Les technologies de l'information et de la communication (TIC) portent les promesses d'un monde plus juste. En effet, dans de nombreux pays, l'accès à l'information et les réseaux sociaux permettent aux citoyens de faire davantage entendre leur voix dans les affaires locales, nationales et régionales. Alors que les technologies de l'information et de la communication ont des capacités immenses en matière de transformation individuelle et sociale, ceux qui se font déjà entendre dans les ordres du jour nationaux sont souvent ceux qui bénéficient des avantages offerts par les technologies. Les millions de pauvres vivant dans les zones rurales reculées qui, traditionnellement, peuvent le moins se faire entendre dans les affaires gouvernementales et dont les besoins sont peutêtre moins compris sont aussi ceux qui ont, jusqu'ici, le moins bénéficié de la technologie. Tandis que les chercheurs et les acteurs du développement se penchent depuis près de deux décennies sur l'utilisation des TIC pour répondre aux besoins des populations pauvres rurales, ce n'est que récemment qu'est apparu le potentiel transformateur des TIC pour améliorer les moyens de subsistance des milliards de pauvres dans le monde. Les premiers essais d'utilisation des TIC au service du développement ont été axés sur la création de télécentres, des établissements centralisés qui fournissent la communication et l'accès à l'information par le biais d'Internet. Certaines expériences ont été concluantes, mais l'impact de ce travail a été limité en raison des coûts de connexion, du nombre limité de personnes pouvant être connectées et de la difficulté d'intégrer ce mode d'information dans la vie des gens. Imaginez combien l'impact de ces technologies serait différent dans les pays développés s'il fallait aller à la bibliothèque municipale pour accéder à Internet ! Toutefois, avec l'essor rapide du secteur de la communication mobile, de nombreuses communautés pauvres et vivant dans des régions reculées ont aujourd'hui des téléphones portables, voire même accès à Internet, même si elles n'exploitent pas toujours les possibilités offertes. Avec la diffusion rapide des technologies, les appareils comme les smartphones sont produits à des prix abordables dans certains pays en développement. En même temps, l'émergence des services en nuage a commencé à fournir des plates-formes informatiques puissantes et extensibles pour un faible coût ou gratuitement à ceux qui ont accès à Internet. Ces progrès ont eu le même pouvoir de transformation sur les communautés pauvres que sur les populations plus aisées, parfois même un plus grand pouvoir. Mais comment peut-on réaliser le potentiel des TIC pour donner aux communautés rurales pauvres les moyens de réduire la pauvreté ? Les solutions passées offertes par les pays développés sont souvent axées sur la technologie, ne mettant pas suffisamment l'accent sur le contexte culturel et institutionnel. Les TIC étant des technologies porteuses et amplificatrices et non pas une solution en soi, il faut d'abord comprendre la nature du problème de l'autonomisation des populations au niveau local indépendamment de la technologie. Il est indispensable de doter les structures culturelles et institutionnelles existantes de mécanismes visant à promouvoir l'autonomisation des communautés locales. Ce point est illustré avec un exemple tiré du travail que nous réalisons actuellement en République démocratique populaire lao (RDP Lao). La RDP Lao est l'un des pays les plus pauvres d'Asie. Classé au 122e rang selon l'indice du développement humain, 27 % de la population vit avec moins d'un dollar par jour. Le Ministère de l'agriculture et des forêts s'emploie actuellement à élaborer et à peaufiner ses stratégies de développement agricole rural. Les objectifs principaux comprennent : assurer la sécurité alimentaire pour le pays, aider les communautés à développer la production agricole contre des espèces, stabiliser l'agriculture itinérante afin de réduire la pauvreté et promouvoir le développement durable des forêts. Comme dans de nombreux pays en développement, le principal obstacle à la réalisation de la stratégie de réduction de la pauvreté du Gouvernement est le manque de capacités du personnel au niveau local. C'est pourquoi le renforcement de ces capacités est un élément central de la plupart des initiatives de développement rural, mais la formation technique est principalement assurée pour répondre aux besoins d'un projet ou d'un programme particulier. Peu de considération est donc généralement accordée aux besoins à long terme du personnel local et à l'adaptation stratégique des activités de formation à un plan de développement des ressources humaines ou à un programme de développement professionnel plus vaste. Ce personnel, qui travaille étroitement avec les communautés locales et est responsable de l'exécution des divers projets de développement, n'a souvent pas les connaissances ni les compétences nécessaires pour résoudre les problèmes qu'il rencontre. Pour y remédier, le Ministère de l'agriculture et des forêts a lancé en 2007 un programme. En collaboration avec l'Alliance pour les zones humides (un programme de renforcement des capacités financé par la Suède pour réduire la pauvreté dans la région du Mékong), il a élaboré une stratégie