1 avril 2008

Le monde connaít actuellement une hausse très importante des prix des denrées alimentaires. Depuis que ce phénomène s'est amorcé en 2006, la machine s'est emballée. Cette hausse a engendré la famine, des manifestations, des émeutes et même des craintes pour la sécurité internationale. Les pays à faible revenu et à déficit vivrier ont été les plus durement touchés, mais le problème est mondial. Dans de nombreux pays en développement, des appels à une action d'envergure internationale ont été lancés pour inverser cette tendance et empêcher d'aggraver la pauvreté et la malnutrition. Les organismes d'aide également touchés par le coût élevé des aliments ont demandé des fonds supplémentaires.
Presque tous les produits agricoles de base sont concernés. L'augmentation la plus importante concerne le prix du blé et du maïs, qui a plus que doublé l'année dernière, ainsi que celui du riz, et dans une moindre mesure, celui des produits laitiers, des produits tropicaux et des matières premières agricoles. Ces prix élevés devraient, en principe, être une bonne nouvelle pour les agriculteurs du monde entier, mais le prix des intrants agricoles de base, comme les semences, les engrais et le carburant, est monté en flèche, rendant difficile pour les agriculteurs de tirer des bénéfices de la vente des produits à des prix plus élevés. Les agriculteurs des pays en développement pratiquant une agriculture de subsistance risquent même d'être perdants. Ils subissent des prix d' intrants plus élevés sans dégager un excédent commercialisable qui pourrait augmenter leurs gains. Les habitants de taudis urbains doivent affronter la hausse des prix sur plusieurs fronts : la nourriture, mais aussi le carburant, l'électricité et les transports.
La crise alimentaire pose des questions importantes et urgentes :
Comment peut-on traiter rapidement les problèmes auxquels sont confrontés les plus pauvres afin d'éviter l'aggravation de la crise?
Que peut-on faire pour permettre aux agriculteurs pratiquant une agriculture de subsistance de faire face à la hausse des prix des intrants et de bénéficier de l'augmentation des prix des denrées alimentaires?
Comment améliorer la sécurité alimentaire et réduire l'impact négatif des prix élevés sur la nutrition?
Comment réduire l'inflation du prix des denrées alimentaires et réaliser des progrès durables dans la sécurité alimentaire tout en maintenant des mesures d'incitation et en créant un marché intéressant pour les producteurs?
Il est important de comprendre quels sont les facteurs qui ont causé cette hausse des prix et de savoir si les prix des denrées alimentaires resteront élevés durant les années à venir. Les solutions à long terme ne peuvent être efficaces que si les causes de ces problèmes sont bien comprises.
Cet article aborde ces questions. Il fait le point sur les principales manifestations de la crise et fait état de l'ampleur de l'augmentation des prix et de leur impact sur la faim, la pauvreté et les inégalités. Il examine ensuite les principales causes de cette situation, en faisant la distinction entre les facteurs de l'offre et de la demande et entre les tendances à long terme et les revirements à court terme. Enfin, il présente les actions à mener pour atténuer les conséquences les plus urgentes et les plus graves et finalement remettre le marché alimentaire mondial sur une voie plus durable.

LE POINT SUR LE CHOC MONDIAL

Les prix des denrées alimentaires sont les plus élevés depuis 50 ans : Pendant les quatre premiers mois de 2008, les prix internationaux des principaux produits alimentaires de base ont atteint leurs plus hauts niveaux depuis presque 50 ans, tandis que les prix en termes réels, c'est-à-dire le pouvoir d'achat réel après élimination de l'effet de l'inflation, ont connu le niveau le plus élevé depuis près de 30 ans. L'indice des prix des denrées alimentaires de l'Organisation de l'alimentation et de l'agriculture (FAO) a augmenté en moyenne de 12 % en 2006 par rapport à 2005 et a atteint 24 % en 2007. L'augmentation de la valeur moyenne de l'indice pour les quatre premiers mois de 2008 est de 52 %, comparé à la même période en 2007. La hausse des prix la plus importante concerne l'huile végétale, qui a augmenté de plus de 94 % pendant la même période, suivie des céréales (80 %) et des produits laitiers (49 %).
Le prix de certains produits de base, notamment du maïs, a continué d'augmenter pendant les six premiers mois de 2008. À la mi-juin, le prix du maïs avait augmenté de plus de 70 %, atteignant un niveau record de près de 8 dollars le boisseau. De même, les prix du soja et de l'huile de soja, après un court repli, sont revenus à leurs niveaux records ou avoisinant à la mi-2008. Le prix de la viande a également augmenté mais dans une moindre mesure. Les fortes hausses récentes du prix de certains produits de base indiquent aussi l'incertitude grandissante du marché. Selon un rapport de la fao et de l'Organisation de coopération et de développement économiques, bien que le marché des produits alimentaires varie selon les produits et les pays et que l'avenir reste très incertain, selon les meilleures projections, le prix des denrées alimentaires restera probablement élevé au cours des prochaines années et affectera particulièrement les marchés des pays en développement1.
Si l'on considère les prix en termes réels, les augmentations ne sont pas aussi dramatiques, bien qu'elles soient toujours importantes. Les prix réels ont montré une tendance stable en baisse à long terme, ponctuée de pics généralement de courte durée. On observe des signes d'aplanissement depuis la fin des années 1980, avec un redressement progressif qui s'est amorcé en 2000 avant l'envolée soudaine en 2006. Le taux de croissance annuel moyen de 1,3 % au cours de la période 2000/05 a atteint 15 % depuis 2006. On peut se demander si les importantes hausses actuelles sont fondamentalement différentes des flambées des prix précédentes et aussi si la baisse des prix réels à long terme observée auparavant s'est arrêtée, indiquant un changement structurel dans les marchés des produits agricoles de base.

