Il y a plus de 100 millions de travailleurs migrants dans le monde. Avec leur famille, ils représentent la majorité des migrants internationaux estimés aujourd’hui à 232 millions de personnes vivant en dehors de leur pays d’origine1. Près de la moitié sont des femmes qui quittent leur pays pour travailler. Environ un migrant sur huit est âgé de 15 à 24 ans. La migration Sud-Sud a aujourd’hui dépassé la migration Sud-Nord : plus de 50 % des émigrants des pays en développement migrent vers un autre pays en développement et un grand nombre dans leur région2. Près de 80 % de la migration Sud-Sud se fait entre des pays qui ont une frontière commune3.

La majorité migre dans l’espoir de trouver un emploi décent, mieux rémunéré. L’absence de moyens d’existence et les inégalités de revenu dans leur pays d’origine sont des motifs puissants. Les jeunes entrant dans le monde du travail sont particulièrement affectés, car ils sont surreprésentés dans des secteurs comme le bâtiment, la fabrication et les services qui sont plus vulnérables aux ralentissements économiques. Ceux qui trouvent un emploi travaillent souvent au-dessous de leur niveau de qualification; 32 % des migrants ayant des diplômes universitaires occupent des emplois peu ou moyennement qualifiés4. Le tableau de l’Organisation internationale du travail (OIT) montre que nous faisons face à une augmentation constante des migrants âgés de moins de 24 ans au chômage au cours des cinq prochaines années. On les appelle « la génération perdue5 ».

Les raisons qui poussent les travailleurs à quitter les économies rurales en déclin sont liées au mauvais état des infrastructures, à la dégradation des terres agricoles, à la pénurie d’eau et, de plus en plus, aux catastrophes climatiques et météorologiques6. Les communautés déjà menacées par la pénurie d’eau, l’insécurité alimentaire et du logement, un faible taux d’emploi et la propagation des maladies risquent d’être de plus en plus vulnérables aux catastrophes naturelles7. Cela inclut la majorité des pays en développement – « 1 personne sur 19 vivant dans les pays en développement risque de connaître ces problèmes par rapport à 1 personne sur 1 500 dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques8 ».

LE DÉFI DU DÉVELOPPEMENT

Le développement non durable, le manque de développement et le développement inéquitable conduisent à l’échec sur le marché de l’emploi. Compte tenu des inégalités démographiques et économiques associées à la vulnérabilité aux crises, on s’attend à une montée de la migration dans les décennies à venir.

La mobilité de la main-d’œuvre peut créer de nouvelles possibilités pour les travailleurs qui font face au chômage et améliorer la productivité et la prospérité des entreprises qui ont besoin de main-d’œuvre. Les migrants contribuent à la fois au pays d’accueil en occupant des emplois qui stimulent la croissance économique et au pays d’origine en transférant des fonds – 500 milliards de dollars par an (selon la Banque mondiale en 2012), dont plus de 400 milliards de dollars envoyés aux familles dans les pays en développement. Le niveau des transferts de fonds dans le monde a augmenté malgré les crises économiques et politiques. Les fonds envoyés dans les pays en développement ont augmenté de 5 % l’année dernière et sont dix fois supérieurs à ceux de 1990.

Avec ces montants trois fois supérieurs au montant total de l’aide au développement et des investissements directs étrangers réunis, les gouvernements et les organismes internationaux cherchent comment exploiter le mieux ces flux financiers pour la prospérité macro-économique. Il s’en est suivi des politiques qui, dans certains cas, ne sont pas loin de considérer les travailleurs migrants comme de simples marchandises : comment mieux les exporter, les importer et mesurer l’impact ou les gains économiques qu’ils offrent ? Dans le pire des cas, des agents peu scrupuleux cherchent à les négocier, à les exploiter et à les échanger9.

