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Ce n’est pas le manque de nourriture qui est en cause mais son accès
Par C. Gopalan
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Pendant les cinquante dernières années, nous avons connu une augmentation spectaculaire de la population mondiale. Selon les prévisions, la population mondiale de 1997 augmentera de 1 297 millions d’ici à 2015, ce phénomène touchant principalement les régions de monde faisant face à des problèmes alimentaires. Sur les 1 297 millions de personnes, on estime que 820 millions vivront en Asie.1 Mis à part cette croissance inquiétante, les besoins alimentaires par habitant sont censés augmenter alors que des millions de personnes vivant actuellement dans la pauvreté franchiront le seuil de pauvreté pour passer dans les rangs d’une “classe moyenne” de plus en plus importante. Pour satisfaire les besoins de cette population croissante, l’élargissement des superficies cultivées s’avérant difficile, il est important d’augmenter la production agricole en accroissant la production par unité de terres.

Photo FAO

La transition dans le domaine du développement, amorcée ces quelques dernières décennies, a également engendré un important changement “qualitatif” dans le profil démographique de la nutrition avec, pour conséquence, un mouvement progressif et alarmant de la population quittant les régions pauvres pour aller vivre dans les pays en développement. Ce phénomène s’est davantage produit dans certains pays. Les résultats sont les suivants :

Une augmentation de l’espérance de vie pour les enfants qui mouraient en bas âge et qui atteignent maintenant l’âge adulte.

- L’émergence d’une classe moyenne urbaine relativement aisée (les riches de la première génération) qui présente de plus en plus de maladies chroniques dégénératives liées à la nutrition.

- Les stratégies visant à fournir une sécurité alimentaire doivent être adaptées en conséquence. “La survie” n’est pas synonyme de bonne santé ou de nutrition optimale. Nous devons donc adopter des stratégies pour assurer la santé et une nutrition optimale aux enfants.

Il est temps de reconnaître que le profil de la nutrition a changé et de modifier les politiques nationales en conséquence.

Les stratégies précédentes, qui consistaient principalement en des “opérations de holding” permettant de gagner un temps précieux et de tenir les peurs malthusiennes en échec, étaient fondées sur des objectifs limités tels que vivre à l’abri de la faim, la survie de l’enfant et “une maternité sans risque”. Or, ces stratégies sont erronées. Les enfants doivent vivre et non pas “survivre” ; les mères doivent être éduquées de manière efficace et utile, pas seulement bénéficier de soins pendant leur grossesse, et chaque être humain doit avoir accès à une nourriture suffisante et pas seulement vivre à l’abri de la faim. D’autre part, il faut veiller à ce que les personnes relativement riches adoptent un régime alimentaire équilibré et aient un style de vie sain.

Dans le passé, la sécurité alimentaire consistait principalement à fournir une alimentation adéquate pour répondre aux besoins nutritionnels. Les besoins en calories étaient le critère utilisé pour évaluer le succès, principalement par la culture des céréales. Cependant, la sécurité de la nutrition doit signifier l’accès adéquat non seulement à des céréales riches en protéines mais aussi à une variété d’aliments dont la consommation en quantités raisonnables pourrait assurer une alimentation équilibrée. Il faudrait donc modifier de manière qualitative le régime alimentaire des populations pauvres en utilisant des aliments qui sont disponibles, y compris les légumes secs comestibles, les légumes, les fruits, le lait, la volaille et le poisson.