Il est trop tôt pour le savoir, mais je reviendrai sur ces questions.
Les prix élevés actuels contrastent fortement avec la tendance à la baisse et l'effondrement prolongé des prix des produits de base qui ont duré de 1995 à 2002 et qui avaient même suscité des appels à la reprise des négociations des accords internationaux sur les produits de base. Il est cependant difficile de déterminer si les niveaux des prix actuels correspondent à la situation passée - des pics de prix importants dans le court terme et une baisse prolongée - ou s'ils représentent un changement par rapport au passé. Toutefois, certains aspects de la situation actuelle, notamment les niveaux historiquement bas des stocks de céréales et une forte demande pour les biocarburants semblent indiquer que les prix élevés actuels, loin d'être de courte durée, pourraient persister pendant plusieurs années.
Les semences, les engrais et le carburant sont coûteux : Depuis 2006, les prix des intrants comme les semences, les engrais et les aliments pour animaux ont augmenté respectivement de 98 %, 72 % et 60 %. Pour certains intrants, ces augmentations ont été même plus importantes en 2008. En moyenne, l'indice du prix des intrants de la FAO a doublé au cours des quatre premiers moins de 2008, par rapport à la même période en 2007. Les prix de certains engrais en dollars US ont plus que triplé. Les petits agriculteurs des pays en développement ont été particulièrement touchés par l'envolée de ces prix : ils doivent payer les semences, les engrais et le gazole plus cher sans pouvoir profiter de la hausse des prix d'achat.
La montée de l'inflation - l'érosion du pouvoir d'achat : La hausse des prix des produits alimentaires a frappé de plein fouet les consommateurs et les pays les plus pauvres. Étant donné que ces populations consacrent la plus grande part de leurs revenus disponibles à l'alimentation, elles sont particulièrement vulnérables à la hausse des prix.
Ce qui rend les personnes vulnérables à la montée des prix des produits alimentaires à pour conséquence d'exposer les pays entiers aux pressions inflationnistes. Dans les pays où la consommation alimentaire représente une part importante des dépenses globales, la hausse des prix des produits alimentaires se traduit par une inflation globale. Dans les pays pauvres, les dépenses alimentaires représentent souvent deux tiers de l'indice total des prix à la consommation, ou qui peut aussi se traduire par l'indice du coût de la vie, tandis que les denrées alimentaires représentent à peine 15% ou moins dans les pays riches. Les effets sont évidents : à Sri Lanka, par exemple, où les produits alimentaires représentent 62% de l'indice des prix à la consommation, la hausse des prix des denrées alimentaires a engendré une inflation des prix des denrées alimentaires de 26% et une inflation globale de 19 %. En Afrique du Sud, en revanche, la nourriture représentant seulement 23% de l'indice des prix à la consommation, la hausse de l'inflation des prix des aliments a été de 14% et l'inflation globale de 9%.
En plus du fardeau direct sur le coût de la vie, il existe d'autres mécanismes qui augmentent les effets négatifs de la hausse des prix des denrées alimentaires. Par exemple, les prix des produits non alimentaires peuvent augmenter en raison de la réponse des salaires à la hausse des prix - les augmentations de salaires ont été au cœur de plusieurs manifestations récentes.
Les manifestations et les émeutes : Dans un grand nombre de pays en développement qui dépendent des marchés internationaux, les hausses importantes des prix des aliments et du coût de la vie menacent la croissance économique globale. Les conséquences les plus visibles et les plus immédiates sont l'instabilité sociale et les émeutes qui ont eu lieu et continuent d'avoir lieu dans la plupart des continents. Dans certains cas, la flambée des prix des aliments a même engendré des manifestations concernant des problèmes économiques et politiques plus vastes.
Dans les pays dont la dépendance alimentaire est forte et qui consacrent une grande part de leurs dépenses à l'alimentation, les prix élevés érodent le pouvoir d'achat des consommateurs urbains qui font face à une instabilité sociale. Il est également de plus en plus clair que les populations rurales ont été durement touchées. Alors que les prix agricoles élevés sont en général une bonne aubaine pour les agriculteurs, seuls les producteurs commerciaux en ont tiré d'importants profits. Les agriculteurs pratiquant une agriculture de subsistance ont été écrasés par la flambée des prix sans pouvoir compenser les pertes causées par les prix de production élevés.
La montée en flèche de la facture d'importations : L'envolée des prix des aliments associée à la hausse des coûts du transport a engendré une hausse du prix des produits alimentaires à l'importation. Au niveau mondial, le coût des importations alimentaires a atteint 820 milliards de dollars en 2007, le plus haut niveau jamais enregistré2. Selon les prévisions, les coûts devraient atteindre un niveau record de 1 035 milliards de dollars en 2008. Les pays les moins avancés et les pays à faible revenu et à déficit vivrier risquent de porter le plus lourd fardeau de la facture d'importations de denrées alimentaires, avec des dépenses totales qui devraient augmenter de 40 % de plus qu'en 2007, après une augmentation respectivement de 30 et de 37 % cette année. En 2008, le panier annuel d'importations alimentaires de ces pays pourrait coûter quatre fois plus cher qu'en 2000.
L'élargissement du fossé entre les riches et les pauvres : La flambée des prix des aliments, conjuguée à celle du prix du pétrole, a aggravé la pauvreté et les inégalités3. Une étude récente de la Banque mondiale indique une augmentation des niveaux de pauvreté causée par la hausse des prix des aliments, même si ces résultats sont fondés sur huit pays seulement et peuvent être sujets à révision. En extrapolant ces résultats à l'échelle mondiale et en tenant compte exclusivement de l'impact de la hausse des prix, le nombre total de pauvres dans le monde augmenterait entre 73 millions et 105 millions de personnes. En Afrique seulement, la crise alimentaire a fait basculer près de 30 millions de personnes dans la pauvreté. Toujours selon l'étude, l'impact de la hausse du prix de pétrole sur la pauvreté est généralement plus faible, car les ménages consacrent une part moins importante de leurs revenus au pétrole et aux produits liés à l'énergie. Mais en tant qu'intrant intermédiaire crucial, les coûts plus élevés de l'énergie ont aussi des conséquences sur les prix d'un grand nombre de produits, en particulier ceux qui sont liés aux transports.
Quelques exemples permettent d'illustrer l'aggravation de la crise. Au Liberia, le coût du panier alimentaire pour un ménage typique a augmenté de 25 % en janvier, engendrant une augmentation du taux de pauvreté de 64 à plus de 70 %. Au Yémen, le prix du blé et du pain a doublé, engendrant une perte de 12 % du revenu réel des pauvres. Au Honduras, la hausse des prix des produits alimentaires a engendré une augmentation de la pauvreté de 51 à 55 %, tandis qu'en Sierra Leone, le taux de pauvreté a augmenté de 3 %, atteignant 69 %. À Djibouti, la hausse des denrées alimentaires au cours des trois dernières années a engendré une augmentation de la pauvreté extrême de 40 à 54 %. La Banque mondiale met en garde que ces reculs pourraient inverser les progrès réalisés au cours des sept dernières années dans la réduction de la pauvreté.
Il est aussi de plus en plus évident que les prix des denrées alimentaires élevés ont exacerbé les inégalités dans les pays. Au Bangladesh, par exemple, l'envolée des prix des aliments a non seulement engendré une augmentation du niveau de pauvreté extrême mais aussi une évolution de l'indice d'inégalité de Gini de 5 % qui est due à l'évolution du revenu des grandes exploitations agricoles par rapport à celui des petites exploitations et des pauvres des villes. De même, le taux réel d'inflation auquel sont confrontés les pauvres en Amérique latine est de 3 % supérieur au taux officiel, une différence qui indique que l'écart entre les riches et les pauvres grandit. Au Vietnam, alors qu'un nombre important de personnes vivant près du seuil de pauvreté sont des vendeurs nets de riz et tirent profit de la hausse des prix, les très pauvres vivant dans les zones rurales tirent moins de profit, les habitants des zones urbaines étant les plus durement touchés. Les inégalités entre et dans les régions au Vietnam risquent d'augmenter.
La faim : Avec la montée de la pauvreté, il n'est pas surprenant que la faim - la manifestation la plus extrême de la pauvreté - soit également en hausse. Le rapport de la fao L'état de l'insécurité alimentaire dans le monde 2008 montre que le nombre de personnes souffrant de la faim a augmenté de 75 millions en 20074. L'analyse de la fao montre que cette augmentation est en grande partie due aux prix élevés des aliments. La fao a indiqué que les pays ont été contraints de puiser dans leurs réserves budgétaires et les ménages dans leurs économies, ce qui se traduira par une nouvelle augmentation du nombre d'affamés en 2008.
La FAO surveille également les effets de la hausse des prix en particulier sur les groupes vulnérables. Ses rapports montrent que les enfants exposés à un conflit, à l'instabilité ou au vih/sida sont particulièrement touchés. En Afrique australe et orientale, 12 millions d'orphelins à cause du sida sont parmi les plus vulnérables à la hausse des prix des aliments. En Somalie, 2,6 millions d'habitants, soit près de 35 % de la population, dont plus de la moitié est des enfants, sont déjà victimes d'une crise alimentaire causée par la sécheresse et les conflits prolongés. À cause de la hausse des prix des aliments, nombreux sont ceux qui réduisent le nombre de repas ou consomment des céréales moins chères ou de moins bonne qualité. On estime que le nombre de personnes nécessitant une aide humanitaire en Somalie pourrait atteindre 3,5 millions d'ici à la fin de 2008, soit la moitié de la population totale du pays5.
Les estimations de la Banque mondiale et de la fao sur la pauvreté et la faim ont été appuyées par d'autres études. Le Fonds des Nations Unies pour l'enfance, par exemple, estime qu'en Inde, 1,5 million à 1,8 million d'enfants supplémentaires risquent actuellement de souffrir de malnutrition, les ménages faisant des économies sur les repas ou consommant des aliments moins nutritifs en raison de la hausse des prix. Au Vietnam où près de 80 % de l'apport calorique des pauvres vient du riz seulement, l'augmentation des prix pourrait considérablement affecter l'état nutritionnel des pauvres vivant dans les villes et dans les campagnes. Si même les pays stables à forte croissance ne sont pas protégés contre l'effet dévastateur de l'envolée des prix des produits alimentaires, que dire des risques auxquels sont confrontées les économies moins dynamiques ?

