15 avril 2020 — La pandémie de COVID-19 exacerbe les vulnérabilités de millions de migrants, de déplacés internes et de réfugiés, des personnes particulièrement à risque qu’il est urgent de protéger face à la progression planétaire du coronavirus, avertissent les Nations Unies en appelant à une solidarité accrue avec ces populations et les communautés d’accueil. 

L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) estime à environ 272 millions le nombre de migrants internationaux dans le monde, tandis que les déplacements internes affectent aujourd’hui plus de 41,3 millions de personnes. Le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) dénombre par ailleurs 25,9 millions de réfugiés, dont 57% sont originaires de trois pays : la Syrie, l’Afghanistan et le Soudan du Sud.

Quel que soit leur statut migratoire, leur sort face à la maladie est source de préoccupation pour l’ONU.  « Les trois quarts des réfugiés et de nombreux migrants à travers le monde se trouvent dans des régions en développement où les systèmes de santé sont souvent insuffisants et déjà surchargés », relèvent l’OIM et le HCR dans un récent message lancé conjointement avec l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH).

Respect des droits de l’homme

« Cette maladie ne peut être contrôlée que si une approche inclusive est adoptée pour protéger les droits de chaque individu à la vie et à la santé », assurent les quatre institutions onusiennes, non sans faire observer qu’agir de la sorte permettra aux gouvernements de mieux contrôler la propagation du virus. Elles exhortent par conséquent les pays à inclure les migrants et les réfugiés dans leur réponse nationale à la COVID-19, y compris dans les phases de prévention, de tests et de traitement.

Alors que, dans un nombre croissant de pays, les frontières se ferment et les limitations de mouvement se généralisent, les agences onusiennes font également valoir que ces mesures doivent être mises en œuvre dans le plein respect des droits de l’homme et des normes internationales de protection des réfugiés, en tenant compte notamment du principe de non-refoulement.

« Des solutions existent », a insisté Filippo Grandi, Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés. « Si des risques sanitaires sont identifiés, des systèmes de dépistage peuvent être mis en place ainsi que des tests, le placement en quarantaine et d’autres mesures. Ces dispositifs permettront aux autorités de gérer l’arrivée des demandeurs d’asile et des réfugiés en toute sécurité », a-t-il expliqué, souhaitant que l’on n’oublie pas « les personnes qui fuient les guerres et la persécution ».

Dans le cadre du Plan mondial de réponse humanitaire à la COVID-19, les entités des Nations Unies sont mobilisées pour prévenir et contenir la propagation de la maladie parmi ces populations. Des hommes et des femmes qui, pour une large part, vivent dans des campements surpeuplés ou des zones urbaines pauvres, où elles n’ont qu’un accès limité aux services de santé, à l’eau potable et aux systèmes d’assainissement.

En Europe, situation d’urgence en Grèce et en Bosnie

Début avril, l’OIM a lancé une alerte sur la situation critique des centres d’accueil pour migrants situés en Grèce. Dans l’installation de Ritsona, à 75 km d’Athènes, 23 des 2 700 personnes abritées ont été testées positives à la COVID-19. Le centre a été placé en quarantaine pour 14 jours, tandis que des tests et des traçages de contacts continuent d’être opérés.

Pour Gianluca Rosso, chef de la mission de l’OIM en Grèce, « le risque pèse sur tout le monde ». Les migrants et les réfugiés, au nombre de 25 000 en Grèce continentale, « sont aussi susceptibles d’être infectés par le virus que les communautés locales ». Il importe donc que ces populations, y compris celles accueillies dans des centres insulaires, aient un accès égal aux services de santé, a-t-il affirmé, plaidant pour l’inclusion des migrants dans la réponse de la Grèce à la pandémie.

Dans l’immédiat, l’OIM distribue des vivres aux résidents du centre de Ritsona, privés de contacts avec l’extérieur. Avec le soutien de l’Union européenne (UE), l’agence leur fournit également du savon et des produits désinfectants, en observant des conditions strictes de sécurité. Parallèlement, les autorités grecques ont créé des espaces d’isolement dans l’ensemble des centres.

Aujourd’hui, la menace de la COVID-19 rend « plus urgente encore » la décongestion des camps pour migrants situés dans cinq îles de la mer Egée, a estimé M. Rosso. A cette fin, l’OIM contribue à la création de nouvelles capacités d’accueil sur le continent, tout en mettant en place, avec l’appui de l’UE et du gouvernement grec, un mécanisme de retour pour les personnes volontaires. Elle lance aussi un appel à la solidarité européenne, notamment pour la prise en charge des enfants non accompagnés.

Plus au nord, 5 500 personnes sont actuellement abritées dans des centres d’accueil pour migrants et réfugiés en Bosnie-Herzégovine.  Avant de rejoindre ce pays d’Europe centrale, elles ont voyagé des mois voire des années pour fuir les violences en Afghanistan, au Pakistan et en Syrie, dont une majorité sont originaires. Maintenant, elles se retrouvent confrontées à la menace du coronavirus.

