Laurence Niyonangira, Survivante du génocide. Photo/Manuel Elías

Le génocide de 1994 contre les Tutsis au Rwanda a laissé des questions sans réponses dans toute la société. Comment vivre avec ce que j’ai vu ? Comment puis-je vivre avec ce que j’ai fait ? Qui suis-je sans ma communauté ?

Il ne restait qu’une seule option : aller de l’avant.

Aujourd’hui, le Rwanda témoigne de la puissance de la réconciliation post-génocide. Parmi les histoires d’espoir, celle de Laurence, une survivante, et de Xavier, l’assassin de sa famille, qui vivent désormais en amis. Découvrez leur parcours, l’impact des discours de haine et comment vos actions peuvent faire la différence.

Xavier Nemeye, Auteur réformé du génocide. Photo/Manuel Elías

100 jours de terreur

  • 100 jours de génocide contre les Tutsis au Rwanda en 1994
  • Environ 1 million de personnes tuées, principalement des Tutsis mais aussi des Hutus et des Twas modérés
  • Un quart de million de personnes violées et abusées sexuellement
  • Plus de 120 000 d'auteurs reconnus coupables des meurtres

Le saviez-vous?

Le mot « génocide » a été inventé pour la première fois par l’avocat polonais Rafał (Raphael) Lemkin, à la suite de l’Holocauste. Il a mené la campagne pour que le génocide soit reconnu et codifié comme crime international.

Déterminer si un génocide a eu lieu est une question juridique. Seul un tribunal compétent pour juger de telles affaires peut prendre la décision, après examen de tous les faits.

Laurence Niyonangira a survécu au génocide.

Mais 37 de ses proches ont été tués. Elle avait 20 ans.

Ceux qui tuent des innocents ne profitent en rien de leurs crimes », affirme aujourd’hui Laurence.

La propagande alimente la haine

Grande et mince, Laurence se souvient que des élèves hutus à l’école la narguaient en lui disant qu’ils la « redimensionneraient », faisant écho au stéréotype vicieux selon lequel les Tutsis étaient « trop grands ».

Vies perdues

Son père avait autrefois donné des vaches à des voisins hutus, dans l'espoir de semer des graines d'amitié. Mais quand le génocide a commencé en avril 1994, ils l’ont tué.

Fuir pour la sécurité

Laurence a fui son village en portant un enfant sur son dos et en étant enceinte d'un autre. À un poste de contrôle, prise d’horreur, elle a supplié les soldats de la tuer, mais ils ont refusé de « gaspiller » une balle sur une femme enceinte.

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Un jeune Hutu et un ami de la famille l'ont accueillie, lui ont donné de la nourriture et un abri jusqu'à ce qu'elle puisse marcher vers le sud jusqu'à un camp de réfugiés de l'autre côté de la frontière avec le Burundi.

Alors que Laurence s'enfuyait avec ses enfants, elle a promis à Dieu que s'ils survivaient, elle pardonnerait un jour aux meurtriers.

Des années plus tard, toujours emprisonné, Xavier écrivit à Laurence pour lui avouer le meurtre de sa mère et de ses sœurs et lui demander pardon.

C'était la première fois que Laurence avait de leurs nouvelles, et le choc et le chagrin l'ont plongée dans une longue dépression. « Cela m’a fait perdre tout espoir qu’ils aient survécu. Mais je me suis souvenue de ma promesse de pardonner ».

Arbre généalogique de Laurence Niyonangira

Xavier Nemeye avait 30 ans lorsqu'il a participé au génocide.

Je n'ai jamais rien vu d'aussi tragique et terrible. Tout le monde est perdant », réfléchit-il. « Je partage mes histoires avec les jeunes pour qu’ils puissent créer un avenir différent. » — Xavier Nemeye

Des années de propagande

Au printemps 1994, Xavier avait été influencé par des années de propagande contre les Tutsis, sanctionnée par le gouvernement de l'époque. Xavier a cru à ces mensonges bien que sa mère soit tutsie – un secret qu’elle a caché en épousant un Hutu – et bien qu’il soit ami avec des familles tutsies.