LE PRIX ÉLEVÉ DES PRODUITS ALIMENTAIRES : LES CAUSES
L'évolution des prix vient des variations de prix de l'offre et de la demande. Dans les marchés des produits alimentaires et agricoles, l'offre et la demande dépendent principalement de la durée au cours de laquelle ces variations ont lieu. À court terme, puisque l'offre et la demande pour les produits agricoles sont inélastiques et répondent peu aux variations de prix, les irrégularités de l'offre et de la demande peuvent entraíner des variations de prix importantes. En agriculture, les chocs les plus fréquents dans le domaine de l'agriculture sont causés par le climat. Les effets de ces chocs sont particulièrement importants pour les petits cultivateurs. Les gains de productivité entraínent des variations à long terme de l'offre, tandis que la croissance de la population et des revenus, l'urbanisation ou la modification des comportements des consommateurs entraínent des variations à long terme de la demande.
Il est important de distinguer les variations à long terme et les chocs à court terme. Les variations à long terme créent des tendances, tandis que les chocs sont responsables des variations qui affectent ces tendances. L'analyse présentée ici distingue clairement les facteurs de chocs et les facteurs de variations, ainsi que les facteurs de demande et les facteurs d'offre. Elle ne visera pas à mesurer les impacts précis des divers facteurs, mais présentera les principaux faits et chiffres qui ont caractérisé les variations et les chocs. L'analyse s'attachera aussi à démasquer certains mythes et certaines idées reçues qui ont émergé dans les discussions sur la crise qui a récemment affecté le marché.
LES FACTEURS À COURT TERME
Niveau bas des stocks de produits alimentaires et prix élevés : Le niveau adéquat des stocks de produits alimentaires joue un rôle dans la limitation des variations de prix. Quand les stocks sont à un niveau bas et que la demande est élevée, les prix augmentent. Le niveau des stocks de produits alimentaires, principalement des céréales, est en baisse depuis la moitié des années 1990. Depuis les niveaux record atteints en 1995, les niveaux des stocks mondiaux ont diminué de 3,4 % par an. Avec l'augmentation de la consommation alimentaire, le taux des stocks par rapport à la consommation totale a même diminué plus rapidement, atteignant leur niveau le plus bas en 2008.
Cette situation est due à un nombre de changements de politiques dont la réforme des politiques d'aide, en particulier en Union européenne et aux États-Unis et la suppression des achats d'intervention par les institutions publiques; le développement d'une gestion des risques moins coûteuse; la demande en biocarburants; et l'amélioration des technologies de l'information et du transport qui ont réduit la nécessité de conserver des quantités importantes de stocks.
La situation du marché étant relativement calme au début de 2000, ces niveaux bas des stocks semblaient suffisants pour faire face à la demande. Mais comme ils ont continué de baisser et que la demande s'est accrue, ils ont été insuffisants pour couvrir les besoins. Une fluctuation importante des prix s'en est suivie en 2007/08 et les niveaux des stocks bas maintiendront les prix élevés et volatiles pendant un certain temps. À la fin des saisons des récoltes en 2008, les stocks mondiaux de céréales devraient, selon les prévisions, diminuer de 5 % par rapport à leur niveau déjà réduit, atteignant leur niveau le plus bas depuis 25 ans. Le taux des stocks mondiaux de céréales par rapport à leur utilisation devrait chuter à 18,8 %, une diminution de 6 points de pourcentage par rapport au niveau de 2006/07. Parallèlement, la situation des stocks des huiles/matières grasses et des farines/tourteaux a continué de se détériorer à la mi-2007 après l'effet de contagion causé par les cours des marchés du blé et des céréales secondaires, le rapport stock-utilisation devant passer de 13 à 11 % pour les huiles/matières grasses et de 17 à 11 % pour les farines/tourteaux à la fin de la saison des récoltes 2007/08.
Le changement climatique : Bien que le niveau bas des stocks ne contribue pas en soi à la hausse des prix, il a rendu les marchés plus sensibles aux chocs. Un exemple typique d'un choc d'offre à court terme est la détérioration soudaine des conditions météorologiques. Il est difficile, voire même impossible, de mesurer directement les variations des conditions météorologiques mondiales. Mais il est possible de mesurer ces variations indirectement en examinant les tendances de rendement mondiales et en mesurant les déviations. Les autres facteurs affectant le rendement comme l'application d'engrais et de pesticides et l'irrigation demeureront vraisemblablement inchangés.

Au cours des dernières années, la production mondiale de blé est tombée en-dessous de ses niveaux moyens passés. Par exemple, l'Australie a subi deux sécheresses consécutives entraínant une baisse importante de la production en 2006/07. Le Maroc a souffert d'une importante pénurie de blé en 2007 et en Ukraine, la récolte du blé a été mauvaise. Dans un marché où les stocks sont bas, ces insuffisances ont certainement contribué à la flambée récente des prix qui ont atteint leur niveau record à plus de 13 dollars le boisseau à la fin de mars 2008.

Alors que les conditions météorologiques semblent être un facteur ayant contribué à la flambée des prix du blé, cela n'est pas le cas pour les céréales secondaires (les céréales autres que le blé et le riz). Au contraire, la production moyenne des céréales secondaires demeure supérieure à sa tendance à long terme au cours des quatre dernières années. S'il est encore difficile de savoir si ces rendements élevés sont dus au beau temps, on peut supposer que les bonnes conditions de culture dans les principales zones de culture sont dues aux bonnes conditions météorologiques.
Des stocks alimentaires bas, des marchés fragiles, des fournisseurs influents : L'une des particularités des marchés agricoles est que le commerce international représente seulement une petite part de la consommation ou de la production mondiale. Le commerce du blé, par exemple, représente moins de 18 % de la production, celui du maïs moins de 12 % et celui du riz moins de 8 %. En outre, le commerce est souvent contrôlé par une poignée d'exportateurs. Dans le cas du maïs, 60 % des exportations mondiales ont été réalisées en 2007 par un seul pays, alors que la part des trois principaux pays exportateurs représentait 90 %. Dans le cas du riz, le premier pays exportateur a contrôlé près de 30 % du marché mondial en 2007 et les trois plus grands fournisseurs près de 60 %. Les marchés fragiles et une importante concentration du commerce dans les mains de quelques pays rendent ces produits de base particulièrement vulnérables aux chocs exogènes. En fait, dans le climat tendu de 2007/08, même la simple annonce d'un possible changement pouvait ébranler l'ensemble du marché. L'exemple le plus frappant est probablement la réaction du marché lorsqu'un important exportateur de blé a annoncé le 25 février 2008 qu'il envisageait d'imposer une taxe sur ses exportations pour le reste de l'année. La réaction a été immédiate : les prix ont augmenté de 25 % en une seule séance boursière - l'augmentation la plus importante jamais enregistrée en une seule journée.
Le choc du prix du pétrole : Un autre choc majeur fut l'augmentation considérable du prix du pétrole au début de 2003. Pratiquement tous les secteurs économiques ont été touchés, en particulier l'agriculture. Les prix moyens des intrants ont doublé et les prix des engrais, comme le triple superphosphate et le chlorure de potassium, ont augmenté de plus de 160 % au cours des premiers moins de 2008 par rapport à la même période en 2007. Dans l'ensemble, l'augmentation des prix de l'énergie a été rapide, très marquée et généralisée, l'indice du prix de l'énergie Reuters-crb ayant plus que triplé depuis 2003.

Le prix du pétrole a également affecté les marchés agricoles au travers du secteur des transports. En une année, le prix moyen des transports a doublé à partir de février 2006. Les coûts des frets maritimes pour le transport des céréales des États-Unis vers l'Europe ont presque triplé, passant environ de 34 à 90 euros par tonne. Ceci a contribué à la rerégionalisation des marchés agricoles internationaux, en particulier pour les produits en vrac et créé également des variations de prix régionales importantes, ce qui indique que le commerce ne pouvait plus jouer pleinement son rôle vital dans la sécurité alimentaire internationale en équilibrant les déficits régionaux et les excédents régionaux.

Des bénéfices de courte durée : Alors que les cours sur les marchés internationaux se sont envolés durant la seconde moitié de 2007, de nombreux pays se sont de plus en plus préoccupés de la sécurité de l'approvisionnement alimentaire national. Le prix élevé des denrées alimentaires est devenu un fardeau de plus en plus difficile à supporter pour les économies nationales et a en particulier frappé les plus pauvres de plein fouet. Certains pays craignent de souffrir d'une pénurie de certains produits alimentaires, compromettant même la disponibilité des approvisionnements subventionnés par les dispositifs de sécurité, ce qui a entraíné des manifestations, des émeutes et une instabilité sociale générale.

Pour éviter des conséquences plus profondes et plus graves, de nombreux gouvernements ont eu recours à des mesures politiques commerciales pour ralentir l'augmentation des prix et assurer un approvisionnement adéquat des marchés nationaux. Pour les pays exportateurs de produits alimentaires, les mesures ont concerné les taxes d'exportation, les restrictions aux exportations et l'interdiction catégorique d'exportations. Pour les pays importateurs, les mesures ont concerné la réduction des tarifs douaniers et, dans quelques cas, la subvention des importations, c'est-à-dire des tarifs d'importation négatifs.

