Contrairement à l’opinion populaire, la migration internationale ne provient pas de l’absence de développement économique, mais fait partie du développement lui-même. Le principal moteur de la migration est la mondialisation de l’économie et l’intégration mondiale des facteurs de marché. La mondialisation des marchés des biens, des capitaux financiers, des informations, des produits de base et des services va de pair avec la mondialisation des marchés du travail et du capital humain. Nous observons l’intégration mondiale des marchés de la main-d’œuvre qualifiée et non qualifiée comme l’immigration.

Inévitablement, l’extension des marchés dans les nations principalement agraires et les anciens pays à économie dirigée induit des changements positifs et négatifs, déplaçant de nombreuses personnes et les privant de leurs moyens d’existence traditionnels. Dans le contexte du développement rapide, la migration devient une stratégie accessible que les gens ordinaires peuvent utiliser pour s’adapter aux changements qui surviennent autour d’eux. La plupart de ceux qui sont déracinés de cette façon se déplacent simplement à l’intérieur de leur pays, vers des villes en pleine expansion, et contribuent à l’urbanisation. Historiquement, cependant, un faible taux a toujours migré vers l’étranger pour y rechercher des emplois et des opportunités dans des secteurs mieux rémunérés.

Au fur et à mesure que l’industrialisation s’est développée en Europe au cours du XIXe siècle et au début du XXe siècle, des vagues successives de migrants ont déferlé dans les pays et plus de 50 millions d’Européens ont quitté le continent à destination de l’Amérique et de l’Océanie. De même, alors que la mondialisation s’est accélérée durant les 25 dernières années du XXe siècle et que les nations ont été davantage liées aux flux internationaux commerciaux  et d’investissement, aux transports et à la communication, l’immigration a de nouveau progressé – seulement, cette fois les flux migratoires se sont effectués de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique latine vers les nations désormais développées – l’Europe, l’Amérique et l’Océanie.

Comme auparavant, les migrants d’aujourd’hui ne viennent pas de régions sous-développées, mais de régions qui connaissent des changements sociaux, politiques et économiques dynamiques. Ce qui est surprenant à bien des égards, ce n’est pas pourquoi il y a beaucoup d’immigrants aujourd’hui, mais pourquoi ils sont si peu nombreux, compte tenu des inégalités économiques colossales qui prévalent entre les nations. Actuellement, seulement 3 % de personnes dans le monde vivent à l’extérieur de leur pays natal. Toutefois, la moitié d’entre elles sont des personnes déplacées dans leur propre pays qui ont simplement franchi une frontière internationale ou des immigrants qui ont afflué des États multinationaux après leur dissolution à la fin du XXe siècle, comme l’Union soviétique. Seule 1,5 % de l’immigration venant de pays éloignés est liée au fonctionnement actuel de l’économie mondiale.

En règle générale, ces migrants internationaux ne cherchent pas désespérément à échapper à une misère abjecte, mais agissent délibérément afin d’améliorer leur vie et s’adapter au changement en utilisant l’un des outils les plus accessibles mis à leur disposition. Ceux qui migrent vers l’étranger ne sont pas les plus pauvres, ils ont accès à des moyens pour faciliter leur voyage, qu’ils soient sociaux, financiers ou culturels. De plus, lors de leur déplacement, ces migrants ne se dispersent pas de façon aléatoire ni se rendent nécessairement à la destination la plus proche. Au lieu, ils vont là où ils sont connectés à d’importantes relations d’investissement, commerciales, politiques ainsi qu’à d’anciennes périodes coloniales qui créent des systèmes migratoires qui se perpétuent dans le temps et dans l’espace.

Il existe actuellement quelques systèmes de ce type dans le monde et, dans ces cas, la tâche des décideurs dans les pays de destination ne devrait pas être de recourir à des mesures à caractère répressif pour empêcher une intrusion massive de pauvres venant des quatre coins de la planète, mais de gérer les flux beaucoup moins importants qui découlent du modèle d’intégration particulier de chaque pays au sein de l’économie mondiale. Une fois que l’infrastructure sociale et économique est mise en place pour assurer un système stable, les politiques restrictives ont généralement des effets contraires à ceux attendus, empêchant la circulation dans le système et encourageant l’installation à long terme, souvent contre le désir des migrants eux-mêmes.

