30 décembre 2014

L’année 2014 marque le vingtième anniversaire de l’entrée en vigueur de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (la « Convention1 ») qui a été ratifiée par un grand nombre d’États parties. Le 16 novembre 2014, elle en comptait 166, dont l’Union européenne.

Durant la commémoration de cet anniversaire, le 9 juin 2014, lors  de la vingt-quatrième réunion des États Parties, le Secrétaire  général des Nations Unies a décrit la Convention comme l ’un des instruments multilatéraux les plus importants et les plus  visionnaires du XXe siècle. Il a fait remarquer qu’en tant que « Constitution pour les océans », il était largement admis que la plupart de ses dispositions reflétaient le droit international coutumier et qu’elle avait montré sa nature dynamique par sa capacité à relever les nouveaux défis. Les délégations ont souligné qu’elle établissait le cadre juridique régissant toutes les activités touchant les mers et les océans et ont mis en valeur sa nature universelle et unifiée. Elles ont également noté qu’elle représentait l’un des traités internationaux les plus efficaces et ont rendu hommage à ceux qui l’avaient élaborée, en particulier à l’Ambassadeur de Malte Arvid Pardo2.

Les négociations qui ont conduit à son adoption en 1982 ont été complexes et longues, mais elles ont été exemplaires du point de vue de la diplomatie multilatérale. Elles ont débuté en 1967 sur l’initiative de l’Ambassadeur Pardo qui a demandé à l’Assemblée générale d’examiner « la question de l’affectation, à des fins exclusivement pacifiques, du lit des mers et des océans ainsi que de leur sous-sol, en haute mer, au-delà des limites de la juridiction nationale actuelle, et de l’exploitation de leurs ressources dans l’intérêt de l’humanité ». Un comité spécial a été établi par l’Assemblée cette même année. Ce comité est devenu un an plus tard le Comité spécial chargé d’étudier les utilisations pacifiques du lit des mers et des océans au-delà des limites de la juridiction nationale (le « Comité des fonds marins »).

En 1970, l ’Assemblée générale a déclaré que les lits des mers, les fonds marins et leur sous-sol au-delà des limites de leur juridiction nationale, ainsi que les ressources de cette zone, étaient le patrimoine commun de l’humanité3. La Comité des fonds marins est ensuite devenu un Comité préparatoire pour la Troisième Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOS III).

En convoquant cette Conférence, l’Assemblée générale a reconnu que les problèmes de l’espace océanique étaient étroitement liés et devaient être considérés dans leur ensemble. Lorsque l ’UNCLOS III a débuté ses travaux en 1973, elle avait donc devant elle, en plus des propositions soumises également par la Conférence, une longue liste de questions ainsi qu’un grand nombre de propositions et leurs variantes4 préparées par le Comité des fonds marins.

L’UNCLOS III avait donc pour tâche de créer un processus de négociation5 qui lui permet trait de traiter la complexité des problèmes posés, d’élaborer une convention, de parvenir à un consensus entre un grand nombre d’États aux intérêts divergents et de mettre au point un texte préparatoire. Les négociateurs étaient également conscients de l’incapacité de l’UNCLOS I et II, respectivement en 1958 et 1960, de se mettre d’accord sur les limites extérieures de la mer territoriale et de la zone de pêche.