La FAO a examiné les effets de ces politiques dans 77 pays. Selon les résultats, plus de 50 % d'entre eux avaient réduit leurs tarifs d'importation sur les céréales et environ 25 % avaient imposé des contrôles à l'exportation sous la forme de taxes, d'interdictions ou de quotas.
Les restrictions aux exportations - une mesure bénéfique pour certains, moins bénéfique pour d'autres : Du point de vue de la sécurité alimentaire à court terme, les restrictions aux exportations peuvent être une mesure pertinente : elles sont peu coûteuses, faciles à mettre en œuvre et aident généralement à stabiliser l'approvisionnement alimentaire du pays. Du point de vue international, toutefois, elles sont tout à fait contre-productrices. Elles aggravent les insuffisances d'approvisionnement internationales, rendent les marchés plus volatiles et handicapent les pays qui dépendent fortement des importations et ne peuvent se permettre d'augmenter les prix. En général, il s'agit des pays à faible revenu et à déficit vivrier qui présentent déjà des taux élevés de malnutrition.

L'étude de la FAO indique aussi que les effets bénéfiques de ces mesures sont de courte durée. Alors que les taxes d'exportation ont initialement généré des revenus supplémentaires, un nombre de pays exportateurs ont rapporté que les prix à la production moins élevés, associés aux prix des intrants élevés, ont en fait entraíné une diminution des cultures et pourrait bientôt aggraver encore plus la sécurité alimentaire. De même, la réduction des tarifs d'importation a engendré des pertes de revenus, qui représentent souvent une contribution importante au budget national de développement.
Les variations de la demande sont difficiles à connaítre : Il est difficile de reconnaítre les facteurs de la demande qui ont contribué à la récente envolée des prix des aliments mondiaux. Contrairement à l'approvisionnement, les variations de la demande sont rarement rapides et imprévues. La raison principale est que la demande des marchés alimentaires est principalement liée aux besoins de la population et à la croissance des revenus et que leur évolution est progressive et lente. Lors de la flambée des prix au cours des dernières années, la situation a généralement suivi cette tendance. Ni la demande alimentaire ni la demande de la consommation n'ont entraíné une augmentation soudaine ou imprévue qui aurait expliqué la flambée des prix qui a eu lieu récemment.
Un engouement pour les biocarburants : La seule exception visible est l'expansion rapide de la demande des matières premières agricoles pour les carburants. Cette nouvelle donne en matière de demande alimentaire, de croissance alimentaire et de consommation nécessite un examen plus attentif. Parmi les principaux produits alimentaires et de consommation, la demande supplémentaire en maïs (une matière première pour la production de l'éthanol) et en colza (pour la production du biodiesel) a entraíné des augmentations spectaculaires et a probablement eu le plus grand impact sur les prix. Par exemple, sur près de 40 millions de tonnes de maïs produits dans le monde en 2007, près de 30 millions ont été absorbés par les usines d'éthanol à elles seules. C'est aux États-Unis - le plus grand producteur et exportateur de maïs au monde - que cette expansion a été la plus importante, où l'éthanol produit à partir du maïs représente environ 30 % de l'utilisation totale nationale. Au niveau mondial, seulement 12 % de la production totale de maïs ont été utilisés en 2007 pour produire de l'éthanol.
Dans l'Union européenne, on estime que le secteur du biodiesel a absorbé environ 60 % de la production de l'huile de colza des pays membres en 2007, ce qui représentait environ 25 % de la production mondiale et 70 % du commerce mondial des produits de base. Pour ces deux produits, la demande en biodiesel a été soudaine et massive et aide à expliquer la flambée rapide des prix internationaux observée depuis le début de 2007.
Sur le long terme, la hausse des prix de l'énergie peut signifier que l'agriculture deviendra un secteur de plus en plus important pour la bioénergie. Le marché de l'énergie est si important et la demande pour la bioénergie est potentiellement si élevée que le marché de l'énergie pourrait altérer profondément l'équilibre du marché agricole traditionnel.
Cela peut introduire un nouveau paradigme dans les marchés agricoles mondiaux. Si les prix de l'énergie demeurent élevés et la production des matières premières destinée au marché de l'énergie continue d'être une activité viable sur le plan économique, cela signifiera la fin de la tendance à la baisse à long terme des prix réels et créera une vaste demande en dehors des marchés alimentaires traditionnels. En termes économiques, la demande en bioénergie pourrait créer une demande élastique pour les produits agricoles à des niveaux de prix correspondant à ceux du marché de l'énergie6.
Sur le long terme, cela signifie que les prix des produits alimentaires continueront à être élevés tant que le cours du pétrole demeurera élevé.

Les spéculateurs sont-ils responsables? Les récentes discussions sur la hausse des prix des aliments ont également concerné le rôle possible des spéculateurs et des investisseurs institutionnels majeurs qui achètent les produits agricoles dans les marchés à terme où des contrats sont achetés et vendus alors que la livraison est prévue à une date ultérieure. En fait, la part des spéculateurs non commerciaux prenant des positions à long terme sur les marchés des produits agricoles a augmenté. De 2005 à 2008, les positions ouvertes sur les marchés à terme du maïs, du blé et du soja par les opérateurs non commerciaux ont presque doublé, tandis que leur part dans le marché des contrats à terme pour le sucre n'a pratiquement pas changé. L'activité mondiale des opérations de contrats à terme et d'options combinés a presque doublé au cours des cinq dernières années. Pendant les neuf premiers mois de 2007, cette activité a augmenté de 30 % par rapport à l'année précédente. La théorie veut que le regain d'intérêt général pour les produits de base comme type d'investissements ait été suscité par le ralentissement des marchés des actions et de l'immobilier.
Ce niveau élevé d'activité spéculative observé ces dernières années sur les marchés des produits agricoles a conduit de nombreux analystes à associer la spéculation accrue et les récentes hausses des prix des aliments. La situation n'est toutefois pas aussi claire : est-ce la spéculation sur les produits agricoles qui entraíne une hausse des prix ou est-ce la hausse des prix qui entraíne la spéculation? Une récente étude du Fonds monétaire international (FMI) a conclu que c'étaient les prix élevés qui encourageaient le flux d'investissements dans les marchés des contrats à terme pour les produits agricoles.
Toutefois, il ne fait aucun doute que les spéculateurs peuvent jouer un rôle important dans la fixation du prix des produits agricoles. Mais quand les investisseurs parient d'importantes sommes d'argent sur des prix plus élevés, on peut supposer qu'ils le font en se basant sur une analyse solide des tendances futures de l'offre et de la demande. S'ils réussissent réellement à faire monter les prix à des niveaux inattendus, on peut aussi supposer qu'il y aura une contraction de la demande et une expansion de l'offre. Finalement, cela produirait des volumes invendus qui, pour être obsorbés, nécessiteraient un achat réel et une plus grande constitution des stocks. Dans la situation actuelle, il est impossible de savoir si une augmentation des stocks a eu lieu.
Cela peut toutefois signifier que les spéculateurs ont causé ou au moins exacerbé les fluctuations des prix intra-saisonnières à court terme sur les marchés des contrats à terme, mais rien ne prouve vraiment qu'ils aient contribué aux variations intra-saisonnières des prix sur les marchés au comptant, où les biens sont achetés et vendus aux prix au comptant et leur livraison est immédiate.
Le changement des habitudes alimentaires a-t-il une part de responsabilité dans la hausse des prix? À mesure que la population croít, la demande alimentaire augmente. La consommation a augmenté même plus vite que la population, laissant place à une augmentation des approvisionnements et à un changement des habitudes alimentaires. Initialement, ce changement des habitudes alimentaires s'est traduit par un abandon des racines et des tubercules au profit des céréales, puis des féculents au profit de la viande et d'autres produits de l'élevage. Ces changements ont été généralement progressifs et n'ont vraisemblablement pas été la cause de la flambée des prix que l'on a observée au cours des dernières années. Mais dans les économies à croissance rapide comme celles de l'Inde et de la Chine, on dit7 que les changements alimentaires se sont produits si rapidement qu'ils ont causé un changement soudain dans la demande alimentaire. Ces changements ont été observés dans la demande de nombreux produits industriels, notamment les métaux et les minerais, le charbon, le gaz et le pétrole. Mais est-ce vraiment le cas pour les produits alimentaires ? Pour le savoir, il faut procéder à un examen minutieux des faits, des chiffres et des tendances.

