31 décembre 2012

Pendant des siècles, on a considéré que la violence sexuelle et autres atrocités perpétrées contre les femmes étaient inévitables en temps de guerre. Aujourd'hui, des cadres et des institutions juridiques sont mis en place pour garantir la justice aux femmes touchées par un conflit, et des progrès sont réalisés.
Dans toutes les situations de conflit, les femmes sont touchées de façon disproportionnée par les violences sexuelles et sexistes, les déplacements forcés, la destruction de l'infrastructure civile et les violations des droits. Les problèmes nés de ces violences persistent longtemps après qu'un accord de paix a été signé.
Au cours des trois dernières décennies, des progrès importants ont été réalisés dans l'établissement d'un système de justice internationale qui comprend l'obligation de rendre compte des actes de violence liés au sexe. La poursuite des auteurs de ces crimes marque un tournant important, une affirmation des droits égaux des femmes et une volonté internationale de protéger ces droits. Pour la première fois dans l'histoire, ces progrès significatifs ont permis de poursuivre les auteurs de violences sexuelles et sexistes dans un conflit.
Toutefois, beaucoup reste à faire. Les femmes restent souvent exclues du processus. Les obstacles qui les empêchent d'accéder à une protection juridique de leurs droits persistent, engendrant la discrimination et les inégalités qui les empêchent de vivre dans la sécurité et de faire partie de la société en tant que citoyennes à part entière et égales.
Après les conflits, les institutions fonctionnent de manière rudimentaire, les réseaux communautaires sont affaiblis, les armes de petit calibre prolifèrent et la violence subie par les femmes persiste. La dévastation qu'ils causent exacerbe à la fois les problèmes de discrimination et leurs effets. En conséquence, les femmes ont un accès minimum à la justice alors qu'elles en ont le plus besoin.
L'absence d'un cadre de lois pour protéger les femmes, appuyé par des institutions de sécurité et de justice pour appliquer ces droits, a un vaste impact. Le Rapport de 2011 sur le développement dans le monde de la Banque mondiale a établi des faits importants sur le lien entre la justice, la sécurité et le développement dans les États touchés par un conflit. Il a noté que lorsque l'état de droit et la justice ne sont pas garantis, l'insécurité et la violence persistent et le développement se heurte à des obstacles. Comme beaucoup l'ont constaté, les conflits violents, avec ses morts, les maladies, la destruction et le déplacement des populations, sont « un développement à l'envers ».
Cette insécurité et cette violence, facilitées par l'absence de justice ou de cadres juridiques, empêchent également la participation des femmes à la reconstruction de leur pays - dans les efforts de reconstruction, de consolidation de la paix et de développement. Sans la sécurité, les femmes et les filles ne participent pas aux activités agricoles ou commerciales, ce qui est crucial pour le relèvement rapide du pays et la survie de leur famille. Les filles ne sont pas scolarisées. Les femmes ne participent pas la vie publique. En somme, sans la justice et la sécurité, la moitié de la population et des ressources humaines n'est pas en mesure de contribuer au développement et à la paix.
L'une des mesures les plus importantes permettant aux femmes de participer est de faire en sorte qu'on leur accorde réparation. Comme l'indique la Déclaration de Nairobi de 2007 sur le droit des femmes et des filles à un recours et à la réparation, « [la justice et] la réparation doivent aller au-delà des causes et des conséquences immédiates des crimes et des violations; elles doivent viser à redresser les inégalités politiques et structurelles qui façonnent négativement la vie des femmes et des filles ». Cela est capital parce que les femmes sont plus que les victimes des conflits; elles sont les dirigeantes des mouvements pour la paix, la justice et la démocratie.
L'impulsion créée après un conflit présente des occasions uniques de transformation. Selon le rapport d'ONU-Femmes intitulé « Les progrès des femmes à travers le monde: En quête de justice », la période de transition qui suit un conflit présente non seulement des opportunités importantes pour examiner les injustices dont sont victimes les femmes en temps de guerre, mais aussi une chance de transformer les inégalités profondes et la discrimination fondées sur le sexe par l'établissement de nouvelles constitutions, des réformes législatives et le renforcement des institutions.
