7 avril 2020 — Associées aux pressions économiques et sociales que provoque la pandémie de COVID-19, les restrictions de mouvement entraînent une hausse alarmante des violences domestiques dans le monde, constatent les Nations Unies, qui appellent les pays à lutter contre cet effet pervers du confinement et de la distanciation sociale dans le cadre de leur plan d’action contre la maladie.

La crise actuelle augmente les tensions au sein des ménages et, par voie de conséquence, les risques de violence domestique pour les femmes et les filles, souligne le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA) dans son dernier rapport sur l’égalité des genres. Observant que le foyer n’est pas toujours un lieu sûr pour ces dernières, il met en garde contre l’affaiblissement des systèmes de protection et préconise des mesures spécifiques face aux changements imposés par le coronavirus.

« Malheureusement, de nombreuses femmes et jeunes filles se retrouvent particulièrement exposées à la violence précisément là où elles devraient en être protégées. Dans leurs propres foyers », a lui aussi alerté dimanche le Secrétaire général de l’ONU dans un message vidéo.

« C'est la raison pour laquelle je lance aujourd'hui un nouvel appel pour la paix à la maison, dans les foyers, à travers le monde entier », a ajouté Antonio Guterres, faisant état d’une « horrible flambée de violence domestique » ces dernières semaines.

Tous les pays sont concernés

Le phénomène est en effet planétaire et affecte tout autant les pays riches que ceux en développement. Aux États-Unis, la National Domestic Violence Hotline a indiqué recevoir une majorité d’appels en lien avec la COVID-19, tandis qu’en Australie, les recherches en ligne d’aide contre la violence domestique s’envolent. En France, le ministère de l’intérieur parle d’une progression de plus de 30% des violences conjugales depuis le début du confinement.

Parallèlement, le nombre d’appels aux lignes d’assistance téléphonique de pays comme la Malaisie et le Liban ont doublé par rapport aux chiffres de l’an dernier. En Chine, ils ont même triplé, selon le magazine en ligne chinois The Sixth Tone, cité par l’Entité des Nations Unies pour l’égalité de sexes et l’autonomisation des femmes (ONU Femmes). En Inde, la Commission nationale pour les femmes signale un doublement des plaintes lors de la première semaine de restrictions.

Aggravée en période de crise, la violence physique ou sexuelle touche, en moyenne, une femme sur trois. Le plus souvent, elle est infligée par le partenaire intime, précise l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), qui note que ces actes ont des conséquences lourdes pour la santé des femmes. Les victimes sont deux fois plus susceptibles de subir un avortement ou de sombrer dans la dépression. Dans certaines régions, le risque de les voir contracter une maladie sexuellement transmissible comme le VIH/sida est multiplié par 1,5.

Les États appelés à réagir

Si les mesures de confinement et de quarantaine sont nécessaires pour venir à bout de la COVID-19, elles peuvent aussi « piéger les femmes avec des partenaires violents », a reconnu le chef de l’ONU en engageant « tous les gouvernements à prendre des mesures de prévention de la violence contre les femmes et à prévoir des recours pour les victimes dans le cadre de leur plan d'action national » face à la pandémie.

M. Guterres a notamment demandé la mise en place de « systèmes d'alerte d'urgence dans les pharmacies et les magasins d'alimentation », seuls commerces encore ouverts dans nombre de pays. Il importe, selon lui, que les femmes « puissent demander de l'aide de manière sûre, sans que ceux qui les maltraitent s’en rendent compte ».

Dans un appel en cinq points lancé aux gouvernements, ONU Femmes estime essentiel de s’assurer que les lignes d’assistance téléphonique et les services pour toutes les victimes de violence domestique soient considérés comme des « services essentiels » et soient maintenus ouverts.  Faits et chiffres à l’appui, l’institution onusienne demande aussi aux États de veiller à ce que les forces de l’ordre soient sensibilisées à la nécessité de réagir vite aux appels des victimes.

ONU Femmes invite d’autre part les pays à s’inspirer de l’exemple des provinces canadiennes du Québec et de l’Ontario, qui ont inclus des abris pour les femmes victimes dans la liste des services essentiels. « Cette mesure évitera que la pandémie ne mène par inadvertance à davantage de traumatismes, de blessures et de décès durant la période de quarantaine, étant donné la forte proportion de femmes assassinées par leur partenaire intime », assure Anita Bhatia, directrice exécutive adjointe de l’agence.

Une réponse compliquée par la surcharge des services

Les chiffres collectés par l’ONU donnent une indication de l’ampleur du problème.  Ils ne couvrent cependant que les pays où des systèmes de contrôle sont en place. A mesure que le virus se propage dans des pays aux institutions déjà faibles, certaines informations et données risquent de se raréfier, alors que la vulnérabilité des femmes et des filles ira croissante.

La réponse à la montée de la violence domestique est aussi compliquée par le fait que les différents services des pays sont aujourd’hui soumis à une pression énorme face aux exigences de la lutte contre la COVID-19, dont la propagation se poursuit à un rythme exponentiel.

Dans de nombreux pays, « le personnel de santé et la police sont débordés et en sous-effectif », a relevé M. Guterres. « Les groupes d’appui locaux sont paralysés ou manquent de ressources. Certains centres d’hébergement des victimes ont dû fermer leurs portes, d’autres sont pleins ».

Face à une telle saturation, le Secrétaire général de l’ONU préconise un investissement accru dans les services en ligne et les organisations de la société civile. Il demande en outre aux États de veiller à ce que leur appareil judiciaire continue de poursuivre les coupables.

L’ONU multiplie les actions

Soucieuse de briser les stéréotypes de genre qui se retrouvent dans tous les foyers, ONU Femmes invite les hommes du monde entier à se joindre à sa campagne HeforShe@home, qui vise à alléger le fardeau des tâches domestiques et des responsabilités qui incombent aux femmes de manière disproportionnée.

L’agence prête également assistance à des autorités nationales et locales, notamment en Argentine, où, par le biais de l’initiative Spotlight, soutenue par l’Union européenne et les Nations Unies, elle contribue à assurer un service continu aux victimes de violence domestique.

De leur côté, les équipes de pays de l’ONU s’attachent à faire en sorte que les besoins des femmes soient reflétés dans les réponses locales à la COVID-19. Au Guatemala, par exemple, le personnel s’emploie à prévenir la violence à l’égard des femmes et des filles en ces temps de confinement, conscient que l’Amérique centrale a l'un des taux de féminicide les plus élevés au monde.

En Géorgie, pays où le niveau des violences domestiques reste un problème majeur, ce sont les pères qui sont mis à contribution via le projet MenCare (EN) initié par le UNFPA. Alors que les écoles sont fermées et que l’état d’urgence a été décrété le 21 mars, ils partagent des vidéos les montrant en train de lire des histoires à leurs enfants. Un geste destiné à encourager les hommes à jouer un rôle plus actif dans leur famille, précise le fonds onusien.

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