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Première personne
Tous les espoirs sont permis

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J'ai été élevée dans un milieu aisé et cultivé. Mon père était pilote de l'armée de l'air, ma mère enseignante. Grâce à ma mère, l'ambiance était toujours calme et détendue à la maison. Mon père nous proposait souvent des activités et des loisirs intéressants. J'étais une enfant sociable et pleine d'entrain, dotée d'un esprit curieux. J'avais de nombreux amis et connaissances. En grandissant, j'ai découvert le monde et j'étais convaincue que quoi qu'il arrive, j'aurais un soutien, ma famille.

À la fin de mes études secondaires, j'ai choisi de poursuivre mes études à l'Institut. La concurrence était dure mais je me suis attelée à la tâche en étudiant de 15 à 16 heures par jour. Et cela a porté ses fruits ! C'est pendant ces années que j'ai décidé que je ne fonderais ma propre famille que lorsque je serais en mesure de subvenir à mes propres besoins. J'étais fermement convaincue que mon enfant naîtrait dans un milieu aisé.

Après avoir obtenu mon diplôme, je suis allée à Kiev, persuadée que j'aurais plus de chances de trouver un emploi intéressant dans la capitale. Mais pendant que je cherchais un emploi, j'avais besoin de me loger et de manger. J'ai donc gagné ma vie du mieux que j'ai pu : comme serveuse, barman et vendeuse. Mes parents m'aidaient le moins possible, conscients que je devais me débrouiller seule. Un an après, j'avais trouvé ce que je cherchais : un emploi dans ma profession, des collègues jeunes et intéressants, une occasion de montrer ma valeur et un bon salaire (même élevé pour l'Ukraine).

Ne croyant pas totalement à ma chance, je me suis complètement investie dans mon travail. Quelques mois plus tard, j'ai rencontré mon futur mari, un an plus tard, nous nous sommes mariés et six mois après j'étais enceinte. Ma famille, mes amis et mes connaissances étaient heureux pour moi, tout se passait comme je l'avais espéré. J'étais fière de moi et j'estimais avoir mérité ce bonheur.


Je me suis alors inscrite dans un centre pour femmes, une maternité pour les soins prénatals, mais, par manque de temps, je n'ai pas fait toutes les analyses nécessaires. Je les ai seulement fait faire vers le sixième mois de ma grossesse sans pour autant vouloir me faire tester pour le sida. Pourquoi le faire ? Comment pourrais-je être séropositive ? L'infirmière a toutefois décidé d'effectuer plusieurs tests : la syphilis, le groupe sanguin, le facteur rhésus et le VIH. Deux semaines plus tard, j'ai dû refaire les analyses parce que les résultats étaient positifs. Curieusement, cela ne m'a pas inquiétée, ma seule constatation étant qu'une fois de plus rien ne pouvait fonctionner normalement dans mon pays. On m'a donc prélevé à nouveau du sang et j'ai attendu les résultats. Pendant près d'un mois, je n'ai reçu aucune nouvelle. J'ai commencé à m'inquiéter. Je craignais qu'un diagnostic négatif tardif pose des problèmes et que les maternités refusent de m'inscrire. Je suis allée avec mon mari dans un centre anonyme où nous avons été tous deux testés.

Une semaine plus tard, j'ai reçu la confirmation par le médecin. Je refusais d'y croire. Cela n'était pas possible. Il s'agissait d'une erreur. Le résultat positif était peut-être dû à ma grossesse. Mais la nouvelle suivante a fait l'effet d'une bombe. " Les résultats de votre mari sont les mêmes ", m'a annoncé le médecin. Après avoir quitté le cabinet médical, j'ai marché des heures et des heures dans un état second. J'étais tellement sous le choc que je n'ai pas vu le temps passer et je suis rentrée tard et fatiguée à la maison. Mon mari m'attendait. Il avait préparé un repas et dressé la table pour fêter notre anniversaire de mariage.

Le jour suivant, je lui ai annoncé la nouvelle. Il a eu la même réaction que la mienne. Après avoir discuté, nous avons décidé de ne rien dire à nos familles et à nos amis, du moins pour le moment. Comment nos parents pourraient-ils nous aider ? Comment nous regarderaient-ils en sachant que nous allions mourir avant eux et qu'on ne pouvait rien y faire ? Ce serait une torture sans fin pour eux. Et nous ne voulions rien dire à nos amis de peur qu'ils ne révèlent la situation à nos parents.

Le matin suivant, je me suis réveillée avec un sentiment d'apathie totale. Et soudain, j'ai senti le bébé bouger dans mon ventre, comme une impulsion de courant. C'est alors que je me suis dit que je ne pouvais pas rester allongée à m'apitoyer sur mon propre sort. Mon enfant n'abandonnait pas, lui. Je me suis levée et je suis allée au Centre de sida. Le médecin m'a parlé de l'AZT, un médicament pour la prévention de la transmission du VIH de la mère à l'enfant. Nous avons acheté de l'AZT; nous avons même eu la chance d'en obtenir gratuitement au Centre de sida qui recevait alors une aide humanitaire.

