Un point de vue non conventionnel:
Une bonne mondialisation
Par Joachim von Braun
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Photo FAO
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Il y a longtemps que la mondialisation de lagriculture se développe sur plusieurs fronts. Et les résultats sont mitigés. Il est
nécessaire de mettre en place des politiques spéciales adaptées aux conditions régionales afin de permettre aux populations de bénéficier des avantages, de
protéger lenvironnement et de prévenir les risques. Ces bénéfices, surtout pour les pays du Sud, sont importants et devraient être exploités.
Mondialisation signifie intégration des facteurs de production et rendement dans les marchés mondiaux, partage de linformation et du savoir ainsi que mise en place de
règles globales.
Une agriculture qui encourage une forte productivité du travail est un secteur à haute intensité de capital, cest-à-dire qui investit dans la technologie, les
compétences et les organisations. Généralement, la mondialisation entraîne une plus grande mobilité et une plus grande volatilité des capitaux et des
finances, ce qui se reflète dans les fluctuations des taux de change et des taux dintérêt. Alors que linvestissement agricole demande une planification à long
terme, la transformation de lagriculture nest généralement pas facilitée sous cet angle de la mondialisation. Dun autre côté, lagriculture
productive reposant sur le savoir, elle pourrait bénéficier dune réduction des coûts de linformation et du savoir, à la fois privés et publiques,
dans le contexte de la mondialisation.
Traditionnellement, lagriculture est une activité locale, la plus grande partie des activités étant liée aux terres cultivées par les communautés qui
sefforcent dexploiter le mieux possible les terres et les ressources en eau de la région dans les conditions climatiques et technologiques actuelles. Alors que les terres,
leau et, dans une certaine mesure, les populations ne sont pas des éléments mobiles à léchelle internationale, certains facteurs de production (les semences,
les engrais et les aliments pour animaux), le rendement et le savoir lié à lagriculture sont extrêmement mobiles, même dans un sens global. En même temps, la
mondialisation se manifeste aussi de plus en plus au niveau de la consommation alors que les goûts, spécialement ceux des consommateurs urbains, deviennent de plus en plus uniformes. Cet
aspect dynamise la mondialisation des industries alimentaires. À cet égard, la mondialisation de lagriculture - pour ce qui est des intrants et des extrants, aux deux pôles
du système alimentaire (fabrication et consommation), et des systèmes de recherche et de connaissances - est une réalité et, depuis des décennies, ne cesse de se
développer. Dans lindustrie agroalimentaire, les acteurs mondiaux de plus en plus nombreux jouent un plus grand rôle et ce, non seulement en Amérique du Nord et en
Europe.
Comment ces tendances ont-elles un impact sur la sécurité alimentaire et les moyens dexistence des populations ?
Constituent-elles un danger pour les consommateurs et les fermiers ?
La réponse est non. La sécurité alimentaire sest généralement améliorée au fil des décennies. La faim est un problème qui tend
à diminuer, bien que chaque être humain nen soit pas à labri, spécialement dans les régions et les pays où les gouvernements ont
sous-estimés limportance des secteurs de lalimentation et de la santé. Les progrès en matière de sécurité alimentaire sont extrêmement
décevants parce quils ont, au mieux, suivi les modèles et les tendances du passé mais ne reflètent pas les opportunités quoffrent la richesse mondiale
et les nouvelles technologies. La révolution des technologies de linformation et des communications na pas, jusquici, changé la vie des pauvres souffrant de
malnutrition et la révolution biotechnologique, qui ne touche pas les petites exploitations agricoles, connaît des débuts difficiles dans les pays du Nord. Tandis que la
mondialisation a inclus un grand nombre de personnes sous-alimentées vivant en milieu rural et urbain dans des régions dAsie et dAmérique latine, ce nest pas le
cas dans la plupart des pays africains. Linsécurité alimentaire prédomine donc dans ces régions, touchées par les effets de la mondialisation de
lagriculture tels que mentionnés ci-dessus.