LES FACTEURS À LONG TERME Après avoir examiné les facteurs pouvant être la cause des chocs d'offre et de demande et étudié les tendances de la demande, nous pouvons maintenant examiner les facteurs qui déterminent les tendances à long terme de l'offre. Les principaux facteurs sont connus : l'offre à long terme est déterminée par les surfaces cultivables, l'eau disponible et le potentiel génétique mesuré en termes de rendements des terres et d'intensité des cultures. Pour les pays en développement, l'aide extérieure joue un rôle vital dans ces investissements.
Les investissements dans l'agriculture : Les investissements dans l'agriculture des pays en développement sont au cœur de la longue et impressionnante expansion de la production pendant la deuxième moitié du XXe siècle. En 1961, les pays utilisaient 1,4 milliard d'hectares de terres pour les cultures, alors qu'en 1998, ils cultivaient seulement 1,5 milliard d'hectares pour produire le double de céréales et de graines oléagineuses. Les agriculteurs ont réussi à nourrir presque deux fois plus de personnes en utilisant pratiquement la même base de terres cultivables. Ce succès s'explique par l'investissement public de longue portée qui a eu lieu dans les années 1960 et 1970 dans la recherche agricole, l'épine dorsale de la révolution verte et l'élément moteur principal de l'expansion rapide de la production agricole dans plusieurs pays en développement.
Où sont passés tous les altruistes? Malheureusement, le succès des investissements publics dans la recherche agricole a été considéré comme un acquis. Ils se sont stabilisés à la fin des années 1990 et l'aide publique au développement (apd) consacrée à l'agriculture des pays en développement est passée de 8 milliards de dollars en 1984 à 3,4 milliards en 2004, soit une réduction de 58 % en termes réels. La part de l'agriculture dans l'apd est passée de 17 % en 1980 à tout juste 3 % en 2006. En outre, les institutions financières internationales et régionales ont connu une réduction drastique des ressources allouées à l'agriculture dont dépendent 70 % des pauvres dans le monde pour vivre. Ce manque d'aide à long terme a freiné la croissance de la production dans les pays en développement et contribué à leur dépendance vis-à-vis des importations. L'effet a été plus visible pour les pays les moins avancés, qui importent actuellement deux fois plus de produits agricoles qu'ils n'en exportent.
Les subventions agricoles des pays riches : Un autre facteur important qui a affecté la tendance à long terme de l'offre des produits agricoles a été l'aide massive et la protection accordée aux agriculteurs des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Depuis 1986, quand la mesure systématique de ces transferts a été possible, l'aide et la protection accordée par les pays membres de l'ocde à leurs agriculteurs représentaient 300 milliards de dollars par an, parfois plus certaines années. Les efforts pour réduire ce niveau d'aide et de protection sont reconnus, ainsi que les réformes pour réduire l'effet de distorsion de ces politiques. Mais il faut aussi reconnaítre que ces mesures ont causé d'immenses dégâts par le passé. Les niveaux de protection élevés des pays de l'ocde empêchent les pays en développement de vendre leurs produits à l'étranger et les subventions à l'exportation de l'ocde les empêchent d'être compétitifs même dans leur propre pays. Les prix bas au niveau national ont freiné les investissements dans l'agriculture, ont ralenti la production et ont rendu les pays en développement de plus en plus dépendants des importations des produits alimentaires.
Il est difficile d'évaluer de manière précise l'effet de la réduction des investissements sur les prix agricoles. Il faut rappeler que ces mesures ont davantage affecté les tendances à long terme des prix que les pics de prix. Il serait donc encore plus difficile d'expliquer une portion spécifique de ces pics de prix par l'une ou l'autre de ces mesures. Il est clair cependant que la tendance à la baisse des investissements doit être inversée si l'on veut relever les défis auxquels l'agriculture fera face au cours des 50 prochaines années. Il est aussi urgent d'investir davantage dans l'agriculture pour surmonter la crise alimentaire actuelle. Sans une aide supplémentaire, les prix des semences, des engrais et de l'énergie demeureront élevés, les marchés agricoles et les chaínes d'approvisionnement perturbés et le financement des mesures de protection alimentaire trop insuffisant pour réduire la crise actuelle. La fao a mis en place un programme d'action qui permet de répondre à ces besoins. Lancée en décembre 2007, l'Initiative sur la flambée des prix des aliments (IFPA) a joué un rôle catalyseur pour répondre à la crise alimentaire mondiale.ASSURER LE FONCTIONNEMENT DES MARCHÉS AGRICOLES POUR LES PAUVRES

L'argument de base pour l'action est que le fonctionnement des marchés agricoles pour les pauvres peut générer des gains importants. Dans le contexte de l'insécurité alimentaire actuelle, il réside également dans la nécessité urgente de prévenir une crise encore plus grave et dans la reconnaissance générale que les prix élevés seuls ne suffisent pas nécessairement à stimuler la production à court terme. Dans le moyen et le long terme, il ne fait aucun doute que les prix élevés sont nécessaires à la croissance de la productivité et à la stabilité des approvisionnements des denrées alimentaires. Ils fournissent aux agriculteurs les incitations nécessaires pour renforcer la productivité, accroítre la production et utiliser plus efficacement les approvisionnements existants. Dans le court terme, toutefois, des obstacles importants peuvent empêcher les agriculteurs d'exploiter les opportunités créées par la hausse des prix. Ces obstacles comprennent le manque d'accès souvent généralisé au financement et au crédit, le manque de technologies et d'intrants appropriés, le mauvais fonctionnement des chaínes d'approvisionnement, des transports inadéquats et le manque d'informations relatives au marché.
Il existe en principe de nombreuses mesures pouvant répondre à ces problèmes, dont une inversion générale de la tendance à la baisse de l'aide publique au développement dans l'agriculture; une réduction plus importante de l'aide et de la protection de l'ocde et le découplage des mesures restantes; une conclusion urgente et complète du programme de Doha pour le développement*; et le soutien à la balance des paiements des pays les plus durement touchés par le double fardeau de la flambée des prix du pétrole et des aliments. Les mesures très spécifiques comprennent l'augmentation de l'aide alimentaire afin de répondre aux besoins les plus urgents, l'augmentation des moyens budgétaires pour financer les dispositifs de sécurité ou le réexamen de la création d'une facilité mondiale pour financer les importations de denrées alimentaires. Dans la liste des actions possibles, nous examinerons deux initiatives d'aide que la fao a récemment mises en œuvre ou proposées : L'Initiative sur la flambée des prix des aliments, comme exemple d'action immédiate et le Programme de lutte contre la faim, comme plan d'action proposé pour réorienter la politique agricole.
L'initiative sur la flambée des prix des aliments
Lancée en 2007, l'initiative vise à réduire aussi vite que possible l'insécurité alimentaire causée par la flambée des prix des denrées alimentaires et prévenir une crise plus profonde et généralisée. Avec un budget de 1,7 milliard de dollars pour financer les semences, elle a été conçue comme un plan d'aide d'urgence dans six domaines prioritaires. Le tableau 1 donne un aperçu de ces domaines, suivi d'une description détaillée.

1. Analyse des politiques, assistance technique et conseils : L'objectif est d'assurer que les mesures prises par les gouvernements pour répondre à la hausse des prix des denrées alimentaires contribuent à la réduction à long terme de l'insécurité alimentaire. Des informations mises à jour sur la sécurité alimentaire et les marchés agricoles aux niveaux national et international devraient être diffusées régulièrement. Il faudrait encourager la synergie des marchés régionaux en coordonnant les politiques agricoles et commerciales et en comprenant mieux les mesures politiques adoptées initialement pour répondre à la hausse des prix des aliments. Pour cela, il faut étudier les politiques agricoles pays par pays et discuter des bonnes pratiques agricoles.

2. Filets de sécurité productifs : L'amélioration de la productivité agricole, en particulier des petites exploitations, est l'un des moyens les plus durables pour réduire l'insécurité alimentaire dans les zones rurales. Une plus grande quantité et une meilleure qualité des aliments auront un impact direct sur l'accès des ménages ruraux aux denrées alimentaires, mais aussi un impact indirect en étendant les approvisionnements alimentaires dans les marchés ruraux, en créant des revenus pour les ménages sans terres et en diversifiant les possibilités de création de revenus pour les pauvres ruraux. Pour y parvenir, l'accès aux intrants améliorés et aux services de vulgarisation comme les démonstrations sur le terrain, la lutte contre les ravageurs devrait être renforcé.

