BESOIN DE MOYENS DE PRÉVENTION DU HIV QUE LES FEMMES PUISSENT UTILISER ET CONTRÔLER

Le VIH/sida est particulièrement grave en Afrique où les femmes supportent le fardeau disproportionné de l'épidémie. L'un des défis les plus cruciaux en matière de prévention du VIH est de réduire les taux d'infection élevés parmi les jeunes femmes. À l'échelle mondiale, plus de la moitié des personnes vivant avec le VIH sont des femmes et 70 à 90% sont contaminées lors de rapports hétérosexuels1. En Afrique subsaharienne, les femmes séropositives âgées de 15 à 24 ans représentent 76% de l'ensemble des cas pour cette tranche d'âge et ont huit fois plus de chances d'être infectées que les hommes1. Bien qu'aux États-Unis, les nouveaux cas d'infection touchent principalement les homosexuels, la transmission hétérosexuelle concerne 84% des femmes.

Les femmes disposent de choix limités pour réduire le risque d'infection par le VIH. Pour un grand nombre d'entre elles, imposer l'usage du préservatif et/ou une relation monogame à leur partenaire masculin, en particulier à leur mari et à leur partenaire régulier, est souvent difficile. Il est donc urgent de mettre au point de nouvelles technologies pour aider les femmes à se protéger contre la transmission sexuelle du VIH. Les microbicides topiques, par example, sont des produits qui offrent une protection contre le VIH ainsi que contre d'autres infections sexuellement transmissibles2,4. Appliqués par voie vaginale ou rectale, ils offrent surtout aux femmes une protection qu'elles peuvent gérer elles-mêmes.
ESSAI CAPRISA 004 Pendant des années, les essais sur les microbicides5-10 avaient échoué ou présenté des risques potentiels11-13. Les résultats des essais sur le gel de ténofovir du Centre pour le Programme de recherche sur le sida en Afrique du Sud (CAPRISA), rendus publics en juillet 2010, ont finalement porté leurs fruits et démontré que le médicament antirétroviral, le gel à base de ténofovir, utilisé avant et après les rapports sexuels pouvait prévenir l'infection à VIH chez les femmes14. Cette étude, qui a fait date, a été présentée comme l'une des avancées scientifiques les plus importantes dans la lutte contre le VIH/sida, les responsables de la santé mondiale qualifiant les résultats de « changement de paradigme », de « percée en matière de prévention du sida » et de « découverte importante pour les femmes près de trente ans après l'émergence du VIH/sida ».

L'essai CAPRISA 004 est une étude randomisée, en double aveugle, contrôlée contre placebo, menée auprès de 889 femmes sud-africaines âgées de 18 à 40 ans vivant en milieu rural et urbain qui étaient sexuellement actives et non porteuses du VIH. Un total de 445 femmes choisies au hasard se sont vu remettre des applicateurs vaginaux contenant un gel à base de ténofovir à 1% et 444 femmes des applicateurs contenant un placebo d'aspect identique. Les participantes à l'étude, qui ont reçu des conseils en matière de réduction des risques d'infection à VIH et de préservatifs et qui se sont soumises à des examens mensuels avaient pour consigne d'appliquer deux doses de gel au maximum pendant une période de 24 heures : la première dose dans les 12 heures avant les rapports sexuels et la deuxième dose dès que possible dans les 12 heures suivant les rapports.

L'incidence du VIH pour le groupe ayant utilisé le ténofovir était de 5.6% pour 100 femmes-années par rapport à 9.1 pour 100 femmes-années pour le groupe placebo. Le ténofovir a globalement réduit la transmission du VIH de 39% et l'effet protecteur a été observé chez 54% des femmes qui l'avaient utilisé régulièrement.