Des études montrent que le rétablissement des services de base, comme l'éducation et les soins de santé, est essentiel à la capacité des femmes d'accéder à la justice. Pour aller dans ce sens, l'ONU préconise de donner priorité à la sécurité des femmes dans les initiatives menées dans le domaine de l'état de droit et de créer un environnement protecteur pour les femmes. La clé du succès consiste à fournir aux femmes l'accès aux institutions chargées de rendre justice, d'appliquer la loi et de mettre en oeuvre les connaissances et les conseils d'experts concernant la prise en compte de la problématique hommes-femmes dans l'élaboration des commissions de vérité, les programmes de réparation et d'autres mécanismes de justice transitionnelle. Tout aussi importants sont les programmes de relèvement économique qui donnent priorité à la participation des femmes, les projets de création d'emplois, les programmes communautaires de développement et la fourniture de services d'intervention. Cet engagement est souligné dans le Rapport de 2010 du Secrétaire général intitulé « La participation des femmes dans la consolidation de la paix » et son rapport de 2001 « Le rétablissement de l'état de droit et l'administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d'un conflit », qui demandait de prêter une attention accrue aux questions économiques et sociales profondes qui engendrent des inégalités.
Plus récemment, le 24 septembre 2012, l'Assemblée générale des Nations Unies a tenu une Réunion de haut niveau sur l'état de droit pendant laquelle les États Membres ont adopté une Déclaration réaffirmant leur engagement à respecter l'état de droit pour servir de base à la paix et à la sécurité, au développement et au respect des droits de l'homme. Les États ont renouvelé leur engagement à « créer des cadres juridiques et législatifs appropriés afin de prévenir et de réprimer toutes formes de discrimination et de violence contre les femmes et d'assurer leur autonomisation et leur libre accès à la justice ».
Complétant l'activité des juridictions pénales internationales, ONU-Femmes continue de travailler à l'élargissement de la notion de justice pour les femmes en mettant l'accent sur la victime. L'approche d'ONU-Femmes envisage une justice globale qui comprend la composante cruciale de la réparation, qui est le droit d'une victime en vertu du droit international.
Afin de renforcer l'approche de l'ONU concernant l'accès des femmes à la justice après un conflit, ONU-Femmes examine actuellement tous les programmes et financements existants dans ce domaine. Cet effort marquant contribuera à placer la question de l'accès des femmes à la justice au centre des efforts menés par l'ONU pour promouvoir l'état de droit dans les sociétés sortant d'un conflit.
Il est important que toutes les mesures de justice transitionnelle - cours, commissions de vérité et programmes de réparation - placent les besoins des femmes au centre de leurs activités et agissent en faveur de la justice pour les femmes. ONU-Femmes s'emploie à veiller à ce que chaque Commission d'enquête de l'ONU dispose d'un personnel qualifié pour mener des enquêtes sur les crimes sexistes afin que les responsables répondent de leurs actes. Plus récemment, ces efforts ont donné à la Cour pénale internationale la possibilité de juger les responsables de ces crimes en relation avec le conflit en Libye. Nous avons également soutenu les processus des commissions de vérité dans de nombreux contextes, par exemple au Kenya, aux íles Salomon et en Sierra Leone, afin de promouvoir l'accès des femmes à la justice.
Afin de protéger et de partager l'expérience acquise au sein du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda et le Tribunal spécial pour la Sierra Leone, nous appuyons l'héritage et la documentation de leur travail. Dans le cadre de cette initiative, ONU-Femmes et le Programme des Nations Unies pour le développement ont facilité une visite à New York des femmes qui dirigent le Tribunal spécial pour la Sierra Leone pour informer le Conseil de sécurité de leur travail. Leurs contributions ont rendu évident le fait que ces femmes ne sont pas seulement un modèle important du rôle de chef de file des femmes dans la prise de décision après un conflit mais, plus important, elles ont créé une jurisprudence internationale sur les crimes sexistes et ont amélioré activement l'accès des femmes aux tribunaux en apportant leur appui aux programmes de sensibilisation des femmes. Ces programmes sont maintenant repris par d'autres tribunaux.