L'accès aux intrants peut être amélioré de plusieurs façons, y compris par la distribution directe aux cultivateurs, les coupons, les systèmes de crédit, etc. On peut aussi distribuer des intrants en même temps que les rations alimentaires afin d'assurer leur utilisation à des fins de production. Les semences de qualité supérieure devraient être disponibles localement afin de s'assurer qu'elles sont adaptées aux conditions et aux goûts locaux. L'utilisation des approvisionnements d'intrants et des pratiques commerciales de production existantes fait partie intégrale des filets de sécurité productifs pour soutenir la durabilité. Pour garantir une commercialisation efficace des extrants, une amélioration de l'infrastructure rurale est nécessaire. Cela peut se faire dans le court terme en étendant les programmes vivres contre travail actuels, ce qui permet de soutenir les revenus des plus vulnérables tout en construisant ou réhabilitant les infrastructures rurales qui assurent l'accès des petits exploitants au marché.

3. Modernisation des pratiques agricoles : Un facteur clé pour stimuler la production agricole est l'adoption des pratiques de gestion moderne des semences. Par exemple, l'accès des cultivateurs aux semences de qualité sera amélioré par le renforcement des systèmes nationaux de distribution des semences, l'enregistrement et l'étiquetage des semences, la promotion des entreprises de semences locales, les partenariats public-privé et une meilleure communication entre les producteurs de semences et les cultivateurs. Un autre défi est de trouver les moyens d'augmenter l'utilisation des engrais et d'améliorer l'accès aux marchés alimentaires et aux marchés d'extrants. Les parties intéressées à la fois des secteurs public et privé doivent prendre part à ce processus. Stimuler la production requiert non seulement un meilleur accès aux intrants agricoles mais aussi de meilleures pratiques de gestion des cultures. Pour obtenir des rendements élevés, il faut organiser des démonstrations dans les fermes pour augmenter la productivité, minimiser les perturbations des sols, assurer la couverture permanente du sol, pratiquer la rotation des sols et mettre en place un système de lutte intégrée contre les ravageurs.

4. Amélioration des marchés agricoles : Elle contribue essentiellement à la sécurité alimentaire en fournissant les produits plus rapidement sur le marché. Pour y parvenir, il faut une infrastructure adéquate, par exemple, des routes rurales. En outre, des interventions pourraient être envisagées comme la commercialisation collective par le biais d'associations d'agriculteurs, des investissements dans l'industrie alimentaire ou la mise en place d'accords contractuels entre les cultivateurs et les entreprises. Il faudrait également faire des investissements pour améliorer l'échange d'informations dans les zones rurales en modernisant les systèmes de communication de radio et de télévision. En diffusant les prix des produits agricoles, les cultivateurs pourront répondre plus rapidement et plus efficacement aux fluctuations du marché.

5. Réduction des pertes de récoltes et de bétail : Ce programme comporte deux parties. La première vise à réduire les pertes de récoltes liées à la manutention, aux conditions de stockage et de transformation. Pour réduire des pertes parfois considérables, il est essentiel de communiquer les connaissances aux cultivateurs, aux opérateurs, aux intermédiaires et aux distributeurs et d'améliorer les installations de séchage et de stockage. La deuxième partie traite du développement des cultures résistant mieux à la sécheresse ou aux inondations, préconise les méthodes qui réduisent les risques liés aux mauvaises récoltes (par ex. cultures intercalaires, diversification des cultures) et une gestion efficace de l'irrigation.

6. Assistance technique et coordination : Pour répondre rapidement et efficacement à la flambée des prix, la coordination des activités et la participation de tous les partenaires sont essentielles. Faire partager la responsabilité à un grand nombre d'acteurs incite les gouvernements, les organisations économiques régionales et les partenaires à collaborer à l'analyse, à la conception, aux objectifs et au suivi d'une série d'actions plus nuancées et plus cohérentes. Ces actions doivent répondre efficacement aux besoins des populations souffrant d'insécurité alimentaire chronique. En tant qu'organisation fondée sur la connaissance, la fao se doit de fournir des informations sur l'évolution des prix des denrées alimentaires et d'analyser leur impact. Elle a en outre une expertise considérable en matière de développement des systèmes d'alerte rapide et d'informations sur l'alimentation.
Jusqu'à ce jour, 40 millions de dollars ont été alloués à l'agriculture dans 57 pays les plus touchés. Toutes les mesures de l'Initiative sur la lutte contre la flambée des prix des denrées alimentaires apportent essentiellement des fonds de départ puisqu'elle a été principalement conçue pour jouer un rôle catalyseur et promouvoir l'aide internationale. Sous sa forme présente, l'Initiative vise à couvrir les besoins les plus immédiats, à se concentrer sur les pays les plus pauvres et à donner plus de moyens aux producteurs pauvres pour augmenter leur production agricole lors des prochaines saisons de plantation. Les mesures proposées couvrent une courte durée, environ 18 mois jusqu'à la fin 2009.
Lors de la mise en œuvre de l'Initiative, l'accent a été mis sur l'intégration de nouvelles mesures dans les programmes existants, leur mise en place sur une plus grande échelle et l'harmonisation des efforts avec le Programme alimentaire mondial, le Fonds international de développement agricole, les institutions des Nations Unies et de Bretton Woods, l'Union africaine, le Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (nepad) et le Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (cgiar). Plus important, l'initiative est intégrée au Cadre d'action global sous l'égide de l'Équipe spéciale de haut niveau des Nations Unies consacrée à la crise alimentaire mondiale, dont je suis le vice-président.

LE PROGRAMME DE LUTTE CONTRE LA FAIM
Alors qu'il a été difficile de prévoir la rapidité et la gravité de la crise actuelle, il est clair que les progrès ont été insuffisants pour garantir la sécurité alimentaire pour tous. La FAO a signalé ce problème à maintes reprises9,10. Nous avons fait des propositions pour améliorer la situation, parmi lesquelles figure le Programme de lutte contre la faim - un plan d'aide pour atteindre l'objectif du Sommet mondial de l'alimentation de 2002 visant à réduire de moitié le nombre de personnes souffrant de malnutrition d'ici à 2015.
Durant la préparation du Programme de lutte contre la faim en 200311, nous avons estimé qu'un investissement de 24 milliards serait nécessaire chaque année pour atteindre cet objectif. Cette somme, répartie entre cinq domaines d'action différents pour améliorer la productivité agricole et l'accès aux denrées alimentaires dans les pays en développement, devrait selon les estimations engendrer un bénéfice global de 120 milliards de dollars. Après avoir revu ces estimations en tenant compte de l'inflation, le montant total annuel de l'investissement s'élève désormais à 30,5 milliards de dollars.
L'amélioration de la productivité agricole dans les communautés rurales pauvres (2,9 milliards de dollars par an) : Améliorer le travail des petites exploitations agricoles dans les communautés rurales et périurbaines pauvres est l'un des moyens les plus efficaces et les plus durables pour faire reculer la faim en augmentant la quantité et en améliorant la qualité des produits alimentaires disponibles au niveau local. Cette stratégie jette aussi les bases d'une croissance économique équitable. Au minimum, une meilleure performance permet d'améliorer les disponibilités alimentaires et la nutrition des familles agricoles - et de jouir d'une vie bien remplie, d'apprendre et de travailler efficacement et de contribuer au bien-être général. Ses autres avantages sont d'accroítre et de diversifier les disponibilités alimentaires sur les marchés locaux, de créer une base pour l'expansion et la diversification d'une production agricole orientée vers le commerce, de créer des emplois et de ralentir l'exode rural. Pour mettre en place un tel projet, une injection initiale de prêts ou de subventions correspondantes est nécessaire pour permettre aux petits cultivateurs de développer des fermes productives. Le coût moyen des investissements requis pour entamer un processus durable de modernisation d'une exploitation peut être estimé à environ 600 dollars par famille. En général, ce capital de démarrage finance les variétés de semences améliorées, les plants, le fumier ou les engrais, les petits travaux et le petit matériel agricole, comme le nivellement des terres et les pompes à pédale; l'élevage de poulets, de bétail ou de chèvres, ou bien contribue à des activités dictées par la communauté pour améliorer la sécurité alimentaire, comme la création de jardins dans les écoles et les services parajuridiques. Pour garantir la durabilité, les agriculteurs qui participent à des programmes de ce type remboursent le capital initial à des associations d'épargne et de prêts ou à des fonds renouvelables gérés par les communautés, ce qui permet de réinvestir les bénéfices tirés du surcroít de production.
Pour réussir, la mise en valeur des exploitations agricoles doit s'inscrire dans un environnement général propice à la croissance du secteur, étayé par des instituts de recherche et de vulgarisation sachant répondre aux besoins identifiés au niveau local. Bien souvent, la réussite dépend aussi d'améliorations extérieures à l'exploitation, comme les routes et l'irrigation.
Pour soutenir et élargir le processus, il faut créer des institutions communautaires autonomes capables de prendre en charge la sécurité alimentaire de tous leurs membres, de réinvestir les profits dans de nouvelles améliorations et d'établir des liens avec d'autres communautés. Les communautés regroupées autour d'un objectif commun peuvent ainsi exercer des demandes effectives croissantes sur un éventail plus large de services et d'infrastructures nécessaires pour leur permettre d'acquérir une plus grande capacité d'adaptation aux crises, ainsi que d'augmenter leurs gains.
Le développement et la conservation des ressources naturelles (9,5 milliards de dollars par an) : La terre, l'eau, les plantes et les ressources génétiques et animales permettent à l'agriculture, à la pêche et aux forêts de contribuer à la production alimentaire et au développement rural. L'association de ces facteurs à des technologies appropriées, des capitaux, de la main-d'œuvre, des infrastructures et des institutions renforce leur productivité. L'association des ressources et du savoir-faire a permis à la production alimentaire mondiale de dépasser la demande croissante malgré la diminution des disponibilités en terres et en eau par habitant et la destruction des ressources génétiques. Pour satisfaire la demande vivrière à l'avenir, les accroissements de production devront provenir essentiellement d'une utilisation intensifiée et plus efficace des moyens de production limités. Dans le même temps, des mesures doivent être prises pour mettre un terme à la destruction et à la dégradation des ressources naturelles. On estime à 9,5 milliards de dollars les sommes supplémentaires que le secteur public devrait investir chaque année dans les ressources naturelles (terre, eau, ressources génétiques animales et végétales, pêche et forêts) afin d'atteindre d'ici à 2015 l'objectif du Sommet mondial de l'alimentation fixé en 2002. Il est clair que ce chiffre est nettement en-deça des besoins, étant donné les défis que posent le changement climatique et la bioénergie.

