15 mai 2011

La découverte du traitement antirétroviral (ARV) pour les personnes vivant avec le VIH/sida est l'une des grands succès de la recherche médicale au cours des dernières années. Elle a changé la manière dont le VIH est perçu - d'une sentence de mort il est devenu une maladie chronique. Le traitement qui doit être suivi toute la vie nécessite un accès constant aux nouveaux traitements médicamenteux en raison des effets secondaires ou de la résistance du virus aux médicaments. Alors que dans les pays développés les patients ont des options de traitement, ce n'est pas le cas des pays en développement. Avec plus de vingt médicaments antirétroviraux approuvés, on estime que le marché mondial des médicaments anti-VIH représentera près de 16 milliards de dollars en 2016. Or, les ARV, en particulier les traitements récents, plus efficaces, n'ont pas tous obtenu un brevet ou ne sont pas disponibles dans tous les pays, en particulier dans les pays du Sud. Pourquoi existe-t-il un tel écart dans l'accès au traitement entre les pays industrialisés et les pays en développement ? Pourquoi les personnes séropositives des pays du Sud n'ont-elles pas accès aux nouveaux médicaments, plus efficaces et moins toxiques? Comment peut-on combler ce fossé qui se creuse?

Aujourd'hui, 33 millions de personnes dans le monde vivent avec le VIH, dont 95% dans les pays en développement, et environ 2,7 millions de nouvelles infections par an sont recensées. La plupart de ces personnes auront besoin d'un traitement pour pouvoir mener une vie saine et productive. On estime que d'ici à 2030, 55 millions de personnes auront besoin d'un traitement. À la fin de 2009, l'ONUSIDA (Programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida) a estimé que sur les 14 millions de malades qui avaient besoin d'un traitement antirétroviral, 5 millions y avaient accès1. Selon l'Organisation, les options de traitement offertes aux personnes séropositives ayant accès aux médicaments antirétroviraux par le biais des systèmes de santé publics dépendaient du coût des médicaments. Ces médicaments ont sauvé des vies, mais ont entraíné des effets secondaires graves. Si, par malchance, le traitement d'un patient échoue, souvent parce que le coût élevé des tests n'a pas été adapté aux pays en développement ou que les effets secondaires sont graves, les options qui lui sont offertes sont limitées, voire inexistantes.

Le traitement le plus largement utilisé dans les pays en développement contient de la stavudine (d4T). Ce médicament entraíne des effets secondaires irréversibles à long terme, et les nouvelles directives de l'Organisation mondiale de la santé ont recommandé de le retirer progressivement du marché en 2009. Alors que la staduvine n'est plus utilisée dans les pays développés, une majorité de patients des pays en développement continue de recevoir une multithérapie contenant ce médicament car son coût est peu élevé grâce à la concurrence entre les producteurs de médicaments génériques dans les pays où il n'est pas breveté. La deuxième meilleure option de traitement contenant du ténofovir (TDF) coûte deux fois plus cher, environ 176 dollars par personne et par an. Pourtant, même certains pays à revenu intermédiaire n'ont pas les moyens d'assumer les coûts liés à ce traitement parce que la molécule est protégée par un brevet et que, pour eux, le coût de ce traitement est six fois supérieur, environ 1 033 dollars par personne et par an2.

La plupart des pays n'ont pas les moyens d'assumer les coûts élevés des nouveaux traitements, que ce soit pour le premier traitement ou, dans le cas de la résistance aux médicaments anti-HIV, le traitement de deuxième intention. Les ressources des instituts et des programmes mondiaux, comme le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme et le Plan d'urgence américain pour la lutte contre le sida (PEPFAR) qui assurent la majorité des fonds pour l'achat des médicaments génériques, diminuent en termes réels. Alors que les donateurs reviennent sur leurs engagements de financement, même Bill Gates, co-Président de la Bill and Melinda Gates Foundation, a fait remarquer lors de la Conférence internationale sur le sida qui s'est tenue à Vienne en juillet 2010 que nous n'avions pas les ressources pour sortir de cette épidémie. Malheureusement, cette réorientation des ressources, et l'idée que le traitement est cher et sera de plus en plus cher tandis que le nombre de malades augmente, se produit à un moment où il est prouvé qu'un traitement précoce à l'aide des nouveaux médicaments plus efficaces réduit la mortalité et l'hospitalisation des patients infectés par le VIH et qu'une meilleure adhérence au traitement empêche la transmission du virus.

