1er octobre 2021

Il y a 25 ans, en octobre 1996, le Tribunal international du droit de la mer était inauguré dans la ville libre et hanséatique de Hambourg, en Allemagne. Sa création en tant que clé de voûte de la procédure de règlement des différends, prévue dans la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (la Convention), a ouvert un nouveau chapitre dans le règlement pacifique des différends. Pour la première fois, un tribunal spécialisé, composé de 21 juges, a été constitué pour aider les parties à régler les différends liés à l’interprétation et à l’application de la Convention, voire de tout autre accord lui conférant une compétence.

Un an seulement après son entrée en fonction, Saint-Vincent-et-les Grenadines a invoqué la compétence obligatoire du Tribunal dans une affaire concernant la prompte mainlevée de l’immobilisation du pétrolier M/V « Saiga » et la détention de son équipage par les autorités guinéennes. Depuis cette première affaire, les différends qui lui sont soumis ont considérablement variés en ce qui concerne leur objet et les procédures utilisées. Le vingt-cinquième anniversaire de sa création offre une bonne occasion de réfléchir aux travaux qu’il a accomplis jusqu’ici et de reconnaître sa contribution au règlement des différends dans le cadre de la Convention ainsi qu’au développement progressif du droit de la mer. 

Lorsqu’on passe en revue 25 ans de jurisprudence, des moments forts viennent à l’esprit. Certains ont trait à la résolution d’un différend dans lequel le Tribunal a clairement contribué à ramener les États à la table des négociations ou leur a permis de travailler ensemble de manière pacifique et constructive. Un tel exemple peut être observé dans l’Affaire relative à la récupération des terres (Malaisie c. Singapour) dans laquelle le Tribunal a prescrit des mesures conservatoires pour promouvoir un échange d’informations entre les parties et leur coopération. Il leur a également demandé de créer un groupe d’experts indépendants afin de déterminer les conséquences des travaux de remise en état des terres effectués par Singapour et de proposer des mesures appropriées pour y faire face. Sur cette base, les parties sont parvenues à un accord mettant fin aux procédures se rapportant au fond. Donc, en guidant la conduite future des parties et en les aidant à jeter les bases d’un règlement négocié, la résolution du différend a été obtenue par la seule prescription des mesures conservatoires.

D’autres faits marquants comprennent les décisions qui ont souligné le développement progressif du droit international en apportant des éclaircissements dans des domaines qui ne sont pas spécifiquement traités par la Convention. Toute personne lisant les décisions du Tribunal trouvera des éclaircissements importants sur des notions fondamentales comme « le navire en tant qu’unité », le « lien effectif » et la « nationalité des réclamations » dans le but d’exercer la protection de l’État du pavillon et de prendre connaissance des obligations qui lui incombent. De même, les décisions rendues par le Tribunal dans les différends relatifs à la délimitation concernant le droit d’un État côtier à un plateau continental au-delà de 200 milles marins ainsi que la notion de prolongement naturel sont à noter.

À titre personnel, je considère que les avis consultatifs rendus sur les responsabilités et les obligations des États patronnants concernant les activités menées dans la Zone (le fond des mers et des océans ainsi que leur sous-sol au-delà des limites de la juridiction nationale) sont une étape décisive. Donné en 2011 par une décision unanime de la Chambre pour le règlement des différends relatifs aux fonds marins du Tribunal, l’avis consultatif énonce les obligations des États patronnants et établit les conditions dans lesquelles leur responsabilité est engagée. Elle a ainsi apporté des éclaircissements sur certains des aspects les plus difficiles de la Convention concernant l’exploration et l’exploitation des ressources minérales des grands fonds marins. Cet avis consultatif a été largement salué dans le cadre de l’Autorité internationale des fonds marins et a eu une influence majeure sur la volonté des États de patronner des activités dans la Zone.

L’avis consultatif, donné par le Tribunal aux États Membres de la Commission sous-régionale des pêches, clarifiant les obligations et la responsabilité des États du pavillon dont les navires se livrent à des activités de pêche illicite, non déclarée et non réglementée dans leurs zones économiques exclusives, a été une autre étape essentielle. Une fois de plus, l’avis consultatif a été bien reçu et considéré comme une contribution importante à la prévention de la pêche illicite, non déclarée et non réglementée ainsi qu’à la gestion durable des pêches.

Ces deux avis consultatifs ont contribué à renforcer la protection de l’environnement marin. À mon avis, le champ de la compétence consultative du Tribunal n’a pas encore été pleinement exploité. Dans de nombreuses situations, une décision contraignante n’est pas nécessairement un outil approprié pour clarifier certaines questions juridiques. Je pense qu’il y aura un intérêt croissant pour ce genre de cas dans les 25 prochaines années. 

Si l’on compare le Tribunal de 1996 à celui d’aujourd’hui, il est évident que beaucoup de choses ont changé. Parmi les 21 juges qui ont prêté serment lors de la cérémonie d’inauguration à l’hôtel de ville de Hambourg, en présence du Secrétaire général des Nations Unies Boutros Boutros-Ghali, beaucoup d’entre eux peuvent être décrits comme des architectes de la Convention en raison de leur engagement de longue date dans le processus d’élaboration. Si la diversité géographique des juges a toujours été assurée, conformément au statut du Tribunal, le groupe est maintenant encore plus hétérogène. Aujourd’hui, le Tribunal reflète une plus grande diversité, non seulement en termes de sexe et d’âge, mais aussi en ce qui concerne les systèmes judiciaires, l’éducation et l’expérience que les juges apportent. C’est une très bonne chose.

Nos océans n’ont jamais joué un rôle aussi important qu’aujourd’hui dans toutes les sphères de la vie et des activités humaines. Ce n’est que par une bonne gouvernance des océans que nous continuerons à tirer parti de ce bien commun tout en le préservant pour les générations à venir. Les problèmes graves qui les affectent comprennent les effets du changement climatique, tels que l’élévation du niveau de la mer, l’acidification des océans et leur réchauffement; l’intérêt croissant pour les ressources des grands fonds, des nodules polymétalliques aux ressources génétiques marines; l’évolution vers l’exploitation de l’énergie bleue; et la protection ainsi que la préservation de l’environnement marin. Tous ces sujets, et bien d’autres encore, pourraient bien être des raisons pour les États ou les organisations intergouvernementales de demander au Tribunal d’exercer sa compétence contentieuse ou consultative.

Je sais que je parle au nom de tous les juges du Tribunal en disant que nous sommes prêts à servir la communauté internationale en aidant à faire respecter la gouvernance mondiale des océans telle qu’elle est incarnée dans la Convention et à la sauvegarder.

 

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