Les nouvelles technologies génétiques offrent la possibilité de mettre au point des variétés de cultures vivrières résistantes au stress biotique et abiotique, à la sécheresse et à la salinité, qui offrent de meilleures qualités nutritives. La technologie génétique appliquée à l’horticulture pourrait permettre d’obtenir des légumes et des fruits de meilleure qualité offrant une meilleure valeur nutritive. La sécurité de certains aliments génétiquement modifiés fait l’objet de nombreuses polémiques dont certaines sont fondées. Les inquiétudes portent sur les conséquences du transfert des gènes sur les organismes receveurs, les possibilités d’une recombinaison génétique non favorable, le comportement de ces organismes dans les conditions naturelles actuelles, les risques d’allergies et de toxicité que présentent ces aliments, l’environnement et la biodiversité ainsi que la valeur nutritionnelle. Il est primordial de réunir des preuves solides sur l’efficacité et la sécurité de ces aliments avant qu’ils ne soient commercialisés, de mettre au point des emballages portant des mises en garde, de mettre en place des codes éthiques pour l’expérimentation ainsi que des protocoles nationaux et internationaux pour garantir la sécurité biologique.
Un programme de production alimentaire intégré devrait s’attacher à assurer une augmentation de la production non seulement par la culture mais aussi par l’élevage ainsi que par une meilleure utilisation des sources alimentaires des rivières et des mers. Des stratégies devraient aussi être adoptées pour assurer l’intégrité et la qualité des aliments afin d’éviter les infections et les substances toxiques. L’éducation en matière de nutrition est aussi un domaine important pour assurer une distribution équitable de la nourriture au sein même des familles et répondre aux besoins physiologiques. Alors, nous pourrons espérer lutter contre les problèmes nutritionnels émergents.

On a souvent dit que la révolution verte et les technologies actuellement disponibles pour augmenter la production alimentaire s’était essoufflée et qu’il était donc impératif de créer de nouvelles technologies et initiatives.

Certes, il est important de les développer dans les grandes régions de l’Asie, pourtant les rendements alimentaires obtenus actuellement avec les technologies existantes sont encore inférieurs au potentiel de rendement possible.2 Il est sûr que les possibilités existent. Les pays en développement devraient se donner comme priorité de mettre en œuvre ces technologies de manière plus efficace. La technologie de culture intensive, adoptée dans le cadre de la révolution verte, n’avait pas toujours été poursuivie en prenant les précautions nécessaires concernant l’emploi d’engrais et de pesticides, les analyses de sol périodiques et la conversation des sols. Ces erreurs passées doivent être corrigées afin de produire le plus de céréales possible à l’aide des technologies actuelles.

De nos jours, le gaspillage de nourriture, causé par des mesures d’entreposage et de conservation défectueuses, doit également être réduit. Près d’un tiers des légumes et des fruits ainsi qu’une proportion considérable de céréales s’abîment avant d’atteindre le stade de la consommation. Il est urgent de remédier à ce problème.

Il existe un besoin considérable de développer les industries basées sur les productions agricoles des villages et des communes, ce qui pourrait créer des opportunités d’emploi pour les femmes et les hommes. Ceci pourrait aussi permettre d’augmenter la production, d’utiliser les ressources locales de manière plus efficace et de réduire la perte considérable actuelle de produits alimentaires.

Photo FAO/G. Bizzarri
La communauté internationale reconnaît de plus en plus qu’il est important de développer des programmes afin d’assurer une sécurité de la nutrition durable - définie par le Comité mondial de l’environnement et du développement comme la nécessité de “répondre aux besoins de la génération actuelle sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs”. Les technologies de production employées au début de la révolution verte n’ont pas toujours pris en compte cet important critère. Il est évident que pour promouvoir l’amélioration de la nutrition, il faut donner aux populations pauvres des pays en développement les moyens d’utiliser les ressources alimentaires de manière optimale et judicieuse. Les programmes d’augmentation de la production alimentaire doivent être fondés sur les aliments et non sur les produits chimiques. Nous devons nous efforcer de trouver des moyens adéquats et peu coûteux pour augmenter la sécurité alimentaire en utilisant les aliments disponibles au niveau local. Des millions de personnes vivant dans les pays en développement souffrent de malnutrition, non pas en raison du manque de nourriture au niveau national mais parce qu’ils n’ont pas les moyens économiques d’y accéder. Ils sont pris dans le “piège de la pauvreté”. Nous faisons donc face à un paradoxe cruel : d’un côté, une réserve considérable de stocks de nourriture et, de l’autre, un grand nombre de sous-alimentés, et ce, dans le même pays.