Plutôt que de nous demander pourquoi le prix des nouveaux médicaments est hors de portée d'un grand nombre de ceux qui en ont besoin, nous acceptons que des traitements moins efficaces soient la seule option offerte aux patients qui sont à un stade avancé de la maladie. La protection des brevets empêche 95% des personnes infectées par le VIH vivant dans les pays du Sud d'avoir accès aux nouveaux médicaments. Ce problème lié à l'accès remonte à la signature de l'ADPIC (Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce) en 1994 qui visait à couvrir la protection de propriété intellectuelle à l'échelle mondiale. Pendant une longue période, il était tout à fait légal de copier les molécules existantes, même celles qui étaient mises au point ailleurs, comme dans les pays industrialisés, ce qui permettait à de nombreux pays de mettre en place une base pharmaceutique locale offrant des produits identiques sur le marché local à un coût réduit. Mais les accords de l'ADPIC ont limité la concurrence des nouveaux médicaments génériques et empêché l'accès des personnes séropositives dans les pays en développement aux nouveaux traitements. La plupart des nouveaux médicaments sont protégés par des brevets détenus par des laboratoires pharmaceutiques qui ont des droits exclusifs et autorisent certaines entreprises et certains pays seulement à produire et à distribuer ces médicaments. Ces médicaments sont inabordables. Au cœur de cette guerre se trouve une notion essentielle : la différence entre le bien public mondial, la santé publique et la recherche de profit des entreprises privées. Par exemple, la société pharmaceutique internationale Tibotec, une filiale de Johnson & Johnson, a autorisé la production de la rilpivirine, un médicament antirétroviral, à un fabricant pharmaceutique sud-africain et à deux fabricants indiens. La société a toutefois limité l'étendue géographique de sa licence pour que les personnes séropositives des pays à revenu moyen n'aient pas accès aux versions génériques du médicament et paient le prix fort3.

L'épidémiologie du VIH varie selon les pays et les populations à risque, y compris ceux qui utilisent des drogues injectables, les hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes, les travailleurs de l'industrie du sexe, les personnes handicapées et les femmes - qui sont déjà victimes de stigmatisation et de discrimination. Ces personnes ont un point commun : elles dépendent des systèmes de santé publics pour le dépistage, le traitement et les soins. Lorsque les coûts des intrants augmentent, comme les ARV, les gouvernements limitent ces services ou réduisent les budgets. En Afrique, les ruptures de stocks des médicaments ou l'absence de prise en charge des personnes nouvellement infectées témoignent de cette situation4.

Les gouvernements et les institutions internationales devraient recourir à des mesures de protection de la santé publique pour s'opposer aux lois sur les brevets et à l'octroi des droits exclusifs des sociétés pharmaceutiques. Pour que les nouveaux ARV soient abordables quel que soit le lieu géographique des personnes infectées, j'ai adopté les recommandations faites par Médecins sans frontières et ajouté quelques idées personnelles :

• Un pays et/ou des pays au sein d'un bloc économique doivent avoir le droit de créer, si besoin est, des lois souples pour les médicaments essentiels ainsi que pour l'exportation ou l'importation.

• Dans le cas où les médicaments essentiels sont brevetés, un pays peut émettre des licences sans crainte de répercussions de la part des grandes sociétés pharmaceutiques.

