espèces sauvages et a permis de stabiliser les secteurs de la faune sauvage et du tourisme. En plus, la destruction publique des stocks d’ivoire en 1989, qui a sensibilisé la communauté  internationale à la question du braconnage, ainsi que l’interdiction en 1989 du commerce international de l’ivoire imposée par la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flores menacées d’extinction (CITES) ont contribué au déclin mesurable du braconnage des éléphants et la reconstitution de leur population.

Aujourd’hui, le continent est confronté à l’explosion du braconnage et du trafic des espèces sauvages et fait face à de nouveaux défis pour leur sécurité (CITES, IUCN et TRAFFIC, 2013. Adetunji, 2008). La demande pour les produits issus des espèces sauvages, en particulier l’ivoire et la corne de rhinocéros, a favorisé la résurgence du braconnage des éléphants et des rhinocéros. En outre, les zones ciblées par les braconniers et les armes utilisées ont changé, le piégeage au collet et l’empoisonnement étant utilisés au lieu des armes à feu, en particulier dans les zones qui n’ont jamais été touchées par le braconnage. Les méthodes, les itinéraires commerciaux et les techniques de dissimulation utilisés par les braconniers pour écouler leur marchandise ont également évolué. Tout semble indiquer que si le braconnage persiste à ce niveau, la population d’éléphants d’Afrique pourrait disparaître au cours des dix prochaines années (AWF, 2014).

Facteurs et conséquences du commerce illégal des espèces sauvages

L’affluence grandissante et la croissance économique en Asie ont augmenté la demande pour les ressources naturelles de l’Afrique, notamment les espèces sauvages et leurs produits dérivés (Adetunji, 2008). L’augmentation des prix de l’ivoire et de la corne de rhinocéros au marché noir, associée à une tradition séculaire qui laisse une place de choix à ces produits comme signe de distinction sociale (dans le cas de l’ivoire) ou comme médecine traditionnelle (dans le cas de la corne de rhinocéros), perpétuent ce commerce lucratif. De plus, la décision de la CITES d’autoriser deux ventes ponctuelles d’ivoire après le moratoire de 1989 sur le commerce de l’ivoire a conduit à la reprise de cette pratique. Cette décision signe l’arrêt de mort des éléphants. D’autres facteurs contribuant à l’évolution de la criminalité liée aux espèces sauvages comprennent la prolifération des armes légères et de petit calibre venant des pays voisins, comme la Somalie, qui sont utilisées pour le braconnage et le banditisme. La frontière poreuse entre le Kenya et la Somalie a aussi permis à des gangs somaliens très organisés et lourdement armés de s’introduire au Kenya et de se réfugier dans les zones protégées situées le long de la frontière. De nombreux militants somaliens ayant perdu le contrôle de leurs zones d’influence se livrent au braconnage de la faune sauvage avant de retourner sur le champ de bataille. Le braconnage et le trafic des espèces sauvages exacerbent l’insécurité ainsi que les conflits régionaux et à terme les conflits mondiaux.

Conséquences du braconnage sur les Eléphants et les rhinocéros d’Afrique

Ces armes légères et de petit calibre finissent dans  les  mains  des  résidents qui vivent dans des régions abritant d’importantes populations d’espèces sauvages, ce qui présente une menace sérieuse à leur sécurité. Elles sont utilisées pour le braconnage et pour commettre d’autres infractions. Comme le montre le tableau ci-dessous, le taux de braconnage des éléphants et des rhinocéros a augmenté au fil des ans.

Éléphant : On constate une augmentation progressive du braconnage des éléphants depuis 2008 (figure 1). Les criminels utilisent diverses méthodes de braconnage et de transport pour contourner le système d’application des lois. Les ranchs et les aires de conservation communautaires n’ont pas les moyens de gérer efficacement les défis liés à la sécurité des espèces sauvages, en particulier face à des gangs armés. Ces aires sont, en fait, des cibles faciles pour les braconniers.

Rhinocéros : En tant qu’organisme public chargé de la conservation et de la gestion des ressources fauniques, la conservation des rhinocéros fait partie des tâches dont s’acquitte le KSW. Par le passé, ses activités de gestion contribuaient à réduire le braconnage des rhinocéros et à stabiliser leur population de l’ensemble du pays. Mais, à cause de l’augmentation de la demande pour les cornes de rhinocéros, en particulier en Asie, le braconnage a augmenté, non seulement au Kenya, mais aussi dans d ’autres aires de répartition de l’espèce.