Il préviendrait aussi les risques d'infection à l'herpès simplex virus 2 de 51%15. L'herpès génital ne se guérit pas et persiste la vie entière, ce qui favorise la transmission du virus du sida. Le gel avec ténofovir est la première technologie médicale avérée pour prévenir l'herpès génital, qui est l'une des maladies sexuellement transmissibles les plus fréquentes au monde.
LES CARACTÉRISTIQUES UNIQUES DE L'ESSAI CAPRISA OO4
L'essai Caprisa OO4 a fourni la première preuve qu'un médicament antirétroviral peut prévenir la transmission sexuelle du VIH chez les femmes. C'est non seulement la première étude qui démontre l'efficacité d'un microbicide vaginal pour la prévention du HIV, mais aussi le premier essai sur les microbicides où un consortium de partenaires a été dirigé par une institution d'un pays en développement : le Centre pour le Programme de recherche sur le sida en Afrique du Sud (CAPRISA) à l'University of KwaZulu-Natal, à Durban, en Afrique du Sud. L'essai a été co-financé par le Gouvernement américain, par le biais de l'Agence américaine pour le développement international, et une société de biotechnologie du Département des sciences et des technologies du Gouvernement sud-africain. Aussi, CAPRISA 004 a été le premier essai sur les microbicides où une « licence volontaire » a été accordée d'avance pour la fabrication et la distribution locales avec partage des droits de la propriété intellectuelle.
LES PROCHAINES ÉTAPES
Les résultats prometteurs de l'essai CAPRISA 004 constituent un nouvel espoir pour la prévention du VIH. Peu après que les résultats de l'essai ont été dévoilés à Vienne en 2010 lors de la Conférence internationale sur le sida, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et le Programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida (ONUSIDA) ont organisé une consultation internationale pour définir les étapes de priorité afin d'accélérer la mise en œuvre mondiale du gel de ténofovir16. Les autorités de réglementation ont demandé que d'autres études soient réalisées pour confirmer et étendre les résultats afin d'accorder le brevet au ténofovir pour la prévention du VIH. Les études en cours contrôlées contre placebo, dont l'étude VOICE réalisée par le Réseau d'essais sur les microbicides qui teste l'utilisation quotidienne de ténofovir sous forme de gel et de comprimé en tant que prophylaxie pré-exposition et le Suivi du Consortium africain d'études sur le ténofovir 001 qui évalue le gel à l'aide du même schéma posologique pour les rapports sexuels avec pénétration que l'essai CAPRISA 004, ont été considérées comme des priorités étant donné qu'elles fourniront les données supplémentaires nécessaires pour la délivrance des brevets.

En outre, des différences importantes existent souvent entre le niveau de protection atteint dans les essais cliniques et celui observé dans les services de soins de santé. Lors de la consultation OMS/ONUSIDA, la recherche de stratégies efficaces pour promouvoir l'utilisation du gel de ténofovir a donc été considérée comme une priorité.

CAPRISA réalise actuellement deux études importantes pour la mise en œuvre future du gel dans les services de santé : l'essai CAPRISA 008 évalue l'efficacité d'un modèle d'application qui intègre la fourniture du gel dans les services de planification familiale existants; et l'essai CAPRISA 009 évalue le choix optimal de combinaisons dans le traitement antirétroviral afin de traiter les femmes qui sont infectées tout en utilisant le gel, et porte donc sur les choix de traitement et la résistance aux médicaments.

N'étant plus dépendantes de l'usage des préservatifs et de la fidélité de leur partenaire, les femmes pourraient ainsi gérer elles-mêmes les risques liés au VIH et à l'herpès. En Afrique du Sud seulement, cette nouvelle technologie de prévention pourrait éviter 1.3 million de nouvelles infections à VIH et 800 000 décès causés par le sida17 au cours des vingt prochaines années. Utilisé sur une grande échelle, le gel de ténofovir pourrait sauver des millions de vies.
Notes
1 Rapport de l'ONUSIDA sur l'épidémie mondiale du sida 2010, http://www.unaids.
org/globalreport/.

2 A. B. Stone, P.J. Hitchcock ,« Vaginal microbicides for preventing the
sexual transmission of HIV », AIDS (1994) 8:S285-S93.

3 C. J. Elias, C. Coggins, « Female controlled methods to prevent sexual
transmission of HIV », AIDS (1996)10:S43-S51.

4 IWGVM « Recommendations for the development of vaginal microbicides »,
AIDS (1996)10:1-6.

5 P. J. Feldblum, A. Adeiga, R. Bakare, S. Wevill, A. Lendvay, F. Obadaki, et
al. « SAVVY vaginal gel (C31G) for prevention of HIV infection: a randomized
controlled trial in Nigeria », PLoS ONE (2008) 3(1):e1474.

