27 juin 2014

COMMENT LES CHOSES ONT COMMENCÉ

La création du Groupe des 77 a marqué le point de départ de ma carrière professionnelle et de ma mission consacrée à la cause des pays en développement.

En 1966, je préparais mon doctorat à l’Université de Californie, à Berkeley, et cherchais un sujet de thèse. Mon professeur, Ernst B. Haas, m’a conseillé de contacter Leo Mates, une personnalité politique et un intellectuel yougoslave éminent et l’un des architectes du Mouvement des non alignés. Ce dernier m’a parlé de la création de la CNUCED et du Groupe des 77 et m’a suggéré de prendre comme sujet de thèse la prise de décisions au sein de la CNUCED et le système de groupes dans ce cadre.

J’ai accepté cette idée avec enthousiasme pour plus d’une raison. J’étais intéressé par son aspect politique. Ayant grandi en Yougoslavie, la cause des pays en développement et des pays non alignés m’était chère. Le sujet était nouveau et personne ne s’y était probablement jamais attaqué. Cela signifiait orienter mon travail sur les Nations Unies, ce qui correspondait à mon intérêt universitaire pour les relations internationales et l’Organisation internationale. Cela impliquait, ce qui était important pour moi, le renforcement des liens formels avec mon pays qui était l’un des membres influents du G77 et m’assurait aussi un avenir orienté vers l’ONU et les causes mondiales en m’éloignant de la tentation d’entreprendre une carrière universitaire ou gouvernementale.

 LA PREMIÈRE RENCONTRE

Lorsque j’ai franchi les portes du Palais des Nations à Genève en avril 1967, j’ai pris contact avec les délégués de la CNUCED et les membres du Secrétariat et leur ai posé des questions sur le système du groupe; ils m’ont regardé avec surprise et curiosité. Issu d’une université américaine et armé de mon questionnaire sur le système de groupes, peu familiarisé avec l’environnement politiquement explosif de la CNUCED, certains ont dû penser que j’étais un « agent » envoyé par le Nord. W. Malinowski, le chef de la Division des transports de la CNUCED, par exemple, considérait mes motifs comme très suspects. Même K. Vidas de la délégation ne savait pas exactement quoi penser.

Un soir, peu après mon arrivée, j’ai aperçu Raul Prebisch devant une boutique située dans une rue déserte du vieux quartier de Genève. Je me suis approché et me suis présenté. Puis je lui ai demandé: « En tant que fonctionnaire qui est, par définition, censé être « neutre » entre les parties adverses, comme le G 77 et le Groupe B, comment conciliez-vous votre secrétariat et la défense des objectifs de développement et le soutien ouvert au groupe des pays en développement ? » Cette question polémique sur le Groupe B a semblé l’irriter. Il a répondu fermement : « Si, dans une rue, vous voyez un adulte battre un enfant, resteriez-vous simplement les bras croisés à regarder la scène parce que vous êtes censé être ‘neutre’ ? » Cette première rencontre avec Raúl Prebisch, quoique brève, a été déterminante. Elle a forgé ma vision du monde et m’a fait comprendre la mission des Nations Unies dans le monde. Elle a influencé et façonné mon travail, mes attitudes et mes actions dans les années et les décennies qui ont suivi ainsi que ma philosophie de la vie.

 L’ENTHOUSIASME POUR LA CNUCED ET POUR LE GROUPE DES 77 À LEURS DÉBUTS

Cette période a été passionnante et difficile. C’est lors du Cinquième Conseil du commerce et du développement que j’ai tiré l’une de mes premières « leçons ». Pendant que j’écoutais les débats, émerveillé par leur importance, j’ai remarqué le Rapporteur uruguayen Mateo Magarifios de Mello. Lorsque je me suis renseigné sur lui, on m’a dit que vu sa propension à faire des interventions rhétoriques fréquentes et longues lors des exposés, il avait été nommé rapporteur pour empêcher qu’il n’intervienne trop souvent pendant les débats. C’est ainsi qu’a débuté ma formation en diplomatie multilatérale internationale.