ONU-Femmes travaille avec les gouvernements pour soutenir les réformes juridiques et institutionnelles et la formation et renforcer les capacités des personnes chargées de rendre la justice, y compris la police, les avocats et les juges. Nous travaillons aussi pour que davantage de femmes contribuent en première ligne à la justice.
Au Liberia, ONU-Femmes a soutenu les femmes dans les communautés pour qu'elles jouent un rôle crucial dans la consolidation de la paix et le règlement des conflits. Cela s'est fait en facilitant la création des Huttes de la paix qui sont basées sur les systèmes de justice traditionnels. Au début, ces Huttes avaient pour but d'aider les femmes à faire leur travail de deuil et de conseiller celles qui ont été victimes de violences ainsi qu'aider les enfants soldats après la guerre civile. Puis, elles ont commencé à traiter des cas et sont devenues des espaces sûrs où les femmes du village se réunissaient pour méditer et résoudre les différends au sein de la communauté. C'est là qu'elles discutent des questions qui concernent leur vie quotidienne, que se déroulent les activités de réconciliation et de règlement des conflits et qu'elles appellent la police pour mettre fin à la violence à l'égard des femmes. C'est aussi là où les femmes rurales discutent librement et en sécurité des questions concernant les inégalités, prennent des décisions sur la paix et la sécurité et demandent justice.
En Haïti, ONU-Femmes aide les associations en appuyant la prise en charge médicale et légale des femmes rescapées de la violence sexiste dans les zones rurales. Les vastes campagnes de sensibilisation et la coopération avec les communautés locales chargées de la sécurité ont donné lieu à une réduction de la tolérance vis-à-vis de la violence à l'égard des femmes dans la communauté. Ces changements envoient un message fort aux acteurs de violence potentiels. Les hommes hésitent davantage à battre les femmes car ils sont conscients des mesures et des lois en place et ne veulent pas être punis ou emprisonnés.
Au Kenya, nous soutenons le Gouvernement dans la création d'une association de policières afin de promouvoir leur rôle dans l'application de la loi et la réforme de la sécurité. Cette association sera une plate-forme où les policières pourront développer leurs compétences de chefs, s'aider mutuellement et promouvoir les politiques et les pratiques tenant compte de la problématique hommes-femmes au sein de la police.
Nous devons soutenir davantage les centres d'assistance juridique et les tribunaux mobiles dans les sociétés sortant d'un conflit et améliorer la formation aux poursuites judiciaires des crimes sexistes pour toutes les personnes travaillant dans la justice, des procureurs aux enquêteurs judiciaires en passant par les avocats commis d'office. Nous devons améliorer les mesures afin d'assurer la protection des victimes et des témoins et de renforcer la participation des femmes afin qu'elles puissent bénéficier des processus de justice transitionnelle et des programmes de réparation.
Exploiter ce potentiel et soutenir la volonté politique requise demeurent un défi. Cela demande non seulement de mettre davantage l'accent sur l'état de droit et la justice, mais aussi de porter une attention accrue à la justice pour les femmes. Dans les situations de consolidation de la paix, l'ONU devrait donc axer son soutien sur trois éléments fondamentaux : garantir la justice et appliquer le principe de responsabilité pour les violences subies par les femmes dans un conflit; reconstruire les systèmes de justice nationaux à la base avec, comme éléments centraux, la participation des femmes, leur accès à la justice et la problématique hommes-femmes; et
lier la réponse judiciaire à une notion plus large de la justice et de l'égalité pour tous.
Enfin, l'état de droit doit autonomiser les personnes et encourager leur participation à la reconstruction de leur société, afin que toutes aient la possibilité de partager les dividendes de la paix et de la justice. ❖

 

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