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L'Année internationale de l'eau douce: un point de vue de l'Asie centrale
Par Son Excellence Emomali Rakhmonov

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La Biographie
S.E. Emomali Rakhmonov, Président de la République du Tadjiskistan depuis 1994, a été réélu en 1999. Il est également Président du Fonds international pour sauver la mer d'Aral et, de 1992 à 1994, il a été Président du Soviet suprême de la République du Tadjikistan.

Article
L'eau est l'un des éléments de base de la vie humaine et un élément essentiel au développement. C'est une ressource majeure pour la production vivrière, le bien-être de la société et le maintien de la croissance économique. L'eau est nécessaire au fonctionnement normal de tous les écosystèmes de la planète.

Selon plusieurs estimations, la proportion d'eau douce représente entre 0,25 à 0,50 % de l'hydrosphère de la planète. Malheureusement, la situation est loin d'être idéale : environ un sixième de la population mondiale n'a pas accès à l'eau potable et un tiers n'a pas accès à l'eau à des fins domestiques. Si la tendance actuelle persiste, deux habitants de la planète sur trois vivront bientôt dans des pays souffrant de " stress hydrique ". Les changements climatiques mondiaux risquent d'aggraver encore le problème.

À l'appui de ces faits, nous pouvons dire avec certitude qu'il est impossible d'assurer le développement stable de la société sans atteindre l'objectif, fixé par la Déclaration du millénaire et approuvé dans les documents du Sommet mondial du développement durable, de réduire de moitié d'ici à 2015 la proportion de personnes n'ayant pas accès à l'eau potable et à un assainissement adéquat.

Il ne faut pas non plus oublier qu'une pénurie d'eau génère un certain nombre de problèmes éthiques. L'accès à l'eau doit être reconnu comme un droit de l'homme fondamental—l'eau doit devenir la propriété commune de l'humanité.

La gestion rationnelle et équitable des ressources en eau signifie un meilleur accès de tous à l'eau et à l'assainissement ainsi qu'une réduction des conflits possibles causés par le manque d'eau. Nous savons que l'eau est souvent une cause de tensions politique entre les États. L'une des tâches essentielles de la communauté internationale doit être de prévenir les conflits. Ceci est possible seulement dans le cadre du respect de la souveraineté des États voisins et de la prise en compte des circonstances historiques, culturelles et économiques spécifiques.

Vu la complexité des problèmes liés aux ressources en eau et le besoin urgent de mobiliser la volonté politique de tous les États Membres de l'ONU afin de résoudre ces problèmes, la République du Tadjikistan a proposé que l'Assemblée générale de l'ONU proclame 2003 l'Année internationale de l'eau douce, initiative qui a été soutenue par 149 pays. Les événements qui auront lieu pendant l'Année fourniront le cadre nécessaire pour souscrire à toutes les décisions adoptées au cours des récents forums de l'ONU.

Cela permettra à la communauté internationale de se concentrer sur le développement de stratégies efficaces à tous les niveaux—international, régional, sous-régional et national—pour la préservation à long terme des ressources en eau de qualité et de leur utilisation rationnelle. L'Année internationale sera l'occasion d'unir les efforts passés ou à venir des pays de manière à résoudre les problèmes liés à la gestion de l'eau à tous les niveaux. Nous reconnaissons la nécessité de rechercher des solutions avec le soutien de la communauté internationale et la participation des pays et des sous-régions faisant face à des problèmes d'eau. Le lancement de l'Année internationale nous permet une fois de plus de relever les défis concernant l'utilisation de l'eau dans le monde et de rechercher une solution. Les pays d'Asie centrale se prêtent particulièrement bien à une telle analyse, le rôle de l'eau douce dans ces pays étant un élément de base crucial du développement socio-économique et écologique.

En Asie centrale, l'utilisation des ressources en eau destinée à répondre aux besoins économiques de la population remonte à plus de 6 000 ans. Depuis le VIe ou le VIIe siècle av. J.-C., la prospérité de la région était associée à l'agriculture irriguée. Entre 1960 et 1990, l'irrigation des terres a été la plus intensive, la superficie totale des terres irriguées ayant augmenté de 8,8 millions d'hectares.

Actuellement, l'irrigation compte pour plus de 90 % de l'utilisation totale de l'eau. Au Tadjikistan, les terres irriguées par habitant constituent seulement 0,117 ha, avec 0,08 ha de terres arables, et ce chiffre continue de diminuer en raison de la croissance démographique et du développement urbain.

À cet égard, il faudra 880 000 ha supplémentaires de terres irriguées pour pouvoir approvisionner suffisamment la population en produits agricoles. Des ressources en eau seront, par conséquent, indispensables. Une augmentation importante de l'utilisation des ressources en eau peut également être constatée dans le secteur énergétique. Dans les années 1930, le secteur hydraulique s'est développé dans la région. Actuellement, les États de l'Asie centrale comptent 45 centrales hydrauliques qui produisent 37,8 millions de kilowatts.

