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Le Secrétaire général plaide pour que la lutte contre la traite d’êtres humains devienne une priorité claire pour tous les gouvernements

On trouvera, ci-après, le message du Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, prononcé aujourd’hui au Conseil de sécurité lors du débat sur la traite d’êtres humains dans les situations de conflit: travail forcé, esclavage et autres pratiques similaires:

Je remercie le Royaume-Uni d’avoir convoqué la présente séance, qui se situe dans le prolongement de l’adoption en décembre dernier de la résolution 2331 (2016), un texte d’une grande portée consacré à la traite d’êtres humains en période de conflit.  Qu’il me soit permis de commencer par une brève réflexion personnelle.

Je viens d’un pays qui, pendant des siècles, s’est livré au cruel commerce des êtres humains.  C’est une partie de notre histoire que nous n’oublierons jamais.  Bien sûr, le Portugal a fini par proscrire l’esclavage au XIXe siècle, et une norme mondiale l’interdisant est depuis longtemps en place.  De fait, la conscience même des Nations Unies a été façonnée par cette violation scandaleuse de la dignité humaine.

Je voudrais pouvoir dire que la traite des êtres humains appartient au passé.  Malheureusement, ce n’est pas le cas.  Les réseaux de trafiquants sont devenus mondiaux.  Selon l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), on dénombre des victimes dans 106 pays.  L’Organisation internationale du Travail (OIT) rapporte que 21 millions de personnes dans le monde sont victimes de travail forcé et d’exploitation extrême.  Les bénéfices annuels sont estimés à 150 milliards de dollars.  Au-delà de ces chiffres, il y a le coût humain: les vies écourtées, les familles et les sociétés déchirées, les violations flagrantes des droits de l’homme et du droit international humanitaire.

La traite des êtres humains prend de nombreuses formes.  Les femmes et les filles sont tout particulièrement visées, toujours et encore.  Il y a une exploitation sexuelle odieuse, y compris la prostitution forcée, le mariage forcé et l’esclavage sexuel.  Il y a aussi le commerce effroyable des organes humains.  Souvenons-nous aussi que les manifestations modernes de la servitude peuvent nous toucher voire nous impliquer tous.  Les chaînes d’approvisionnement mondiales ont permis d’améliorer de nombreuses vies, mais cela a parfois un coût.  Dans certaines situations, les vêtements, la nourriture, les smartphones, les bijoux et d’autres biens de consommation peuvent porter, volontairement ou non, les traces de l’exploitation.  Des gratte-ciel flambant neufs peuvent devoir une partie de leur éclat à la sueur des ouvriers réduits à l’état de servitude.

La traite des êtres humains prospère là où l’état de droit est faible ou inexistant.  Les situations de conflit armé sont des terrains particulièrement fertiles pour la traite des êtres humains.  Dans plusieurs conflits aujourd’hui, nous sommes confrontés à des groupes armés qui non seulement pratiquent ouvertement l’esclavage et le travail forcé, mais prétendent en plus qu’il est légal.  En Syrie, Daech a organisé des marchés d’esclaves et même publié des manuels expliquant à ses combattants la façon de capturer, d’assujettir et d’échanger les femmes et les filles asservies.  Les dirigeants de Boko Haram prétendent eux aussi que l’esclavage est légal.  Dans d’autres conflits, d’autres groupes forcent les hommes, les femmes et les enfants sous leur contrôle à travailler dans des mines dangereuses, comme porteurs et domestiques, ou sur les lignes de front.

Les réfugiés et les personnes déplacées fuient ces menaces pour en trouver de nouvelles.  Les prédateurs profitent des gens qui se jettent sur les routes.  Les contrebandiers forcent et manipulent souvent les individus à des fins lucratives, les transformant en victimes du trafic sexuel ou de la traite de main-d’œuvre.  Les terroristes et les extrémistes violents utilisent l’esclavage sexuel comme outil de recrutement.  Les trafiquants de drogue se servent des enlèvements avec rançon pour financer leurs opérations, et les gangs criminels forcent les enfants non accompagnés à vivre dans la petite délinquance.

