Excellence Monsieur le Président de la République,
Excellence Madame la Première Dame,
Excellence Monsieur le Ministre des Droits humains,
Excellences, distingués invités, mesdames et messieurs,

Le 20 octobre restera un jour historique dans l’histoire de la République démocratique du Congo. Ce même pays qui a été qualifié de capitale mondiale du viol il y a à peine une décennie, envoie aujourd’hui un message très fort au plus haut sommet de l’Etat avec la présence de son excellence le Président de la République, soutenu par son épouse la Première Dame, qui est aussi ma Championne Globale pour la lutte contre les violences sexuelles liées aux conflits.

Je qualifie ce jour « d’historique » parce qu’aujourd’hui l’espoir est permis pour une réparation effective des victimes de ce crime odieux qui est la violence sexuelle liée aux conflits. Je salue cette initiative de la Première Dame qui organise cette table ronde pour une réflexion sur la politique nationale de réparations et la mise en place d’un fonds national de réparation en faveur des victimes et survivant(e)s de violences sexuelles liées aux conflits et autres crimes graves.
Il est remarquable que dès le coup d’envoi de cet évènement, l’occasion soit donnée à une survivante comme Tatiana de non seulement se faire entendre et de transmettre un message au nom de toutes les victimes de violences sexuelles auprès des décideurs politiques, mais aussi d’avoir l’opportunité de participer activement au processus d’élaboration de la politique de réparations ainsi qu’à la mise en place du fonds national de réparations.

Je salue la Première Dame qui a compris que punir les criminels ne suffit pas, qu’il n’y aura pas justice tant que justice ne sera pas rendue aux victimes, et que pour rendre justice aux victimes, il faut impérativement répondre à leurs droits et leurs besoins.
Bien que les victimes de violences sexuelles liées aux conflits aient droit à des réparations promptes et adéquates selon les normes du droit international, à travers le monde la réalité est bien plus sombre. La majorité d’entre elles font face à d’innombrables obstacles pour faire respecter leurs droits. Les procédures judiciaires peuvent durer de nombreuses années et recevoir des réparations de la part de l’Etat ou des auteurs de ces crimes peut durer toute une vie. De nombreuses victimes meurent avant même que leurs préjudices ne soient reconnus et réparés.
Comme l’a souligné Tatiana, nous savons que ces victimes subissent des dommages durables, qui incluent les lésions physiques, les traumatismes psychologiques, notamment la stigmatisation et la honte. Beaucoup sont rejetées par leurs communautés et leurs familles et sont contraintes de vivre dans des situations de grande pauvreté et d’exclusion.
Bien que ces crimes ne puissent jamais être totalement compensés, les réparations ont la possibilité de permettre aux victimes d’être pleinement reconnus comme étant des détenteurs de droits. Les réparations peuvent en effet restaurer la dignité personnelle, contribuer à résoudre les conséquences profondes des violences sexuelles, et même de mettre un terme au cycle des discriminations basées sur le genre.
Les réparations sont ce que ces victimes veulent le plus et reçoivent le moins. Ceci est vrai non seulement en RDC, mais aussi à travers le monde.

Dans sa dernière résolution sur les violences sexuelles liées au conflit, la 2467 adoptée en 2019, le Conseil de Sécurité a mis en exergue l’importance d’une approche centrée sur les besoins des victimes à travers des réparations et d’autres mesures judiciaires.
Lors de ma visite en RDC, le 3 décembre 2019, le gouvernement a signé avec mon Bureau, au nom des Nations Unies, un Addendum au Communiqué conjoint de 2013.
Dans cet Addendum, le gouvernement reconnait que les victimes sont confrontées à des obstacles considérables lorsqu’elles cherchent à avoir accès à un recours effectif, y compris des réparations, et aussi qu’un grand nombre de dommages et intérêts alloués aux victimes à la suite de condamnations judiciaires reste impayé. A cet égard, le gouvernement s’est engagé :