Lagriculture étant un secteur où le savoir technique est important, la facilité daccès au savoir, par le biais de la mondialisation, représente une
occasion pleine de promesses. Il faut souligner que lagriculture nest pas un secteur économique comme les autres. Compte tenu des conditions historiques et de
lévolution de la production agricole et de lélevage aux niveaux régional et des communautés, lagriculture traditionnelle est un système culturel
et de connaissances précieux. Son ouverture sur léconomie mondiale a, sans aucun doute, dimportantes conséquences pour la transformation culturelle des
communautés. Cela marquera-t-il la fin dune riche diversité de la culture mondiale rurale, de son savoir-faire et de sa sagesse ? Bien que des dangers existent, cela ne signifie
pas quelle est inéluctable.
La mondialisation engendre une forte concurrence entre les lieux de production. Cest le cas pour lagriculture ainsi que pour tous les autres secteurs. Il est donc nécessaire
dinstaurer de nouvelles mesures institutionnelles efficaces au niveau local pour mettre en place des infrastructures, des systèmes de crédit et dimposition, des canaux pour
les marchés, etc. Par ce mécanisme, la mondialisation encourage la décentralisation à trois niveaux : politique, administratif et fiscal, ce qui renforce le pouvoir local
y compris dans la gestion locale des biens publics, comme léducation et la culture.
Le scénario de communautés rurales autonomes, diverses mais efficaces, dotées dune culture riche, ne se produira pas sans un large soutien politique. Il existe actuellement
dans le secteur agricole, et ce non seulement dans les pays industrialisés, un dualisme de plus en plus marqué où une partie se mondialise de plus en plus et lautre demeure
marginalisée et axée sur une agriculture de subsistance. Ce phénomène se produit parallèlement, comme pour les 60 millions dunités de jardinage et
dagriculture de subsistance en Europe centrale et de lEst, ou les 400 millions de fermes centrées sur lagriculture de subsistance dans les pays en développement. Leur
intégration dans les marchés et les systèmes de savoir est lun des vrais défis de la bonne mondialisation. Laccès à la technologie,
de nouvelles mesures institutionnelles pour la coopération et laccès aux marchés sont des contraintes que doivent examiner les pouvoirs publics.
Mais, à lui seul, le savoir actuel ne suffit pas. Les complexités de lagroécologie dans le monde nécessitent que des efforts soient menés pour que la nouvelle
recherche agricole appliquée soit davantage accessible à ces communautés. Le Groupe consultatif sur la recherche agricole internationale se réoriente pour répondre
à ce défi et examiner les besoins alimentaires des pauvres. Une telle action aura pour résultat non pas le développement de grandes exploitations agricoles mais une
diversité de fermes plus spécialisées et fonctionnant souvent à temps partiel dans les communautés qui, dans le contexte de la productivité agricole
croissante, augmenteront leur productivité de travail et leurs revenus, et créeront dautres emplois locaux dans la production et les services qui ne sont pas liés au
secteur agricole. Léducation rurale est essentielle pour que ce processus se traduise en développement durable.
Lattention du gouvernement national est central pour la sécurité alimentaire des ménages. Mais lagriculture mondiale a également besoin dune gouvernance
mondiale, tout au moins pour les règles commerciales et la sécurité alimentaire. Les communautés rurales peuvent être les principales bénéficiaires de
la mondialisation mais pas dans les pays qui imposent une déréglementation accrue du commerce agricole. Lagriculture est protégée de la concurrence internationale
par des réglementations et des normes commerciales, et ce, non seulement dans les pays riches du Nord. Certains pays en développement protègent également les fermiers de
la concurrence mondiale, pas seulement du dumping. Une approche progressive et continue vers louverture des marchés agricoles mondiaux est nécessaire dans le contexte de
lorganisation mondiale du commerce. La sécurité alimentaire et les services dinformation demandent une FAO (Organisation des Nations Unies pour lalimentation et
lagriculture) forte, assumant les fonctions dun ministère de lAgriculture mondial. Un monde qui compte actuellement 6 milliards dhabitants, et qui en
comptera bientôt 9 milliards, ne peut se permettre de gaspiller les ressources en terres et en eau rares et ne peut être exposé à un risque de pénurie de
vivres.
Joachim von Braun est Directeur du Centre de recherche sur le développement à luniversité de Bonn (Allemagne), et
Président de lAssociation internationale des économistes agronomiques.
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