La production annuelle d'énergie hydraulique dans le monde représente 527, 06 milliards de kilowatts par heure, dont 4 % pour le Tadjikistan. Même avec le niveau technologique actuel, le Tadjikistan peut techniquement et économiquement augmenter sa production annuelle à hauteur de 260 milliards de kWh, soit la moitié de la production annuelle mondiale. Son potentiel en énergie hydraulique est égal à la consommation totale de toutes les ressources énergétiques dans la région de l'Asie centrale, et est quatre fois supérieur à la consommation d'énergie dans la région. Aujourd'hui, nous utilisons seulement environ 5 % du volume total. Dans tous les scénarios des années à venir, le potentiel disponible sera largement supérieur aux besoins du pays. L'énergie hydraulique du Tadjikistan revêt donc une grande importante dans la région. Le coût réduit de l'énergie électrique au Tadjikistan (0,4 centime par kWh) et le fait que l'énergie hydraulique est une source d'énergie renouvelable qui ne nuit pas à l'environnement sont également des facteurs importants. Ayant considérablement augmenté sa consommation en énergie électrique au détriment des combustibles minéraux, par rapport au début des années 1990, le Tadjikistan a réussi à réduire de manière drastique les émissions de gaz à effet de serre. Les exportations d'énergie hydraulique ou le développement de l'hydraulique du pays, avec la coopération des autres États d'Asie centrale, permettront de traiter les questions du Protocole de Kyoto dans l'ensemble de la région.

Au cours des dernières années, la compétence des États à répondre aux besoins en eau à long terme est devenue une question de priorité dans la région. Les statistiques des dix dernières années montrent une réduction temporaire de la consommation annuelle d'eau et une amélioration de la qualité des ressources en eau. De par nature, ces tendances sont cependant à court terme. Par ailleurs, les facteurs tels que la croissance démographique, le manque de protection des infrastructures hydrauliques et l'insuffisance de moyens de conservation peuvent augmenter la pénurie d'eau.

Dans ces circonstances, aucun pays de la région n'est en mesure de traiter à lui seul des questions comme la mise en ouvre de vastes projets de relocalisation de populations vivant dans les régions à forte densité, la création d'emplois et l'établissement de nouvelles infrastructures. Ces facteurs, ainsi qu'un passé historique commun, des réseaux de bassins transfrontaliers et des relations économiques étroites, rendent essentielle la coordination des efforts des pays d'Asie centrale en vue de promouvoir une utilisation de l'eau efficace, rationnelle sur la base de nouveaux principes, de nouvelles procédures et règles d'allocation de l'eau.

Ces nouvelles règles incluent la reconnaissance du partage des ressources en eau de la région, des droits égaux en matière d'utilisation et la responsabilité en matière de consommation rationnelle et de conservation de l'eau. D'autre part, des efforts conjugués devraient être fournis pour moderniser le système, diminuer l'utilisation de l'eau et développer des lois intergouvernementales juridiques et de réglementation comportant des directives régionales communes pour assumer les dépenses et les pertes. Ce n'est que par le biais d'efforts intégrés et communs de toutes les nations d'Asie centrale que l'utilisation durable de l'eau deviendra une réalité à la fois aux niveaux national et régional.

Les termes ayant trait au partage des ressources en eau transfrontalières (cours d'eau) devraient être définis par les nations par le bais de consultations, de négociations et d'accords signés. Il est également important de continuer à améliorer le cadre légal de la coopération intergouvernementale, de coordonner la législation des États de la région afin d'appliquer les accords conclus, de développer le cadre technique de la gestion de l'eau, d'assurer un approvisionnement en eau suffisant, de maintenir la qualité de l'eau à un niveau acceptable et de déterminer les outils efficaces permettant de débattre des questions importantes.

Beaucoup de progrès ont déjà été accomplis dans ce domaine. Plusieurs accords réglementant la coopération ayant trait à la gestion commune, la protection et l'utilisation des ressources en eau ont été signés. Les plus importants sont:
l'Accord entre les Républiques du Kazakhstan, du Kirghizistan, de l'Ouzbékistan et du Turkménistan sur la coopération dans le domaine de la gestion commune de l'utilisation et de la protection des ressources en eau transfrontalières, 1992; l'Accord sur les efforts communs afin de traiter la question du bassin de la mer d'Aral et le territoire de la mer d'Aral (Priaralye), la réhabilitation écologique et le développement social et économique du bassin de la mer d'Aral, 1993; la Déclaration de Nukuss des États d'Asie centrale et des organisations internationales sur les questions du développement durable dans le bassin de la mer d'Aral, 1995; les Déclarations sur le bassin de la mer d'Aral, Alma Atat(1997), Ashgabat (1999) et Dushanbe (2002); and the Agreement among the Governments of Kazakhstan, the Kyrgyz Republic, Tajikistan and Uzbekistan on Utilization of hydropower Resources in the Syr Darya River Basin, 1998.

