Le Sommet de la Terre qui s'est tenu à Rio en 1992 a été un événement historique qui s'est conclu par des accords visant à guider le développement durable dans le monde. Selon le premier principe de la Déclaration de Rio de 1992 sur l'environnement et le développement, « les êtres humains sont au centre des préoccupations relatives au développement durable. Ils ont droit à une vie saine et productive en harmonie avec la nature ». Vingt ans après, nous n'avons toujours pas atteint cet objectif fondamental, trop de personnes n'ont toujours pas une vie saine et productive en harmonie avec la nature. Environ 925 millions souffrent de la faim. Un développement durable digne de ce nom ne peut permettre qu'une personne sur sept soit laissée pour compte. La faim existe, ce qui est insensé dans un monde qui produit suffisamment pour nourrir la planète. Des centaines de millions de personnes souffrent aussi d'obésité et de problèmes médicaux qui y sont liés.

Par conséquent, l'éradication de la faim et l'amélioration de la nutrition humaine doivent être au cœur du débat de Rio +20. La Conférence des Nations Unies sur le développement durable peut et devrait donner l'élan pour répondre aux besoins alimentaires de tous de manière plus durable et plus équitable.

Il faut d'abord savoir que les systèmes agricoles, qui comprennent les produits non alimentaires et alimentaires, le bétail, les pêcheries et la foresterie sont la principale source de nourriture et de revenus de la plupart des populations pauvres, les plus touchées par l'insécurité alimentaire, dont environ 75 % vivent dans les régions rurales. Les millions de personnes qui gèrent les systèmes agricoles - allant des très pauvres aux producteurs industriels - sont également celles qui sont en grande partie responsables de la gestion des ressources naturelles de la planète.

Par conséquent, l'agriculture est au cœur de la solution de la durabilité d'un point de vue environnemental, économique et social. Si nous améliorons les systèmes agricoles et alimentaires, nous pouvons améliorer les moyens de subsistance et la santé des populations et renforcer la santé des écosystèmes. Le modèle agricole dominant hérité de la révolution verte des années 1960 qui mettait l'accent sur une variété de culture limitée et une utilisation intensive d'engrais et de pesticides chimiques, d'énergie et de capitaux, ne peut relever les défis du nouveau millénaire.

La production de céréales qui a doublé entre 1960 et 2000 se paie au prix fort. Les dégâts collatéraux comprennent la dégradation des terres et la déforestation, la surexploitation des eaux souterraines, les émissions de gaz à effet de serre, la perte de la biodiversité et la pollution des masses d'eau par les nitrates.
Non seulement l'agriculture affecte l'environnement et contribue aux changements climatiques, mais c'est aussi l'un des secteurs le plus touché par ceux-ci, les terres n'étant plus accessibles aux agriculteurs, le plus souvent de petits exploitants.

Selon des estimations compilées par l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), d'ici à 2050, la production alimentaire devra augmenter de 60 % pour nourrir une population mondiale de 9,3 milliards. Continuer à cultiver les terres selon nos habitudes exercerait une forte pression sur nos ressources naturelles. Nous n'avons donc pas d'autre choix que d'entreprendre une révolution plus verte. Nous pouvons augmenter la production agricole de façon durable au moyen de différentes techniques plus en harmonie avec les écosystèmes en réduisant l'utilisation des intrants externes et en aidant les exploitants à faire face aux phénomènes climatiques extrêmes qui sont de plus en plus associés aux changements climatiques, ce qui améliorera leur résilience et réduira les émissions de gaz à effet de serre. Ce type d'agriculture, utile et accessible aux petits exploitants, est adaptée aux conditions auxquelles ils font face en mettant l'accent sur les variétés de cultures locales et en exploitant le savoir traditionnel pour protéger, plutôt que combattre, les processus des écosystèmes naturels.

En même temps, nous devons encourager les grands exploitants agricoles à être plus respectueux de l'environnement en leur offrant des mesures d'incitation pour l'adoption de pratiques durables et en pénalisant les pratiques non durables.

Il ne fait aucun doute que nous pouvons augmenter la production de 60 % d'ici à 2050. Toutefois, nous ne devrions pas considérer ces 60 % comme une conclusion jouée d'avance. Nous devons travailler de façon à nourrir la planète en produisant moins.

En fait, la façon dont nous produisons, traitons, distribuons et consommons les aliments est aberrante. On estime que, chaque année, près d'un tiers de la production alimentaire mondiale destinée à la consommation - environ 1,3 milliard de tonnes - est perdue ou gaspillée. Les pays industrialisés et les pays en développement gaspillent approximativement les mêmes quantités de denrées alimentaires - respectivement 670 et 630 millions de tonnes.

