Imaginez que votre téléphone ne soit pas à portée de main et que nous ne puissiez pas envoyer un bref message, recevoir des informations sur la circulation routière, trouver le numéro de téléphone de votre médecin, vérifier sur une carte comment vous rendre chez un ami ni effectuer un paiement. 

Bientôt nos habitations seront contrôlées à distance, ce qui nous permettra de régler la température et d’éviter des fuites d’eau pendant notre absence. Dans un avenir proche, les véhicules seront autonomes. Les mégadonnées et l’intelligence artificielle (IA) permettent des avancées dans le traitement des maladies mortelles. Mais qui bénéficie de ces innovations ? Combien d’entre nous profiterons de la quatrième révolution industrielle ou de la technologie verte, dont nous entendons parler et au sujet de laquelle nous nous informons, rendues possibles par les avancées révolutionnaires dans les domaines de la robotique, de l’IA, de la biotechnologie, de l’apprentissage automatique et de l’Internet des objets ? 

Nous vivons dans un monde d’ingéniosité technologique fascinant mais, malheureusement, nous n’en profitons pas tous. Beaucoup ont déjà été laissés sur le côté et risquent d’être encore plus à la traîne, en raison des inégalités politiques, économiques et sociales qui s’accentuent rapidement. D’immenses progrès technologiques ont été accomplis, mais les avantages économiques et sociaux restent concentrés dans certaines zones géographiques, principalement dans les pays développés. Trop souvent, les pays les moins avancés (PMA) restent à la traîne, quand ils ne sont pas entièrement exclus. Beaucoup ont peu de choix en dehors des technologies obsolètes, comme celles utilisées dans les secteurs de l’habillement ou de l’agriculture. 

Ce n’est pas par manque de détermination ni par manque de volonté de rattraper leur retard par rapport au reste du monde. Cela est dû aux défis graves et multiples en matière de développement auxquels ces pays continuent d’être confrontés, enregistrant un retard dans leurs efforts pour éradiquer la pauvreté, réaliser un développement durable et participer pleinement à un marché mondial de plus en plus compétitif. Les contraintes structurelles sont l’une des principales causes, les écarts étant prononcés entre les PMA et les autres pays dans des domaines comme la science, la technologie et l’innovation (STI). Si ces écarts ne sont pas bientôt réduits, ces pays ne seront pas en mesure de réaliser les objectifs de développement durable du Programme 2030. Cela suppose aussi que nous n’aurons pas atteint notre objectif de « ne pas faire de laissés-pour-compte ». 

Les insuffisances de la science, de la technologie et de l’innovation sont dues à de nombreux facteurs. Les approches traditionnelles au développement fondées sur la théorie du ruissellement, selon laquelle l’augmentation des importations des biens d’équipement et de l’investissement étranger direct engendrerait, par le biais de la diffusion de la technologie et de l’innovation, des progrès en matière de développement, n’ont pas donné les résultats escomptés. Plus important, les faibles niveaux d’investissement dans la recherche et le développement, les faibles taux de scolarisation dans l’enseignement supérieur et, en conséquence, un nombre limité de travailleurs qualifiés, des politiques inadéquates ou instables ainsi que des réglementations peu propices à encourager les progrès jouent un rôle dans le manque de capacités scientifiques, technologiques et d’innovation des PMA.  

Pour illustrer les défis auxquels les PMA sont confrontés, il suffit de constater le peu de d’articles publiés dans les revues à comité de lecture. En 2013, seulement 7 articles scientifiques et techniques ont été publiés pour chaque million d’habitants vivant dans les pays africains les moins avancés. Si l’on compare avec les pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques, environ 1 100 articles de revues scientifiques et techniques ont été publiés pour chaque million d’habitants. 

La corrélation entre l’investissement dans la recherche et le développement (R&D) et la croissance économique est bien acceptée. D’ailleurs, l’idée de passer à une « économie verte » repose sur la recherche et le développement, comme le nouveau paradigme d’une « économie bleue » fondée sur l’utilisation durable des ressources marines. En résumé, plus l’investissement dans la R&D est important, plus les possibilités d’innovation pouvant stimuler la croissance sont vastes. Pourtant, dans la plupart des PMA, la part des dépenses en R&D par rapport au produit intérieur brut reste faible et représente moins de 1 %. Cela représente un obstacle majeur à l’amélioration de la compétitivité et des capacités pour absorber les technologies de pointe existantes et les adapter. Si nous voulons que les PMA adoptent les technologies modernes, nous devrons tenir compte des questions relatives au matériel et aux logiciels. Si les investissements dans l’infrastructure technologique sont une condition préalable, les investissements dans le renforcement des capacités permettant de s’adapter aux technologies existantes sont tout aussi importants. 