Violence

En avril 1994, Xavier rejoint 15 jeunes hommes qui récupèrent des outils agricoles comme armes. Ils ont trouvé une femme tutsie et deux de ses filles – la mère et les sœurs de Laurence – et les ont battues à mort dans une petite tranchée utilisée pour faire mûrir les bananes.

Honte

Accablé par la honte de ce qu'il avait fait, Xavier rentra chez lui pour protéger sa mère des agresseurs potentiels. Il ne lui a jamais raconté les détails de ses crimes.

Emprisonnement et culpabilité persistante

Emprisonné pendant des années après le génocide, Xavier a avoué sa culpabilité et a été libéré. Mais il pense constamment à ce qu'il a fait.

Nous étions entraînés à nous considérer les uns les autres comme des ennemis, et non à construire une relation. C'était déshumanisant. La réconciliation et le pardon vous rappellent que chaque vie a de la valeur ». — Xavier Nemeye
En tant que survivants, nous ne pouvons panser nos blessures qu’avec ceux qui les ont créées ». — Laurence Niyonangira

Unis par le pardon

Lorsque Laurence a rencontré Xavier pour la première fois après le génocide, la peur était paralysante : « J'avais tellement peur que même si je lui pardonnais, il reviendrait et me tuerait », se souvient-elle. Les réunions communautaires et les séances avec les chefs religieux ont apaisé les tensions.

Xavier a commencé à l'aider dans les tâches ménagères, ce qu'elle considérait comme une preuve de son véritable repentir. Xavier et elle se décrivent aujourd'hui comme des amis qui se retrouvent lors des fêtes de famille et se prêtent de petites sommes en cas de besoin.

Les villages sont le fruit d'un partenariat entre Prison Fellowship Rwanda et le gouvernement du Rwanda, avec le soutien de la communauté internationale.

Uniques au Rwanda, les villages font partie des efforts collectifs déployés par le pays pour panser les plaies et combler les fossés.

Des milliers de survivants du génocide vivent à côté des auteurs réformés dans huit Villages Unité et Résilience à travers le Rwanda.

Leurs enfants et petits-enfants vont à l’école et jouent ensemble, vivant comme des « Rwandais ».

Laurence et Xavier vivaient dans le Village Unité et Résilience de Mbyo.

Justice après le génocide

Xavier fait partie des plus de 120 000 personnes accusées et jugées pour participation aux massacres génocidaires. Certains auteurs sont toujours en fuite. De nouveaux sites de sépulture collective continuent d'être découverts. Des gens sont toujours portés disparus.

Tribunal pénal international pour le Rwanda

Au lendemain du génocide, le Conseil de sécurité des Nations Unies a créé le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). Il a inculpé près de 100 hauts fonctionnaires et autres individus responsables des crimes les plus graves commis en 1994.

Dans son « volet médiatique » historique, le TPIR est devenu le premier tribunal international à tenir les membres des médias pour responsables d’émissions destinées à inciter le public à commettre un génocide.

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Le système judiciaire national

Les tribunaux nationaux du Rwanda ont poursuivi les personnes accusées d’avoir planifié le génocide ou d’avoir commis les atrocités les plus graves, notamment le viol. La tâche était difficile car de nombreux juges, avocats et autres membres du personnel judiciaire ont été tués pendant le génocide et une grande partie des infrastructures du pays a été détruite.

Le système judiciaire gacaca

Le grand nombre d'auteurs signifie que la plupart ont été envoyés devant les tribunaux communautaires traditionnels appelés gacaca (prononcer GA-CHA-CHA). Dans le système gacaca, les juges élus par la communauté entendaient des affaires portant sur tous les crimes, à l'exception de la planification du génocide. Les tribunaux gacaca ont accordé des peines réduites aux auteurs de crimes qui se sont repentis et ont cherché à se réconcilier avec leur communauté en disant la vérité sur ce qui est arrivé aux personnes disparues.