Lorsque les nations européennes ont mis fin au recrutement des travailleurs invités dans les années 1970, par exemple, les travailleurs migrants qui étaient venus et qui étaient assurés de pouvoir revenir dans leur pays s’ils le souhaitaient, ont fait traîner les choses et ont sollicité le statut de résident permanent. Au lieu de circuler, ils ont fait venir leur épouse, leurs enfants et leurs proches, entraînant une augmentation des populations étrangères plutôt d’une diminution. De même, lorsque les États-Unis ont militarisé leur frontière méridionale après 1986, cela n’a pas eu pour effet de réduire le flux des sans-papiers venant d’Amérique latine; au contraire, cela a restreint leur migration de retour et transformé la migration circulaire des travailleurs hommes ayant lieu dans trois États et créé une population installée plus nombreuse composée de familles dans 50 États.

Les actions politiques nécessaires pour gérer efficacement la migration internationale ne sont pas un secret. Pour passer de la restriction à la gestion, les responsables politiques des pays développés doivent identifier les nations en développement avec lesquelles ils ont des relations commerciales et d’investissement solides et historiques qui sont actuellement établies pour fournir un nombre important d’immigrants. Ils doivent ensuite travailler bilatéralement avec les dirigeants de ces nations pour promulguer des politiques qui facilitent le mouvement international, encouragent la circulation et tirent parti du dynamisme et des revenus des migrants pour promouvoir le développement dans leur pays tout en fournissant à ces nations une aide publique au développement afin de faciliter la transition vers une économie basée sur l’industrie et les services.

Le modèle qui retient le plus l’attention en la matière est celui de l’Union européenne (UE) qui, lors de l’admission de nouveaux membres, engage une période de transition pour une mobilité professionnelle complète en fournissant des fonds afin d’atténuer les perturbations liées à l’ajustement structurel, s’appuie sur des comptes spéciaux comme le Fonds social européen, le Fonds européen de développement régional et le Fonds de cohésion, qui sont régulièrement alimentés par les nations européennes les plus riches. Un bon exemple est ce qui s’est passé lors de l’entrée de l’Espagne dans l’UE. Pendant une centaine d’années, l’Espagne avait été un pays d’émigration, d’abord vers des pays étrangers, puis vers des pays de l’UE. Malgré un écart de 30 % entre le produit intérieur brut (PIB) par habitant de l’Espagne et celui de l’Europe du Nord, le pays est finalement devenu membre de plein droit de l’Union européenne et a été mis sur la voie de la libre circulation de la main-d’œuvre.

Plutôt que de construire un mur dans les Pyrénées pour empêcher l’intrusion massive de migrants espagnols, l’UE a transféré 59 milliards de dollars dans les fonds d’ajustement structurel pour aider le pays à améliorer ses infrastructures sociales, économiques et physiques et a rendu les conditions en Espagne conformes aux normes de base de l’UE. En conséquence, lors de l’adhésion à l’UE en 1986, de nombreux Espagnols sont rentrés au pays et, comme d’autres pays de l’UE, l’Espagne est rapidement devenue un pays d’accueil d’immigrants issus de pays étrangers.

Depuis 1986, les États-Unis ont dépensé 35 milliards de dollars pour renforcer leur frontière avec le Mexique malgré l’Accord de libre échange nord-américain (ALENA) dont ces deux nations sont membres depuis 1963. Comme l’UE, cependant, l’ALENA constitue un espace de libre circulation transfrontalière des marchandises, du capital, des biens de base, de l’information et des services. Mais contrairement à l’UE, il ne prévoit pas la libre circulation de la main-d’œuvre. Bien que le PIB par habitant du Mexique soit, sans aucun doute, très inférieur à celui des États-Unis, l’écart n’est pas plus important que celui entre la Pologne et l’Europe de l’Ouest lors de l’adhésion de ce pays à l’UE. Si les États-Unis avaient versé au Mexique 35 milliards de dollars au titre de l’aide à l’ajustement structurel plutôt que renforcer leur frontière et s’ils avaient créé des voies légales pour la circulation des migrants de part et d’autres de la frontière, il est probable que la population des sans-papiers aurait été une infime portion des 11 millions de personnes qu’elle représente aujourd’hui. Paradoxalement, en matière de flux migratoires, une plus grande souplesse et une meilleure gestion peuvent assurer un meilleur contrôle et diminuer le nombre d’immigrants à long terme.