L’idée de la migration de retour, avec l’objectif d’aider les migrants qui retournent volontairement dans leur pays à s’y réinstaller peut sembler un moyen attrayant pour les gouvernements qui cherchent à gérer la migration de façon humaine.  Au cours des dernières années, cependant, alors que la migration de retour est devenue une stratégie privilégiée par les gouvernements et l’une des très rares options proposée aux migrants, les problèmes résultant de cette pratique et des politiques qui la soutiennent sont apparues de plus en plus clairement. Entre les priorités de la gouvernance et les circonstances très complexes, multiples et déterminées historiquement des migrations en tant que phénomène mondial, les stratégies de mise en œuvre centrées sur un seul aspect ont des conséquences clairement perceptibles. En témoigne le chaos provoqué par les nombreuses interventions gouvernementales qui ont abouti à la mise en place de mesures qui limitent et évincent les besoins, les aspirations et les droits de migrants. Jamais cela n’est plus évident que dans le cas de la migration du Sud vers le Nord.

En tant que pratique qui comprend la coopération entre le pays d’accueil ou le pays d’origine et les gouvernements des pays d’envoi, ainsi que, très souvent, des gouvernements de pays intermédiaires, la migration de retour a augmenté pour la simple raison que la migration est considérée comme un phénomène indésirable ou une question problématique qui doit être contrôlé, géré et endigué. Le retour assisté est perçu comme la réponse logique et mesurée aux politiques et aux lois qui ont trop souvent nié aux migrants internationaux les droits de citoyenneté de base, souvent des années durant. L’absence des droits de citoyenneté conduit à des formes d’asservissement multiples où les migrants se trouvent marginalisés légalement, politiquement et économiquement par des lois et des politiques qui les maintiennent dans la marginalité et leur offrent très peu de choix, voire aucun. C’est aussi une réponse à d’autres formes d’asservissement plus sinistres, comme la traite des êtres humains, de sorte que le retour assisté et la réintégration deviennent un processus de secours et de réforme. Fondamentalement, on suppose aussi que, par le biais d’une bonne gouvernance, le retour des migrants dans leur pays d’origine peut non seulement être humain, mais aussi bénéfique.

L’une des priorités du Dialogue de haut niveau des Nations Unies sur les migrations et le développement sera certainement d’examiner les réalités complexes des migrants. Pour ce faire, il est impératif de bien comprendre non seulement les nombreux facteurs qui poussent des personnes à prendre la route de l’exil et à franchir les frontières, mais aussi les conséquences pour les gouvernements qui visent à faire face à ce phénomène et à le contenir. Cela nécessite une perspective socio-économique centrée d’abord sur les réalités quotidiennes de la migration massive. Le but est d’aider ceux qui élaborent les politiques à mieux appréhender le contexte plus large des flux migratoires. Il faut rapprocher les spécificités et les variations des contextes des migrants et le caractère abstrait et général des politiques. Il faut, en particulier, veiller à distinguer la migration de retour du refoulement, du rapatriement forcé ou de l’expulsion et comprendre également ce qui entoure la décision volontaire du retour. C’est aussi dans ce domaine que les stratégies humanistes visant à promouvoir la réintégration des migrants de retour ont échoué. Dans quelle mesure la décision de retour est-elle volontaire si elle est basée sur un système juridique fermé qui nie l’accès à la citoyenneté, sur des conditions économiques très difficiles et défavorables ou sur un fond de menaces et sur des discours qui font l’amalgame entre travailleurs clandestins et criminels ?

