En décembre 1961, l’Assemblée générale des Nations Unies a proclamé la période 1960-1970 « Décennie des Nations Unies pour le développement1 ». Elle a adopté, dans le même temps, une résolution sur le « Commerce international principal instrument du développement économique »2 qui demandait au Secrétaire général des Nations Unies de consulter les gouvernements sur la possibilité de convoquer une conférence internationale sur les problèmes liés au commerce international. Ces résolutions ont conduit à la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED). Le modèle de développement proposé – le commerce en tant que moteur du développement – a orienté les perspectives de la nouvelle institution et influé sa démarche.
Après avoir obtenu des réactions favorables de la majorité des gouvernements et un soutien solide d’une Conférence des pays en développement consacrée aux problèmes du développement économique, qui s’est tenue au Caire en 19623, l’Assemblée générale des Nations Unies a décidé de convoquer la première session de la CNUCED4. Un Comité préparatoire a été créé pour examiner l’ordre du jour et préparer les documents nécessaires. Pendant les délibérations du Comité – déterminer les questions et les problèmes pertinents, dresser une liste des propositions d’action et indiquer les orientations retenues pour apporter des solutions – les divergences d’intérêt qui opposaient les pays en développement et les pays développés ont apparu clairement. Elles se sont particulièrement manifestées lors de la clôture de la deuxième session du Comité préparatoire (du 21 mai au 29 juin 1963), lorsque les représentants des pays en développement ont soumis au Comité une « Déclaration commune » dans laquelle ils exposaient les vues, les besoins et les aspirations du Tiers-Monde pour la session de la CNUCED5. Plus tard, cette Déclaration commune a été soumise à l’Assemblée générale au nom des pays en développement qui étaient alors membres des Nations Unies6, ce qui a préludé à la création du Groupe des 77 (G77).
La CNUCED I s’est réunie à Genève du 23 mars au 16 juin 1964. C’était la première grande conférence Nord-Sud consacrée aux questions du développement. Durant les négociations, les intérêts économiques se sont cristallisés en fonction de l’appartenance aux groupes géopolitiques, et les pays en développement se sont présentés comme un groupe commençant à parler d’une seule voix. Dans leur « Déclaration commune des soixante-dix sept pays », adoptée le 15 juin 1964, les pays en développement ont qualifié la CNUCED de « tournant historique ». Elle continuait en ces termes :
« Les pays en développement considèrent que leur unité, l’unité des soixante-quinze, est le fait le plus marquant de cette Conférence. Cette unité est née du constat de leur intérêt commun à mettre en place une nouvelle politique en matière de commerce international et de développement pour faire face aux problèmes de développement. Ils considèrent que cette unité a apporté de la clarté et de la cohérence aux discussions de cette Conférence. Leur solidarité y a été testée et leur unité et leur force en ont été renforcées.
Les pays en développement sont profondément convaincus qu’il est impératif de maintenir et de renforcer encore plus cette unité dans les années à venir. C’est un instrument indispensable pour garantir l’adoption de nouvelles attitudes et de nouvelles démarches sur la scène économique internationale. Cette unité permet aussi d’élargir les efforts de coopération sur la scène internationale et de garantir des relations mutuellement bénéfiques avec le monde. Enfin, elle constitue un moyen nécessaire pour le renforcement de la coopération entre les pays en développement eux-mêmes.