Lutte contre le commerce illégal des espèces sauvages

Le KWS est chargé de faire appliquer les lois et les règlementations relatives à la protection des espèces sauvages au Kenya. Son mandat comprend l’élimination du braconnage dans les aires protégées et la réduction de cette pratique au strict minimum ailleurs. Le KWS a donc mis en place des stratégies spécifiques en matière de sécurité pour y parvenir. L’équipe du KWS chargée de la sécurité travaille étroitement avec les autres services d’application des lois pour toutes les questions liées à la sécurité des espèces sauvages aux niveaux local, régional et international. L’implication structurée des divers services d’application des lois, des institutions gouvernementales, des communautés locales, des douanes, des autorités chargées du contrôle des frontières et de l’immigration, des propriétaires de ranchs et d’autres parties prenantes s’est intensifiée et a permis de mettre en œuvre des stratégies spécifiques en matière de sécurité afin de lutter contre le braconnage et d’autres activités criminelles liées aux espèces sauvages. La collaboration et l’engagement des autorités judiciaires dans de nombreuses régions du pays se sont également intensifiés et ont contribué à l’application complète de la législation sur la faune. Au niveau régional, la collaboration avec la Tanzanie et l’Ouganda permet de cibler les infractions transfrontalières et de combattre les activités illégales dans ces régions. Le Kenya a bénéficié de l’appui des services de répression internationaux et régionaux, comme l’Organisation internationale de la police criminelle (INTERPOL) et l’Équipe spéciale de l’Accord de Lusaka, qui ont contribué à faciliter, à coordonner et à soutenir la lutte contre la criminalité transnationale.

En outre, les groupes de conservation, comme l’African Wildlife Foundation (AWF) et ses partenaires, ont facilité la protection communautaire et transfrontalière des aires abritant les espèces sauvages, coordonnant leurs efforts et ceux du KWS et l’aidant à atteindre ses objectifs en matière de réduction de la criminalité liée aux espèces sauvages dans le monde. Par exemple, l’AWF a récemment renforcé l’Équipe cynophile du KWS en l’équipant de chiens supplémentaires et en offrant une aide à la formation. Cette équipe est chargée de détecter les produits de contrebande issus des espèces sauvages, comme l’ivoire et la corne de rhinocéros, dans les aéroports et les ports maritimes. L’AWF et ses partenaires organisent aussi des ateliers dans divers districts du Kenya afin d’informer les magistrats, la police, les autorités douanières et migratoires et les communautés, dont beaucoup ne connaissent pas l’ampleur et l’impact du braconnage et du trafic, des lois existantes en matière de protection des espèces sauvages et de la nécessité de les appliquer.

Au niveau mondial, les actions engagées dans la lutte contre le braconnage et le trafic des espèces sauvages ont évolué au fil des ans et portent sur la réduction à la fois de l’offre et de la demande. Cela implique une meilleure protection des espèces sauvages sur le terrain (réduction de l’offre), une plus grande sensibilisation du public et des campagnes d’information sur les marchés de consommation (réduction de la demande). Les organisations gouvernementales et non gouvernementales participent activement aux actions menées sur le terrain et à l’étranger pour y parvenir.

Conclusion

La faiblesse de la gouvernance et la corruption ont exacerbé le problème. La pauvreté endémique a permis aux groupes criminels organisés de recruter, de soudoyer et de menacer des policiers, des militaires et des gardes-chasses locaux sous-payés pour qu’ils participent à des activités criminelles. Si rien n’est fait, cette crise aura des conséquences graves sur la biodiversité et l’économie. Les éléphants et les rhinocéros d’Afrique jouent un rôle crucial dans la conservation de la biodiversité et des écosystèmes de la savane et des forêts. En outre, ils attirent les touristes, une activité lucrative qui stimule l’économie. L’ampleur qu’a pris le massacre des éléphants et des autres espèces menacées d’extinction en Afrique de l’Est menace non seulement les espaces sauvages, mais aussi le développement économique et les moyens de subsistance de millions de personnes qui dépendent du tourisme pour vivre.

Compte tenu des tendances mondiales et régionales, la criminalité liée aux espèces sauvages au Kenya devrait progresser et affecter l’économie et la biodiversité du pays si rien n’est fait pour y remédier. Cette pratique constitue une menace importante pour la conservation durable de ces espèces et entraîne l’extinction de nombreuses autres. En tant que communauté mondiale, nous devons de toute urgence renforcer la coopération locale, régionale et internationale afin de protéger la nature sauvage.

Références

Adetunji Jo (2008). China Given Green Light to Buy African Ivory Stockpile, The Guardian, 15 juillet.

CITES (2013). De nouveaux chiffres révèlent que le braconnage pour le commerce illégal de l’ivoire pourrait décimer un cinquième des éléphants d’Afrique dans les dix prochaines années.

Disponible sur le site : http://www.cites.org/eng/news/pr/2013/20131202_elephant-figures.php

CITES, l’Union Internationale pour la conservation de la nature (IUCN), et TRAFFIC (2013). Situation des éléphants et niveaux de massacres et de commerce illégaux de l’ivoire : un rapport pour le Sommet sur l’éléphant d’Afrique (décembre).

Disponible sur le site : https://cmsdata.iucn.org/downloads/ african_elephant_summit_background_document_2013_ en.pdf