« Regardez autour de nous », dit le chef du village de Small Sefadu, une petite communauté située à l'est de la Sierra Leone et abritant quelques-unes des mines de diamants les plus importantes. Ensemble nous faisons un état des lieux : une route de terre parsemée de cratères bordées de maisons incendiées, un rappel des rebelles qui ont occupé la ville pendant la guerre civile qui a déchiré la Sierra Leone pendant 11 ans. De l'autre côté de la route, des adolescents désœuvrés, dont certains sont d'anciens enfants soldats, traínent sur une véranda. Aucun d'eux n'a un emploi. Il n'y a ni éclairage public ni autres services. « C'est le grenier du pays - les diamants viennent d'ici - mais nous n'en tirons aucun profit, me dit le chef. « Pensez-vous que la loi peut nous aider ? »

Je n'ai pas pu lui donner de réponse. Le système juridique du pays a été détruit par la guerre et il y a moins de 200 avocats pour une population de 5, 5 millions d'habitants - dont la plupart sont installés dans la capitale, Freetown, qui est éloignée de Small Sedafu. En conséquence, l'état de droit et sa politique visant à réduire les inégalités de développement semblait une réalité lointaine. Mais le chef savait qu'il y avait quelque chose qui clochait : alors que les mines alentour florissaient, sa communauté pâtissait. Pour lui au moins, la force stabilisatrice de la loi était nécessaire pour concilier pauvreté et pouvoir.

Je me suis rappelé le chef du village et sa communauté en septembre dernier, pendant les allocutions des présidents et des ministres de l'Assemblée générale des Nations Unies. Alors que les dirigeants mondiaux se sont réunis pour déclarer leur engagement commun à l'état de droit lors de la session thématique principale de l'Assemblée générale, ils ont établi un lien spécifique avec le développement. Ils ont convenu que l'état de droit et le développement étaient « étroitement liés, se renforçant mutuellement ». La promotion de l'état de droit est « essentielle à la croissance durable et inclusive, au développement durable, à l'éradication de la pauvreté et de la faim et à la pleine réalisation des droits de l'homme et des libertés fondamentales, y compris le droit au développement ». Les dirigeants étaient « convaincus que cette interdépendance devrait être prise en compte dans le programme de développement international pour l'après 20151 ».

Historiquement, toutefois, les décideurs mondiaux ont négligé l'état de droit dans leurs politiques de développement. Il est, en effet, pour une grande part, absent des accords mondiaux visant à mettre fin à l'extrême pauvreté et à promouvoir le développement : les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), dont l'échéance a été fixée en 20152. Si les OMD ont été une réussite de nombreuses façons, ils n'ont pas répondu à certaines des attentes exprimées dans la Déclaration du Millénaire des Nations Unies (2000)3, le texte de l'ONU à partir duquel les objectifs ont été définis. La Déclaration rappelait que « l'enjeu majeur » de notre époque était d'assurer que « la mondialisation devienne une force positive pour tous les peuples du monde ». Depuis 2000, toutefois, la mondialisation n'a pas été, comme l'espérait la Déclaration, « profitable à tous de façon équitable ». Au contraire, l'écart entre riches et pauvres continue de se creuser, la xénophobie et la discrimination augmentent et les multiples crises financières dans le monde poussent les familles dans la pauvreté et au désespoir. L'état de droit - réalisé par des efforts pour assurer l'accès à la justice pour tous - peut être une force stabilisante au milieu de cette tourmente.

Alors que le monde commençait à articuler une nouvelle vision du développement pour l'après 2015, l'Assemblée générale dans sa Déclaration sur l'état de droit aux niveaux national et international de septembre 2012 a réexaminé cette omission dans les OMD originaux. La Déclaration représente une occasion importante de répondre aux besoins de ceux qui ont été privés des avantages de l'état de droit. Les États devraient désormais considérer comment l'état de droit pourrait se caractériser dans le programme après 2015 - comme un objectif à part entière sur l'accès à la justice, comme un objectif faisant partie d'un objectif plus vaste ou comme un indicateur dans tous les objectifs après 2015.

IMPACT DE L'ÉTAT DE DROIT SUR LE DÉVELOPPEMENT

Dans les lieux où les citoyens pauvres et marginalisés connaissent leurs droits et peuvent demander réparation pour les torts qu'ils ont subis, la discrimination est moins marquée, les abus des droits de l'homme moins nombreux et la fourniture des services plus efficace. L'état de droit est donc au cœur de ce qui nécessaire pour que les efforts de développement soient efficaces. Inversement, les défaillances de l'état de droit accentuent l'exclusion, les souffrances et la pauvreté de nombreuses personnes.