Par cette déclaration, les soixante-quinze pays en développement s’engagent à maintenir, à promouvoir et à renforcer cette unité. À cette fin, ils adopteront tous les moyens possibles pour accroître les contacts et les consultations entre eux de manière à déterminer les objectifs communs et à formuler des programmes d’action communs en matière de coopération économique internationale. Ils considèrent que les mesures visant à consolider l’unité atteinte par les soixante-quinze pays durant la Conférence et les dispositions spécifiques régissant les contacts et les consultations devraient être examinés par les représentants des gouvernements durant la dix-neuvième session de l’Assemblée générale des Nations Unies7. »
Bien que les recommandations adoptées par la CNUCED I aient été, dans une large mesure, inspirées par le travail de conception réalisé par la Commission économique pour l’Amérique latine durant la dernière décennie – dont le Secrétaire exécutif, Raúl Prebisch, devenu le Secrétaire général de la CNUCED I, l’est resté jusqu’en 19698 – la conférence a néanmoins marqué un nouveau départ : pour la première fois, les pays du Tiers-Monde participaient à l’élaboration d’un ensemble de mesures9. C’est pourquoi le thème de la « Déclaration commune des soixante-sept » était « nouveau » : la CNUCED I était reconnue comme une étape importante vers « la création d’un nouvel ordre économique mondial équitable »; les principes de base du « nouvel ordre » semblaient impliquer « une nouvelle division internationale du travail » et « un nouveau cadre du commerce international »; l’adoption d’« une nouvelle politique dynamique internationale pour le commerce et le développement » devait faciliter la formulation de « nouvelles politiques élaborées à la fois par les gouvernements des pays développés et ceux des pays en développement ». Enfin, « un nouvel organe » a été jugé nécessaire pour servir de centre de liaison afin de continuer le travail commencé par la conférence.
Cet organe a été créé plus tard dans l’année lorsque l’Assemblée générale a décidé d’institutionnaliser la CNUCED comme organe de l’Assemblée générale10. La CNUCED est devenue la principale plate-forme de discussions sur le développement mondial et, guidée par les attentes exprimées en 1974, est devenue le centre de liaison des activités du G77 qui, en avril 2014, comptait 133 membres11 (l’ONU en compte actuellement 193). Durant cette période, le G77 a fait partie intégrante de la CNUCED et a été l’un des agents les plus importants de la socialisation des pays en développement en matière d’économie politique internationale. Il s’est affirmé dans toutes les composantes pertinentes du système des Nations Unies en tant qu’organe principal des pays du Tiers-Monde conçu pour formuler leurs intérêts économiques collectifs et les représenter dans les négociations avec les pays développés12.
Personne n’a formulé de façon plus concise le point de départ politique du Tiers-Monde que Julius K. Nyerere dans son allocution lors de la quatrième Réunion ministérielle du G77, à Arusha, en février 1979 :
« Ce que nous avons en commun, c’est que nous sommes tous, du point de vue du monde développé, des pays dépendants, pas interdépendants. Nos économies se sont développées en tant que sous-produit du développement, ont été placées dans une relation subordonnée par rapport aux pays industrialisés du Nord et sont orientées vers l’extérieur. Nous ne sommes pas les éléments moteurs de notre destinée. Nous avons honte de l’admettre, mais nous sommes économiquement dépendants, des semi- colonies au mieux, mais pas des États souverains13. »
L’objectif est donc « de parachever la libération des pays du Tiers-Monde de la domination extérieure14 ».
Jusqu’au début des années 1970, le G77 pensait atteindre cet objectif en améliorant le système, en particulier avec la CNUCED II (New Delhi, 1968) et la CNUCED III (Santiago, 1972), les première (Alger, 1967) et deuxième (Lima, 1971) Réunions ministérielles préparatoire du G77, l’ONUDI I (Vienne, 1971) ainsi que l’adoption de la Stratégie internationale de développement pour la deuxième Décennie des Nations Unies pour le développement (1970). Certains changements ont été, en effet, apportés (par exemple, le Système généralisé des préférences), mais de nombreuses autres négociations (par exemple, dans le secteur des produits de base) n’ont pratiquement pas progressé et aucun mesure significative n’a été prise. Au contraire, le fossé entre les Nord et le Sud s’est creusé, en particulier pour les pays les moins avancés.
Les limites de cette approche ne sont pas apparues tout de suite. De plus, jusqu’à la fin des années 1960, ni les pays développés ni les pays en développement n’avaient pleinement réalisé que le développement économique était un complément nécessaire à l’indépendance politique. La question du développement était considérée comme de la « petite politique » qui relevait des ministères de la planification, de l’économie, du commerce, des finances et du développement. Les tentatives de politisation ont donc échoué. La plus importante est la « Charte d’Alger », adoptée par la première Réunion ministérielle du G77 en octobre 1967 en préparation de la CNUCED II. Cette déclaration et ce programme d’action de grande portée visaient à donner une nouvelle impulsion aux négociations Nord-Sud. À cette fin, la Réunion ministérielle a même décidé de dépêcher des missions de bons offices dans un certain nombre de pays développés (à la fois les pays à économie planifiée et ceux à économie de marché) afin d’informer les gouvernements clés des conclusions de la réunion et les convaincre de la nécessité d’un progrès rapide15.