Le renforcement des infrastructures et l'élargissement de l'accès aux marchés (10 milliards de dollars par an) : Pendant les années 1990, de nombreux pays en développement ont investi des sommes considérables dans l'infrastructure urbaine. Ces investissements ont contribué à améliorer les conditions de vie et à augmenter la productivité; pourtant, les zones rurales de la majorité des pays en développement ont encore des services insuffisants et une infrastructure qui se détériore. Ces carences se sont traduites par une baisse de la compétitivité de l'agriculture des pays en développement sur les marchés intérieurs et internationaux, et ont augmenté les coûts d'approvisionnement du marché national en expansion.
Pour inverser la tendance à la baisse de la part des pays en développement dans les exportations agricoles mondiales, ce qui est essentiel pour améliorer les revenus ruraux, de nombreux pays en développement devront redoubler d'efforts pour atténuer les contraintes qui limitent l'offre intérieure. Si les contraintes d'infrastructure ne sont pas surmontées, les pays en développement risquent de manquer les opportunités offertes par les prix des aliments élevés, les nouvelles opportunités offertes par les marchés libres ainsi que des nouvelles possibilités de production, comme la bioénergie.
Des mesures doivent être prises d'urgence pour améliorer et développer les routes dans les zones rurales et assurer leur maintien et créer des infrastructures de base afin de stimuler les investissements du secteur privé pour la commercialisation, la distribution et la transformation des aliments. Les investissements dans les infrastructures rurales destinés à améliorer l'accès aux marchés serviront non seulement à compléter les niveaux d'accroissement projetés de la production agricole, mais aussi à amplifier et à généraliser les avantages socio-économiques.
Selon les estimations, l'investissement public supplémentaire requis pour atteindre l'objectif fixé lors du Sommet mondial de l'alimentation de 2002 s'élève à 10 milliards de dollars, aux prix de 2002. Ce montant comprend la construction de nouvelles routes rurales (6,6 milliards de dollars) et la mise en place des infrastructures pour améliorer l'accès aux marchés (1,1 milliard de dollars pour les moyens de transport, l'entreposage, les installations frigorifiques, l'emballage pour satisfaire aux normes de qualité et de sécurité des aliments, les abattoirs, les ports de pêche, etc.), ainsi que le maintien et la réhabilitation (respectivement 1,8 milliard et 40 millions). À cela s'ajoutent 300 millions de dollars pour couvrir les coûts de renforcement des capacités, l'appui aux politiques, le renforcement des institutions et le développement des mesures phyto et zoosanitaires. Il faudra aussi 160 millions de dollars pour améliorer la sécurité alimentaire.
Ces estimations se référaient au moyen terme quand les prix des intrants et des extrants étaient plus bas. Étant donné que le changement climatique détériorera la base des ressources agricoles dans de nombreux pays en développement, il faudra améliorer significativement l'infrastructure pour pouvoir compléter la baisse de la production locale par des approvisionnements extérieurs. Il faudra également améliorer les infrastructures pour préserver et développer la base des ressources. Cela comprend la fourniture de matériel d'irrigation, de machines, d'engrais, etc.
Le renforcement des capacités et de diffusion des connaissances (1,43 milliard de dollars par an) : Pour réussir à améliorer rapidement les moyens d'existence et la sécurité alimentaire grâce à des investissements sur les exploitations agricoles, il faut que les petits agriculteurs aient accès aux connaissances pertinentes. Cela suppose de mettre en place des systèmes efficaces de production et de diffusion des connaissances pour renforcer les liens entre les agriculteurs, les éducateurs agricoles, les chercheurs, les vulgarisateurs et les spécialistes de la communication. Le développement de la recherche et des technologies agricoles sera probablement dicté de plus en plus par le secteur privé, en particulier par les fournisseurs d'intrants et les sociétés qui achètent des produits agricoles.
Il reste toutefois de nombreux domaines de recherche fondamentale dont les retombées seront utiles à d'autres que ceux qui auront financé les travaux sans qu'il soit pour autant possible de les en empêcher. Les entreprises du secteur privé ne sont donc pas disposées à conduire des recherches dans des domaines comme la lutte contre les ravageurs, les mesures visant à améliorer l'efficacité d'utilisation des intrants (par ex. l'utilisation des engrais) ou la conservation des ressources génétiques. C'est donc au secteur public que revient la responsabilité de la recherche dans ces domaines.
Compte tenu de l'expérience très positive du Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (gcrai) qui gère un réseau international de centres de recherche, il y a tout lieu d'inverser le déclin des financements qui a pénalisé le système. Un financement supplémentaire de 450 milliards de dollars par an renforcerait considérablement l'efficacité de ce système en lui permettant de continuer à remplir une fonction essentielle d'appui au processus de développement des technologies dans les pays en développement. Les efforts déployés à l'échelle internationale devraient être accompagnés de mesures pour renforcer les capacités nationales. L'amélioration des systèmes de recherche nécessite un investissement additionnel estimé à 450 millions de dollars par an pour renforcer les capacités du personnel et moderniser les installations et les équipements.
Si l'on veut améliorer l'efficacité de la vulgarisation agricole, il faut en général décentraliser les services et les rendre plus sensibles aux besoins des agriculteurs. Il faut créer les conditions propices à l'apparition de multiservices, comprenant non seulement les services relevant du secteur public, mais aussi ceux assurés par les ong et par le secteur privé. Les investissements seront destinés principalement à l'introduction de réformes institutionnelles et aux activités connexes, comme la formation d'agents de vulgarisation et notamment des agriculteurs qui peuvent assumer, à moyen terme, une grande partie des responsabilités en matière de facilitation des processus d'apprentissage collectif. Des investissements seront également nécessaires dans la préparation du matériel de vulgarisation et de formation et dans les moyens de transport. Les besoins en financements publics supplémentaires s'élèvent au total à 400 millions de dollars par an. D'autres mesures comprennent l'amélioration de l'infrastructure des communications dans les zones rurales et l'éducation sur la nutrition, dont le coût total est estimé à 130 millions de dollars par an.
Des filets de sécurité et autres types d'assistance directe pour garantir aux plus démunis un accès à la nourriture (6,6 milliards de dollars par an) : Garantir aux pauvres un accès direct à la nourriture est un impératif, non seulement pour des raisons humanitaires et pour respecter le droit à la nourriture, mais aussi parce que c'est un investissement productif qui peut contribuer dans une large mesure à l'éradication de la pauvreté. La nécessité de cette assistance ne disparaít pas avec le développement économique, mais elle est réorientée vers une assistance temporaire durant les périodes de crise.
Tous les gouvernements qui ont pris l'engagement d'atteindre l'objectif du Sommet mondial de l'alimentation doivent mettre en place des programmes qui garantissent à leurs citoyens un accès à une nourriture suffisante, dans les cas où les mécanismes de survie traditionnels de la communauté et de la famille élargie, les mécanismes du marché et le processus de croissance économique ne suffisent pas. Plusieurs options sont possibles :
Les programmes d'alimentation directe ciblés. Ils comprennent les repas scolaires, l'alimentation des femmes enceintes et de celles qui allaitent, ainsi que des enfants de moins de cinq ans, distribués dans des centres de santé primaire, des soupes populaires et les cantines spéciales. De tels programmes contribuent à revaloriser les ressources humaines en aidant les enfants à fréquenter l'école, et en améliorant la santé et l'état nutritionnel des mères et des nourrissons. Ils réduisent les maladies liées à la malnutrition et la mortalité parmi les enfants, augmentent l'espérance de vie et contribuent à la baisse des taux de natalité. Selon des estimations récentes de l'Organisation mondiale de la santé, environ 30 % des enfants de moins de cinq ans (soit près de 200 millions d'enfants) sont plus vulnérables à la maladie et plus exposés à une mort précoce pour cause de sous-alimentation.
Les programmes « Vivres contre travail ». Dans de nombreux pays en développement, un grand nombre de ruraux sont des cultivateurs pratiquant une agriculture de subsistance ou des cultivateurs ne parvenant pas à subvenir à leurs besoins ou produisant à peine de quoi nourrir leur famille pendant une partie de l'année. Ces programmes apportent un soutien à ces ménages tout en créant des infrastructures, comme l'irrigation à petite échelle, les routes rurales, les centres de santé et les écoles.
Les programmes de transfert du revenu. Ceux-ci peuvent être en espèces ou en nature, notamment bons d'alimentation, rations subventionnées ou autres formes de ciblage des ménages pauvres. Ces programmes sont aussi des mécanismes efficaces pour accroítre le pouvoir d'achat et améliorer l'apport alimentaire des ménages. Selon de nouvelles estimations, les programmes visant à garantir l'accès à une nourriture suffisante aux 214 millions de personnes les plus défavorisées sur le plan nutritionnel dans le monde coûteront 6,6 milliards de dollars par an. Sur ce montant, environ 1,6 milliard de dollars serviront à financer un programme d'alimentation en institution ciblé sur les enfants scolarisés les plus défavorisés. Si, selon les prévisions, les prix des aliments restent élevés dans le court et moyen terme, les programmes de financement du revenu, « Vivres contre le travail » et ceux d'alimentation directe ciblés devront augmenter considérablement.

