Excellences,

Monsieur le Vice-premier ministre et ministre de l’Intérieur ;

Monsieur le Vice-premier ministre et ministre de la Défense ;

Madame la Ministre du genre, famille et enfant ;

Madame la Coordonnatrice en charge de la jeunesse, lutte contre les violences faites aux femmes et traite des personnes ;

Monsieur le Représentant Spécial Adjoint du Secrétaire Général des Nations Unies en RDC, Coordonnateur résident et Coordonnateur des opérations humanitaires ;

Mesdames et Messieurs les Représentants des agences du système des Nations Unies ;

Mesdames et Messieurs les membres du corps diplomatique ;

Mesdames et Messieurs les membres de la société civile ; chefs coutumiers et religieux ;

Distingués invités, Mesdames et Messieurs.

Je vous remercie de l’hospitalité et de l’amitié que vous m’avez toujours témoignées lors de mes visites dans votre pays. Je saisis l’heureuse opportunité que vous m’offrez de m’adresser à vous aujourd’hui pour saluer les progrès que vous avez accomplis et mesurer avec vous les défis qu’il reste à relever pour plus de protection des Congolais et des Congolaises contre les violences sexuelles liées aux conflits.

La violence sexuelle est l’une des formes de violence les plus dévastatrices commises principalement sur les femmes et les filles, mais aussi sur les hommes et les garçons. Les cicatrices sont durables. Les survivantes et survivants souffrent de blessures physiques, de traumatismes psychologiques, de marginalisation socio-économique, de discrimination et de stigmatisation.

Hier, lors de ma visite dans le camp des déplacés de Bulengo dans la périphérie de Goma, j’ai été témoin de la brutalité des violences sexuelles perpétrées, y compris sur de très jeunes enfants. Il est crucial d’assurer une assistance immédiate adéquate à toutes ces victimes, et de veiller au renforcement de la sécurité autour des camps des déplacés internes.

En effet, les survivantes que j’ai rencontrées ont souvent expliqué avoir subi des violences sexuelles alors qu’elles se rendaient en périphérie du camp pour chercher du bois de chauffe et de l’eau et ainsi subvenir aux besoins de leur famille. Un des phénomènes qui me préoccupe particulièrement est le développement croissant de lieux communément baptisés « maisons de tolérance », autour et dans les camps, dans lesquelles des femmes et des jeunes filles sont contraintes pour des raisons de survie, pour subvenir à leurs besoins de base, de se prostituer en échange de quelques centaines de francs. Que ces lieux soient dénommés « maison de tolérance » ne fait que renforcer mon indignation.

Cela n’est qu’un échantillon de l’ampleur globale du phénomène que représentent les violences sexuelles liées au conflit en République démocratique du Congo. Permettez-moi de vous citer quelques exemples :

  • Du 17 au 30 avril 2023, les équipes de MSF ont soigné 674 victimes de violences sexuelles dans six sites de déplacés internes au Nord-Kivu.
  • Rien qu’au premier trimestre 2023, la MONUSCO a documenté 187 cas dans les provinces du Nord et Sud Kivu, de l’Ituri et du Maniema
  • En 2022, l’UNICEF a rapporté plus de 38.000 cas de violences sexuelles basées sur le genre au Nord-Kivu.

Pire, l’UNICEF note [et je cite] une « recrudescence des violences sexuelles contre les enfants » avec des victimes de 3 ans abusés sexuellement. La précarité des conditions de vie des déplacés et la gestion difficile des camps accroit drastiquement les risques de violences sexuelles pour les personnes vulnérables et particulièrement les femmes et les enfants. Sans appui adéquat visant à un développement socio-économique, ces personnes demeurent dans un état de vulnérabilité accru et sont exposées quotidiennement à ces violences.

Une approche holistique de ces violences doit être mise en œuvre dans son entièreté, sans négliger une prise charge psychologique et un accompagnement juridique. Dans cette perspective, il est crucial d’inclure des mesures visant à soutenir les femmes et jeunes filles enceintes à la suite des viols ainsi que les enfants qui en sont nés.

Il est extrêmement urgent d’agir maintenant pour que cette situation temporaire par essence ne devienne pas pérenne et incontrôlable. Je rappelle également l’importance des actions de prévention dans la lutte contre les violences sexuelles liées au conflit sans lesquelles les progrès resteront fragiles.

Au-delà des condamnations, la protection des populations civiles doit, au regard de ce constat accablant, être au cœur de notre attention et de nos efforts collectifs.

 

Excellences, Distingués invités, Mesdames et Messieurs,

Lors de ma visite en décembre 2019, le Gouvernement et les Nations Unies avaient réaffirmé leurs engagements respectifs à lutter contre les violences sexuelles liées aux conflits, en signant un addendum au Communiqué conjoint adopté en 2013 sur la lutte contre les violences sexuelles liées aux conflits.

Cet addendum a pour objectif d’apporter une réponse plus structurée et complémentaire aux violences sexuelles liées aux conflits, et de mettre l’accent sur les droits, les besoins et le choix des survivants et survivantes, tel que reflété dans la dernière résolution du Conseil de sécurité sur ce sujet, la résolution 2467 (2019).

L’engagement du gouvernement congolais et des Nations Unies s’est ensuite traduit par l’adoption en 2020 par l’ensemble des acteurs, sous le leadership de la Coordonnatrice en charge de la jeunesse, lutte contre les violences faites aux femmes et traite des personnes, d’une feuille de route biennale qui définit les actions prioritaires en matière de justice, de réforme du secteur de sécurité, de prévention et mobilisation communautaire, d’assistance multisectorielle et de coordination et accompagnement institutionnel, le prouve à suffisance.