Au début des années 1970, toutefois, plusieurs facteurs ont contribué à un changement d’attitudes : le processus de décolonisation politique avait suivi son cours et l’indépendance politique de la plupart des nouveaux États avait été consolidée; les pressions politico-militaires de la Guerre froide s’étaient estompées; les efforts de développement aux niveaux régional et international avaient montré des résultats décevants; et des doutes commençaient à s’exprimer concernant le modèle de développement dominant16. Une plus grande attention pouvait donc être accordée à d’autres questions importantes. Les pays en développement voulaient que les questions concernant le développement économique fasse l’objet d’un examen plus approfondi et commençaient à se rendre compte que les pays développés à économies de marché avaient établi les institutions du système économique international pour servir principalement leurs propres intérêts17. Le sentiment était que les intérêts, les besoins et les conditions spéciales des pays en développement avaient été largement ignorés, ce qui les maintenait dans la pauvreté et la dépendance. Des changements profonds étaient donc nécessaires pour mettre en place un cadre favorable au développement et créer la base économique de l’indépendance. En effet, avec l’abandon du système de Bretton Woods, les crises alimentaires et pétrolières, les problèmes de balance des paiements, l’évolution générale de l’inflation, les récessions mondiales, le protectionnisme grandissant, les préoccupations de plus en plus importantes en matière d’environnement et le spectre de la pénurie des matières premières, le système lui-même a été soumis à de fortes pressions. Avec les turbulences des années 1970, les questions économiques internationales ne pouvaient plus être ignorées.
Le Mouvement des pays non alignés (MNA) a offert le cadre approprié. En quelques années, le développement a été accepté comme une question « hautement politique » : elle a été érigée au niveau des chefs d’État et est devenue une priorité de leur ordre du jour. Entre 1970 et 1973, le MNA est devenu un groupe de pression militant pour la réorganisation du système économique international18. Les Pays non alignés (PNA) considérant qu’ils jouaient un rôle de catalyseur au sein du G7719, la politisation de la question du développement a eu un effet important sur la manière dont elle a été perçue, présentée et traitée au sein des négociations Nord-Sud. Le poids et la pression politiques du MNA, associés à l’action énergétique de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEC), ont conduit à la sixième Session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unies qui a adopté, le 1er mai 1974, la « Déclaration et le Programme d’action concernant l’instauration d’un nouvel ordre international20 ».
Donc presque une décennie après la première session de la CNUCED et après des années de débats sur l’amélioration du système économique international, l’appel en faveur d’un nouveau départ a été renouvelé – mais, cette fois, pour réorganiser l’économie mondiale. L’instauration d’un Nouvel ordre économique international (NOEI) est devenue le principal objectif du Tiers-Monde. Les changements concrets proposés par le G77 afin d’atteindre cet objectif ont été énoncés dans le « Programme d’Arusha pour l’autonomie collective et cadre de négociations », adopté par la quatrième Réunion ministérielle du G77 à Arusha, en février 1979.
Tandis que les PNA ont joué un rôle essentiel pour faire figurer la question du développement en tête de l’ordre du jour international, le G77 est devenu le principal organisme du Tiers-Monde par lequel des mesures concrètes ont commencé à être négociées dans le cadre du système des Nations Unies afin de changer les conditions internationales et de promouvoir le développement. Cet objectif a dominé la CNUCED IV (Nairobi, 1976), la CNUCED V (Manille, 1979) et les troisième (Manille, 1976) et quatrième (Arusha, 1979) Réunions ministérielles préparatoires du Groupe des 77; l’ONUDI II (Lima, 1975), l’ONUDI III (New Delhi, 1980) et les réunions préparatoires du G77 à Vienne (1974), à Alger (1975) et à La Havane (1979); les réunions régionales préparatoires convoquées pour chacune des conférences de la CNUCED et de l’ONUDI par les membres du G77 africains, arabes (pour l’ONUDI seulement), asiatiques et latino-américains; la Conférence sur la coopération économique entre les pays en développement (Mexico); la Conférence sur la coopération économique inter- nationale (Paris, 1975-77) où le G7 a agi par l’intermédiaire du Groupe des 19; et une série de réunions du G77 au niveau ministériel (y compris les réunions de ministres des affaires étrangères) en préparation aux sessions de l’Assemblée générale des Nations Unies. Cet objectif a également fait partie des débats au Fonds monétaire international (FMI) et à la Banque mondiale où le G77 agissait par l’entremise du Groupe des 24 depuis 1972.