• Il faut encourager les sociétés pharmaceutiques à participer à la communauté de brevets sur les médicaments créée par UNITAID5. Cette communauté permet aux détenteurs de brevets de mettre à disposition des licences par son biais et aux détenteurs de ces licences de verser des redevances aux détenteurs de brevets. Ainsi, les versions génériques des ARV sous licence seront accessibles dans les pays en développement et les fabricants de produits pharmaceutiques pourront faciliter la production et la vente de nouvelles gammes d'associations médicamenteuses à dose fixe et mettre au point des ARV pédiatriques.

La lutte pour le droit à la santé et l'accès aux médicaments a été freinée par ceux qui voient en ces médicaments une source de profits. Ce qu'il faut, c'est une approche rationalisée : nous devons déterminer un prix acceptable et abordable pour que l'investissement dans la recherche et le développement soit rentable pour l'investisseur. La lutte contre le sida a changé la façon dont nous percevons le droit à la vie et, notamment, le droit à la santé. La prochaine bataille pour l'accès aux nouveaux ARV plus efficaces ne sera pas facile - le prix des nouveaux médicaments ne baissera pas comme pour la première génération d'options de traitement. Les activistes devront se mobiliser et recourir aux mesures de protection de la santé publique et au droit international en matière de droits de l'homme pour protéger l'accès aux médicaments essentiels. Lors de la réunion de haut niveau de l'Assemblée générale de l'ONU sur le sida, qui se tiendra du 8 au 10 juin 2011, les institutions internationales dont l'objectif est d'atteindre « zéro infection6 » devront s'engager résolument en faveur des communautés touchées par l'épidémie du VIH et de l'accès aux nouveaux antirétroviraux. Lorsqu'il s'agit de vie ou de mort, il ne doit y avoir aucune différence en matière de traitements.
Notes

1 ONUSIDA (2010), Rapport mondial 2010, chapitre 4, « Traitement du VIH ». Genève, ONUSIDA.

2 MSF (2010), Accès aux médicaments essentiels. Démêler l'écheveau des réductions de prix des antirétroviraux. 13e édition.

3 La lettre de Pharma est accessible à : http://www.thepharmaletter.com/file/101692/jj-unit-tibotec-signs-multipl.... Voir aussi le communiqué de presse de MSF accessible à : http://www.msfaccess.org/media-room/press-releases/press-release- detail/index.html%3ftx_ttnews%5Btt_news%5D=1667&cHash=dec96f3170/.

4 MSF (2010), « Les dix conséquences du retard, du report ou du refus du traitement du sida. » MSF.

5 L'UNITAID est une organisation internationale qui assure l'achat des médicaments pour le VIH/sida, le paludisme et la tuberculose. Fondée en 2006, elle offre une intervention commerciale stratégique qui vise à faire baisser le prix des médicaments pour les maladies prioritaires et augmenter l'approvisionnement des médicaments et des diagnostics. http://www.unitaid.eu/en/. En 2008, l'ONUSIDA a créé MPP pour augmenter l'accès aux nouveaux médicaments antirétroviraux pour le VIH/sida. Aujourd'hui une entité séparée, MPP négocie avec les détenteurs de brevets pour qu'ils partagent leurs droits de propriété intellectuelle avec la Communauté puis les met à la disposition d'autres fabricants pour faciliter la production de médicaments génériques adaptés et financièrement abordables dans les pays en développement.

6 L'ONUSIDA a mis au point une nouvelle stratégie de lutte contre le VIH pour 2001-1015, « Objectif : zéro » qui a pour objectif de parvenir à zéro nouvelle infection, zéro décès lié au sida et zéro discrimination d'ici à 2015. L'OMS et l'ONUSIDA concentrent également leurs efforts sur le Traitement 2.0, un nouveau paradigme pour le traitement et la prévention qui optimise les approches de traitement, c.-à-d. des schémas thérapeutiques plus simples, plus sûrs et plus efficaces utilisant des médicaments nouveaux et existants ainsi que des outils de laboratoire simplifiés. Pour en savoir plus sur ces stratégies, visitez le site http://www.unaids.org/.

 

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