Selon l’OMS, le nombre de cas confirmés de COVID-19 a doublé dans le pays en l’espace de deux semaines, s’élevant à présent à 1 034. Face à la hausse des contaminations, dont le pic n’est pas attendu avant plusieurs semaines, les autorités ont décrété un couvre-feu national, fermé les établissements scolaires et imposé des restrictions de mouvement, notamment dans les centres d’accueil.

Pour s’assurer que les occupants de ces sites sont protégés, le HCR et l’OIM sont aidés par des équipes de l’OMS et des agences en charge de la population (UNFPA) et de l’enfance (UNICEF). En coopération avec le ministère bosnien de l’éducation et avec le soutien de l’UE, cette dernière et l’ONG Save the Children ont mis en place des cours en ligne pour les enfants des centres de Borići, Sedra et Bira.

Soucieuse de prévenir l’arrivée du virus dans ces centres, l’OIM a installé des distributeurs de désinfectant et fait fermer les cuisines communautaires, tout en diffusant localement des consignes d’hygiène. Au centre de Borići, qui accueille 350 migrants, des femmes se sont mises à fabriquer des masques avec des bouts de tissu. Avec le concours de l’ONG Žene sa Une, le HCR leur a fourni des machines à coudre et des draps de l’hôpital voisin pour qu’elles fassent bénéficier tout le centre de leur production.  

Dans l’Afrique de l’Est et des Grands Lacs, les réfugiés en sursis

Bien qu’à ce jour aucun cas de COVID-19 ait été détecté au sein de l’immense population de réfugiés et de déplacés internes de l’Est et de la Corne de l’Afrique ainsi que de la région des Grands Lacs, le HCR estime urgent de se préparer au risque.

La menace que fait peser cette épidémie vient en effet s’ajouter à des conditions d’urgence dans cette partie du continent « où 60% des réfugiés subissent des réductions de leurs rations alimentaires en raison du sous-financement », a rappelé Babar Baloch, porte-parole de l’agence, lors d’un point de presse virtuel. Une situation que les ruptures régulières de la chaîne d’approvisionnement dues aux restrictions de circulation pourraient encore aggraver. 

En réponse à ces contraintes, les équipes du HCR ont fourni aux réfugiés de ces régions d’importantes quantités de nourriture afin de réduire la fréquence des distributions et les risques posés par les files d’attente. En Éthiopie, l’approvisionnement en eau et en savon dans les camps a été augmenté et des stations de lavage des mains installées. Des mesures similaires ont été prises dans les camps de réfugiés de Tanzanie et d’Ouganda ainsi que dans les abris pour déplacés de Somalie. 

Au Soudan, plus de 320 000 personnes – réfugiés, déplacés et membres des communautés d’accueil – ont reçu du savon et d’autres articles d’hygiène. Dans l’est de ce pays, les nouveaux réfugiés font l’objet d’une prise de température à leur arrivée et sont suivis pendant deux semaines afin de détecter d’éventuels symptômes. A Djibouti, de nouveaux abris ont été fournis à plus de 4 500 réfugiés et demandeurs d’asile, une mesure destinée à faciliter l’éloignement physique dans les villages surpeuplés d’Ali Addeh et de Holl-Holl.

Parallèlement, des campagnes de prévention de grande échelle sont menées par le HCR dans les camps de réfugiés et les sites pour déplacés internes de République démocratique du Congo et du Burkina Faso, deux pays où plusieurs centaines de cas de COVID-19 ont déjà été recensés.

En Jordanie, vigilance dans les camps de réfugiés syriens

La Jordanie compte sur son sol 656 000 réfugiés syriens qui ont fui la guerre dans leur pays. Ces populations sont pour partie abritées dans les camps de Zaatari et Azraq, mais la plupart vivent dans des communautés d’accueil jordaniennes. Toutes ces personnes sont aujourd’hui soumises au couvre-feu national instauré pour empêcher la propagation de la maladie.

Jusqu’à présent, aucun cas de COVID-19 n’a été décelé parmi les réfugiés syriens, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur des camps. Ces derniers jours, 150 tests (EN) ont été pratiqués à Zaatari, avec le concours du HCR, et tous se sont révélés négatifs. A Azraq, 70 personnes ont été placées en quarantaine. Des dispositions sont prises pour isoler tout cas suspect et l’évacuer en ambulance vers les hôpitaux voisins de Mafraq et de Zarqa. Des contrôles de la température sont par ailleurs effectués aux entrées des deux camps.