Il subsistait un fossé important entre la déclaration d’un nouvel ordre et les programmes d’action formulés dans les principaux domaines d’interactions entre le Nord et le Sud : les produits de base et l’industrie, l’argent et le financement, la recherche et développement et la technologie, l’industrialisation et les entreprises transnationales ainsi que l’alimentation et l’agriculture. De fait, une analyse des contenus du programme du NOEI a montré que, bien que des problèmes supplémentaires aient apparu, les propositions concrètes débattues étaient pratiquement les mêmes depuis 1964 – même si l’accent était mis davantage sur certaines d’entre elles (comme les propositions concernant la technologie). Cela témoignait de la lenteur des progrès. Les nouvelles propositions visaient à créer de nouvelles structures économiques. Et il a été reconnu, plus que par le passé, que les divers critères relatifs aux interactions entre le Nord et le Sud étaient liés entre eux et devaient donc être abordés d’une manière globale et intégrée. Au fil du temps, l’écart entre les objectifs et les propositions concrètes aurait pu être comblé par la mise en place de nouvelles politiques, même par la modification du modèle de développement. Au début du G77, toutefois, le modèle continuait d’assumer qu’une association étroite des pays en développement et des pays développés était la meilleure solution pour le développement.
Mais le nouveau concept d’autonomie individuelle et collective allait changer les choses. Contrairement à la stratégie associative de développement dominante, orientée vers le marché mondial et dépendante des pays développés pour stimuler l’industrialisation, le concept d’autonomie visait à faire preuve d’une plus grande sélectivité dans les liens traditionnels, accompagnée d’une plus grande mobilisation des ressources nationales et des ressources du Tiers-Monde ainsi que d’une plus grande dépendance vis-à-vis des marchés nationaux et des marchés du Tiers-Monde. Ces marchés, plutôt que ceux des pays développés, devaient être le principal moteur du développement économique.
La notion d’autonomie a été introduite dans les discussions sur le développement international en 1970 par les Pays non alignés, qui ont été aussi responsables de la plupart des mesures concrètes prises au cours des années suivantes21. Si l’autonomie peut être renforcée par des mesures internationales22, elle l’est principalement par les liens entre les pays en développement. C’est pourquoi le G77 qui, comme je l’ai mentionné plus haut, concentre presque exclusivement les négociations Nord-Sud au sein du système des Nations Unies, a été lent à incorporer l’autonomie dans son propre programme.
Un premier effort a été fait lors de la troisième Réunion ministérielle de 1976 avec l’adoption d’une résolution sur la coopération économique entre les pays en développement23. Dans cette résolution, qui a établi un lien entre le travail du G77 et celui des PNA (et a reconnu le travail innovant dans ce domaine), il a été décidé de convoquer une réunion à Mexico en septembre 1976 afin de préparer un programme détaillé sur la coopération économique. Initialement, cette réunion devait avoir lieu au niveau d’un groupe de travail intergouvernemental, mais il a été décidé, à la session suivante de la CNUCED IV, qu’elle aurait lieu au niveau le plus haut24. La Conférence sur la coopération économique entre les pays en développement a donc eu lieu à Mexico du 13 au 22 septembre 1976. Jusqu’au début des années 1980, ce fut la seule conférence majeure du G77 qui n’ait pas été pas étroitement et directement liée à une activité imminente importante au sein du système des Nations Unies.