En 2014, la nomination par le Chef de l’État d’un Représentant personnel en charge de la lutte contre les violences sexuelles liées aux conflits et du recrutement des enfants, et l’adoption du plan d’action des FARDC pour la lutte contre les violences sexuelles ont été un signal fort de la volonté politique à traduire ses engagements au niveau stratégique. Les évaluations qui ont suivi ont démontré une amélioration de la situation, y compris une réduction des cas de violences sexuelles commis par les forces de sécurité comparé aux acteurs non étatiques.

Je souligne également ici la nomination en mars 2019 de Madame Chantal Mulop :

« Votre nomination, chère Chantal représente l’engagement soutenu et constant des plus hautes autorités de ce pays de poursuivre les efforts communs pour vaincre ce fléau/gagner cette bataille »

Je me réjouis de constater que des progrès continuent à être enregistrés, notamment en ce qui concerne les réformes législatives, l’adoption des mécanismes de coordination et de suivi et la lutte contre l’impunité.

 

Excellences,

La loi promulguée le 26 décembre 2022, fixant les principes fondamentaux relatifs à la protection et à la réparation des victimes des violences sexuelles liées aux conflits et des victimes des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, contribuera à régler une dette historique en termes de réparations avec les survivants des violences sexuelles.

J’aimerais saluer l’investissement de la première dame et son soutien qui ont permis l’examen, l’adoption et la promulgation de cette loi.

Des efforts supplémentaires sont nécessaires pour assurer la vulgarisation de la loi et la sensibilisation des parties prenantes. J’invite ainsi les organisations de la société civile à jouer un rôle important pour atteindre cet objectif.

Le 19 juin 2021, le Chef de l’État a lancé la campagne Tolérance zéro pour les violences sexuelles ; traduit également la volonté du gouvernement de faire de la lutte contre les violences sexuelles et basées sur le Genre l’une de ses priorités.

Dans cette lutte commune, les efforts et les progrès continus des juridictions militaires dans la poursuite et le jugement des crimes internationaux dont des crimes de violences sexuelles sont à saluer et encourager. Je tiens à saluer notamment l’ouverture tant attendu du procès Mulombodji, affaire dans laquelle deux généraux des FARDC et de la PNC sont poursuivis, ainsi que l’affaire Ndarumanga qui a vu pour la première fois une juridiction pénale nationale condamner un membre de groupe armée pour crimes contre l’humanité par grossesse forcée. Toutefois, face aux nombreux défis, la réponse judicaire faite aux violences sexuelles liées aux conflits par les juridictions civiles et militaires nécessite un engagement accru, à la hauteur des attentes des victimes. L’impunité doit devenir l’exception et non la norme.

Sous l’égide de Son Excellence, le Premier ministre et chef du Gouvernement congolais et de la Représentante Spéciale du Secrétaire Générale des Nations Unies en RDC, Mme Bintou Keita, il a été décidé en août 2022, d’établir une Équipe Technique de Haut niveau devant mettre en œuvre cette feuille de route, afin que tous ces efforts soient opérationnellement structurés et coordonnés. Ainsi, tout en saluant l’achèvement de ce processus, je rappelle que la constitution de l’équipe technique, qui a été retardée à cause de la pandémie globale, demeure cruciale. La mission de cette équipe technique est essentielle pour jeter un regard rétrospectif 10 ans après nos engagements conjoints et évaluer les progrès mais surtout les défis.

Il s’agira pour l’Équipe technique de haut niveau, de se pencher, entre autres sur :

  • La nécessité de consolider les engagements des commandants d’unités militaires et de police après leur formation afin de lutter effectivement contre les violences sexuelles ;
  • L’urgence d’un cadre national sur la prévention, à travers notamment une stratégie intégrant la protection des populations civiles affectées par les conflits contre les violences sexuelles durant et après les hostilités, particulièrement dans les zones en conflits à l’Est du pays ;
  • Le besoin de porter une attention particulière sur la situation des violences sexuelles commises dans les zones d’exploitation minière et des ressources naturelles ;
  • La nécessité de se pencher sur les causes profondes et de reconnaitre les besoins spécifiques des victimes, afin d’apporter la protection et l’assistance nécessaires, y compris aux enfants nés des suites de violences sexuelles liées aux conflits ;

La nécessité d’encourager les initiatives de la jeunesse congolaise visant à contribuer aux efforts de paix et de sécurité, conformément à la résolution 2250 du Conseil de Sécurité et de les appeler à s’approprier la lutte contre les violences sexuelles. L’urgence de fournir une dotation budgétaire adéquate devant assurer l’autonomisation économique des survivantes afin de combattre le rejet et la stigmatisation et ainsi faciliter leur réintégration familiale et communautaire.

Il est par ailleurs essentiel pour cette équipe de développer une approche multisectorielle de la réponse aux violences sexuelles liées aux conflits, en intégrant notamment les dimensions médicale, psychosociale, juridique, judiciaire, mais également des mesures liées à l’éducation, au genre et au développement socio-économique.

 

Excellences, Distingués invités, Mesdames et Messieurs,

La violence sexuelle est une menace pour le droit de chaque individu à une vie digne et une menace pour la paix et la sécurité collectives de l’humanité.

C’est pourquoi je ne saurais terminer mon propos sans exhorter chaque entité ici présente et tous les autres acteurs impliqués dans la prévention et la lutte contre les violences sexuelles liées au conflit à jouer un rôle déterminant pour la mise en œuvre concrète du Communiqué Conjoint et son addendum.

C’est aussi l’occasion de rappeler au Gouvernement congolais l’urgence de l’appropriation effective de la lutte contre ce fléau, notamment avec un budget national adéquat pour soutenir la mise en œuvre de la feuille de route qui découlera du travail de cette équipe technique.

Je vous remercie.