en matière de développement professionnel du personnel. Un programme de licence en réduction de la pauvreté et en gestion de l'agriculture (PRAM) a été mis en oeuvre pour renforcer les compétences au niveau local. Ce programme offre uneformation pratique aux responsables de district. À l'inverse de la formation à court terme dans les domaines principalement techniques qu'offrent de nombreux projets de développement, le programme PRAM offre aux étudiants des compétences plus diverses et plus approfondies en matière de réduction de la pauvreté. Les cours ont été créés en collaboration avec des professionnels du développement, des responsables gouvernementaux et des agents de vulgarisation. Reconnaissant la valeur des connaissances techniques et de l'expérience des agents de vulgarisation, les cours visent à faciliter le partage de ces connaissances parmi les étudiants. Ils mettent l'accent sur l'apprentissage centré sur les problèmes avec des projets proposés par les étudiants et exécutés sur le terrain. Ces projets sont évalués non seulement en utilisant les mesures traditionnelles, mais aussi en fonction de leur impact sur la pauvreté en utilisant les indicateurs de pauvreté établis pour le Laos. Les résultats sont énoncés et l'efficacité du programme est évaluée en fonction de l'impact sur la pauvreté. Les cours sont enseignés dans des universités et des écoles d'agriculture au Laos et au nord-est de la Thaïlande. Devant le succès de la phase pilote initiale de ce projet, le Ministère de l'agriculture et des forêts a demandé de le développer pour en faire bénéficier une grande partie des 5 000 agents de vulgarisation dans le pays. Toutefois, le manque d'enseignants qualifiés et le fait que les districts les plus pauvres sont aussi dans les zones reculées posent d'immenses défis. Heureusement, le secteur privé a commencé à fournir une infrastructure TIC fiable dans les zones rurales, y compris la connexion Internet 3 G. Nous avons également des ordinateurs à des prix abordables ainsi que la technologie à énergie solaire qui viennent de Chine et de Thaïlande. La plupart des étudiants qui font partie du programme PRAM ont acheté leur propre ordinateur portable, principalement sur le marché d'occasion en Thaïlande. Pour libérer la capacité latente de cette riche infrastructure, il manque des logiciels adéquats et des contenus adaptés au contexte local, ainsi que le renforcement des capacités dans les TIC afin que les communautés locales puissent s'approprier la technologie. Reconnaissant que les TIC peuvent renforcer les capacités existantes et tirer profit de l'infrastructure en place, l'Institut international de l'Université des Nations Unies pour la technologie des logiciels (UNU-IIST) a formé un partenariat stratégique pour soutenir le Ministère de l'agriculture et des forêts dans la conception et la création de logiciels visant à renforcer les capacités des communautés locales dans le pays. Le système est conçu avec la pleine participation du personnel aux niveaux national, provincial et régional, ainsi que des étudiants et des enseignants du PRAM. Cette participation est essentielle à l'appropriation locale de l'initiative. De nombreuses questions sont en jeu, comme la tenue des réunions dans des lieux où les participants se sentent à l'aise, par exemple chez une personne vivant dans un village reculé. En réponse aux besoins exprimés par les agents de vulgarisation, le système fournira une plateforme pour enregistrer et communiquer les connaissances importantes au niveau local concernant les projets de réduction de la pauvreté réussis menés dans le cadre du PRAM. Le prototype du système permet la documentation des projets au contenu riche, comme le texte, les photos et les vidéos. Les projets des étudiants du PRAM étant évalués, un mécanisme d'assurance de la qualité du contenu est naturellement établi. Ce contenu sera utilisé par les enseignants, de sorte qu'au lieu de localiser le contenu, celui-ci est créé localement. En outre, la plate-forme permettra aux agents de vulgarisation de partager ces connaissances et de mettre en place des réseaux professionnels afin de créer une communauté d'apprentissage entre pairs. La future fonctionnalité permettra de rassembler les informations recueillies au niveau local afin d'élaborer des politiques et d'aider les bureaux provinciaux et centraux à surveiller l'efficacité des programmes de réduction de la pauvreté. La mise en place de ce système présente de nouveaux défis qui vont au-delà des obstacles linguistiques, comme la création informatique, l'informatique cognitive et participative. Un défi intéressant est de trouver les moyens de rassembler les informations principalement qualitatives des expériences réussies de façon à aider à l'élaboration des politiques gouvernementales. Une équipe de chercheurs du Spatial Cognition Research Center des universités de Brême et de Fribourg cherche comment appliquer les techniques du raisonnement qualitatif et de l'intelligence artificielle à ce problème. Étant donné que de nombreux pays connaissent des situations et des défis similaires à ceux du Laos, on peut espérer et compter que les méthodes et certaines des solutions présentées ici seront appliquées sur une grande échelle pour aider ceux qui ont été trop longtemps négligés. .