Bishop Deo Gashagaza
J'ai perdu 45 membres de ma famille dans le génocide. Au début, il y avait tellement de traumatismes dans mon cœur. J'ai commencé à travailler sur la justice réparatrice dans les prisons et j'ai réalisé que lorsque les délinquants étaient prêts à demander pardon pour ce qu'ils avaient fait, nous pouvions les réunir avec leurs victimes pour rechercher la réconciliation. Je n'ai jamais rencontré ceux qui ont tué mes propres proches, mais j'ai trouvé de l'espoir dans ce parcours.
Quand j’ai vu des gens s’entraider et pleurer parce qu’ils pouvaient enfin imaginer une vie différente, j’ai su que la paix pouvait contribuer à la guérison ». — Mgr Deo Gashagaza, chef de Prison Fellowship Rwanda
Nous avons créé des espaces communautaires de guérison, où les gens peuvent acquérir un sentiment de sécurité, de cohésion sociale et de confiance. »
Ce n’est pas facile – mais c’est possible. De plus en plus, nous nous concentrons sur les jeunes parce que le traumatisme a été transmis à la jeune génération, aux enfants des survivants et des agresseurs. Ils éprouvent des sentiments de honte, de colère et de peur que cela puisse se reproduire ». — Chantal Ingabire, prestataire de services en sociothérapie communautaire
Le génocide s'est produit quand j'avais 3 ans… Une grande partie de ce que j'ai appris vient de ma mère parce que mon père n'a pas pu en parler avant 2017. Je vois d'autres jeunes poser beaucoup de questions. Certains se demandent pourquoi ils n’ont pas de famille. D'autres ont des parents en prison. Les jeunes veulent connaître la vérité sur leur passé, à la fois sur le génocide et sur les valeurs et la dignité de notre patrimoine. Nous éduquons [les jeunes] parce que lorsque vous savez d’où vous venez, il devient plus facile de naviguer dans l’avenir ». — Christian Intwari, fondateur de Our Past Initiative
Le besoin de réconciliation existait avant le génocide, lorsque le tissu social était déchiré sous le colonialisme. Un travail considérable réalisé depuis 1994 a contribué à vaincre la haine et la peur, notamment en supprimant l’appartenance ethnique des cartes d’identité et en adoptant des politiques favorables aux pauvres. Mais des défis demeurent. Nous devons renforcer notre résilience pour consolider les acquis et garantir que l’histoire ne se répète pas.
Il y a un déni du génocide sur les réseaux sociaux. De nombreuses personnes vivent avec des blessures non cicatrisées et des questions sans réponse, et la réconciliation – même si elle progresse – reste un chemin à parcourir ». — Révérien Interayamahanga, chercheur sur la réconciliation et la résilience avec Interpeace

Le symbole en zigzag sur le célèbre Agaseke du Rwanda, ou panier de la paix, représente des femmes se tenant la main.

Comme dans de nombreux pays et cultures, ce sont les femmes qui réparent une société après un conflit. Au Rwanda, dans une remarquable démonstration de résilience et de solidarité, les femmes ont surmonté leurs traumatismes pour s’unir et créer des coopératives artisanales florissantes.

Qu’est-ce que le génocide ?

Préfixe grec genos (peuple, race ou tribu) et suffixe latin cide (meurtre)

Selon le droit international, le génocide désigne l'un des actes suivants commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, en tant que tel* :

(a) tuer des membres du groupe ;

(b) causer des dommages corporels ou mentaux graves aux membres du groupe ;

(c) soumettre délibérément le groupe à des conditions d'existence susceptibles d'entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;

(d) imposer des mesures destinées à empêcher les naissances au sein du groupe ;

(e) transférer de force des enfants du groupe vers un autre groupe.

*Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies le 9 décembre 1948.

Intention de détruire

La définition juridique du génocide inclut l’intention de détruire en tout ou en partie, qui est l’élément le plus difficile à déterminer.

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Pour commettre un génocide, son auteur doit avoir une intention avérée de détruire un groupe national, ethnique, racial ou religieux en tant que tel.

C’est cette intention particulière, ou dolus specialis, qui rend le crime de génocide si unique.

Le saviez-vous?

Les événements qui ne répondent pas à la définition du génocide peuvent constituer des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité, qui sont des crimes distincts au regard du droit international.

Les crimes de guerre

Ces crimes constituent de graves violations du droit international humanitaire lors de conflits armés.

Les crimes contre l'humanité

Ces crimes sont commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population civile.

Le côté obscur de l'humanité

La Convention sur le génocide de 1948 a défini juridiquement le terme « génocide », ajoutant ainsi au corpus du droit international sur les graves violations des droits de l’homme.