Helen Clark
Administratrice
Programme des Nations Unies pour le développement
Assemblée générale, 24 septembre 20124

Le développement est parfois mis sur le même pied que la croissance économique qui mène un pays sur le chemin de la prospérité. Cette croissance, toutefois, peut contribuer à accroítre encore plus le retard de certains individus, généralement les groupes les plus marginalisés et les plus vulnérables. La politique et la pratique du développement visent de plus en plus à s'assurer que tous les membres de la société bénéficient de la croissance d'un pays. De fait, l'économiste Amartya Sen, lauréat du prix Nobel, fait valoir que l'objectif ultime du développement est de promouvoir les libertés et les capacités des peuples5. Or, promouvoir la prospérité commerciale tout en optimisant le potentiel humain n'est pas une tâche aisée. La réconciliation de ces deux aspirations est un processus politique inhérent - un combat constant pour redistribuer le pouvoir, la richesse et les ressources d'une manière qui soit perçue comme légitime et équitable par tous les membres de la société.

Nous trouvons dans la Déclaration du Millénaire des Nations Unies un point de repère essentiel pour faire face aux exigences du développement. Elle nous rappelle les valeurs fondamentales que nous partageons et auxquelles nous aspirons : vivre sans craindre la violence, l'oppression et l'injustice; l'égalité des droits entre les hommes et les femmes; la solidarité avec ceux qui souffrent le plus de telle façon que les coûts et les charges soient justement répartis conformément aux principes de la justice sociale; le respect et la tolérance pour tous; et le développement durable dans la gestion des ressources naturelles.

La réalisation de ces valeurs fondamentales et leur mise en pratique dans la vie quotidienne des gens nécessitent un système de justice juste, impartial et accessible, qui évolue pour répondre aux exigences et au développement de la société. Ces systèmes juridiques sont essentiels pour s'assurer que les problèmes que rencontrent la plupart des gens dans leur vie quotidienne, y compris le règlement des différends fonciers, la réparation des actes de violence, les efforts pour sortir de la pauvreté, et le besoin de jouir des droits humains fondamentaux sont jugés et résolus avec efficacité. Les systèmes juridiques justes et prévisibles offrent aussi un soutien institutionnel qui renforce la sécurité des investisseurs qui stimulent la croissance économique.

Toutefois, les systèmes juridiques formels ne sont parfois ni en mesure de faire face aux demandes des citoyens ni accessibles aux personnes du monde entier. On estime que 4 milliards de personnes dans le monde sont soustraites à la protection de la loi6. Un soutien supplémentaire est donc nécessaire pour assurer que toutes les personnes ont accès à la justice, en particulier les pauvres qui en ont souvent le plus besoin. Les mesures d'autonomisation par le droit sont de plus en plus considérées comme un moyen efficace de réduire l'écart et de renforcer la capacité de tous à exercer leurs droits, en tant qu'individus ou membres d'une communauté. Cette tâche est parfois entreprise par la société civile, indépendamment ou en collaboration avec un État, souvent par le biais de programmes d'assistance juridique, d'aide juridictionnelle et de centres juridiques. C'est un moyen de promouvoir le développement en s'assurant que davantage de personnes ont accès à la justice.

L'Open Society Justice Initiative est une organisation mondiale qui encourage l'autonomisation par le droit dans le monde7. Elle soutient, entre autres, les efforts d'assistance juridique en Sierra Leone, les centres juridiques au Nigeria, ainsi que les assistants juridiques, les mesures d'aide juridictionnelle et les cliniques juridiques en Indonésie. Ces initiatives montrent l'impact que l'état de droit peut avoir sur la vie quotidienne des gens. En Sierra Leone, par exemple, les assistants juridiques ont travaillé avec les habitants de plusieurs villages dont les terres avaient été endommagées par une société minière qui ne leur avait accordé aucune indemnisation. À l'aide de leur réseau de contacts, ils ont fait appel à divers dispositifs de réparation locaux et nationaux, obtenant finalement réparation en ciblant la société minière à son siège à Londres et en la menaçant de porter l'affaire devant les tribunaux du Royaume-Uni.