Il faudra, cependant, attendre la quatrième Réunion ministérielle d’Arusha en 1979, en préparation à la CNUCED IV, pour que cette démarche soit entièrement incorporée, un événement signalé par le titre même de la déclaration finale, le « Programme d’Arusha pour l’autonomie collective et cadre de négociations ». Comme ce titre l’indique, la déclaration comprenait deux parties : un programme pour l’autonomie collective (même s’il était seulement formulé en termes de coopération économique entre les pays en développement) et un programme de négociations Nord-Sud. Un changement d’orientation semblait donc avoir eu lieu à l’ONU et le G77 (avec les PNA ou en plus de ceux-ci) était prêt à redoubler d’efforts pour renforcer la coopération entre les pays du Sud.
La Réunion Ministérielle, qui s’est tenue à Arusha, a donc fermement approuvé les recommandations de la Conférence de Mexico relatives au suivi institutionnel de la coopération économique entre les pays en développement. En conséquence, une première réunion d’experts gouvernementaux des pays en développement, consacrée à la coopération économique entre les pays en développement, s’est réunie en mars-avril 1980. Ce rassemblement interrégional, qui a reçu le soutien sans réserve d’une Réunion ministérielle du G77 tenue en mars 1980 et dont l’ordre du jour comprenait un point spécial sur la coopération économique entre les pays en développement, a décidé de créer un groupe de travail spécial à composition non limitée « afin d’élaborer des recommandations concrètes et orientées vers l’action pour favoriser une mise en œuvre rapide et efficace des objectifs de coopération économique entre les pays en développement25 ». Cette tâche a été accomplie par le Groupe de travail spécial intergouvernemental du Groupe des 77 sur la coopération économique entre pays en développement lors d’une session à Vienne en juin 1980 dans le prolongement de la Réunion ministérielle du G77 tenue à New York en mars 1980. La Réunion des Ministres des affaires étrangères du G77 en 1980 a jugé que ses conclusions et ses recommandations constituaient une bonne base pour les discussions ultérieures. Après l’échec de la onzième Session extraordinaire de l’Assemblée générale, les Ministres ont souligné que la coopération économique entre les pays en développement était « à la fois un élément indispensable du développement accéléré des pays en développement et du renforcement de leur pouvoir de négociation dans leurs relations avec le reste du monde26 ». Ils ont donc décidé de convoquer une conférence de haut niveau en 1981 afin d’accélérer la mise en œuvre des programmes et des décisions relatifs à cette question.
Les efforts visant à renforcer la coopération Sud-Sud ont été encouragés par la lenteur des négociations et les frustrations qui en ont découlé ainsi que par la reconnaissance des limites du modèle de développement dominant. La nature bidimensionnelle – reconnue explicitement dans la déclaration citée précédemment – de la démarche d’autonomie a également facilité leurs efforts. Un aspect, comme décrit plus haut, comprend une modification des modalités d’échange entre le Nord et le Sud qui permettrait un partage plus équitable des bénéfices tirés des activités économiques internationales par les pays développés et les pays en développement ainsi qu’un contrôle de ces bénéfices.
L’autonomie était non seulement considérée comme un élément indispensable pour gérer le changement structurel, mais aussi un instrument pour y parvenir : l’autonomie augmente le pouvoir de négociation individuel et collectif des pays en développement et, surtout, lorsqu’elle permet de mener des actions conjointes et d’exercer le contrepoids nécessaire pour négocier les changements recherchés dans le système international. À cet égard, l’autonomie signifiait le renforcement de la capacité d’action collective du Tiers-Monde.
Au bout du compte, les pays en développement sont revenus au modèle de développement associatif. Tandis que la coopération économique entre les pays en développement demeurait un objectif important, l’objectif de l’autonomie a été délaissé les années suivantes au profit d’une stratégie de développement orientée vers l’exportation, dû, en partie, à la crise de la dette mexicaine de 1982 qui se propageait aux autres pays et à l’accélération du processus de mondialisation.
Mais la prise de conscience de la faiblesse de chaque pays en développement pris isolément a été à l’origine du G77 et est toujours sa raison d’être. À cet égard, le G77 « est en quelque sorte un syndicat des pauvres » qui a su forger son « unité dans la diversité » et son « unité dans l’opposition » – pas en promouvant « les idéaux de la fraternité humaine, de l’égalité ou de l’amour du prochain, ni d’ailleurs une idéologie commune27. L’unité du G77 est fondée sur une expérience historique commune, l’expérience commune de la dépendance économique et un ensemble commun de besoins et d’aspirations.