En outre, l’impunité prévaut.  Selon le Rapport mondial sur la traite des êtres humains, publié en décembre 2016 par l’ONUDC, il n’y a guère de condamnations pour crimes liés à la traite d’êtres humains dans les situations de conflit ou ailleurs.  L’absence d’enquêtes et de poursuites vigoureuses ne fait qu’ajouter à l’injustice, permettant aux coupables d’opérer sans crainte, alimentant la corruption et créant une désillusion généralisée.  Je voudrais faire une autre remarque personnelle à cet égard.

Je me souviens que lorsque j’étais membre du gouvernement, je n’ai jamais craint que mes deux enfants puissent être victimes de la traite, mais j’ai toujours eu peur de l’effet des drogues sur leur vie.  Je crois qu’il en va de même pour la plupart des dirigeants politiques du monde entier.  L’essentiel des dirigeants politiques ont peur des répercussions de la drogue sur leur famille, mais ils ne pensent pas que leur famille puisse être touchée par le trafic d’êtres humains.  C’est probablement pour cette raison que la priorité est bien davantage accordée à la lutte contre les trafiquants de drogue qu’à la lutte contre les trafiquants d’êtres humains.  Bien sûr, le trafic de drogue est un crime terrible, mais le trafic d’êtres humains est, je dois le dire, bien pire.  J’estime qu’il est de notre devoir de nous engager vraiment à tout mettre en œuvre pour que cela devienne une priorité claire pour tous les gouvernements et dans toutes les formes de coopération internationale.

Il y a beaucoup de choses que nous pouvons faire à la fois pour punir la traite des êtres humains et pour l’empêcher d’avoir lieu.  Un cadre juridique et normatif solide est en place, notamment la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée et son protocole additionnel relatif à la traite des personnes, qui comprend la première définition internationalement reconnue du crime que constitue la traite des personnes et fournit un cadre pour le prévenir et le combattre efficacement.  Les conventions de l’OIT et le Plan d’action mondial des Nations Unies pour la lutte contre la traite des personnes complètent le Protocole et sont des éléments supplémentaires clefs à cet égard.  Tous s’appuient sur la Déclaration universelle des droits de l’homme.  De plus, en vertu du Statut de Rome, la réduction en esclavage peut constituer un crime contre l’humanité.

Le personnel militaire et civil des Nations Unies doit également être comptable du respect de ces normes.  Je continue à prendre des mesures pour renforcer nos efforts en vue de prévenir l’exploitation et les atteintes sexuelles commises sous le drapeau des Nations Unies, et de les combattre le cas échéant.  La traite des êtres humains ne respectant pas les frontières, les États Membres doivent renforcer la coopération en matière d’application de la loi, d’enquêtes et de partage des renseignements.  Nous devons également renforcer la coordination entre les États Membres, la société civile, les milieux d’affaires et les entités des Nations Unies, y compris par l’intermédiaire du Groupe interinstitutions de coordination contre la traite des personnes.  Parallèlement, nous devons nous attaquer aux vulnérabilités sous-jacentes qui alimentent ce phénomène, par exemple en émancipant les filles par l’éducation, en respectant les droits des minorités et en mettant en place des voies de migration sûres et légales.

Le Programme de développement durable à l’horizon 2030 peut aussi nous aider à briser les chaînes de l’exploitation.  Trois de ses objectifs visent explicitement la traite des êtres humains, y compris la traite sexuelle, le travail forcé, le travail des enfants et le recrutement et l’utilisation d’enfants soldats.  Dans la mesure où le secteur privé est un partenaire clef dans la réalisation des objectifs de développement durable, nous devons veiller à ce qu’il se montre plus responsable lorsqu’il s’approvisionne dans des zones de conflit.  Il est primordial de disposer de meilleures données, et le financement joue aussi un rôle déterminant.  L’ONU est également déterminée à non seulement venir en aide aux victimes mais aussi tenir compte de leur voix et de leurs points de vue dans l’élaboration et la mise en œuvre des actions de lutte contre la traite.

Enfin, alors que nous sommes divisés sur de si nombreux domaines, il s’agit là d’une question qui peut nous unir.  Nous devons nous rassembler autour de questions clefs telles que les poursuites judiciaires, la protection et la prévention, et bâtir ainsi un avenir débarrassé de la traite des êtres humains.

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