Les politiques qui répondent aux besoins des travailleurs migrants, hommes et femmes, dont les revenus stimulent l’économie des pays d’accueil et d’origine ont suscité beaucoup moins d’attention. Les stratégies de développement et les politiques de l’emploi sont rarement axées sur les besoins des travailleurs migrants – comment les aider à mieux soutenir leur famille et leur communauté dans leur pays. Pourtant, ces questions sont directement liées à la promotion du développement. La sécurité sociale, la santé et l’éducation de la famille sont liées à des conditions de travail, à des salaires décents, à la réduction de l’exploitation et des violations des droits de l’homme. Les emplois qui correspondent aux qualifications, l’amélioration des compétences, la transférabilité des pensions et la réintégration des migrants qui retournent dans leur pays améliorent leurs possibilités de contribuer au développement. Pour s’attaquer à ces questions, il sera nécessaire de mieux harmoniser les politiques relatives à l’emploi et à la migration de la main-d’œuvre pour qu’elles soient liées à la planification du développement. Il faudra donc traiter les questions liées aux secteurs informels en pleine croissance dans les pays développés et les pays en développement. L’ampleur de l’économie informelle, les faiblesses des politiques relatives au travail et le manque de capacités de gestion de la migration de la main-d’œuvre empêchent la plupart des pays de destination et d’origine de réaliser les avantages que la migration de la main-d’œuvre positive peut offrir.

Les travailleurs migrants sont souvent surreprésentés dans les secteurs de l’économie informelle qui renforcent les inégalités, y compris les inégalités entre les sexes, et souvent victimes de mauvais traitements, de la traite et du trafic de personnes ainsi que du dumping social. Ils sont rarement couverts par le droit national du travail et sont souvent soumis à des conditions de travail mauvaises et dangereuses, touchent des salaires bas, n’ont pas accès aux soins de santé appropriés et habitent dans des logements inadéquats. Parfois, la protection sociale leur est refusée, en droit ou en pratique, ce qui augmente le risque de pauvreté lors de leur retour dans leur pays, surtout s’ils souffrent de blessures liées à leur emploi.

Les travailleurs migrants, surtout ceux qui sont en situation irrégulière, sont souvent victimes de la discrimination et se voient refuser les services de base, en particulier l’accès des enfants à la santé et à l’éducation. Le développement des programmes de migration de la main-d’œuvre temporaire pose d’autres questions liées aux droits de l’homme, comme la liberté d’association, la négociation collective, la non-discrimination et l’égalité de traitement. L’absence de droits égaux des travailleurs migrants ou l’inégalité d’accès aux  recours judiciaires ou non judiciaires en cas de violations des droits de l’homme est préoccupante10.

On pourrait obtenir de meilleurs résultats si les politiques nationales incorporaient l’objectif d’un travail décent pour tous, mettaient en œuvre les normes de l’OIT et incluaient les associations de travailleurs et d’employeurs, les travailleurs migrants et les autres parties prenantes qui sont directement touchées par ces politiques. Combler les lacunes en matière de protection est possible en mettant en œuvre les normes internationales relatives aux droits de l’homme de manière plus efficace et en ratifiant et en faisant appliquer les normes relatives au travail, y compris les Conventions 97 et 143 et leurs Recommandations correspondantes 86 et 151. Les gouvernements devraient veiller à ce que tous les travailleurs, indépendamment de leur statut, jouissent de leurs droits fondamentaux tel qu’ils sont définis dans la Déclaration de 1998 relatives aux principes et aux droits fondamentaux au travail. Le Cadre multilatéral de l’OIT pour les migrations de main-d’œuvre adopté en 2006 donne des indications supplémentaires sur les pratiques à adopter pour améliorer la protection des travailleurs migrants.

L’un des plus sérieux défis à la réalisation des acquis du développement est la xénophobie et la discrimination à l’égard des travailleurs migrants. L’OIT a permis d’évaluer la discrimination liée à l’accès à l’emploi, y compris par l’organisation d’enquêtes sur la manière dont le public perçoit les travailleurs migrants. Par exemple, en Malaisie, en République de Corée, à Singapour et en Thaïlande, un sondage a montré que le public reconnaissait la nécessité de faire appel aux migrants, mais était hostile à ce qu’ils bénéficient du même traitement que lui. Ce problème persiste dans toutes les régions du monde.