Sur le constat que les problèmes de l’espace océanique étaient étroitement liés et devaient être considérés dans leur ensemble, un compromis général6 a été trouvé qui a abouti à la formulation d’un règlement intérieur de la Conférence et à l’accord de prendre des décisions sur la base d’un consensus. En raison des intérêts divergents des États sur des questions d’une telle importance, la Conférence a reconnu qu’un vote à la majorité absolue ne permettrait pas d’instaurer un cadre juridique durable. Le règlement intérieur adopté par la Conférence en 1974 s’est donc écarté du modèle généralement applicable aux conférences des Nations Unies concernant la prise de décisions7. Il a intégré un « Accord informel », approuvé par l’Assemblée générale en 1973, qui stipulait que la Conférence ne devait ménager aucun effort pour parvenir à un accord sur les questions de fond par voie de consensus et qu’aucun vote n’aurait lieu sur ces questions tant que tous les efforts en vue d’aboutir à un accord n’auraient pas été épuisés. Avant qu’une question importante ne soit soumise à un vote, une majorité des deux tiers des représentants présents et votant, y compris une majorité des États participant à cette session de la Conférence, devaient s’assurer que tous les efforts pour parvenir à un consensus avaient été infructueux8.

Bien que l’UNCLOS III n’ait pas inventé le consensus comme règle de la prise de décision, pour la première fois une grande conférence internationale adoptait et mettait en place un mécanisme de consensus qui était, et est toujours, une contribution unique à la prise de décision mondiale9.

Une autre nouvelle procédure, introduite lors de l’UNCLOS III, qui s’écartait des procédures traditionnelles des conférences intergouvernementales des Nations Unies chargées à cette époque de la codification, a été la convocation d’une conférence sans un projet de texte de négociation.

Face aux nombreuses propositions et à leurs variantes, les premières initiatives prises par la Conférence ont visé à réduire autant que possible le nombre de textes qui lui étaient présentés sur chaque sujet ou sur chaque question10. La conférence a établi trois grandes commissions chargées d’examiner les sujets couverts par le Comité des fonds marins. En outre, de nombreux groupes internationaux composés d’États partageant les mêmes points de vue sur des intérêts purement géographiques se sont constitués pour traiter un certain nombre de questions11. Par exemple, les groupes des États côtiers et des États sans littoral et celui des pays géographiquement défavorisés ont été composés d’États développés et d’États en développement, marquant le début du processus de partenariat12. En plus des groupes d’intérêts et des groupes régionaux traditionnels, des groupes de négociation informels ont été également formés.

La Conférence s’est également vu confier une grande responsabilité dans le « Collège », à savoir le Président de la Conférence, les présidents des trois grandes commissions, le Président du Comité de rédaction et le Rapporteur général.

En 1975, à la demande de la Conférence, chacun des présidents des trois grandes commissions a établi un texte unique de négociation portant sur les questions dont était chargée leur commission respective, l’ensemble de ces textes constituant le texte unique de négociation officieux. Par la suite, le Président de la Conférence a soumis un texte sur la question du règlement des différends. Bien qu’agissant à la demande de la Conférence, le Président et les présidents des commissions n’avaient reçu aucune instruction concernant le contenu des textes et étaient libres de choisir parmi les différentes propositions ou de rédiger leur propre texte13.

Les textes uniques de négociation révisés suivants ont été préparés par le Président et les présidents des commissions et reflétaient les tendances de la Conférence. Le pouvoir qui leur était conféré était considérable, car ensuite il n’était pas facile pour les délégations de modifier le texte et la décision de le réviser était en grande partie laissée au Président et aux présidents des commissions – une pratique sans précédent aux Nations Unies14.

En 1977, après que le Collège eut établi un texte de négociation composite officieux, qui consolidait en un seul document tous les projets d’articles, sept groupes de négociations spécifiques ont été constitués pour résoudre les questions essentielles en suspens. Il a été convenu que le Collège n’apporterait aucun changement au texte à moins que le changement proposé n’ait recueilli un large soutien. La Conférence a donc pu veiller à la cohésion de l’ensemble jusqu’à ce que tous les éléments soient en place15.