6 V. Halpern, F. Ogunsola, O. Obunge, C-H Wang, N. Onyejepu, O.
Oduyebo, et al. « Effectiveness of Cellulose Sulfate Vaginal Gel for the
Prevention of HIV Infection: Results of a Phase III Trial in Nigeria », PLoS
ONE (2008) 3(11):e3784. doi:10.1371/journal.pone.0003784.

7 S. McCormack, G. Ramjee, A. Kamali, H. Rees, AM Crook, M. Gafos, et al.
« PRO2000 vaginal gel for prevention of HIV-1 infection (Microbicides
Development Programme 301): a phase 3, randomised, double-blind,
parallel-group trial », Lancet (2010) DOI:10.1016/S0140-6736(10)61086-0.

8 L. Peterson, K. Nanda, B.K. Opoku, W.K. Ampofo, M. Owusu-Amoako,
A.Y. Boakye, et al. « SAVVY (C31G) Gel for Prevention of HIV infection
in Women: A Phase 3, Double-Blind, Randomized, Placebo-Controlled
Trial in Ghana », PLoS ONE(2007) 2(12):e1312. doi:10.71/journal. pone.0001312.

9 R. E.Roddy, L. Zekeng, K.A. Ryan, U. Tamoufe, S.S.Weir, E.L. Wong,
« A controlled trial of nonoxynol 9 film to reduce male-to-female
transmission of sexually transmitted diseases », New England Journal of
Medicine (1998)339(8):504-10.

10 S. Skoler-Karpoff, G. Ramjee, K. Ahmed, L. Altini, M. G. Plagianos, B.
Friedland, et al. « Efficacy of Carraguard for prevention of HIV infection
in women in South Africa: a randomised, double-blind, placebo-
controlled trial », The Lancet (2008) 372(9654):1977-87.

11 J. Kreiss, E. Ngugi, K. Holmes, J. Ndinya-Achola, P. Waiyaki, P. L. Roberts,
et al. « Efficacy of nonoxynol 9 contraceptive sponge use in preventing
heterosexual acquisition of HIV in Nairobi prostitutes », Jama (1992)
268(4):477-82.

12 L. van Damme, G. Ramjee, M. Alary, B. Vuylsteke, V. Chandeying,
H. Rees, P. Sirivongrangson, S.S. Abdool Karim, et al. « Effectiveness of
COL -1492, a nonoxynol-9 vaginal gel, on HIV-1 transmission in female
sex workers: a randomised controlled trial », Lancet (2002) 360:971-77.

13 L. Van Damme, R. Govinden, F.M. Mirembe, F. Guedou, S. Solomon,
M. L. Becker, et al. « Lack of Effectiveness of Cellulose Sulfate Gel for
the Prevention of Vaginal HIV Transmission », New England Journal of Medicine
(2008) 359(5):463-72.

14 Q. Abdool Karim, S. S. Abdool Karim, J.A. Frohlich, A. C. Grobler,
C. Baxter, L. E. Mansoor, et al. « Effectiveness and Safety of Tenofovir
Gel, an Antiretroviral Microbicide, for the Prevention of HIV Infection
in Women », Science (2010) 329:1168-74.

15 Q. Abdool Karim, S. S. Abdool Karim, au nom du groupe d'essai
CAPRISA 004. CAPRISA 004 : Efficacité et innocuité du microbicide vaginal
ténofovir 1% pour la prévention de l'infection à VIH chez les femmes.
XVIIIe Conférence internationale sur le sida. Vienne, Autriche, 2010.

16 OMS, ONUSIDA. Étapes à suivre après le gel de ténofovir 1 %.
Rapport de la réunion 2010.
www.who.int/.../WHO_UNAIDS_Next_steps_tenofovir_gel_Ex_report.pdf.

17 B. G. Williams, S. S. Abdool Karim, E. Gouws, Q. Abdool Karim.
Impact potentiel du gel ténofovir sur l'épidémie de VIH en Afrique du
Sud. XVIIIe Conférence internationale sur le sida. Vienne, Autriche, 2010.