CE QUE NOUS POUVONS FAIRE

L’OIT a commencé à travailler de manière plus concertée avec les partenaires locaux afin de réduire la discrimination par le biais de campagnes d’éducation du public et d’une assistance technique11. Elle examine aussi comment les institutions du marché du travail, y compris les salaires minimaux, peuvent instaurer des conditions plus égales pour tous les travailleurs. En 2004, elle a plaidé pour un « ajustement de statut » dans le cadre duquel les travaillants migrants en situation irrégulière pourraient bénéficier d’un statut régulier en prouvant qu’ils ont un emploi et qu’ils satisfont à d’autres conditions12. De nombreux pays les ont régularisés, (comme l’Afrique du Sud, l’Argentine, le Brésil, l’Espagne, les États-Unis, l’Italie, le Panama, la Thaïlande), ce qui permet de promouvoir leur insertion sociale.

L’OIT a également conçu et testé de nouvelles méthodes pour mesurer les résultats liés aux politiques d’immigration, comme les programmes de travailleurs temporaires, afin de mieux comprendre l’impact des politiques sur le développement. Les résultats peuvent permettre aux gouvernements de mieux évaluer les besoins du marché du travail et de réorienter les programmes au profit des travailleurs, y compris des travailleurs migrants.

Le bureau aide un certain nombre de pays à mieux coordonner la migration et les politiques de l’emploi, les accords en matière de développement pour la transférabilité de la sécurité sociale et à améliorer, entre autres questions, la gouvernance en matière de migration, comme récemment en Afrique du Sud, au Bangladesh, au Cambodge, en Jordanie, au Kazakhstan, à Maurice, au Moldova, au Tadjikistan, aux Philippines, au Sri Lanka et en Ukraine, et à travailler avec des entités régionales comme la Communauté de développement d’Afrique australe et l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est afin d’améliorer la gouvernance en matière de mobilité de la main-d’œuvre régionale et le dialogue social13.

L’OIT cherche également comment mieux soutenir les travailleurs migrants qui veulent créer leurs propres coopératives en réunissant leurs transferts de fonds pour financer des petites et moyennes entreprises. Les coopératives sont détenues et contrôlées démocratiquement par leurs membres, et trouvent un équilibre entre la rentabilité et les besoins humains. Dans 20 pays européens, les systèmes de coopérative contrôlent déjà 21 % des parts de marché des dépôts entre 3 874 banques locales ayant 181 millions de clients et ont 5,5 milliards d’euros d’actifs, tandis que les coopératives de crédit comptent 200 millions de membres dans le monde et plus d’un milliard d’euros d’actifs. La Sorosoro Ibaba Development Cooperative aux Philippines est un exemple de coopérative de fabrication et d’agriculture qui permet aux migrants d’épargner et d’investir dans la coopérative et de bénéficier de programmes de formation.

De même, l’OIT encourage les partenariats avec les entreprises privés qui embauchent des travailleurs migrants à réinvestir dans le développement en les initiant à la finance et à la gestion des affaires avant de retourner dans leur pays. Ces types d’activités entreprenariales débouchent sur l’investissement des transferts de fonds dans des projets communautaires et stimulent la croissance économique locale.

ALLER DE L’AVANT

Tant que l’on n’aura pas reconnu l’importance vitale de la mobilité de la main-d’œuvre pour les stratégies du développement, le développement ne sera ni durable ni équitable pour beaucoup. Les migrants ne sont pas une fonction statique de l’économie d’un seul pays, mais une dynamique. Les travailleurs actifs d’un pays entrent sur le marché du travail d’un autre pays, peuvent le quitter pour entrer sur celui d’un pays tiers et revenir dans leur pays en l’espace de quelques années, contribuant à l’économie de plusieurs pays.