Le cas des « nouveaux pays industrialisés » le rappelle avec force. Ils ont utilisé les technologies disponibles à l’étranger pour accroître leur base industrielle avant de créer leurs propres inventions scientifiques et technologiques. Toutefois, cet effort exige une main-d’œuvre éduquée et qualifiée – en somme, un pourcentage important de citoyens ayant des connaissances scientifiques. C’est essentiel pour promouvoir la science, la technologie et l’innovation. Mais ici aussi les PMA font face à des obstacles. En 2015, près de 40 % de tous les enfants et adolescents non scolarisés vivaient dans les PMA. Le taux de scolarisation brut dans l’enseignement supérieur était inférieur à 9 % en 2013, comparé à 33 % dans le monde entier. Nous savons que le taux de scolarisation dans l’enseignement secondaire est un facteur prédictif des taux élevés d’utilisation d’Internet. La puissance informatique offre de formidables opportunités à la science, à la technologie et à l’innovation, un domaine qui a aussi réalisé des progrès considérables grâce à la collecte des données, aux informations et aux idées diffusées sur Internet.  Nous ne pouvons donc pas laisser les PMA à la traîne et devons faire en sorte que les taux de scolarisation dans l’enseignement secondaire et supérieur augmentent dans ces pays. 

En termes d’obstacles liés au matériel, le manque de connectivité à haut débit dans les PMA représente un défi majeur. Une mauvaise connectivité empêche l’accès à la plupart des technologies à large bande les plus prometteuses pour l’éducation, la santé, la finance et autres secteurs ainsi que pour les réseaux mondiaux et régionaux de partage du savoir. La plupart des PMA ont des difficultés à fournir à tous un accès à la connectivité à haut débit à un coût abordable. Les technologies numériques ont le potentiel d’offrir à ces nations des avantages pour le développement économique et social. Pour y parvenir, un effort considérable est nécessaire pour donner aux gouvernements et au secteur privé les moyens de les exploiter.  

Notre tâche consiste à soutenir les PMA afin que tout le monde puisse avoir accès aux technologies et au savoir et pour libérer le potentiel de créativité et d’ingéniosité des citoyens. Ce sont ces difficultés qu’il faut surmonter. Rien ne justifie que les PMA soient condamnés à rester à la traîne, contraints à utiliser des technologies obsolètes et inefficaces. Une première mesure essentielle serait de reconnaître la nécessité d’aider ce groupe de pays à rattraper leur retard et d’agir en conséquence. Une main leur a été tendue avec la mise en place d’une nouvelle entité des Nations Unies, la Banque des technologies pour les pays les moins avancés.  

La Banque des technologies a commencé ses opérations en septembre 2017 en signant l’accord avec le pays hôte entre les Nations Unies et la Turquie. Elle a pour objectif d’aider les PMA à renforcer leurs capacités en matière de science, de technologie et d’innovation; de promouvoir les écosystèmes d’innovation nationaux et régionaux; d’appuyer la recherche et le développement au niveau national; de faciliter l’accès au marché; de renforcer les capacités en matière de droits de propriété intellectuelle; et d’aider au transfert des technologies appropriées. Sa création a aussi permis la réalisation de la cible 17.8 des ODD, la première cible ayant été atteinte. 

La Banque des technologies consacrera ses premiers travaux à préparer des évaluations des besoins dans les domaines de la science, de la technologie et de l’innovation dans cinq PMA – la Guinée, Haïti, le Soudan, le Timor-Leste et l’Ouganda – en coopération avec d’autres organisations des Nations Unies. De plus, elle s’est déjà attelée à promouvoir « l’accès numérique aux recherches », en association avec Research4Life, un partenariat public-privé qui s’occupe de ces questions depuis 2002 dans plus de 100 pays à faible revenu, y compris dans tous les PMA.  

