La brigade d’intervention : fin de la guerre en RDC ?

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La brigade d’intervention : fin de la guerre en RDC ?

Une dimension nouvelle des opérations de maintien de la paix
Lansana Gberie
Afrique Renouveau: 
ONU/Clara Padovan
Des troupes venues de Tanzanie arrivent à Goma (République démocratique du Congo), afin de participer à la brigade d’intervention. Photo: ONU/Clara Padovan

Vu de l’extérieur au moins, le problème avec la situation en République démocratique du Congo (RDC) est avant tout l’incompréhension qu’elle suscite. Dans ce pays où l’instabilité, les violations des droits de l’homme et les guerres sont permanentes, les milices armées ne se comptent plus. Au moins 10 de ces factions sont actives dans l’est du Congo qui, depuis plusieurs années, est l’épicentre du carnage et du chaos.

Le Conseil de sécurité a récemment approuvé deux mesures extraordinaires afin de remédier à la situation dans le pays : l’utilisation de drones (ou véhicules aériens sans pilote) pour des missions de reconnaissance des activités des milices et le déploiement d’une brigade d’intervention. Ces deux mesures ont été saluées par une majorité d’observateurs. Si les Nations Unies ont fait preuve de prudence en soulignant la nature strictement temporaire de ces mesures, celles-ci constituent effectivement un tournant dans l’histoire des missions onusiennes. Leur succès – s’il se confirme – les transformera en « bonnes pratiques », et changera fondamentalement le cours trop souvent dramatique des choses en RDC.

Le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a applaudi ces mesures, qu’il a qualifiées « d’approche globale destinée à s’attaquer aux causes profondes de l’instabilité dans l’est de la RDC et dans la région des Grands Lacs ». Les analystes, eux, considèrent que cet optimisme se doit d’être tempéré. 

La brigade d’intervention s’appuie sur « l’Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération en République démocratique du Congo et dans la région » du 24 février 2013. Cet accord-cadre, que l’Union africaine a contribué à forger, a été signé en Ethiopie par les dirigeants de la RDC, de l’Angola, du Burundi, de la République centrafricaine, de la République du Congo, du Rwanda, de l’Afrique du Sud, du Sud-Soudan, de la Tanzanie, de l’Ouganda et de la Zambie, en la présence de Ban Ki-moon, l’un des garants de cet accord. L’accord-cadre évoque notamment la souffrance qu’engendrent pour le pays « les conflits récurrents et les violences persistantes perpétrées par des groupes armés tant nationaux qu’étrangers ».

L’accord-cadre explique que la voie actuelle n’est pas tenable. Un programme de consolidation de l’autorité de l’Etat et de prévention du soutien extérieur des groupes armés fait partie intégrante de l’accord, qui contient aussi un engagement de la RDC à respecter « les préoccupations et intérêts légitimes » des Etats voisins, une référence implicite aux craintes fréquemment soulevées par le Rwanda concernant sa sécurité, eu égard aux opérations de militants hutus opposés au Gouvernement et basés dans l’est du Congo. 

Ban Ki-moon a évoqué la question d’une brigade d’intervention devant le Conseil de sécurité après son retour d’Ethiopie en mars dernier. Il a déclaré aux membres du Conseil que la dite brigade opérerait sous le commandement de la mission des Nations Unies en RDC, la MONUSCO, pour un coût total de 140 millions de dollars (qui s’ajoutent au 1,4 milliard de dollars que le maintien de 19 815 soldats coûte annuellement à la MONUSCO).

 Le 27 décembre, Ban Ki-moon a aussi écrit au Conseil de sécurité pour lui demander d’approuver l’utilisation par la MONUSCO d’avions sans pilote, plus connus sous le nom de drones, en vue de « faciliter la collecte, l’analyse et la diffusion des renseignements et, ainsi,  d’améliorer la perception des situations et de permettre que des décisions soient prises  rapidement ».

En janvier dernier, le Conseil de sécurité a approuvé l’utilisation de systèmes aériens sans pilote en RDC « sans préjudice de l’examen qui est fait actuellement par les organes des Nations Unies des incidences juridiques, financières et techniques de l’utilisation de systèmes aériens sans pilote ».  

Le catalyseur de ces mesures a été l’occupation de Goma, la capitale de la province du Nord-Kivu dans l’est de la RDC, par le M23 en novembre de l’année dernière – occupation qui s’est révélée particulièrement brutale et a été interprétée comme un sérieux revers, à la fois pour les Congolais et pour les Nations Unies. 

Deux jours après la chute de Goma, le Gouvernement congolais a suspendu de ses fonctions de chef des forces terrestres de l’armée congolaise, le Général major Gabriel Amisi Kumba, plusieurs fois accusé par des organisations de défense des droits de l’homme d’avoir commis des atrocités. Quelques mois auparavant, il avait aussi été accusé par un panel d’experts des Nations Unies de vendre des armes et des munitions à des groupes armés illégaux. 

La brigade d’intervention a été approuvée par la résolution 2098 du 18 mars, qui affirme que cette brigade sera une force de réaction rapide chargée de conduire des « offensives ciblées » contre les groupes rebelles du pays.

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L’effectif de la brigade s’élève à 3 069 militaires. Elle est commandée par un général tanzanien et comprend trois bataillons d’infanterie, une unité d’artillerie, une unité de forces spéciales et une compagnie de reconnaissance. La Tanzanie, l’Afrique du Sud et le Malawi ont déjà contribué à la composition de la brigade avec des troupes d’élite. Sa mission est « d’empêcher l’expansion de tous les groupes armés, de les neutraliser et de les désarmer ».