Mais sa cohérence était difficile à maintenir. Les intérêts immédiats et les priorités spécifiques d’un grand nombre de ses membres étaient différents et, vu le grand nombre de membres, un consensus était difficile à atteindre. Les systèmes culturels, idéologiques, politiques et économiques étaient différents dans chaque pays. Aucune force institutionnelle puissante et unificatrice n’existait. Le G77 n’occupait plus une position de chef de file sur le long terme, n’avait plus ni personnel, ni siège, ni secrétariat ni, d’ailleurs, aucune autre institution permanente. En effet, chaque année, le bureau du coordinateur était à tour de rôle à New York et à Vienne et tous les trois mois à Genève. Et bien que des pays comme l’Algérie, l’Argentine, le Brésil, l’Égypte, l’Inde, l’Indonésie, la Jamaïque, le Mexique, le Nigeria, le Pakistan, les Philippines, le Sri Lanka, le Venezuela et la Yougoslavie aient souvent joué un rôle important dans de nombreuses questions, aucun n’a dominé le Groupe. Il y avait aussi des différences importantes dans le niveau de développement économique, en particulier entre le Groupe des pays d’Amérique latine et celui des pays africains. Ce clivage était encore accentué par l’exclusion de la plupart des pays d’Amérique latine des régimes préférentiels de la Convention de Lomé. Le poids que certains pays exerçaient individuellement pouvait aussi compliquer les choses, en particulier lorsqu’ils entretenaient des relations privilégiées avec les pays développés et lorsque l’occasion de conclure des accords bilatéraux se présentait. Les liens traditionnels entre certains pays en développement et des pays développés, comme les pays d’Amérique centrale avec les États-Unis, et certains pays africains avec la France, pouvaient aussi créer des complications. Des sous-groupes informels se sont aussi formés comme, par exemple, les pays les plus gravement touchés, les pays moins avancés ou les pays nouvellement industrialisés et, bien sûr, les pays producteurs de pétrole28. Tandis que le succès de l’OPEC était apprécié par la plupart des pays en développement, en particulier parce qu’il renforçait le pouvoir de négociation du Tiers-Monde dans son ensemble, les déséquilibres au niveau de la balance des paiements dus à la hausse des prix du pétrole ont engendré des tensions au sein du G77 (et, d’ailleurs, au sein du MNA). Mais comme les pays en développement importateurs de pétrole n’avaient pas d’autre alternative, cette expérience, bien que douloureuse, n’a pas mis fin à l’unité du G7729.
Face à ces facteurs, il était difficile de maintenir une cohésion. Mais la solidité des intérêts communs, la capacité à maintenir un consensus en définissant des compromis acceptables entre les pays en développement, la reconnaissance que des accords conclus séparément amenaient seulement à des concessions marginales et provisoires et la résistance des pays développés à conclure un vaste éventail de négociations point par point ont réussi à éviter la désunion. La maintien et le renforcement de l’unité du G77 étaient, et donc demeurent, une condition préalable à la réalisation des changements souhaités dans le système économique international. En 1973, Julius Nyerere évalue l’« action historique » de l’OPEC en ces termes :
« Mais depuis, l’OPEC a compris, et nous avons compris une fois de plus, que même puissante, elle est un syndicat unique qui couvre seulement une partie d’une entreprise totale et qui ne peut changer la relation fondamentale entre employeurs et employés […] Car, en réalité, même l’unité des sous-groupes les plus puissants dans le Tiers-Monde ne suffit pas à ses membres pour jouer un rôle à part entière, mais plutôt un rôle de réaction, dans le système économique mondial. L’unité de tous les pays du Tiers-Monde est nécessaire à une modification fondamentale des accords économiques mondiaux actuels30. »
Ces propos, tenus en 1979, illustrent les défis auxquels le Groupe a été confronté tout au long de son existence, et continue de l’être.
