Combien paieriez-vous un manteau d'hiver ? Combien paieriez-vous l'enfant qui l'a fait ?

Il y a cinquante ans, l'abomination de l'esclavage semblait appartenir au passé. Mais l'histoire ne cesse de se répéter. Aujourd'hui, nous constatons que l'esclavage est, une fois de plus, une réalité. En ce moment, dans le monde entier, des hommes, des femmes et des enfants sont victimes de la traite et exploités : 2,4 millions ont été victimes de la traite à des fins d'assujettissement au travail forcé dans le monde entier, dont 600 000 à 800 000 font l'objet chaque année de trafics transfrontaliers, et 12 000 enfants travaillent comme esclaves dans des plantations de cacao en Afrique de l'Ouest. Il est impossible de s'entendre sur l'ampleur du problème mais, quels que soient les chiffres, on ne peut nier que la traite des êtres humains est un problème majeur qui continue de croítre. On ne peut nier que chaque chiffre représente une vie humaine détruite. Tous les continents, et pratiquement tous les pays, sont touchés : que le pays où l'on vit soit l'origine, la destination ou un point de transit de la traite, personne ne peut prétendre être complètement à l'abri de ce crime.

La traite des êtres humains étant un fait reconnu, des initiatives ont été prises pour s'y attaquer. Stop the Traffik (Stoppons le trafic) en est une. Après avoir observé directement les effets de la traite des êtres humains, nous avons formé en 2006 une coalition informelle pour sensibiliser le public à ce problème et susciter la volonté politique nécessaire pour y mettre fin.

Nous nous sommes vite aperçus que l'un des obstacles les plus importants à la lutte contre la traite était le manque de compréhension concernant cette question. La traite et, par conséquent, les mesures prises pour la combattre, sont souvent intrinsèquement liées au trafic des migrants, à l'immigration et à l'asile, à la prostitution ainsi qu'à d'autres formes de criminalité organisée. Il faut souligner que la traite est l'exploitation forcée de personnes par des individus qui sont en position d'exercer un pouvoir sur elles. Si le déplacement des personnes fait partie intrinsèquement de la traite, il peut avoir lieu tout aussi bien à l'intérieur qu'en dehors des frontières et revêtir différentes formes. Si les personnes se sont laissées prendre au piège ou ont été trompées, elles peuvent même se rendre de leur propre gré dans une situation d'exploitation. Mais contrairement à ceux qui paient pour entrer clandestinement dans un autre pays, les victimes de la traite n'ont pas comme objectif de se construire une nouvelle vie.

La traite internationale soulèvera inévitablement des questions d'immigration, mais ses victimes ne peuvent pas simplement être traitées comme des migrants illégaux et les efforts pour la combattre réduits à un contrôle plus strict des frontières. On peut juger que la traite à des fins sexuelles est une activité odieuse sans prendre une position particulière contre la prostitution, et les politiques visant à réduire ou à contrôler l'industrie du sexe sont seulement un moyen de mettre fin au commerce de la chair humaine. Enfin, malgré les similarités entre le trafic de drogue, le trafic d'armes et la traite des êtres humains, qui peuvent nécessiter des politiques comparables pour les combattre, nous commettons une grave injustice à l'égard des victimes de l'esclavage sexuel si, dans notre esprit, nous les assimilons à des marchandises.

La première mesure consiste à prévenir la traite et à engager des poursuites contre les trafiquants et, donc, à reconnaítre la complexité du problème qui ne peut être traité en vase clos. Les stratégies de lutte doivent être menées dans chaque domaine d'activité, allant du renforcement de l'éducation des filles dans les pays d'origine pour réduire leur vulnérabilité à l'augmentation des salaires des agents de police afin qu'ils soient moins tentés de recevoir des pots-de-vin. Nous ne devons pas marginaliser la question de la traite et penser que l'on puisse la régler en y affectant quelques équipes spéciales supplémentaires ou des services exclusivement chargés de cette question. Il faut que chacun soit conscient de la façon dont elle les touche et ce qu'il peut faire pour y mettre un terme. Des efforts louables ont déjà été menés dans cette direction. En 2000, les Nations Unies ont lancé le Protocole visant à prévenir, à réprimer et à punir la traite des personnes, qui a créé une approche centrée sur les victimes. Il a été signé depuis par 177 pays. En 2005, la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains a marqué un pas en avant vers une plus grande coopération et un engagement plus marqué au sein de l'Europe.

Mais il faut faire beaucoup plus. Nombreux sont ceux qui ne savent toujours pas ce qu'est la traite ou qui ne s'en soucient pas. C'est ce que nous voulons changer à chaque niveau de la société. En février 2008, nous avons remis à l'ONU 1,5 million de signatures pour mettre un terme à la traite des êtres humains. Notre fondateur Steve Chalke a été ensuite nommé un Conseil spécial sur l'action locale contre la traite des êtres humains de l'UN.GIFT1. Depuis, nous avons continué à accroítre l'appui des communautés, convaincus que l'on ne peut pas arrêter la traite qu'avec des conventions internationales. Nous concentrons actuellement nos efforts sur trois campagnes essentielles.