En avril 1982, la Conférence a établi que tous les efforts en vue de parvenir à un consensus avaient été épuisés. À la fin de cette session, un vote enregistré sur le projet de convention et les résolutions a eu lieu à la demande des États-Unis d’Amérique. Le projet de convention a été adopté le 30 avril 1982 par 130 voix contre 4 et 17 abstentions. La Convention a ensuite été ouverte à la signature le 10 décembre 1982 et a recueilli 117 signatures. On n’avait jamais vu un tel soutien le premier jour de l’ouverture à la signature d’un traité16. Il était même remarquable qu’aucune réserve ni exception n’ait été faite à la Convention à moins qu’elle n’ait été expressément autorisée par d’autres articles de la Convention.

Les avantages du processus de négociation utilisé pendant l’UNCLOS III se font encore sentir aujourd’hui. Généralement, les États jugent la conduite de chaque État en faisant référence aux dispositions de la Convention, même si un État n’est pas partie à la cette dernière17. De plus, si la méthode de consensus à l’UNCLOS III impliquait que chaque État devait faire des compromis, les États n’avaient pas officiellement proposé la reprise de l’examen des dispositions spécifiques de la Convention. Par ailleurs, cette méthode de consensus a continué d’être appliquée dans les négociations sur les questions liées aux océans et au droit de la mer lors de la Réunion des États parties à la Convention et de l’Assemblée générale des Nations Unies. L’Accord aux fins d’application des dispositions de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982 relatives à la conservation et à la gestion des stocks de poissons chevauchants et de grands migrateurs en est un exemple. Il a été adopté par consensus par l’Assemblée générale en 199518.

Notes

1  Nations Unies, Recueil des traités, vol. 1833, n° 31363.

2  Rapport de la Vingt-quatrième Réunion des États Parties, New York, 9-13 juin 2014 (SPLOS /277), p. 4/21. Voir aussi Nations Unies, Les trente ans de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer : réflexions (New York, Nations Unies, 2013).

3  Résolution 2749 (XXV) de l’Assemblée générale.

4  Document A/CONF.62/29 dans La Troisième Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer, documents officiels, vol. III (New York Nations Unies 1975), p. 59-61

5  Il existe de nombreux articles sur le processus de négociation pendant l’UNCLOS III. Pour une présentation complète du processus de négociation de la Conférence, voir Tommy T.B. Koh et Shanmugam Jayakumar, « The Negotiating Process of the Third United Nations Conference on the Law of the Sea » dans la Convention des Nations Unies sur le droit à la mer 1982 : un commentaire, vol. 1, Myron H. Nordquist, dir. (Dordrecht, Martinus Nijhoff Publishers), p.29-134 (54).

6  Alan Beesley, « The Negotiating Strategy of UNCLOS III : Developing and Developed countries as Partners–A Pattern for Future Multilateral International Conferences? », Law and Contemporary Problems, vol. 46, n° 2 (printemps 1983), p. 183-194 (185).

7  Koh and Jayakumar, p. 99. Voir aussi note 5 ci-dessus.

8  A/CONF.62/30/Rév .3.

9  Albert W. Koers, « The Third United Nations Conference on the Law of the Sea–some remarks on the contribution towards the making of international law » dans International Law and Its Sources: Liber Amicorum Maarten Bos, P. Heere, dir. (La Haye, Pays-Bas, T.M.C. Asser Institute 1989), p. 28.

10 Constantin A. Stavropoulos, « Statement by C.A. Stavropoulos, Procedural Problems of the Third Conference on the Law of the Sea », dans la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer 1982 : un commentaire, p. lxiii.

11 Pour une liste complète des groupes, voir Koh et Jayakumar, p. 55.

12 Beesley, p. 186.

13 Koers, p. 29.

14 Koh et Jayakumar, p. 56.

15 Bernardo Zuleta, « Introduction », dans Le droit de la mer. Convention des Nations Unies sur le droit de la mer avec annexes et Acte final de la Troisième Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer (New York, St. Martin’s Press, publié en coopération avec les Nations Unies (numéro de vente n° E.83.V.5, 1983), p. xxiv.

16 Id.

17 Koers, p. 43.

18 Nations Unies, Recueil des traités, vol. 2167, n° 37924.

 

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