L’apprentissage a été rapide et riche en événements. Au début, j’ai interviewé des délégués et des fonctionnaires du Secrétariat en leur posant des questions sur le mécanisme du système de groupes. J’ai vite compris que la question en jeu était beaucoup plus importante : il s’agissant de la confrontation Nord-Sud concernant la nature du système mondial et de l’ordre économique. Comme j’étais mieux informé, les délégués et les membres du Secrétariat étaient plus disposés à me parler. Souvent, il semblait que j’en savais plus sur les travaux que les fonctionnaires internationaux ou les délégués à l’emploi souvent très chargés, ce qui m’a valu un compliment de Diego Cordovez.

Les couloirs du Palais débordaient d’activité et d’enthousiasme. La CNUCED et le Groupe des 77 allaient changer le monde. À la villa rose Le Bocage, située à proximité, l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) et son Directeur général Wyndham White étaient inquiets et incertains de leur avenir. Des personnalités et des experts éminents du Nord et du Sud, des missions permanentes de Genève auprès de l’ONU et des capitales nationales ont pris part aux débats. K. B. Lall (Inde), Alexandre Kojève et André Philip (France), Hortensio Brillantes (Philippines) Hernán Santa Cruz (Chili), Janez Stanovnik (Yougoslavie), Richard Gardner (États-Unis), Paul Jolles (Suisse) ont été, avec de nombreux autres, actifs sur la scène de la CNUCED. Plusieurs pays en développement ont joué un rôle de premier plan et cru fermement au projet commun du Tiers-Monde. Ils ont, entre autres, inclus le Brésil, l’Inde, l’Algérie, le Mexique, le Chili, la Yougoslavie, l’Indonésie, les Philippines, le Nigeria et le Ghana. Ces pays ont été la force motrice du Groupe des 77 et lui ont conféré le dynamisme dont il avait besoin, illustrant l’importance de l’engagement et la contribution des pays individuels à la cause commune du Sud.

Fait très important, le Secrétariat de la CNUCED a joué un rôle de premier plan. Il était composé d’une petite équipe d’experts et de personnalités éminentes de Sud et du Nord mis en place par Prebisch qui étaient séduits par le nouveau programme de commerce et de développement, la nouvelle organisation et, surtout, l’émergence du G77. Le Secrétariat a travaillé étroitement avec le G77, lui a apporté un soutien technique, logistique et politique et a été une source d’inspiration. Wladek Malinowski (Pologne), Sidney Dell et Alfred Maizels (Royaume-Uni), R. Krishnamurti (Inde), Christophe Eckenstein (Suisse) et Diego Cordovez (Équateur) ont été parmi ceux qui ont apporté un appui crucial à Raúl Prebisch dans cette nouvelle initiative mondiale.

J’ai rapidement amélioré mes connaissances sur le Groupe des 77, la CNUCED et la rencontre Nord-Sud ayant lieu dans ses murs ainsi que sur l’évolution de l’agenda pour le développement international. Les pays développés du Nord, c’est-à-dire le Groupe B, n’étaient pas réellement enthousiasmés par l’émergence du G77, le système de groupes, la CNUCED et son Secrétariat. Leurs délégués m’ont souvent dit que le Groupe des 77 était une création artificielle, une coalition hétéroclite de pays qui n’avaient rien, ou très de choses, en commun et qui ne pourraient pas s’unir sur des questions impliquant des intérêts nationaux spécifiques. Ils estimaient aussi que le système de groupes n’était pas un moyen efficace pour mener des débats à l’ONU.

Comme je l’avais anticipé, j’ai été, dans la première phase du jeu, un « pionnier » dans ce domaine de recherche spécifique. J’ai donc reçu une bourse du Carnegie Endowment for International Peace pour assister à la CNUCED de 1968 à New Delhi à condition que j’écrive un texte qui serait ensuite publié.

J’ai suivi attentivement les débats de la conférence et en me servant aussi de ma recherche à Genève, ai écrit pour la série de monographies n° 568 de l’« International Conciliation», UNCTAD : North-South Encounter, publié en mai 1968. C’était ma première publication sur la nouvelle organisation et ses controverses. Sur un autre registre plus léger, j’ai rencontré ma future épouse pendant cette longue réunion, des amis disant en plaisantant que ce fut le seul résultat concret de la conférence qu’un journal local avait appelé « la conférence qui ne prend aucune décision ».