Ces pertes de denrées alimentaires propres à la consommation ont principalement lieu dans les pays industrialisés, ce qui peut être inversé par l'amélioration des infrastructures et l'augmentation des investissements dans la production, les récoltes, le stockage, l'après-stockage et les phases de traitement.

Les pertes alimentaires sont un problème qui se rencontre principalement dans les pays industrialisés, au niveaux des détaillants et des consommateurs qui jettent ces denrées tout à fait consommables. Les pertes par consommateur représentent, chaque année, entre 95 et 115 kg en Europe et en Amérique du Nord. En Afrique subsaharienne et en Asie du Sud et du Sud-Est, les consommateurs jettent seulement 6 à 11 kg par an.

Si nous conservions une partie des denrées alimentaires que nous gaspillons, nous n'aurions pas à augmenter la production de 60 %. Si nous pouvions réduire les déchets et les pertes alimentaires de seulement 25 %, nous pourrions, chaque année, nourrir 500 millions de bouches supplémentaires. L'adoption de régimes alimentaires plus sains, plus durables, aurait des avantages multiples pour la santé publique et la durabilité de l'environnement.

En 2050, il sera impossible de nourrir neuf milliards de personnes exigeant un régime riche en protéines animales. Il faut 1,5 litre d'eau pour produire un kilo de céréales et 15 000 pour produire un kilo de viande. Un régime plus sain permettrait de réduire la pression exercée sur nos ressources naturelles et de répondre au problème de l'obésité, qui est une préoccupation grandissante dans le monde.

Toutefois, produire suffisamment d'aliments pour nourrir la planète ne garantit pas la sécurité alimentaire. La faim existe aujourd'hui alors qu'il y a suffisamment de nourriture pour tous. Même si nous augmentons les rendements agricoles de 60 % d'ici à 2050, 300 millions de personnes souffriront de la faim à cause d'un manque d'accès aux vivres. L'accès est essentiel. Le plus souvent, les personnes sont sous-alimentées parce qu'elles n'ont pas la capacité de produire suffisamment de nourriture pour leur propre consommation ou les moyens d'en acheter.

Il est important d'intervenir au niveau mondial, mais nous devons aussi agir avec détermination au niveau local, là où les gens vivent et mangent. Ce ne sont pas les marchés internationaux qui les alimentent. Plus de 70 % des pauvres dans le monde vivent dans des régions rurales, et améliorer leurs moyens de subsistance serait un immense pas vers la sécurité alimentaire universelle. En produisant, ils peuvent satisfaire leurs besoins alimentaires et approvisionner les marchés locaux. Des coopératives et des associations d'agriculteurs plus développées peuvent leur permettre de mieux s'organiser et leur offrir un meilleur accès aux opportunités.
Le couplage entre l'exploitation à petite échelle et les transferts d'espèces et les programmes travail contre rémunération est une approche innovante de plus en plus utilisée. Ainsi, les familles pauvres peuvent acheter des vivres aux agriculteurs locaux. Cela permet aussi d'injecter de l'argent dans les économies rurales locales et d'instaurer un cycle vertueux où ceux qui étaient auparavant mis à l'écart de l'économie deviennent des consommateurs et, par là même, suscitent la croissance.

C'est une solution satisfaisante pour tous, à l'instar du couplage entre la production à petite échelle et les pro- grammes d'achat de nourriture, comme les repas scolaires. Ces initiatives offrent un nouvel éclairage sur les interventions alimentaires et de développement rural sans le recours des technologies et de l'aide alimentaire traditionnels. Rio +20 doit apporter des changements dans notre façon de penser, nos priorités, nos politiques d'investissement afin de nous mener sur la voie d'un développement durable où la sécurité alimentaire et nutritionnelle ainsi que la réforme de l'agriculture jouent un rôle essentiel. C'est une mission qui est beau- coup plus vaste que celle de la FAO, des institutions établies à Rome ou de l'ensemble des Nations Unies. Nous devons tous nous atteler à la tâche pour construire un avenir plus durable et améliorer la sécurité alimentaire en instaurant un dialogue impliquant les organisations internationales, les gouvernements, le secteur privé, la société civile et d'autres acteurs. Il existe un point de convergence entre la sécurité alimentaire, les changements climatiques et la durabilité qui est essentiel pour la construction d'un avenir plus sain et qu'il faut examiner de plus près. Rio +20 nous offre l'opportunité de le faire. Nous ne pouvons laisser passer cette chance.