• D’assurer le paiement rapide des réparations établies dans les décisions judiciaires, en particulier dans les cas où un agent de l’État ou l’État est jugé responsable en garantissant la disponibilité des fonds dans le budget de l’État ;
• A moyen terme, et sans préjudice du paiement immédiat des réparations établies dans les décisions judiciaires, d’accélérer le processus d’adoption d’une loi portant création d’un fond de réparation au profit des victimes de violences sexuelles liées au conflit et assurer son alimentation et opérationnalisation.
Nous sommes réunis ici aujourd’hui afin de transformer ces engagements en réalité.
Je tiens à saluer cette initiative de la Première Dame qui a tenu à assurer que cette table ronde soit inclusive et regroupe des victimes, des organisations de la société civile, les spécialistes dans la prise en charge holistique des victimes, les organismes internationaux, les entités des Nations Unies, les membres des représentations diplomatiques en poste à Kinshasa, les parlementaires, et les membres du gouvernement.

Tout en attendant avec intérêt les délibérations des participants à cette table ronde, je souhaiterais faire cinq recommandations concrètes:
Premièrement, sur la base du modèle colombien, je souhaiterais recommander qu’afin d’assurer la durabilité du programme de réparation, que la voie législative, plutôt que la voie règlementaire soit privilégiée.
En outre, la loi doit avoir un effet rétroactif pour garantir le paiement des réparations judiciaires accordées depuis des années et demeurant toujours en attente de paiement. A cet égard, j’exhorte le gouvernement à prioriser le versement de ces réparations.
Deuxièmement, tout décret ou loi devrait impérativement inclure les principes suivants : la responsabilité de l’Etat d’attribuer des réparations administratives quel que soit l’identité des auteurs des crimes, y compris des agents étatiques ; les besoins spécifiques des victimes particulièrement vulnérables tels que les enfants nés suites aux violences sexuelles ; que distinction soit faite entre l’assistance humanitaire, les réparations judiciaires et administratives ; et finalement la possibilité pour que les victimes bénéficiant de réparations administratives puissent toujours avoir recours à une réparation par voie judiciaire.
Troisièmement, l’importance d’assurer la consultation et la participation des victimes tout au long du processus de rédaction, d’adoption et de mise en œuvre du programme de réparation.
Quatrièmement, les victimes de violences sexuelles, y hommes et femmes, comprennent non seulement les personnes qui à titre individuels ou collectifs subissent ces violences, mais aussi leurs proches tels que leurs enfants et leurs conjoints, ainsi que les enfants nés suites aux violences sexuelles. A cet égard, je souhaite insister sur l’importance que le mécanisme de réparation soit flexible et axé sur les besoins de toutes ces victimes. De même, pour que les réparations répondent à leurs besoins des survivants, celles-ci doivent inclure des mesures compensatoires, telles que l’accès à des pensions et à des terres, des mesures de réhabilitation, telles que l’accès à des services médicaux et psychosociaux, ainsi que l’accès à des moyens de subsistance et des opportunités de formation. Des mesures symboliques et des formes de réparations communautaires doivent aussi être envisagées.
Cinquièmement, le mécanisme de réparations doit être adéquatement budgétisé et ses dépenses doivent être dûment contrôlées et administrées de façon transparente. Je me réjouis de constater que durant cette table ronde, la question budgétaire sera discutée.

Avant de conclure, je tiens à souligner que le succès de ce processus nécessitera non seulement l’effort du gouvernement, mais aussi un élan de solidarité de la part d’autres acteurs. J’exhorte la communauté internationale à soutenir cette initiative louable de la Première Dame afin que ce projet tant nécessaire se concrétise le plus rapidement possible.
En honorant le droit de ces victimes d’être traitées avec humanité et respect pour leur dignité, vous assumez pleinement vos engagements envers leur droit à un recours et à réparation sans discrimination fondées sur le sexe, l’identité de genre et l’orientation sexuelle, l’ethnicité, l’âge, ou tout autre statut. Vous réaffirmez aussi les principes internationaux de responsabilité, justice et de primauté de l’Etat de droit.

Excellences, Monsieur le Président de la République, Madame la Première Dame, je tiens à réitérer le plein soutien de mon Bureau et de l’ensemble du système des Nations Unies dans la mise en œuvre de votre programme et mécanisme de réparation, centrés sur les victimes et survivant(e)s de violences sexuelles liées aux conflits.

Je vous remercie.