De retour à Berkeley, j’ai commencé à écrire ma thèse que j’ai terminée en 1970. Je l’ai remaniée pour qu’elle soit publiée dans le premier ouvrage sur la CNUCED intitulé UNCTAD: Conflict and Compromise, The Third World’s Quest for an Equitable World Economic Order through the United Nations1. Les chapitres du Groupe des 77 et le système de groupes étaient fondés sur les interviews et mes analyses sur les dynamiques du G77 et le nouveau système de négociations multilatérales qu’il a engendré.

LA CNUCED ET LE PROGRAMME DES NATIONS UNIES POUR L’ENVIRONNEMENT (PNUE)

Grâce probablement à ma recherche et à mes publications, on m’a proposé un emploi à la CNUCED. En septembre 1971, je suis entré dans son secrétariat comme membre de la Division de l’information qui était dirigée par Tibor Mende. Manuel Pérez- Guerrero avait remplacé Raúl Prebisch au poste de Secrétaire général. Soixante-huitard enthousiaste avec un doctorat en poche qui s’identifiait à la cause du Groupe des 77 et endossait la mission visant à promouvoir un changement systémique mondial, ma première tâche fut d’écrire une brochure sur le rôle et les objectifs de la CNUCED à des fins d’information. J’ai travaillé dur, mais le projet de texte a été rangé au fond d’un tiroir. On ne m’a jamais demandé de le revoir, de le recommencer ou même expliqué la raison de son refus. Peut-être avais-je été trop franc pour que ce texte soit publié par un Secrétariat « neutre » ?

En 1973, les travaux de la CNUCED étaient devenus un travail routinier et c’est avec plaisir que j’ai eu la possibilité de travailler pour le PNUE nouvellement créé et d’aller en Afrique et à Nairobi.

La première session du Conseil  d’administration du PNUE, qui s’est tenue à Genève en 1973, a souligné l’importance du Groupe des 77. Le Conseil déterminait les priorités du programme de la nouvelle organisation et l’allocation des ressources financières venant du Fonds de l’environnement. Le G77 n’était pas prêt lorsque le Conseil s’est réuni, en partie sous l’influence des pays développés qui soutenaient que le système de groupes n’avait pas lieu d’être au PNUE et que la division Nord-Sud, comme celle au cœur de la CNUCED, ne devrait pas s’appliquer, et ne s’appliquait pas, lorsqu’il s’agissait des questions environnementales. Depuis longtemps cependant, les pays développés agissaient en tant que groupe et avaient défini une stratégie claire des objectifs qu’ils voulaient atteindre.

Réalisant vers la fin de la session qu’ils avaient peu d’influence sur les débats tant que leurs délégations intervenaient individuellement, les pays en développement, motivés par certains de leurs délégués, guidés par le Chili, ont commencé à agir en tant que Groupe des 77. Cela a irrité le Secrétariat de PNUE et les délégations des pays développés, et non sans raison. Le résultat qu’ils espéraient atteindre avait changé : les priorités du programme et l’allocation des fonds n’étaient plus orientées sur l’évaluation et la gestion préconisées par les pays développement, mais sur le programme environnement et développement qui était un pôle d’intérêt pour les pays en développement.

À Nairobi, le G77 n’a pas réussi à exercer l’influence qu’il avait eue durant la première session du Conseil, en partie parce qu’il y avait peu d’ambassades des pays en développement dans cette ville, que le Groupe n’y disposait pas d’une base permanente, comme à Genève, et aussi parce que le Secrétariat n’était pas activement engagé à lui apporter son appui. C’est pour ces raisons, et à cause des pressions exercées par les pays du Groupe B, que les questions liées à l’environnement et au développement ont été progressivement reléguées à l’arrière-plan, alors qu’elles étaient au premier plan lors de la Conférence de Stockholm en 1972 et, en 1974, au Colloque de Cocoyoc organisé par la CNUCED et le PNUE sur les modes d’utilisation des ressources naturelles, l’environnement et les stratégies de développement. Mais, comme les décennies suivantes l’ont montré, les problèmes irrésolus ne peuvent tout bonnement pas être écartés et la plupart de ces controverses Nord-Sud ont resurgi avec force, en particulier celles concernant le changement climatique.