La migration de retour est presque toujours une stratégie qui vise à renforcer le droit du pays d’accueil à la gestion des affaires publiques et à une meilleure gestion de ses frontières plutôt qu’à se soucier des personnes concernées. Par exemple, la camionnette qui sillonne actuellement les rues des quartiers ciblés du Royaume-Uni porte une pancarte indiquant : « Illégalement au Royaume-Uni ? Rentrez chez vous ou vous serez arrêté. Envoyez un message texte à HOME au 78079 pour obtenir gratuitement des conseils et de l’aide concernant les documents de voyage ». Ceux qui répondent à ces appels et retournent « volontairement » ne seront certainement pas ceux pour qui le retour mettrait la vie en danger. Quel effet cette campagne, et des campagnes similaires, ont-elles sur les personnes qui avaient dû quitter précipitamment leur maison, voyager des centaines ou même des milliers de kilomètres pour échapper à des régimes qui auraient rendu leur vie invivable ? Ils vivront constamment dans la crainte et perdront tout espoir. Les réfugiés des régions en guerre ou des conflits ethniques, souvent sans papiers, les migrants ayant fui les régions et les pays détruits par le déplacement, voire la destruction, des économies locales par les capitaux transnationaux pourraient très bien choisir de rester dans la clandestinité et de rejoindre les rangs des invisibles. Ils ne chercheront pas d’aide et n’essaieront pas non plus de légaliser leur situation de peur d’être arrêtés. Ils choisiront l’invisibilité et l’absence. Ils éviteront de faire toute réclamation qui pourrait signaler leur présence. Imaginez ce que cela veut dire en cas d’urgence médicale. Les conséquences sont souvent tragiques et contredisent les arguments selon lesquels les politiques permettent le développement du processus démocratique et l’instauration d’un monde plus juste et plus équitable. En fait, beaucoup diront qu’il en résulte souvent une aggravation des injustices passées et une violation fondamentale des droits de ces personnes.

Ce qui permet aux organisations et aux gouvernements de présenter la migration de retour comme un phénomène souhaitable est l’idée que le pays natal est un lieu d’origine et d’appartenance et également que les gouvernements collaborent pour faciliter la réintégration des migrants, veillant donc à ce que la migration de retour soit un processus impeccable et mesuré. En théorie, c’est vrai. Ce qui est en jeu ici est la logique utilitariste du développement (l’inverse des flux et des réseaux de migrants beaucoup plus liés au contexte, subjectifs, dynamiques et incontrôlables qui émergent dans le monde).

Pourtant, ce n’est pas toujours le cas dans la pratique. Malgré la mise en place de mesures pour faciliter le retour des personnes dans leur pays, de nombreux défis demeurent. Afin de mieux comprendre pourquoi la migration de retour peut être problématique, notamment renforcer l’asservissement auquel de nombreux migrants sont assujettis, il est important que les responsables politiques changent de perspective et au lieu de prendre des décisions dans le confort de leurs bureaux cherchent à comprendre les réalités locales.

Pour commencer, les impacts socioculturels de la mondialisation devraient être davantage pris en compte dans les débats. En tant que phénomène qui remonte à l’époque coloniale, il y a quelque 300 ans, la mondialisation touche profondément les contextes locaux et mondiaux, déstabilisant les localités et créant aussi des liens à travers les frontières. Dans ce contexte de tourmente, la mobilité devient un mode de vie. La mobilité, et les nombreuses migrations qu’elle comprend, défie les frontières des nations, les collectivités et les identités. Gardant à l’esprit que le projet colonial a apporté avec lui la violence et les troubles, pour ne pas mentionner la priorité du profit sur la vie humaine, il n’est pas surprenant que la migration soit un phénomène répandu. Les discussions portant sur la migration et le développement pourraient commencer de manière utile par une réflexion sur les motifs migratoires qui accompagnent deux aspects du projet moderne, ceux du progrès et du développement. Les deux termes évoquent la mutabilité ainsi que la mobilité. Les inégalités économiques et politiques mondiales actuelles, divisées comme elles le sont entre les nations en développement et les nations développées, déclenchent le désir de prendre part de quelque manière que ce soit à l’hégémonie mondiale. Ce désir est au cœur de nombreux migrants. Il affecte la relation d’une personne à son pays natal. En plus, il est évident que les nombreux problèmes politiques, économiques et environnementaux qui touchent les nations en développement exacerbent la migration, essentiellement parce que les gens doivent fuir ces contextes. Parfois, comme dans les cas de conflits civils, par exemple, ils fuient pour survivre. Dans d’autres cas, les difficultés locales ou nationales les incitent à chercher ailleurs une vie meilleure. C’est précisément pour cette raison qu’il est difficile, pour ne pas dire impossible, d’assumer que les termes « migrant », « réfugiés » « demandeur d’asile » peuvent être utilisés séparément.

