Les chasseurs inuits qui vivent dans le nord du Groenland marchent avec précaution sur la glace dont l'épaisseur diminue, alors qu'en même temps les animaux dont ils dépendent - phoques, morses, narvals et ours polaires -s'éloignent des zones où ils sont habituellement chassés, répondant à leur tour à la transformation des écosystèmes locaux. Dans les hautes montagnes de l'Himalaya, les Sherpas, les Tamang, les Kiranti, les Dolpali et d'autres groupes autochtones constatent que les glaciers fondent. Il est en de même dans d'autres régions montagneuses du monde, comme dans les Andes péruviennes où les Quechua suivent avec inquiétude le recul des glaciers au sommet des montagnes. Dans le désert de Kalahari, les San ont appris à affronter les périodes de faim et de pauvreté, périodiques mais bien trop fréquentes, résultant de la combinaison d'événements économiques, politiques, environnementaux et climatiques. Les San, comme d'autres groupes d'autochtones, ont dû adopter des stratégies ingénieuses pour affronter les changements climatiques et leurs conséquences, mais ils constatent aujourd'hui que ces changements sont différents de ceux dont ils se souviennent. Partout dans le monde, les peuples autochtones sont confrontés à des changements climatiques qui ont des effets sans précédent sur leurs terres, leurs cultures et leurs moyens de subsistance.

Les peuples autochtones dépendent des ressources naturelles et habitent souvent au sein d'écosystèmes divers mais fragiles. Parmi les habitants de la planète, ils sont les plus marginalisés, les plus appauvris et les plus vulnérables. Alors qu'ils ont le moins contribué aux émissions de gaz à effet de serre qui caractérisent les changements climatiques causés par les activités humaines, ils supportent le choc de la crise climatique et ont moins accès aux ressources et au soutien politique et institutionnel qui leur permettraient de faire face à la situation. Ils doivent s'adapter à un environnement changeant et créer des stratégies pour pouvoir répondre aux changements qui surviennent - de la diminution de la banquise et des chutes de neige dans l'Arctique, du recul des glaciers dans les régions de haute altitude, de l'érosion des régions côtières et de l'élévation du niveau de la mer, de la diminution des pluies dans les zones tempérées, à l'augmentation des incendies de forêts tropicales.

Les évaluations scientifiques régionales et mondiales, comme l'Évaluation de l'impact du changement climatique dans l'Arctique (ACIA) et la Quatrième Évaluation du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), ont indiqué sans équivoque que le changement climatique pourrait avoir des effets irréversibles sur les écosystèmes, les sociétés et les cultures qui demanderont une réponse mondiale urgente et une action soutenue. Mais cette recherche scientifique reflète à peine les phénomènes observés par les populations autochtones dans de nombreuses parties du monde, en particulier celles qui vivent dans l'Arctique, les régions montagneuses, les terres semi-arides et les íles du Pacifique sud - des régions qui sont des indicateurs sensibles des effets profonds qu'ont les activités humaines sur le climat mondial. Dans l'Arctique, en particulier, le climat a connu des changements à un rythme sans précédent au cours des 50 dernières années et les études scientifiques indiquent une diminution rapide de la couverture de glace pluriannelle dans l'océan Arctique ainsi que la disparition progressive de la calotte glaciaire au Groenland et d'autres masses de glace. Les images satellites haute résolution continuent de montrer que les glaciers et les coulées de glace fondent rapidement et que le mouvement s'accélère. Les résidents des íles du Pacifique sud n'ont pas besoin qu'on leur explique le lien entre ce phénomène et la montée des eaux qui menacent d'engloutir leurs habitations.

Il serait plus précis de dire que nous sommes au milieu d'une crise climatique mondiale. On ne saurait trop insister sur la nécessité, et l'opportunité offerte, d'un accord historique sur le changement à Copenhague en décembre 2009. Le changement climatique a toutefois une dimension régionale - son impact n'est pas universel. Certains environnements et certaines populations sont plus exposés en fonction des facteurs géographiques, environnementaux et socioéconomiques et, en conséquence, sont beaucoup plus vulnérables aux effets du changement climatique que d'autres. Mais si le changement climatique est une réalité pour les peuples autochtones, d'autres problèmes importants existent. Le changement climatique amplifie les problèmes existants : la pauvreté, la marginalisation, la perte et la dégradation des terres, l'exclusion sociale et la mise à l'écart dans les processus de prise de décision aux niveau national et international. Le changement climatique est une question qui relève des droits de l'homme et des inégalités - il doit être compris dans le contexte des facteurs de contrainte multiples qui affectent les populations autochtones et les communautés locales.

Les changements à l'échelle des écosystèmes ont de lourdes conséquences pour les peuples autochtones, la protection et la gestion de la faune, des pêcheries, des forêts, des mangroves, de la savane, des terres humides, des montagnes et des écosystèmes des petites íles et ont des effets dramatiques sur l'utilisation traditionnelle et coutumière des espèces et des ressources qui sont importantes pour leur vie économique. Pour ces populations, les conséquences des changements climatiques ne sont pas simplement physiques. Beaucoup considèrent que ces changements menacent leurs moyens d'existence, leur économie et leurs ressources et entraínent une érosion de la vie sociale et culturelle ainsi que la perte des savoirs traditionnels. Tandis que les discours prononcés à l'échelle mondiale se concentrent sur la recherche de solutions d'adaptation et d'atténuation par des moyens scientifiques et technologiques, les perspectives du changement climatique auxquelles les peuples autochtones font face posent un défi supplémentaire à leur capacité de s'adapter, de répondre aux changements environnementaux et sociaux. La clé des négociations efficaces et fructueuses - et d'un accord assorti de solutions - est d'assurer que les peuples autochtones puissent y participer pleinement. Mais il n'en reste pas moins que les contributions cruciales que ces peuples et leur savoir traditionnel peuvent apporter aux discussions et aux négociations mondiales sont souvent ignorées.Dans les processus nationaux, régionaux et internationaux, comme la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), où les politiques d'atténuation des changements climatiques sont débattues et élaborées, les peuples autochtones ont beaucoup de mal à faire entendre leurs voix et à faire reconnaítre leurs préoccupations, ce qui contraste radicalement avec la Convention sur la diversité biologique (CDB) où le Forum international des peuples autochtones sur la biodiversité (FIAB) est un organe consultatif de la Convention. En effet, la CCNUCC n'offre pas aux peuples autochtones un espace constitutionnel et un lieu de débats similaires. Jusqu'ici, leurs préoccupations et leurs points de vue, en particulier les perspectives en matière de rapports entre les sexes et entre les générations, n'ont pas été sérieusement examinées lors des négociations et des décisions liées au climat. La CCNUCC, par exemple, ne mentionne pas explicitement comment le changement climatique touche les peuples autochtones. La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones reconnaít que les peuples autochtones ont des droits - un accord mondial sur le changement climatique doit aussi se référer à ces droits et les reconnaítre. En outre, la protection des droits est une condition préalable au renforcement de la capacité des peuples et des communautés autochtones à faire face aux changements climatiques, tout comme la reconnaissance de l'importance des savoirs traditionnels pour la gestion des écosystèmes. Si l'objectif le plus immédiat pour les peuples autochtones est l'adoption par la CCNUCC de la Déclaration sur les droits des peuples autochtones, après les discussions qui auront lieu à Copenhague - et les résultats qui en découleront - le défi constituera à s'assurer que les stratégies et les priorités locales des peuples autochtones seront reflétées et incorporées dans les projets d'adaptation nationaux, les processus de prise de décision et les stratégies d'action.