Il m'a été prescrit une thérapie antirétrovirale. Afin d'augmenter les chances que mon enfant naisse en bonne santé, je devais subir une césarienne. Mais dès que la maternité a pris connaissance de mon état, on m'a fait savoir que ma présence était indésirable. " Lorsque les douleurs commenceront, appelez une ambulance. Nous ne voulons pas que vous transmettiez le virus dans notre établissement ", m'a-t-on dit. J'ai donc été renvoyée alors que j'étais à ma 43e semaine de grossesse (généralement un bébé naît à la 42e semaine). Le gynécologue du Centre de sida a alors appelé la maternité pour savoir de quel droit on refusait de me prendre dans l'établissement. J'ai finalement réussi à être acceptée mais ce n'était que le début de mes soucis. On m'a dit que j'avais des poux. On m'a donc mis dans la salle d'inspection sur un divan sans matelas. C'était l'hiver, et alors que les salles étaient toutes équipées de radiateurs, il faisait 8° C dans la pièce où j'étais. J'ai passé deux jours dans ces conditions avec l'interdiction formelle de sortir.

Quand on me surprenait à passer un appel téléphonique, on me grondait comme une petite fille, en me disant que je transmettais l'infection dans toute la maternité. On m'a examiné les bras, les jambes, l'aine, les aisselles, le cou et même l'intérieur des joues, pour essayer de trouver quelle drogue j'utilisais et où je l'injectais.

Bien qu'on n'ait rien trouvé, tout le monde était persuadé que j'étais une toxicomane et donc séropositive. J'ai subi tout cela sans rien dire, sachant que j'avais besoin d'un spécialiste pour réduire le risque d'infecter mon bébé. Je savais que tôt ou tard j'allais accoucher, que je rentrerai à la maison avec lui et que ce serait la fin des humiliations. L'accouchement s'est déroulé rapidement malgré quelques problèmes dus à la taille du bébé qui pesait 4,5 kg et mesurait 58 cm. J'ai été mise dans une salle commune avec l'interdiction de divulguer mon état. Mais à chaque visite, les médecins insistaient tellement sur le type de maladie dont je souffrais que tout le monde avait deviné. Et être la seule personne séropositive dans la salle n'arrangeait pas les choses.


De retour chez moi, j'ai entièrement consacré mon temps à élever mon fils, un garçon sain et fort. Vitya, qui a maintenant neuf mois, a été testé à l'âge de trois mois afin de détecter des anticorps, puis à l'âge de huit mois. Les résultats sont toujours positifs, mais je suis fermement convaincue qu'avant d'avoir deux ans, il ne sera plus sur le registre du Centre de sida. Je ne veux pas penser autrement.

En jetant un regard en arrière, je peux dire que ma vie est divisée en deux : " avant " et " après ". Maintenant que j'ai entièrement changé d'attitude vis-à-vis de mon diagnostic, j'ai totalement réévalué ma vie, mon comportement et mon point de vue. Lorsque j'ai réalisé que je vivrai moins longtemps que mes contemporains, au lieu de me dire : " Pourquoi moi ? ", je me suis dit : " Comment vivre pour donner tout mon amour à mon fils, à mon mari et à mes parents pendant ces quelques années que le destin m'a octroyées ? " Je ne suis tombée ni dans la dépression, ni dans l'alcoolisme, ni dans la drogue. Je n'avais tout simplement pas de temps à perdre. Je voudrais que mes amis et mes parents se souviennent de moi comme une personne joyeuse et bonne envers les autres, qui aimait la vie et qui était fière de la place qu'elle y occupait. J'ai appris à apprécier les petites choses de la vie, comme le chant des oiseaux, le rire d'un enfant, qui me procurent de grands moments de bonheur.

Généralement, les gens de mon âge considèrent que ces choses sont superflues. Je ne me plains pas de ce qui m'est arrivé. Au contraire, je suis reconnaissante d'avoir ces précieuses années devant moi. Tant de personnes meurent dans des catastrophes ou des guerres et n'ont pas pu profiter de la vie, disparaissant sans avoir pu dire au revoir à leurs proches et à leurs amis. J'aurai eu le temps de donner un petit-fils à mes parents. Je leur laisserai quelqu'un à qui ils pourront donner leur amour lorsque je ne serai plus là.

J'ai toujours rêvé d'avoir deux enfants. Quand je vois mon fils grandir, je me surprends à penser à avoir un deuxième enfant. Mais la maladie ne me laisse pas de choix. Ai-je le droit de donner naissance à un autre être humain ? Mon fils aurait un frère ou une sour mais aurais-je le temps de les élever au moins jusqu'à leur adolescence de sorte que mes parents n'aient pas la responsabilité d'élever de jeunes enfants ? Il est donc probable que la situation restera telle quelle.

Aujourd'hui, je suis en vie. Je profiterai de la vie jusqu'à la fin. J'élève mon fils et j'apporte mon soutien à des jeunes filles qui sont dans la même situation que la mienne. Mais je suis déprimée. Je sais qu'il n'existe pas encore de traitement antisida et que celui-ci ne semble pas en vue mais, au plus profond de moi, j'espère qu'il y aura un miracle, qu'un médicament sera mis au point et permettra de sauver nos vies. Tous les espoirs sont permis.

P.S. : Je n'ai volontairement rien dit sur la manière dont j'ai contracté la maladie.

En fait, je n'en ai aucune idée. Lorsque j'étais étudiante à l'Institut, je travaillais comme infirmière et il m'est arrivé plusieurs fois de me piquer le doigt avec une seringue. Il y a quelques années, j'ai eu une transfusion sanguine au cours d'une intervention chirurgicale. Avant de rencontrer mon mari, je vivais avec une femme qui avait divorcé parce que son mari était toxicomane. J'ai pu être infectée lors de ces différentes occasions.

L'auteur de cet article, écrit pour la Chronique, a souhaité garder l'anonymat.
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