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Le défi n’a pas changé
Par Jacques Diouf

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Le Xxe siècle a connu un essor de l’agriculture tel que, pour la première fois, la production alimentaire mondiale a dépasse le taux de croissance démographique. Aujourd’hui, les fermiers et les pêcheurs produisent plus qu’il n’est nécessaire pour nourrir tous les hommes, les femmes et les enfants sur la planète. Pourtant, une personne sur huit dans le monde souffre toujours de la faim chronique.

Trop souvent, la situation de la faim ne provoque de réaction que lorsque de vastes populations sont au bord de la famine - simples squelettes décharnés forcés d’abandonner leur maison à la recherche désespérée d’assurer leur survie. Cependant, dans la plupart des cas, la faim est beaucoup moins visible et ne fait ni la une des journaux, ni l’objet de reportages aux images choquantes. Pourtant, la faim chronique - c’est-à-dire un repas par jour au lieu de deux ou de trois - est la cause d’une immense souffrance, sape le bien-être des nations et les rend vulnérables aux catastrophes. Elle prédispose les populations aux maladies et à la mort prématurée ; elle vole les jeunes et les adultes de leur potentiel de travail, affecte la croissance des enfants et amoindrit leurs capacités d’apprentissage. La faim, autant une cause qu’une conséquence de la pauvreté, enferme les familles dans un cycle vicieux qui se perpétue d’une génération à l’autre.

Il y a cinq ans, presque tous les leaders mondiaux ont décidé de réduire de moitié d’ici 2015 le nomre de personnes souffrant de la faim dans le monde, soit de 800 à 400 millions. Depuis l’engagement pris lors du Sommet mondial de l’alimentation, qui a eu lieu à Rome en 1996, seules quelques nations ont réussi à réduire l’incidence de la faim. À l’échelle mondiale, le nombre de personnes sous-alimentées a été réduit de moins de la moitié par rapport à l’objectif fixé.

L’action de grande envergure, nécessaire pour s’attaquer aux causes fondamentales de la faim, semble pratiquement inexistante. Par contre, nous constatons une augmentation importante du nombre de catastrophes naturelles, causées par les activités humaines et de celui des pays touchés par l’instabilité. À ceci s’ajoute une diminution inquiétante des investissements agricoles dans les pays en développement et, particulièrement, celle du financement du développement agricole et rural par les institutions financières internationales, qui a diminué de 40 % au cours des dix dernières années pour atteindre environ 3,5 milliards de dollars par an. Ces tendances engendrent une réduction des moyens d’existence d’un très grand nombre de ruraux, qui représentent 70 % des pauvres dans le monde et la majorité des personnes sous-alimentées.

Et la libéralisation du marché, qui aurait pu injecter de nouvelles ressources dans les économies des pays en développement dépendant de l’agriculture, n’a pas non plus donné les résultats escomptés. La protection offerte par les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) aux agriculteurs - quelque 361 milliards de dollars en 1999 (ou 100 fois le flux annuel du financement multilatéral pour l’agriculture) - permet d’avoir accès à une nourriture bon marché sur le marché international mais, par la même occasion, amoindrit les chances de revenus de nombreux agriculteurs, parmi les plus pauvres, dans le monde.

L’élimination de la faim, en plus d’être un impératif moral, est le premier pas essentiel vers la réduction de la pauvreté. Tant qu’un grand nombre de personnes souffriront de la faim, il existe peu de chances de créer de nouvelles opportunités de croissance économique et d’atteindre l’objectif international du développement, à savoir réduire de moitié la pauvreté extrême en 2015. Certains pays ont montré comment il était possible de réduire considérablement la pauvreté en adoptant des stratégies qui associent les mesures de réduction de la sous-alimentation chronique aux investissements dans le développement rural. D’autres nations peuvent suivre ces exemples.

En dépit des innovations technologiques et de la prospérité mondiale, l’histoire jugera que notre génération a échoué si nous ne parvenons pas à réduire le fléau de la faim alors que les avancées scientifiques et les processus de la mondialisation nous ont donné les moyens de le faire.

Nous ne pouvons pas prétendre que nous sommes incapables de produire une nourriture suffisante pour tous ou que nous ne disposons pas des moyens nécessaires pour assurer à tous les peuples l’accès à une nourriture suffisante leur permettant de mener une vie saine.

Il ne fait aucun doute que tous les pays - riches comme pauvres - ont intérêt à créer les conditions nécessaires pour que la faim ne soit plus un obstacle, ni une situation désespérée. Je crois également que si tous - gouvernements, organisations internationales, société civile, leaders des communautés et fermiers - nous nous en donnons les moyens, nous pouvons atteindre l’objectif du Sommet.

Le communiqué du Sommet du G-8, qui s’est réuni à Gênes, a placé la réduction de la faim parmi les priorités de l’action internationale. Il faut désormais que les pays développés et ceux en développement réaffirment leur détermination à traduire les engagements pris en 1996 en actions tangibles. L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) est confiante que les chefs d’État et de gouvernement, qui se réuniront en novembre prochain lors du Sommet mondial de l’alimentation cinq ans après, trouveront la solution politique nécessaire pour libérer le monde de la faim, ce à quoi nous aspirons tous.

Notre succès, cependant, ne dépendra pas tant du renouvellement des engagements pris lors du Sommet que des mesures que nous prendrons sur le terrain et dans les communautés rurales ainsi que de la manière dont les ressources seront ensuite mobilisées et utilisées. La société civile peut réellement aider à renforcer, d’une part, la volonté politique des gouvernements à briser le cycle de la faim et, d’autre part, la capacité des communautés pauvres à améliorer leurs moyens d’existence. C’est pourquoi la FAO travaille en collaboration étroite avec les gouvernements et les organisations non gouvernementales, tant des pays développés que des pays en développement, pour décider ensemble des mesures concrètes et pratiques à adopter afin d’atteindre l’objectif du Sommet.

Jacques Diouf (Sénégal) est Directeur de la FAO depuis janvier 1994. Avant sa nomination, il était Ambassadeur de la Mission permanente du Sénégal auprès des Nations Unies et Membre du parlement sénégalais. Il est l’auteur de “The Challenge of Agricultural Development in Africa”.



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