Notes
1 Résolution 1710 (XVI) de l’assemblée générale du 19 décembre 1961.
2 Résolution 1707 (XVI) de l’assemblée générale du 19 décembre 1961.
3 Pour consulter le texte de la « Déclaration du Caire des pays en développement », voir Odette Jankowitsch et Karl P. Sauvant, eds., The Third World without Superpowers: the Collected Documents of the non-aligned Countries (Dobbs Ferry, N.Y.: Oceana (now: Oxford University Press), 1978), vol. I, pp. 72-75, désignés ci-après Jankowitsch et Sauvant. Cette réunion a été la première tentative des pays en développement pour coordonner leurs politiques internationales de développement aux nations unies.
4 Voir la Résolution 917 (XXXIV) du Conseil économique et social du 3 août 1962 et la résolution 1785 (XVII) de l’assemblée générale du 8 décembre 1962.
5 Sur les 32 membres du Comité préparatoire, 19 étaient des pays en développement (dont la Yougoslavie qui, à l’époque, a joué un rôle essentiel dans le Groupe des 77). Dix-sept des dix-neuf pays ont apporté leur soutien à la « Déclaration commune ». Les deux autres, El Salvador et l’uruguay, l’ont soutenue plus tard.
6 Dans Karl P. Sauvant, ed., The Third World without Superpowers, 2nd Ser., The Collected Documents of the Group of 77 (Dobbs Ferry, N.Y.: Oceana (now: Oxford University Press), 1981), 20 vols., désigné ci-après Sauvant. (les documents du Groupe des 77 mentionnés ci-dessous, ainsi que ceux des réunions des nations unies qui ont fait l’objet d’un commentaire figurent dans ces volumes; aucune référence spécifique n’est donc faite à chaque fois qu’ils sont mentionnés.) In 1963, 76 pays en développement étaient membres des nations unies.
À l’exception de Cuba et de la Côte d’Ivoire, tous les pays en développement, ainsi que la nouvelle-Zélande, ont coparrainé la Déclaration commune. Cuba, mis à l’écart par le Groupe des pays d’amérique latine, n’a pas été accepté pour coparrainer la résolution. (le principe de coparrainage exige que chaque pays qui parraine une résolution donnée accepte le coparrainage d’un autre pays.)
7 Ibid., document I.C.I.a. lors de la CNUCED I, 77 pays en développement étaient membres des nations unies. Parmi eux, la Côte d’Ivoire n’était pas membre du Groupe et Cuba en a été exclu jusqu’à la deuxième réunion ministérielle en 1971. Deux autres pays, la république de Corée et la république du Viet Nam (qui n’étaient pas membres des nations unies mais qui étaient les seuls autres pays en développement à la CNUCED I), sont entrés dans le Groupe après avoir été acceptés par le Groupe asiatique, de sorte que 77 pays ont soutenu la « Déclaration commune des Soixante-dix sept”. Mais le groupe comptant initialement 75 membres—voir la « Déclaration commune » de 1963 — la résolution a continué de mentionner 75 pays. Ce n’est qu’avec la CNUCED I que le Groupe a acquis son nom actuel.
8 Prebisch a activement encouragé les pays en développement durant les préparations à la CNUCED I, la session elle-même et les années suivantes à coopérer et à renforcer leur unité dans le cadre du Groupe des 77. Son successeur, Manuel Pérez-Guerrero, a poursuivi cette politique.
9 Aucune stratégie n’a été formulée dans la résolution sur la Première décennie des nations unies pour le développement.
10 Par la résolution 1995 (XIX), contenue dans Sauvant. Voir cette résolution en ce qui concerne les membres, les principales fonctions, l’organisation, etc. de la CNUCED.
11 Dont l’Organisation de libération de la Palestine, le seul membre non étatique du Groupe des 77.
12 La documentation sur le Groupe des 77 est limitée. L’une des meilleures analyses faites à l’époque est celle de Branislav Gosovic, CNUCED: Conflict and Compromise. The Third World’s Quest for an Equitable World Economic Order through the United Nations (Leiden: Sijthoff, 1972). On peut aussi consulter l’analyse du Groupe des 77 et du mouvement des non alignés et son rôle dans les principales conférences économiques internationales consacrées au nouvel ordre économique internationale par robert a. Mortimer, The Third World Coalition in International Politics (new York: Praeger, 1980).