La première est Start Freedom, notre nouveau projet mondial mené en collaboration avec l'ONU, qui vise à sensibiliser les jeunes sur les questions liées à la traite des êtres humains. Le fait que plus de la moitié de toutes les victimes de la traite ont moins de 18 ans permet aux jeunes de comprendre l'importance de leur contribution pour prévenir ce commerce illicite. Déjà, des pays d'origine, de transit et de destination comme la Grèce, le Mexique et le Népal indiquent que des jeunes, des groupes religieux et des communautés participent à la campagne. Les communautés sont au cœur de nos campagnes. Pendant la semaine de la liberté, célébrée en mars 2010, des jeunes prendront contact entre eux, dialogueront et partageront avec leur communauté les moyens divers et originaux de marquer leur opposition à la traite des êtres humains.

L'Active Communities against Trafficking (ACT), une autre initiative importante, vise à rassembler les membres d'une communauté sous l'égide d'un groupe de l'ACT. Nous leur fournissons de nombreuses ressources pour les aider à comprendre ce qu'est la traite, et comment elle touche les communautés locales, et à apprendre comment y mettre un terme. Ils peuvent, par exemple, poser des questions sur les enfants disparus et établir des relations avec les autorités locales, les experts et les responsables des communautés. Nous pensons que le problème prend naissance dans une communauté et que celle-ci peut y mettre un terme. Alors que le projet ACT se développe dans les pays, on assiste à une plus grande médiatisation du problème, avec une diversité d'acteurs engagés dans la lutte contre la traite sous ses différents aspects. La deuxième phase du projet ACT, mise actuellement à l'essai, sera lancée en 2010. Il s'agit d'un projet de recherche sur les communautés visant à recueillir des informations sur la traite à des fins d'exploitation sexuelle dans les communautés locales. Ce projet pourrait beaucoup contribuer à nos objectifs essentiels qui sont la prévention de la traite, les poursuites engagées contre les trafiquants et la protection des victimes.

Un troisième objectif central est notre Chocolate Campaign, qui traite du problème des enfants esclaves. En effet, plus d'un tiers de la production mondiale de cacao vient de la Côte d'Ivoire où la traite des enfants et le travail forcé ont déjà fait l'objet de plusieurs rapports publiés par des organisations internationales comme l'Initiative internationale sur le cacao. Étant donné que les producteurs n'ont pas respecté la date butoir concernant l'éradication de la traite des enfants, nous avons décidé de lancer notre propre campagne afin que les grands fabricants de chocolat disent clairement que leurs produits sont garantis « sans traite des enfants ».

Jusqu'à présent, la plupart d'entre eux n'ont pas pu le faire - tout simplement parce que leurs filières d'approvisionnement ont recours à l'esclavage des enfants. Notre campagne vise à sensibiliser l'opinion à la traite des enfants dans l'industrie du cacao et à faire pression sur les fabricants de chocolat pour qu'ils adoptent un système de certification, comme le Commerce équitable ou l'Alliance pour la défense des forêts pluviales, qui sont actuellement les meilleures garanties dont nous disposons pour indiquer que les produits n'ont pas recours à la traite des enfants. Notre stratégie de campagne repose sur nos nombreux groupes de soutien au sein des communautés : ils collectent des fonds en organisant une dégustation de fondue au chocolat équitable, envoient des lettres aux fabricants et leur téléphonent, boycottent les marques jusqu'à ce qu'ils adoptent le label Commerce équitable et mènent des actions de formation et d'information pour aider d'autres personnes à prendre des décisions éthiques. Jusqu'ici, nous avons connu un immense succès : Cadbury s'est engagé à utiliser du lait issu du commerce équitable et, de son côté, Mars s'est engagé à utiliser dans ses barres Galaxy du chocolat certifié par l'Alliance pour la défense des forêts pluviales d'ici à 2010 et dans tous ses produits d'ici à 2020. Après avoir talonné Nestlé pendant plusieurs semaines pour que l'entreprise s'engage à produire des barres Kit Kat équitables, l'entreprise a suivi l'exemple en annonçant au Royaume-Uni la labellisation commerce équitable en janvier de ses barres Kit Kat à quatre doigts. C'est un début, mais le travail est loin d'être fini.

Ce n'est qu'avec l'effort concerté des gouvernements, des entreprises privées, des organisations non gouvernementales et, surtout, de toutes les communautés que nous pourrons espérer mettre un terme à l'ignominie de la traite des êtres humains. Stop the Traffik est devenu une association caritative indépendante comprenant plus de 1 500 organisations membres et des centaines de milliers de participants dans le monde qui refusent de tolérer l'esclavage au XXIe siècle.

La population parle de ce problème, les communautés se développent, les réseaux mondiaux se forment et les gouvernements répondent au message clair qu'il faut mettre un terme à la traite des êtres humains.

Note
1. Initiative mondiale des Nations Unies pour combattre la traite des êtres humains.