Malgré ces efforts de préparation, le personnel local du HCR est conscient du défi que représente le contrôle de l’infection alors que l’hygiène et l’assainissement sont loin d’être optimaux. « Les enfants sont majoritaires parmi la population et il est difficile de leur faire comprendre la nécessité de l’isolement et du lavage renforcé des mains », explique Mohammad Tahir, chargé des relations extérieures du HCR.  Dans un tel environnement, dit-il, « si nous avons des cas, il sera très difficile de les maîtriser ».

Lorsque le confinement a été décrété au niveau national, les 32 écoles de Zaatari ont été fermées. Les cours destinés aux plus de 18 000 élèves inscrits sont désormais diffusés sur une chaîne de télévision utilisée par les écoliers et étudiants de tout le pays. Pour répondre à la demande des familles cloîtrées dans leurs abris toute la journée, le HCR et les autorités du camp ont augmenté la fourniture d’électricité aux ménages de huit à plus de 12 heures par jour.

L’inquiétude grandit pour les réfugiés et migrants du Venezuela

Si la pandémie de COVID-19 a mis une partie du monde à l’arrêt, la crise humanitaire liée à l’afflux de migrants, réfugiés et demandeurs d’asile vénézuéliens dans les pays de la région ne cesse de prendre de l’ampleur. Selon la plateforme régionale interagences de coordination (R4V), dirigée par le HCR et l’OIM, ces personnes étaient au nombre de 4,93 millions le 5 mars dernier. Plus de 1,8 million d’entre elles se trouvent aujourd’hui en Colombie.    

Début avril, Eduardo Stein, représentant spécial du HCR et de l’OIM pour les réfugiés et migrants du Venezuela, a appelé la communauté internationale à « renforcer son soutien aux programmes humanitaires, de protection et d'intégration dont dépendent la vie de millions de personnes ».

Pour les deux agences onusiennes, ce financement d’urgence est d’autant plus nécessaire que le plan régional lancé en novembre 2019 pour venir en aide à ces populations n’a reçu que 3% des fonds demandés. Or la pandémie vient aggraver la situation déjà désespérée de ces personnes et celle des communautés d’accueil. Dans l’immédiat, la plateforme R4V leur fournit des produits essentiels, en coordination avec l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).  

Tout en s’efforçant de respecter les mesures de distanciation physique, les partenaires humanitaires effectuent des campagnes d’information et de prévention dans les principaux sites où sont hébergés les réfugiés et les migrants. Ils veillent aussi à ce que ces personnes, présentes dans 17 pays, disposent d’eau potable et de savon, et aient accès à des services d’assainissement.

« Les organisations travaillent sans relâche pour trouver des moyens innovants qui leur permettent de continuer à soutenir les personnes les plus vulnérables dans le contexte actuel », ont indiqué les deux agences coordinatrices, qui aident en outre les autorités nationales à mettre en place des espaces d’observation et d’isolement pour les cas potentiellement positifs de COVID-19.

En Asie, fortes craintes pour les réfugiés rohingya au Bangladesh

Au Bangladesh, plus de 800 cas déclarés de COVID-19 ont déjà été recensés. Pour répondre à la menace de propagation, le gouvernement a imposé un confinement total à sa population. La mesure concerne aussi les réfugiés en provenance du Myanmar voisin, dont plus d’un million vivent entassés dans le district de Cox’s Bazar.  

Si une famille rohingya revenue d’Inde récemment a été placée en quarantaine dans un camp de transit de l’ONU, aucun cas de COVID-19 n’a encore été signalé parmi ces populations extrêmement fragiles. Le risque est grand cependant que le virus s’y diffuse.

Dans le camp de Kutupalong, l’un des plus peuplés au monde, situé au cœur de Cox’s Bazar, le HCR participe aux actions de préparation menées par les autorités locales pour endiguer, autant que possible, l’avancée de la pandémie. Face à ce qu’elle qualifie de « course contre la montre », l’agence contribue notamment à la construction d’un centre d’isolement pouvant accueillir jusqu’à 200 personnes, issues du camp comme des communautés locales.

D’autres installations de ce type sont en cours de montage dans le district, avec le soutien du gouvernement et de partenaires humanitaires. Le HCR prépare également l’arrivée de 1 200 lits supplémentaires à l’extérieur des camps d’Ukhiya et de Teknaf, tandis que l’UNICEF et l’ONG Save the Children prévoient d’en faire venir 1 700. 

De son côté, l’OIM met l’accent sur l’information des populations face aux risques de propagation du virus. L’agence a ainsi formé 600 membres de ses équipes à la reconnaissance des symptômes cliniques de la maladie et à la prévention de sa transmission. Deux de ses vidéos de sensibilisation, diffusées en bengali sur les réseaux sociaux, ont été vues plus de 70 000 fois.

Au-delà du Bangladesh, l’OIM s’emploie à faire rayonner cet effort d’information. Elle a ainsi fait traduire des documents de prévention à destination des communautés de langue bengali en Malaisie, au Vanuatu, à Bahreïn et aux Maldives.