Dans le contexte de la migration Sud-Nord en particulier, de nombreux facteurs transforment le pays natal en un espace d’exclusion, surtout pour les jeunes. La migration de retour est donc une question épineuse, qui peut fonctionner comme une notion abstraite, mais qui est concrètement complexe. Dans le contexte de la migration, le concept de pays natal a toujours une dimension affective. Dans son sens le moins complexe, généralement dans le contexte des communautés de la diaspora établies, le pays natal est un terme problématique qui scinde les allégeances émotionnelles, idéologiques et autres allégeances entre ici et là-bas, de sorte que le concept lui-même est souvent élargi pour englober les contextes transnational, transculturel et transgénérationnel. Dans les contextes où le retour est motivé par l’impossibilité de séjourner dans le pays d’accueil, l’idée de pays natal devient un ensemble de questions beaucoup plus complexes qui doivent être traitées avec précaution. Les termes binaires généralement utilisés pour dresser la carte de la migration, comme l’incitation et l’attraction, volontaire et involontaire ou économique et réfugié sont insuffisants. Il en va de même pour les notions de retour et de réintégration. Alors que ces termes peuvent être applicables sur le plan de la législation, l’expérience vécue dans ce contexte révèle cependant les points faibles des cadres juridiques pour englober et traiter de manière appropriée la complexité des expériences humaines de la migration. Les termes clés qui doivent faire l’objet d’une plus grande réflexion au niveau politique sont les concepts associés de nation et de pays natal. On a trop souvent l’impression que ces deux termes sont équivalents. De nombreuses façons, et notamment aux yeux de la loi, c’est le cas. Cependant, il existe des facteurs historiques et culturels importants qui les différencient. Le premier, et peut-être le point le moins pris en compte par tous les responsables politiques, est l’héritage psychologique du colonialisme qui a donné aux sociétés des nations en développement – les nations postcoloniales – le sentiment que leur culture, leur langue et leur mode de vie étaient moins importants que ceux des pays plus développés, dont beaucoup sont eux-mêmes d’anciennes puissances coloniales. Ce sentiment d’être relégué au deuxième rang vient de l’inégalité face à la modernité entre le monde en développement et le monde développé. Cela a donné lieu à la création de frontières qui doivent être franchies pour réussir, individuellement et collectivement, passer d’un monde en développement à un monde développé.

La prévalence croissante des politiques relatives à la migration de retour demandera inévitablement un examen plus approfondi une fois que les conséquences de leur mise en œuvre seront reconnues. Le lien étroit entre l’intensification de la mondialisation et ses perturbations dans les structures de commerce et la gouvernance et l’accélération de la migration massive et les appels à la justice sociale qui l’accompagne, y compris les droits politiques et économiques, entraînera inévitablement un examen plus approfondi des politiques relatives à la gestion de la migration, comme la migration de retour. La migration de retour est bien plus que le retour en toute sécurité ou la sécurité d’emploi dans le pays d’origine. Il s’agit aussi de croisements culturels, d’une réinvention de soi, d’une redéfinition de ses aspirations personnelles, familiales et collectives. Pour les enfants, cela peut signifier moins de possibilités puisque, dans les contextes des immigrants, c’est souvent la deuxième ou la troisième génération, et non pas la première, qui bénéficie le plus de l’expérience migratoire en termes de capital économique et culturel. Plus important, lorsque la nation ou le pays natal est un lieu où les migrants sont expulsés, où l’émigration est très importante, comment la réintégration peut-elle avoir lieu ? Ou, plus précisément, que peut-on réintégrer ? Peut-être que les meilleurs exemples de la migration de retour sont ceux qui ont lieu sur une base individuelle, sans aucune assistance, où les migrants choisissent de renouer les liens avec leur pays natal en raison d’une amélioration significative de l’économie, de l’infrastructure et de l’environnement politique. Dans ces cas, la réintégration a lieu de manière organique et se passe de gestion et de promotion.