LA COMMISSION SUD ET LE CENTRE SUD

La Commission Sud a été créée en 1987, d’une part, pour donner une impulsion au Groupe des 77 en lui offrant des instruments intellectuels et politiques à un moment où il semblait à bout de souffle et affaibli après son heure de gloire dans la décennie 70 avec la revendication d’un Nouvel Ordre économique international et, d’autre part, pour catalyser la création de l’organisation mondiale des pays en développement, désignée comme le « secrétariat du Tiers-Monde ». Sa tâche consistait à fournir un appui politique, significatif et logistique au G77 et, donc, d’aider à surmonter le déficit institutionnel créé par les pressions croissantes qui s’exerçaient sur le Secrétariat de la CNUCED pour qu’il cesse de soutenir le Groupe, pressions qui se sont intensifiées dans la période qui a suivi le Sommet de Cancun en 1981.

La Commission a longuement débattu de la question institutionnelle. Certains se montraient sceptiques quant à la possibilité d’établir une institution et de trouver les ressources et le soutien politique nécessaires pour une telle initiative parmi les pays en développement. D’autres objectaient qu’une telle institution était essentielle si le G77 voulait renforcer sa position et être efficace sur la scène internationale. Le Président de la Commission, Julius K. Nyerere, était parmi ceux qui étaient convaincus qu’une organisation du Sud était indispensable. Le rapport de la Commission intitulé « Défis au Sud » proposait la création d’un Secrétariat du Sud, comme institution modeste lors du stade initial.

Alors qu’il y avait des espoirs que cette recommandation soit envisagée sérieusement et mise en œuvre par les pays en développement, beaucoup se montraient sceptiques l’égard de la Commission. Il fut donc décidé de créer un bureau de suivi temporaire, le Centre Sud, dirigé par Julius Nyerere, qui serait chargé de promouvoir les recommandations du rapport, en particulier celle concernant un Secrétariat du Sud. Aux termes d’un mandat de deux ans, les anciens membres de la Commission se réuniraient pour examiner la réponse aux recommandations présentées.

Les travaux et les activités du Centre Sud ont été favorablement accueillis par le Groupe des 77 à New York et se sont révélés utiles. Par exemple, à la veille de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement de 1992 à Rio, Maurice Strong a téléphoné au Président Nyerere pour lui dire que le G77 n’avait pas de position commune avant cette manifestation. Il a suggéré que le Centre apporte son concours. Un groupe d’experts dirigé par Gamani Corea a été réuni dans un délai très court et élaboré un document que Julius Nyerere a ensuite présenté au Groupe des 77 à New York. Il a été examiné et a permis de définir la position du Groupe à la Conférence de Rio, un autre exemple illustrant l’importance du soutien intellectuel et technique pour le Groupe.

Faute d’avoir obtenu une réponse à la recommandation institutionnelle de la Commission, et compte tenu de l’expérience utile avec le travail du Centre, il a été décidé de proroger le mandat du Centre Sud en 1992 et d’essayer d’en faire une organisation permanente. Pendant la réunion ministérielle du G77 à l’Assemblée générale de l’ONU en 1994, 44 États membres du Groupe des 77 ont signé l’accord intergouvernemental portant création du Centre Sud. Luis Fernando Jaramillo, Président du G77 alors en fonction, (Colombie), a joué un rôle important pour mobiliser les pays membres à signer l’accord. En 1995, après l’enregistrement d’un nombre suffisant de ratifications, le Centre Sud est devenu une organisation intergouvernementale des pays en développement.

Peu après, l’Administrateur du Programme des Nations Unies pour le développment (PNUD), Gustave Speth, a indiqué qu’une proposition de projet du Centre Sud pourrait être envisagée pour renforcer le bureau du G77 à New York. Cela comprenait l’ouverture d’un bureau du Centre Sud en même temps que le Bureau du G77 afin d’apporter à ce dernier un soutien opérationnel.

Même si l’idée du Bureau du Centre à New York ne s’est pas matérialisée, due en partie à des difficultés logistiques et juridiques, le projet, qui a été approuvé, a permis d’engager Mourad Ahmia de la Mission permanente de l’Algérie comme membre du personnel du bureau du G77 où il a rejoint Arturo Lozano (Mexique) en 1995. Aujourd’hui, presque deux décennies après, cette équipe de deux membres continue d’apporter le soutien vital et de renforcer la mémoire institutionnelle nécessaires au fonctionnement du Groupe.