Tragiquement, le monde a été témoin de génocides avant 1948, y compris l'Holocauste, qui est la persécution et le meurtre, parrainés par l'État et motivés par l'idéologie, de six millions de Juifs à travers l'Europe et l'Afrique du Nord, et d'un demi-million de Roms et de Sintis par l'Allemagne nazie (1933-1945) et ses collaborateurs. Les nazis ont également ciblé les personnes handicapées ; les peuples slaves (notamment les Polonais et les Russes) ; les Noirs pour des raisons racistes ; et les communistes, les socialistes, les Témoins de Jéhovah et la communauté LGBTQI, que les nazis considéraient comme des ennemis idéologiques.

Apprenez-en davantage sur le Programme de communication « l’Holocauste et les Nations Unies » .

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Depuis 1948, les instances judiciaires internationales compétentes ont déterminé que trois cas constituaient un génocide, tel que défini par la loi.

Cambodge (1975-1979)

Entre 1975 et 1979, le régime des Khmers rouges a comis à grande échelle des crimes contre l'humanité et des violations graves des Conventions de Genève.

On estime que durant cette période 1,5 à 2 millions de personnes sont mortes de faim, de disparitions forcées ou d’exécutions extrajudiciaires. Parmi les personnes ciblées figuraient environ 20 000 Vietnamiens de souche et 100 à 500 000 musulmans Cham, considérés comme victimes de génocide par les Chambres extraordinaires des tribunaux cambodgiens (CETC).

Le génocide de 1994 contre les Tutsis au Rwanda: 7 avril-7 juillet 1994

Environ un million de personnes ont été tuées en 100 jours en 1994, sans compter des centaines de milliers de personnes violées et blessées. Pour la première fois dans l'histoire, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) a rendu des verdicts contre les personnes responsables du génocide. Le TPIR a également été la première institution à reconnaître le viol comme moyen de commettre un génocide.

Srebrenica: juillet 1995

Environ 8 000 garçons et hommes musulmans de Bosnie ont été tués par les forces serbes de Bosnie lorsqu'elles ont envahi la ville de Srebrenica pendant le conflit en ex-Yougoslavie. Le Tribunal pénal international des Nations Unies pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) a jugé que cette exécution constituait un génocide.

Les génocides ne commencent pas par les balles ou par les camps de concentration. Ils commencent par des discours de haine.

Le discours de haine est un signal d'alarme : plus il sonne fort, plus la menace de génocide est grande. Cela précède et favorise la violence ».- António Guterres, Secrétaire général des Nations Unies

Le discours de haine peut être un précurseur du génocide et des crimes connexes. Il existe de nombreuses façons de prendre position, même si vous n’êtes pas personnellement victime de discours de haine. Vous pouvez faire la différence.

Magnifier

Le changement commence avec nous tous : dites « Non à la haine » #NoToHate

FAÇONS DE GÉRER LES DISCOURS DE HAINE

1. Éduquer

Ayez des conversations avec votre famille et vos amis sur la manière dont les discours de haine peuvent nuire aux sociétés. Réfléchissez avant de partager sur les réseaux sociaux.

2. S’impliquer

Familiarisez-vous avec les organisations et le travail effectué pour protéger les droits de l'homme et prévenir le génocide.

3. Favoriser une culture de respect mutuel

Faites la promotion d’une culture de paix et de non-violence dans votre vie quotidienne qui inclut le respect de la diversité et la non-discrimination. De cette façon, nous pouvons construire des sociétés résilientes face au risque de génocide.

Le Département de la communication globale

souhaite remercier le gouvernement du Rwanda, Prison Fellowship Rwanda, le système des Nations Unies au Rwanda et le Bureau du Conseiller spécial pour la prévention du génocide.

Remerciements particuliers à Laurence et Xavier, qui nous ont permis de raconter leur histoire pour sensibiliser les gens aux horreurs et à la futilité du génocide.

Crédits: Photo ONU/Manuel Elías; Getty Images

Le 7 avril a marqué le début du génocide de 1994 contre les Tutsis au Rwanda.

Chaque année, à cette date ou aux alentours de cette date, les Nations Unies organisent des événements commémoratifs au Siège de l’ONU – et dans le monde entier.

Cette exposition a été inaugurée en mars 2024