Compte tenu du besoin de partager les expériences et des liens fondamentaux entre le développement et la migration, le monde du travail doit être pris en compte et incorporé dans les débats mondiaux consacrés au développement international. Devant assurer la présidence du Groupe mondial sur la migration (GMM) en 2014 et désirant mieux définir ses prochaines stratégies d’action à la lumière des conclusions du Dialogue de haut niveau de l’Assemblée générale sur la migration internationale et le développement, l’OIT organisera une réunion technique tripartie sur les migrations de main-d’œuvre du 4 au 8 novembre 2013, avec d’autres parties prenantes importantes, y compris des agences faisant partie du GMM et des organisations de la société civile, en tant qu’observateurs.

Œuvrer pour promouvoir le développement signifie mieux comprendre les besoins de tous les travailleurs et y faire face, y compris ceux des travailleurs migrants. Un développement durable qui offre de nombreux emplois qui correspondent aux qualifications des travailleurs à tous les niveaux, qui offre des salaires décents et des avantages sociaux, qui réduit l’écart entre les riches et les pauvres (au lieu de l’accentuer) et qui offre des conditions de travail respectueuses de l’environnement, sans risque pour la santé et équitables sera un moteur plus durable de la croissance et de l’innovation.

Un travail décent est le moteur essentiel du développement et de la migration. Une planification axée sur l’avenir qui tient compte des besoins des migrants et de leur famille serait le meilleur moyen de protéger ces personnes contre des formes de travail inacceptables et pourrait encourager le développement économique inclusif. En concrétisant davantage nos objectifs de développement et en portant les bonnes pratiques en matière de gouvernance du travail à l’attention de ceux qui font le changement, cette vision du développement pourrait devenir une réalité dans le monde après 2015.

Notes

1   Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies, Division de la population, Trends in International Migrant Stock: 2013 révision (base de données des Nations Unies, POP/DB/ MIG/Rev.2013)(à paraître).

2   Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies, Division de la population, international Migration Report (2010).

3   Dilip Ratha et William Shaw, « Migration Sud-Sud et envois de fonds », dossier de travail n° 102 de la Banque mondiale (Washington, Banque mondiale, 2007), p.2.

4   Dossier sur l’emploi des jeunes, « Reaping the Benefits and Mitigating the Risks of Youth Labour Migration », présenté lors de la Journée internationale de la jeunesse des nations Unies, le 12 août 2013 (oit).

5   Voir BBC News, Mark Lowen, « Greece’s Young: Dreams on hold as fight for jobs looms », 29 mai 2013. Disponible à http://www.bbc. co.uk/news/business-22702003.

6   Michelle Leighton, Xiaomeng Shen et Koko Warner, éd. « climate change and Migration: Rethinking Policies for Adaptation and Disaster Risk Reduction » (Université des Nations Unies, 2011). Disponible à http://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/ fullreport_149 pdf.

7   Michelle Leighton. Population Displacement, Relocation, and Migration »,  dans The Law of Adaptation to Climate Change: U.S. and International Aspects, Gerrard, Michael, Kuh, Katrina Fischer, éd. (American Bar Association, 2012).

8   Compte rendu des travaux, Quatrième Forum mondial sur la migration et le développement (Mexique, 8-11 novembre 2010), p. 37.

9   Sur les 20,9 millions de victimes dans le monde, 9,1 millions ont été déplacés à l’intérieur et à l’extérieur de leur pays oit : estimations mondiales concernant le travail forcé, (2012), p. 17.

10 Tel que stipulé dans la Convention sur la migration et l’emploi (révisée), 1949 (n° 97), art. 6(1)(d).

11 Voir, par exemple, les projets de l’oit sur la migration de main- d’œuvre à : http://www.ilo.org/migrant/capacity-building-and-tech-nical-assistance-on-labourmigration/projects/lang--en/index.htm.

12 OIT. Towards a fair deal for migrant workers in the global economy, rapport VI, ILC, 92e session, (Genève, 2004), para. 399.

13 Voir n° 11.