La mise en ouvre des dispositions des accords ci-dessus nécessitera la création d'un mécanisme de coopération régionale en matière de gestion des ressources en eau sur la base de droits égaux et d'engagements. Le développement d'une stratégie régionale, avec l'appui des Nations Unies, destiné à promouvoir une utilisation efficace de l'eau en Asie centrale est un pas important dans cette direction. L'un des éléments fondamentaux du système de gestion du complexe hydraulique de la région est la mise en place d'un système régional qui intègre les principales structures institutionnelles : la Commission intergouvernementale de coordination sur les questions de l'eau (avec son propre centre de recherche et d'informations), qui définit la politique générale de l'utilisation des ressources hydrauliques dans la région, examine les questions ayant trait au partage des ressources en eau.

La mer d'Aral: une ressource régionale qui s'épuise. Au cours des trente dernières années, le niveau de la mer d'Aral, située en ex-Union soviétique, a diminué de moitié. La réduction du volume et de la qualité de l'eau du bassin de la mer d'Aral ainsi que les concentrations de poussières toxiques ont causé une catastrophe écologique et socio-économique dans la région.(Voir également la Chronique ONU, numéro 1, 1999, page 38.)
Il approuve également les régimes opérationnels annuels des unités hydrauliques pourvues de réservoirs; les associations des bassins " Syr-Drya " et " Amou Darya " (responsables de la gestion de tous les systèmes d'irrigation importants), le Conseil de l'Asie centrale en matière d'énergie hydraulique, avec son agence de distribution, le Centre de distribution intégrée " Asie centrale " (chargé de la gestion directe des régimes coordonnés des systèmes énergétiques).

La revalorisation des conditions écologiques, sociales et économiques dans le bassin de la mer d'Aral nécessite une attention particulière ainsi que des efforts coordonnés de la part des nations de la région. À cette fin, celles-ci ont établi le Fonds international pour la mer d'Aral. En 1994, les chefs d'État des pays d'Asie centrale ont également adopté le concept inter-États qui comprend une évaluation de la situation du bassin de la mer d'Aral et du territoire de la mer d'Aral (Priaralye), ainsi que des prévisions, et définit ce que doivent faire les États pour améliorer la situation. Les mesures prises jusqu'à présent n'ont pas empêché la détérioration du bassin de la mer d'Aral et des territoires adjacents. C'est pourquoi les chefs d'État ont approuvé, lors de la réunion de Dushanbe, en octobre 2002, les " Grandes directives d'un programme d'action pour la revalorisation de la situation environnementale, sociale et économique dans le bassin de la mer d'Aral, 2003-2010 ". Ce programme devrait traiter tous les aspects essentiels de la crise dans le bassin de la mer d'Aral et sa mise en ouvre permettra d'arrêter le processus de détérioration. Vu l'importance du problème et de ses ramifications, les chefs d'État ont souligné, dans la Déclaration de Dushanbe, la nécessité d'établir une Commission spéciale de l'ONU chargée de la coordination des activités des organisations internationales et des pays donateurs afin de traiter les problèmes du bassin de la mer d'Aral.

Des consultations sont actuellement en cours avec l'ONU et d'autres organisations internationales. Une approche régionale équilibrée, destinée à traiter les problèmes écologiques communs, nécessite également une plus grande attention aux conditions environnementales dans les montagnes où l'eau prend sa source.

Parmi les problèmes les plus urgents qui nécessitent des efforts communs figurent : la surveillance des glaciers et de l'alimentation des rivières par les glaciers, le développement durable des forêts dans les régions montagneuses, le reboisement et l'expansion des terres boisées naturelles, la surveillance de l'érosion des coteaux, spécialement en relation avec le développement de l'irrigation dans les hautes vallées montagneuses, l'adoption de mesures de prévention contre les glissements de terrain, etc.

Le processus d'intégration écologique et économique régionale concerne également notre pays voisin, l'Afghanistan. Ce pays possède une capacité importante qui lui permet d'augmenter le débit d'eau de l'Amou Darya. Au vu du processus de stabilisation dans ce pays, la réalisation de ce potentiel influencera le partage de l'eau entre les États de la région. À cet égard, la participation de l'Afghanistan aux travaux collectifs de développement des ressources en eau de la région servira les intérêts mutuels de toutes les parties.

Les problèmes, les priorités, l'expérience et les perspectives de coopération des États d'Asie centrale dans le domaine de l'utilisation de l'eau feront partie de l'ordre du jour du Forum international de l'eau douce, qui se tiendra à Dushanbe en août 2003. Nous espérons que ce Forum, l'un des événements importants de l'Année internationale de l'eau douce 2003, donnera aux participants l'occasion de partager leur savoir-faire et leur expérience en matière de gestion de l'eau aux niveaux national, sous-régional ainsi qu'à d'autres niveaux. Le Président et le gouvernement de la République du Tadjikistan sont prêts à proposer une coopération étroite et mutuellement avantageuse à tous les pays concernés.

L'humanité ne devrait pas oublier qu'elle est étroitement liée à deux atomes d'hydrogène et à un atome d'oxygène qui, faisant partie de l'univers naturel, maintiennent la vie sur Terre.
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