Le syndrome de la pauvreté comporte de nombreux attributs synergiques qui se renforcent mutuellement. Les revenus des ménages sont bas en raison de l’analphabétisme et du manque de compétences génératrices de revenus. Ces revenus ne permettent d’avoir accès ni à une alimentation suffisante ni aux soins de santé de base, aux logements et à une hygiène environnementale. En outre, la pauvreté endémique persistante sape la confiance des gens et amoindrit leurs aptitudes physiques et mentales à tel point qu’ils acceptent l’état de pauvreté dans lequel ils se trouvent. Les mesures populistes et temporaires préconisées pour surmonter la pauvreté sont des “tapis de l’aide sociale” - des programmes à perte qui permettent d’alléger l’extrême pauvreté à court terme mais qui cantonnent les gens dans la pauvreté et qui sapent encore plus leur confiance en soi. Les programmes de lutte contre la pauvreté qui ont permis aux gens de sortir du cycle de la pauvreté mettent l’accent sur l’éducation, l’acquisition de compétences, la fourniture de soins de santé de base et l’amélioration des transports et des communications. Il a été démontré qu’analphabétisme des femmes et malnutrition sont étroitement liés.3, 4

Cependant, ce fait ne constitue pas forcément une cause directe, ni un effet de relation direct. Les facteurs socioculturels représentant des obstacles à l’alphabétisme des femmes pourraient aussi être ceux qui perpétuent la stagnation économique et sociale. En dernière analyse, la sécurité de la nutrition ne peut être un problème isolé que l’on tente de résoudre en mettant en place des programmes de nutrition verticaux limités dans des pays où le sous-développement est persistant. Elle ne peut être assurée qu’en étant intégrée dans le développement général socio-économique de la communauté.

Le développement comprend deux dimensions tout aussi importantes qui sont liées entre elles : les dimensions sociale et économique. La pierre angulaire du développement social est l’éducation des femmes et leur responsabilité. Lorsqu’une mère a atteint un certain niveau d’éducation, il en est généralement de même pour le père. L’enfant grandit donc dans un meilleur milieu et est davantage stimulé. Le ménage est en mesure de faire les choix adéquats pour répondre à leurs besoins alimentaires et d’utiliser les autres ressources de soins de santé qui leur sont fournis.

L’accès à la nourriture et aux autres nécessités de base pour la survie humaine ont été les principales préoccupations de l’humanité à travers les âges. Malheureusement, nous constatons que, malgré les avancées spectaculaires de la science et de la technologie au cours des derniers siècles, près de la moitié de l’humanité n’a pas accès à une nourriture suffisante. Contrairement aux populations de l’âge de la pierre, qui vivaient de la chasse et de la cueillette, les pauvres souffrent d’insécurité alimentaire non pas par manque de vivres mais parce qu’ils n’y ont pas accès pour des raisons économiques. Nous faisons face au paradoxe cruel de la pauvreté dans un monde où la nourriture est en abondance. Il est vrai qu’au siècle dernier, nous avons réussi à surmonter en grande partie les pires formes de déficiences nutritives comme les famines et les nombreuses maladies par carence alimentaire. Il faut espérer que dans ce siècle, il sera possible d’avoir un monde où les nécessités de base de la vie seront disponibles pour tous et où les efforts humains seront davantage axés vers des activités créatives et productives qui contribueront à enrichir la qualité de la vie.


Notes
1Rapport du développement humain, PNUP, Oxford University Press, 1999.
2Statistiques agricoles, Ministère indien de l’Agriculture, 1999.
3La situation des enfants dans le monde, UNICEF, 1998.
4Enquête nationale sur la santé des familles (1992-1993). Inde : Résumé du rapport. Institut international des sciences de la population, 1995.
Médecin à Madras, docteur ès sciences (Londres), C. Gopalan est Président de la Fondation indienne de la nutrition, ancien Directeur et fondateur des Instituts nationaux de nutrition à Hyderabad. Il est également Directeur général du Conseil indien de recherche médicale et président de l’Union internationale des sciences de la nutrition.



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