Le Président Nyerere s’est souvent plaint de ne pas voir un « oncle riche » pour l’aider à financer le nouveau Centre Sud. Ici, l’Administrateur du PNUD a tenu lieu d’oncle riche, illustrant l’importance cruciale de la disponibilité des ressources financières pour prendre des initiatives, mener des actions, renforcer les institutions et permettre leur fonctionnement ainsi que pour assurer l’appui et l’engagement de personnes qualifiées et déterminés dans les initiatives prises collectivement par les pays en développement.

En 2015, le Centre Sud fêtera son 20e anniversaire en tant que centre de réflexion intergouvernemental du Sud, un héritage important de la Commission Sud. Il accomplit un travail important et joue un rôle utile en soutenant les causes et les objectifs communs du Sud et du Groupe des 77. Petit et insuffisamment financé, il est loin d’être le modeste « Secrétariat du Sud » de 25 professionnels de haut niveau recommandé dans le rapport de la Commission. Toutefois, il montre clairement l’utilité et l’importance du soutien institutionnel pour l’action collective des pays en développement sur la scène internationale. Il offre aussi une tribune pour continuer à renforcer les institutions Sud-Sud au niveau mondial afin d’établir ce que certains continuent d’appeler l’« OCDE du Sud ».

SUR LE RÔLE PRIMORDIAL DES PERSONNALITÉS ET DU LEADERSHIP

En conclusion, on ne peut que souligner l’importance des personnalités et du leadership dans les principales étapes de l’histoire du groupe des 77.

On peut seulement se demander si la CNUCED aurait vu le jour et si le programme du Sud aurait évolué si Raúl Prebisch n’avait pas dirigé ce processus, sans son travail et son expérience en Amérique latine et, plus tard, à la CEPAL, sans sa vision personnelle, son charisme et son dynamisme, sans sa conviction exprimée dans son rapport de 1964 à la CNUCED I qu’il est possible « de façon consciente et délibérée d’influencer les forces techniques et économiques afin d’atteindre des objectifs mondiaux », sans l’importance qu’il accordait au Sud, sans son engagement envers celui-ci et sans sa volonté de promouvoir sa cause et d’affronter le Nord dominateur. Il a réussi à remplir sa mission bien qu’il ait été censé être un fonctionnaire international « neutre » dans la confrontation constante entre le Nord et le Sud concernant le développement.

Il est peu probable qu’il ait pu concrétiser l’objectif de créer une organisation de l’ONU consacrée au commerce et au développement sans le soutien de personnes engagées et enthousiastes, à la fois dans son équipe du Secrétariat et dans les délégations et les ministères des pays en développement.

Les premières expériences ont incité les pays développés à examiner attentivement le recrutement des effectifs au Secrétariat de la CNUCED, et à l’assainir, et à imposer des contraintes à ses dirigeants et à ses fonctionnaires. Leur directive tacite était « Jamais plus un autre Prebisch » ou un « autre Gamani Corea ». Il s’agissait d’une décision stratégique, pleinement mise en œuvre jusqu’à ce jour dans l’ensemble du système de l’ONU avec l’objectif d’amoindrir le soutien apporté aux pays en développement et de contribuer à affaiblir les actions et les demandes du G77 sur la scène internationale.

Il ne fait aussi aucun doute que sans Julius K. Nyerere, qui avait l’appui politique et matériel total de son pays, la Tanzanie, et qui pouvait compter sur un groupe de personnes et de chefs de gouvernement engagés, y compris le Premier Ministre Mahathir (Malaisie) et le Président Suharto (Indonésie) qui sont intervenus à des moments critiques, le Centre Sud n’existerait pas aujourd’hui comme organisation intergouvernementale du Sud.

Le monde du Sud a besoin de dirigeants de la trempe de Julius. K. Nyerere et de Raúl Prebisch ainsi que d’une grande organisation au niveau mondial qui donnerait l’énergie et l’élan au Groupe des 77 et au Mouvement des non alignés pour relever les défis communs en continuant leur lutte pour la paix mondiale, le développement et un ordre économique et politique mondial juste.   

 Notes

 1  Gosovic, Branislav (1972). UNCTAD : Conflict and Compromise; The Third World’s Quest for an Equitable World Economic Order through the United Nations. Leiden : Sijthoff.

 

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