Les Nations Unies semblent déterminées à souligner sur le caractère « exceptionnel » de l’approbation d’une telle brigade, en insistant dans la résolution sur le fait que cette décision est prise « sans créer de précédent ni sans préjudice des principes convenus du maintien de la paix ». La résolution appelle aussi à ce que la brigade se dote d’une « stratégie de retrait clairement définie ». 

Comme on aurait pu s’y attendre, dès le lendemain de l’adoption de la résolution, le fondateur du M23, le général Bosco Ntaganda, s’est rendu à Kigali, la capitale du Rwanda, et a été transféré à la Cour pénale internationale (CPI). À la fin du mois de février, la scission du M23 avait donné lieu à de violents combats entre sa faction principale, dirigée par Sultani Makenga, et une faction minoritaire dirigée par Ntaganda. Le M23 avait annoncé un cessez-le-feu unilatéral dès le 7 janvier, mais peu d’observateurs avaient pris cette déclaration au sérieux.

Les drones et la brigade d’intervention changeront-ils la trajectoire chaotique et sanglante prise par la RDC ? Certains observateurs recommandent à ses forces de soigneusement choisir leurs objectifs pour réussir leur mission. Quoi qu’il en soit, une cible potentielle se distingue déjà des autres : celle du M23.   

En avril dernier, le M23 a adressé à la Tanzanie une lettre ouverte qualifiant la décision de ce pays de participer à la brigade d’intervention de « dangereuse aventure ». La lettre, signée par Bertrand Bisimwa, le dirigeant politique du M23, appelait la Tanzanie à se retirer de la brigade. Bisimwa a écrit une lettre similaire à l’Afrique du Sud, dont la contribution à la brigade d’intervention s’élève à 1 000 soldats bien équipés. Tant l’Afrique du Sud que la Tanzanie ont fait fi de ces menaces. 

Le M23 disposerait de quelque 2000 soldats armés. Par le passé, il puisait l’essentiel de sa force dans le soutien présumé du Rwanda, une accusation que le Rwanda rejette fermement. Le Rwanda est signataire de l’Accord-cadre de février dernier. Lors de sa signature, le Président rwandais Paul Kagame notait que « rien ne peut davantage bénéficier au Rwanda qu’une avancée réelle vers la paix régionale et la stabilité ». En outre, le Rwanda est actuellement membre élu du Conseil de sécurité et a joué un rôle important dans l’adoption de la résolution 2098. Selon les analystes, le M23 pourrait se retrouver isolé et comme il est déjà harcelé par d’autres milices congolaises comme les Raia Mutomboki, il pourrait bien subir une défaite face à la brigade d’intervention et aux forces congolaises.

Ce n’est pourtant pas une mission facile, comme l’explique Helmoed Romer Heitman, un analyste militaire sud-africain. « Elle est complexe et d’un point de vue tactique c’est un cauchemar logistique », a-t-il déclaré à l’agence Reuters. 

Helmoed Heitman faisait référence à la prolifération des milices concurrentes dans l’est de la RDC. Le décompte des groupes miliciens est l’un des passe-temps préférés des diplomates et journalistes étrangers de Kinshasa. On entend ainsi beaucoup parler des Raia Mutomboki, ou « Citoyens en colère » – une coalition multiethnique qui semble exercer son contrôle sur une grande partie du territoire avec des conséquences particulièrement sordides (les Nations Unies ont récemment accusé ce groupe d’avoir massacré au moins 243 femmes et enfants dans le Nord-Kivu) ; on parle aussi du Nyatura, un groupe hutu qui a lui aussi perpétré des massacres de civils ; et d’un petit groupe qui se fait appeler l’Union des patriotes congolais. 

Plus loin encore, les rebelles Enyele de la région de l’Equateur sont engagés dans un conflit qui dure depuis plusieurs décennies à propos de leurs droits de pêche ; on trouve aussi les Maï-Maï, un groupe local dont l’objectif se limite à résister aux forces soutenues par le Rwanda en RDC ; enfin les rebelles de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA), qui sont toujours actifs dans certaines parties de la RDC, continuent à tuer, violer et enlever les enfants. À plusieurs reprises, l’état de déliquescence du pays a d’ailleurs poussé le Rwanda, l’Ouganda, l’Angola, le Zimbabwe, le Soudan, la République centrafricaine et le Tchad à s’engager dans des conflits de longue haleine. 

Récemment, le M23 a pourtant réussi à mobiliser l’attention des médias. Le mouvement a été créé par Ntaganda et un certain nombre d’autres transfuges de l’armée congolaise. Recherché par la CPI pour crimes de guerre, Ntaganda a commencé par coopérer avec les autorités congolaises avant de rompre cette alliance et de créer avec d’autres, moins de deux ans plus tard, le M23. Le groupe doit son nom à l’accord du 23 mars 2009 entre le Gouvernement et une autre milice armée, le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), accord dont le M23 prétend qu’il n’a pas été honoré.

Dans un conflit aussi long où le chaos semble la règle et où les espoirs sont souvent déçus, il est difficile de distinguer un quelconque signe d’espoir. Il y a seulement quelques mois  presque personne à Kinshasa n’aurait parié sur la fin du cauchemar. Les journalistes et les organismes d’aide qui travaillent dans des situations de conflit tendent à exagérer le nombre de victimes civiles, mais les chiffres brandis à propos des guerres en RDC – entre deux et trois millions de morts – semblent plutôt sous-estimer l’ampleur de la tragédie. 

Personne ne doute cependant que la situation en RDC sera plus claire si l’on supprime le M23 de l’équation ni que cette opération sera un indicateur fiable d’un tournant positif pris par le pays. Et c’est la raison pour laquelle les analystes espèrent aussi que le M23 sera la première cible de la brigade d’intervention.