La chine et l'inde : mettre fin à un mythe

Il est clair que les économies émergentes, comme la Chine et l'Inde, jouent un rôle important dans l'offre et la demande mondiales des produits agricoles. Ces deux pays comptent près de 2,5 milliards d'habitants, soit 40 % de la population mondiale et représentent donc une grande partie de la demande alimentaire mondiale. Or rien n'indique que la demande dans l'une ou l'autre de ces économies ait progressé plus rapidement que par le passé. En fait, selon les estimations sur la consommation actuelle, la demande a été inférieure. Il y a toutefois lieu de douter de la fiabilité des statistiques sur la consommation alimentaire nationale, un problème fréquent dans les estimations de consommation, même dans les pays qui disposent de systèmes statistiques très élaborés. Mais des statistiques commerciales beaucoup plus fiables appuient les résultats des tendances de consommation. Les importations de céréales de la Chine et de l'Inde ont même baissé d'environ 4 % par an depuis 1980, passant d'environ 14 millions de tonnes au début des années 1980 à près de 6 millions ces trois dernières années.

La situation est un peu différente pour les graines oléagineuses, un secteur où la Chine a été un principal acheteur au cours des dix dernières années, en particulier pour le soja. Mais alors que la Chine est devenue un grand importateur de graines oléagineuses, d'huiles végétales et de produits d'élevage, la balance commerciale agricole est restée largement positive depuis le milieu des années 1990. Le développement à long terme de la position commerciale de l'Inde va également à l'encontre de l'idée selon laquelle l'Inde est l'un des pays qui a contribué à la hausse des prix des denrées alimentaires. L'Inde a été un pays exportateur de denrées alimentaires important et entre 1995 et 2007 a exporté plus de blé, de riz et de viande qu'elle n'en a importé. Même ses importations relativement importantes d'huiles végétales doivent être considérées dans le contexte des exportations tout aussi importantes de tourteaux oléagineux. En fait, ni pour la Chine ni pour l'Inde, il n'y a lieu de penser qu'une augmentation soudaine des importations de graines oléagineuses, de farines et d'huiles a contribué à la flambée des prix, qui a commencé à la mi-2007 après l'envolée des prix des céréales (du maïs en particulier) l'année précédente. En somme, on ne peut tenir ni la Chine, ni l'Inde responsables de la hausse soudaine des prix dans le secteur des huiles alimentaires. Il ne s'agit pas de minimiser leur rôle ou celui des modifications des modes alimentaires à long terme, mais l'étude de la FAO sert à démystifier la notion selon laquelle ces pays seraient responsables de la hausse des prix 8 .

 

 

IL FAUT AGIR MANTENANT ! DES OPPORTUNITÉS SANS PRÉCÈDENT S'OUVRENT Nous disposons suffisamment d'informations sur la crise actuelle, son ampleur et ses causes. Nous connaissons aussi l'impact qu'elle a sur la faim, la pauvreté et les inégalités. Et aussi les défis futurs qui se présenteront quand la production agricole mondiale devra doubler, alors que les intrants seront plus chers et les ressources plus limitées, tout en étant affectée par les changements climatiques. Mais dans le même temps, une ère d'opportunités sans précédent pourrait s'ouvrir. Les prix élevés pourraient être une source de profits pour l'agriculture pendant de nombreuses années à venir et faire de ce secteur un moyen crucial pour lutter contre la faim. Mais pour y parvenir, nous devons créer les conditions qui permettent aux cultivateurs de profiter des prix élevés. La FAO a fait des propositions dans ce sens. Avec un financement adéquat, l'Initiative sur la flambée des prix des aliments contribuera à répondre aux besoins immédiats les plus graves, et le Programme de lutte contre la faim contribuera à répondre aux défis à long terme. Mais il faut agir dès maintenant.
Nous remercions Josef Schmidhuber, directeur des Études prospectives mondiales de la FAO pour sa contribution.
Notes 1 OCDE-FAO (2008). OCDE-FAO Perspectives agricoles 2008-2017. OCDE, Paris ; OCDE (2008). Les politiques agricoles dans les pays de l'OCDE, suivi et évaluation, Paris. 2 FAO (2008a). Perspectives alimentaires -- mai 2008, Rome. 3 Banque mondiale (2008). G8 Hokkaido -- Sommet de Toyako. Un double danger : répondre aux prix alimentaires et à ceux du pétrole. Washington. DC. 4 FAO (à venir). L'état de l'insécurité alimentaire dans le monde 2008. Rome. 5 FAO (2008b). L'unité d'analyse de la sécurité alimentaire pour la Somalie. Rapport trimestriel sur la sécurité alimentaire et la nutrition. Mai 2008. Rome. 6 Schmidhuber, J. (2006). Impact of an increased biomass use on agricultural markets, prices and food security: a longer-term perspective. Article présenté lors du Symposium international de Notre Europe, Paris, 17-19 novembre. 7. von Braun, J. (2007). The World Food Situation. New Driving Forces and Required Actions, Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI), Washington. 8 FAO (2008c). La situation des marchés des produits agricoles 2008. Rome. 9 FAO (2005). L'état de l'insécurité alimentaire dans le monde 2005. Éradiquer la faim dans le monde pour réaliser les Objectifs du Millénaire pour le développement. Rome. 10 FAO (2006). L'état de l'insécurité alimentaire dans le monde 2005. Éradiquer la faim dans le monde - bilan 10 ans après ; Sommet mondiale de l'alimentation. Rome. 11 FAO (2003). Programme de lutte contre la faim. Une approche double pour réduire la faim : les priorités pour une action nationale et internationale. Rome.

 

 

 

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