L'impact de l'état de droit sur le développement est aussi reconnu par des études menées au niveau macro par les grandes banques régionales et mondiales. Les méthodes d'autonomisation par le droit se sont montrées efficaces dans le monde pour soutenir le développement des communautés. Aux Philippines, par exemple, cette méthode appliquée pour soutenir la réforme agraire a eu un effet économique positif sur les communautés. Une étude menée par une banque de développement asiatique a conclu que les réformes foncières menées dans les communautés où des projets d'autonomisation par le droit ont été mis en œuvre ont permis d'augmenter les niveaux de productivité et d'accroítre les revenus disponibles pour les résidents ainsi que les investissements dans leurs fermes8. En Équateur, la Banque mondiale a constaté que les Équatoriennes qui avaient accès à une assistance juridique comme moyen d'autonomisation par le droit étaient 10,4 % plus susceptibles de recevoir une pension alimentaire pour leurs enfants et 17 % moins susceptibles de subir des violences familiales suite à un divorce9. Ces initiatives ont amélioré les conditions économiques des femmes.

Les mesures d'autonomisation par le droit ne sont qu'un moyen par lequel l'état de droit peut avoir un réel impact sur la vie quotidienne des gens et sur le développement économique. Plus généralement, les efforts pour promouvoir l'accès à la justice pour tous est un moyen essentiel pour assurer la protection des biens et mettre fin aux pratiques abusives et à la discrimination afin d'offrir de meilleures opportunités aux individus et aux communautés. De nombreux éléments permettent d'établir que l'intégration de l'état de droit dans le programme pour l'après 2015 fera de l'état de droit une force motrice qui créera les conditions d'une plus grande prospérité pour tous et pas seulement pour les riches.
L'ÉTAT DE DROIT DANS UNE VISION POUR L'APRÈS 2015

Alors qu'à l'ONU, les dirigeants mondiaux étaient « convaincus que cette interdépendance » entre l'état de droit et le développement « devrait être prise en compte dans le programme de développement international pour l'après 2015 », aucune voie claire n'existe pour confirmer que cet idéal peut être une réalité. De multiples processus tentent actuellement d'identifier les éléments clés pour inclure une vision pour l'après 2015. Le Secrétaire général Ban Ki-moon a nommé un Groupe de personnes éminentes pour le conseiller en la matière. Ce groupe doit publier un rapport en mai 2103. On ignore comment le Groupe de travail de l'Assemblée générale, créé pour développer les Objectifs de développement durable découlant de la conférence Rio+20, qui s'est tenue en juin 2012 au Brésil, sera lié aux processus de l'après 2015. Il est possible que les deux processus soient allégés et ensuite combinés. Mais la décision sur les questions qui seront incluses dans les objectifs après 2015 dépendra, en définitive, du même corps qui a reconnu le lien entre l'état de droit et le développement à l'Assemblée générale : les diplomates de l'Assemblée et leurs dirigeants. L'histoire, les faits et les appels à la justice indiquent que les États qui se sont réunis pour reconnaítre le lien fondamental entre l'état de droit et le développement lors de l'Assemblée générale devraient maintenant saisir cette occasion pour cimenter ce lien sous forme d'un objectif, d'une cible ou d'un indicateur de l'état de droit pour l'après 2015, car cela pourrait avoir des changements réels dans la vie des gens tout en promouvant le développement pour tous.
Notes

1 - « Déclaration de la réunion de haut niveau de l'Assemblée générale sur l'état de droit aux niveaux national et international, 19 septembre 2012 (A/67/L.1), disponible à https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N12/478/67/PDF/N1247867.pdf?OpenElement.

2 - Pour plus d'informations sur les OMD, voir http://www.un.org/millenniumgoals/.

3 - Voir l'Assemblée générale, Déclaration du Millénaire des Nations Unies, 8 septembre 2000 (A/RES/55/2), disponible à http://www.un.org/millennium/declaration/ares552e.htm.

4 - Voir « Allocution de Helen Clark », Administratrice du PNUD, Réunion de haut niveau sur l'état de droit, soixante-septième session de l'Assemblée générale 2012, 24 septembre 2012, disponible à https://www.un.org/ruleoflaw/wp-content/uploads/2017/05/Statement_UNDP.pdf.

5 - Amartya Sen, Development as Freedom (Oxford University Press, 1999).

6 - Commission pour la démarginalisation des pauvres par le droit (2008), p. 1, disponible à https://digitallibrary.un.org/record/633970?ln=en.

7 - Voir Open Society Justice Initiative à http://www.opensocietyfoundations.org/about/programs/open-society-justic....

8 - Banque asiatique de développement, « Legal Empowerment: Advancing Good Governance and Poverty Reduction, Appendix 1: The Impact of Legal Empowerment Activities on Agrarian Reform Implementation in the Philippines », (2001) p. 127, 133, disponible à http://www2.adb.org/documents/others/law_adb/lpr_2001.asp?p=lawdevt.

9 - Banque mondiale, « Impact of Legal Aid: Ecuador », février 2003, disponible à http://www.wds.worldbank.org/servlet/WDSContentServer/WDSP/IB/2003/10/08...

 

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