Tapez les mots « viol » « liberia » et « après la guerre » et le moteur de recherche google vous proposera 470 000 résultats en 0,38 seconde. Un de ces résultats est un blog créé en 2008 par Azama après avoir assisté à une conférence organisée à la mairie de Monrovia où des femmes ont parlé devant un vaste public des viols et d'autres brutalités qu'elles avaient subis. « Ils ont déchiré mes vêtements, m'ont violée l'un après l'autre et ont dit à mon frère d'en faire autant. Lorsqu'il a refusé, ils ont menacé de le tuer », a expliqué une victime de Lofa qui a été violée par huit hommes, y compris son frère, pendant l'invasion en 2003 du groupe de rebelles Libériens unis pour la réconciliation et la démocratie. « Et je l'ai supplié de le faire, parce que je ne voulais pas qu'ils tuent la seule personne de ma famille en vie à ce moment-là. Depuis, nous ne nous parlons plus. Lorsqu'il me voit, il change de direction, et moi aussi. Nous ne sommes pas en bons termes. » Elle dit que la plupart du temps, elle doit utiliser un fauteuil roulant à cause de la douleur. « Je continue de souffrir à cause des viols ».

Ce viol particulier a eu lieu vers la fin des 14 ans de guerre civile, qui a débuté en 1989. Selon Amnesty International, entre 60 et 70% de la population libérienne a subi des violences sexuelles pendant le conflit, bien que leur nombre soit probablement plus élevé car de nombreux viols ne sont pas signalés. Malheureusement, le Liberia n'est pas le seul pays à avoir utilisé le viol comme tactique de guerre. Cela s'est produit aussi lors des conflits en République démocratique du Congo, au Darfour, en Bosnie-Herzégovine et au Rwanda. Ce que l'on sait moins, c'est que, depuis la fin du conflit, il y a eu d'innombrables cas de viols. Ce n'est pas parce que la guerre est finie que la guerre contre les femmes l'est. Selon les Nations Unies, 349 viols ont été signalés entre janvier et juin 2008, une augmentation importante par rapport à l'année précédente. L'accès limité aux établissements de santé pour répondre aux besoins urgents et aux soins psychologiques est très limité, ce qui aggrave encore plus la situation des femmes violées.

En fait, la même impunité dont ont bénéficié les soldats qui écumaient le pays pour violer les femmes et les jeunes filles pendant la guerre continue d'exister aujourd'hui dans de nombreuses régions du pays. « Les Libériens pensaient qu'avec l'instauration de la paix, il y aurait moins de violences fondées sur le sexe, mais ce n'est pas le cas, elles continuent d'augmenter régulièrement, en particulier lorsque les auteurs savent que les survivantes les connaissent », a expliqué Patricia Kamara, Ministre adjointe pour la recherche et les services techniques au Ministère de l'égalité des sexes et du développement, à un groupe de journalistes pendant un atelier de deux jours organisé à Monrovia.

Heureusement pour le Liberia, la Présidente Ellen Johson Sirleaf, la première femme à avoir été élue présidente en Afrique, œuvre en faveur des femmes. Mais les problèmes auxquels il faut faire face n'en sont pas moins immenses.

La communauté internationale a commencé à prendre conscience du problème lorsque les viols ont eu lieu à l'extérieur du pays. En juillet 2009, une réfugiée libérienne âgée de huit ans vivant en Arizona, aux États-Unis, a été violée par quatre jeunes Libériens dans un hangar près de son immeuble. La fillette, ainsi que sa famille, connaissait ses assaillants. Après son attaque, sa famille, y compris son père, l'ont tenue pour responsable, ce qui a provoqué l'indignation des médias, et la police a placé la fillette dans une famille d'accueil.

Ce dont les médias n'ont pas parlé, c'est qu'au Liberia, après avoir été violées, de nombreuses femmes sont stigmatisées, rejetées par leur famille et leurs voisins. C'est pourquoi de nombreux délits sexuels ne sont pas signalés, laissant leurs auteurs impunis. Les familles des victimes tentent souvent de régler l'affaire à l'amiable ou font obstruction, ce qui aboutit à des non-lieux. Selon la Police nationale libérienne, 780 cas de viol et de violence sexuelle ont été signalés en 2008 au service spécial chargé de la protection des femmes et des enfants, mais moins d'un quart ont fait l'objet de poursuites.

DES MESURES DANS LA BONNE DIRECTION Le Liberia prend des mesures qui vont dans la bonne direction. En décembre 2008, un tribunal spécial a été créé pour juger les affaires de violence sexuelle. Lors de l'inauguration, la Présidente a reconnu l'importance du tribunal pour combattre le viol et la violence fondée sur le sexe, qui est en hausse malgré la promulgation du texte portant modification de la loi sur le viol qui prévoit des peines plus sévères (de sept ans à la perpétuité) pour les cas les plus graves, tout en interdisant la liberté sous caution pour les accusés.

Elle a également créé un service chargé des crimes sexuels et des crimes de violence sexiste, qui est supervisé par le Ministère de la justice et dispose d'un numéro d'urgence qui permet au public d'appeler à partir d'un téléphone portable pour signaler les cas de viol dans les communautés. Une autre initiative importante est la construction dans les écoles du pays de toilettes destinées exclusivement aux filles. Jusqu'alors, les parents gardaient leurs filles à la maison de peur qu'elles ne se fassent violées ou qu'elles ne subissent des violences.

Depuis que Mme Sirleaf a pris des mesures pour que les auteurs de viols soient poursuivis et condamnés, les femmes sont plus nombreuses à témoigner des injustices dont elles sont victimes. L'étape suivante consistera à veiller à ce que les auteurs de viols soient jugés de manière appropriée, ce qui implique la réorganisation du secteur judiciaire pour que la police, les tribunaux et le système pénitentiaire puissent fonctionner efficacement.

En vérité, même avec une « dame de fer » à la tête du pays, il est difficile, voire impossible, d'obtenir une condamnation. « Nous n'avons pas une magistrature qui considère le viol comme un crime contre l'humanité », a indiqué la Présidente Sirleaf lors d'un entretien à New York en 2009. « Et les victimes et leur famille ne sont pas disposées à admettre (le viol) et à porter l'affaire devant le tribunal. » Combattre la violence à l'égard des femmes signifie remettre en cause les rôles dévolus par la société aux deux sexes, non seulement au Liberia, mais dans le monde entier. Tant que l'égalité entre les sexes ne sera pas pleinement établie, les viols continueront. Et lorsque le viol est employé comme instruments d'intimidation et de peur à la fois sur le champ de bataille et en dehors, non seulement les femmes souffrent, mais la société tout entière se disloque.