Le partenariat réunit des institutions des Nations Unies, 180 éditeurs internationaux, des universités ainsi que d’autres organisations afin de permettre aux chercheurs du monde en développement d’accéder en ligne à des revues universitaires et professionnelles internationales, à des bases de données ainsi qu’à d’autres sources d’information. La Banque des technologies s’emploie actuellement à améliorer l’accès des scientifiques et des chercheurs aux données, aux publications et aux initiatives menées dans les domaines de la science, de la technologie et de l’innovation dans 12 PMA : le Bangladesh, le Bhoutan, le Burkina Faso, le Libéria, Madagascar, le Malawi, le Mozambique, l’Ouganda, le Népal, le Rwanda, le Sénégal et la Tanzanie.  

Cette banque est créée à un moment important où les graines de l’innovation sont plantées dans de nombreux PMA. Nous pouvons donc espérer qu’elle sera un outil important, pouvant apporter une valeur ajoutée afin que des récits d’expériences réussies puissent émerger de ces pays.  

La santé est un domaine essentiel dans lequel les innovations dans les services mobiles ont eu un impact important sur le développement. Au Malawi, Airtel 321 fournit, par le biais des téléphones mobiles, des informations sur la nutrition maternelle et infantile dans la langue locale. En Tanzanie, une application fondée sur les SMS rend la déclaration des naissances plus efficace, plus abordable et plus accessible pour les parents. En octobre 2016, Zipline, qui regroupe une start-up high-tech fabriquant des drones, un fournisseur de services logistiques et un consultant en systèmes de santé publique, a commencé à utiliser des drones pour livrer des fournitures médicales aux dispensaires situés dans des régions reculées du Rwanda. Le partenariat de Zipline avec le Gouvernement rwandais a permis de réduire considérablement le temps requis pour leur livraison.  

Nous savons aussi que les technologies sont importantes pour éliminer les obstacles à l’inclusion financière. Les systèmes de paiement par appareil mobile, qui se sont rapidement répandus dans les PMA, en sont un exemple. Ils ont permis aux personnes ne possédant pas de compte bancaire de sortir de l’exclusion financière pour non seulement améliorer la vie de leur famille mais, plus important, faire naître l’espoir d’un avenir meilleur. 

L’agriculture, un pilier d’un grand nombre d’économies des PMA – et, d’ailleurs, d’un grand nombre de femmes vivant et travaillant dans ces pays – a tiré d’immenses avantages des technologies numériques. Les téléphones mobiles permettent d’augmenter non seulement la production et la récolte de denrées alimentaires, mais aussi de fixer les prix. Au Cambodge, le projet Pink Phone est un bon exemple. L’initiative permet aux agricultrices d’échanger leur expertise et d’accéder aux ressources, d’acheter des terres et, donc, de vendre davantage de produits. Au Sénégal, Mlouma, une plate-forme virtuelle, fournit aux agriculteurs, et plus important, aux investisseurs des informations en temps réel sur les prix, les lieux de production et la disponibilité des produits via un site Web ou un téléphone mobile.  

Les développements récents dans le domaine des technologies des transports ont déjà eu des conséquences importantes, transformant la façon dont les personnes voyagent, créent des emplois et font des affaires. Le métro léger, qui est entré en service en 2015 à Addis-Abeba, la capitale de l’Éthiopie, a déjà complètement transformé la mobilité urbaine. Il s’agit du premier métro léger et du premier système de transport en commun rapide en Afrique de l’Est et en Afrique subsaharienne. Dans ce contexte, il faut aussi mentionner qu’Ethiopan Airlines s’est dotée du tout nouveau Boeing 787 Dreamliner. 

Ce ne sont là que quelques exemples, mais ils montrent tous que les PMA peuvent se tenir informés des dernières technologies innovantes. Ils montrent aussi que le partenariat public-privé et la coopération Sud-Sud sont efficaces et que les technologies ne sont pas une fin en soi, mais un moyen d’accomplir des progrès sur la voie de la réalisation d’un développement durable et inclusif qui profite à tous. 

La Stratégie du Secrétaire général en matière de nouvelles technologies transmet ce message dans un ensemble de principes qui nous fournit le cadre nécessaire pour poursuivre nos efforts et faire en sorte que les avantages des nouvelles technologies servent à réaliser un développement équitable et durable. Nous devons éviter cette fuite en avant technologique qui pourrait conduire à la marginalisation et laisser les pays pauvres à la traîne.