13 Infra, p. 133.
14 Ibid., p. 134.
15 Voir, Co-ordinating Committee, « Ministerial Mission » and First Ministerial Meeting of the Group of 77, « Charter of Algiers », Part III, dans Sauvant, documents II.B.3 and II.D.7, respectivement.
16 Pour une élaboration, voir Karl P. Sauvant, « The Origins of the NIEO Discussions », dans Karl P. Sauvant, ed., Changing Priorities on the International Agenda: the New International Economic Order (Elmsford, N.Y.: Pergamon, 1981).
17 À l’exception des États d’amérique latine, seuls les pays en développement suivants ont participé à la Conférence de Bretton Woods: Égypte, Éthiopie, Inde, Iran, Iraq, Liberia et Philippines.
18 Voir Odette Jankowitsch et Karl P. Sauvant, « The Initiating role of the Non-aligned Countries », in ibid. Cette observation n’a pas pour but de minimiser les fins et les fonctions politiques du mouvement des non alignés, mais vise seulement à indiquer que le mouvement avait aussi acquis une fonction économique importante et que ce changement s’est révélé être d’une importance cruciale pour que la question du développement devienne un point prioritaire de l’ordre du jour international.
19 Voir, par exemple, le « Communiqué final » adopté à la réunion du Bureau de coordination des pays non alignés au niveau ministériel tenue à la Havane en 1978, réimprimé dans Jankowitsch et Sauvant, vol. v.
20 Résolutions de l’assemblée générale 3201 (S-VI) et 3202 (S-VI). avec la « Charte des droits et des devoirs économiques des États », adoptée le 12 décembre 1974 par la vingt-neuvième Session extraordinaire de l’assemblée générale en tant que résolution 3281, (XXIX) et la résolution 3362 (S-VII), intitulée « Développement et coopération économique internationale », adoptée le 16 septembre 1975 par la septième session extraordinaire de l’assemblée générale, ces résolutions (qui sont contenues dans Sauvant) jettent les bases du programme pour un nouvel ordre économique international.
21 En particulier dans le cadre du « Programme d’action pour la coopération économique », adopté par la troisième Conférence des ministres des affaires étrangères des pays non alignés, tenue en 1972 à Georgetown, en conséquence de quoi les pays coordinateurs ont été désignés pour 18 domaines d’activité. Nombre d’activités de suivi à la Conférence des pays en développement sur les matières premières, qui s’est tenue à Dakar du 4 au 8 février 1975, ont été également importantes; bien que la Conférence de Dakar ait été convoquée par les Pays non alignés, elle était explicitement conçue pour inclure tous les pays en développement. Pour lire les documents pertinents, voir Jankowitsch et Sauvant.
22 La création, au sein de la CNUCED et conformément à une résolution adoptée à la CNUCED IV, d’un Comité sur la coopération économique des pays en développement en 1976 et l’accent mis, depuis la CNUCED V, sur cette approche, ont été des efforts faits dans ce sens.
23 Voir Sauvant, document IV.D.7.
24 Voir, Principaux documents du Groupe des 77 à la CNUCED IV, « Déclaration concernant la future Conférence sur la coopération économique des pays en développement », ibid., document IV.E.l.
25 Voir, réunion ministérielle du Groupe des 77, « Communiqué », ibid., document X.C.l.A.
26 Ministres des affaires étrangères du Groupe des 77, quatrième réunion, « Déclaration », ibid., document X.B.4.a.
27 Nyerere, infra, pp. 123, 122.
28 Les associations de producteurs de pétrole autres que l’OPEC n’avaient pas acquis leur propre importance politique.
29 En d’autres termes, les pays en développement importateurs de pétrole n’avaient aucun intérêt à se retourner contre l’OPEC, car cela n’aurait pas eu de conséquence sur le prix du pétrole. Le maintien de la solidarité, en revanche, associé à une certaine pression, aurait pu donner lieu à des concessions par les pays de l’OPEC (sous forme d’aide ou d’accords spéciaux sur les prix, ou les deux), et aurait renforcé le pouvoir des pays en développement importateurs de pétrole dans leurs négociations avec le nord.
30 Nyerere, infra, p. 133.
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