9423e séance – matin
CS/15421

Conseil de sécurité: la Cheffe de la Mission d’assistance en Afghanistan incite à persévérer dans le dialogue avec les autorités afghanes de facto

Venue présenter au Conseil de sécurité, ce matin, le rapport trimestriel du Secrétaire général sur la situation en Afghanistan et ses conséquences pour la paix et la sécurité internationales, la Représentante spéciale pour ce pays, également Cheffe de la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA), a plaidé pour une stratégie de modération et de dialogue avec les autorités afghanes de facto, afin de contribuer à une amélioration de la situation humanitaire et de promotion des droits des femmes et des filles, aujourd’hui strictement limités. 

Mme Roza Otunbayeva s’est toutefois montrée réaliste.  Si les Taliban se montrent « compréhensifs » quant au principe d’une gouvernance plus inclusive, il n’en reste pas moins que la poursuite du dialogue avec eux est sapée par les plus de 50 décrets qu’ils ont pris depuis un an, dont nombre ont des « conséquences dramatiques » sur les femmes et les filles, a-t-elle relevé, confirmant le gouffre qui sépare les politiques menées par les autorités talibanes du cadre normatif international.

La Représentante spéciale, qui a rappelé que, depuis le 20 juin dernier, la MANUA a publié trois rapports relatifs aux droits humains en Afghanistan, a fait observer que 46% des femmes afghanes interrogées dans le cadre de ces travaux s’opposent à une reconnaissance des Taliban, quelles que soient les circonstances.  Malgré ce sentiment de défiance d’une large part de la population, elle a estimé que la poursuite du dialogue avec les autorités de facto, en coordination avec la communauté internationale, constitue une occasion à saisir « pour le bien-être de millions de femmes qui doivent pouvoir contribuer à un Afghanistan ouvert ». 

Dans le contexte actuel, l’accès à l’éducation reste la plus grande priorité, les quatre cinquièmes des jeunes femmes et filles en âge d’étudier n’étant plus scolarisées, a souligné la Directrice exécutive d’ONU-Femmes, qui a fait valoir la collaboration de son agence avec la MANUA et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), en vue de placer les femmes afghanes au centre des processus décisionnels, conformément au programme pour les femmes et la paix et la sécurité. 

Mme Sima Sami Bahous a recommandé au Comité du Conseil de sécurité créé par la résolution 1988 (2011) de réfléchir au rôle qu’il peut jouer dans la réponse aux violations des droits des femmes en Afghanistan.  Elle a d’autre part souhaité que l’on cesse de considérer la situation afghane comme une simple crise humanitaire, jugeant qu’il s’agit également d’une crise économique, de santé mentale, de développement « et bien plus encore ».  De même, elle a prié le Conseil de sécurité d’apporter son plein appui au processus intergouvernemental visant à codifier explicitement « l’apartheid sexiste » dans le droit international. 

Selon l’experte juridique internationale, Mme Kamira Bennoune, cette situation d’apartheid, aggravée par les dizaines de décrets qui privent les femmes de leurs droits fondamentaux, se traduit notamment par des privations arbitraires de liberté et des cas de torture, mais aussi par une augmentation alarmante du nombre de suicides féminins.  Certaines femmes évoquent une « mort progressive », a-t-elle expliqué, relayant les appels du Rapporteur spécial sur la situation des droits humains en Afghanistan et du Groupe de travail sur la discrimination à l’égard des femmes et des filles en faveur d’une condamnation juridique internationale de cet état de fait.  De fait, il ne peut être question, selon elle, de reconnaître le régime taliban et encore moins de le laisser entrer à l’ONU tant que ce système d’apartheid entre les sexes persiste. 

Les membres du Conseil de sécurité se sont tour à tour émus des restrictions radicales imposées aux Afghanes, qu’ils ont unanimement condamnées.  Le Japon a cependant recommandé à la communauté internationale de se garder d’isoler les Taliban comme dans les années 90, préconisant plutôt un dialogue pragmatique.  La délégation japonaise a évoqué à ce sujet la réouverture de son ambassade à Kaboul en 2022. 

De son côté, la Chine a invité les bailleurs de fonds à se concentrer sur la survie de la population afghane en se gardant d’instrumentaliser l’assistance humanitaire pour faire pression sur le pays.  Elle s’est en outre indignée du gel par les États-Unis de 7 milliards de dollars d’actifs appartenant à la Banque centrale afghane.  Les États-Unis ont pour leur part indiqué que, depuis août 2021, ils ont fourni 2 milliards de dollars d’aide humanitaire aux pays, dont 969 millions au Programme alimentaire mondial (PAM). 

Le représentant de l’Afghanistan a, quant à lui, dressé un sombre bilan de l’action des autorités talibanes, constatant que les engagements de transparence et de collecte accrue de recettes n’ont pas abouti.  Il en va de même pour la promesse de réduction de la culture du pavot, certains chefs des Taliban s’adonnant encore à cette pratique, a-t-il dénoncé, avant de se faire l’écho des demandes de la diaspora et de groupes indépendants afghans.  Il a ainsi appelé à un dialogue de toutes les forces vives politiques du pays pour créer une feuille de route susceptible de conduire à un Afghanistan politiquement inclusif et représentatif, et empêcher qu’il ne devienne un sanctuaire du fanatisme et du terrorisme. 

Invitée par le Conseil, la République islamique d’Iran a rappelé qu’elle accueille des millions de réfugiés afghans sur son territoire.  Pointant le sous-financement du plan d’intervention humanitaire pour l’Afghanistan, elle a insisté sur l’importance d’une coopération collective pour permettre un retour sûr des réfugiés dans leur pays.  Elle s’est aussi inquiétée des conséquences de la situation afghane sur la sécurité régionale, la présence d’Al-Qaida constituant selon elle une « menace permanente ».  La délégation iranienne a enfin appelé, à l’instar de la Chine, à l’annulation des sanctions imposées à l’Afghanistan. 

Parmi les autres voisins de l’Afghanistan, l’Inde a mis l’accent sur la coopération bilatérale, tout en considérant que la paix et la stabilité du pays relèvent d’une responsabilité partagée.  Le Pakistan, qui ne reconnaît pas la légitimité du représentant de l’Afghanistan, s’est lui félicité de la « nette amélioration » de l’ordre public dans ce pays, en dépit des restrictions qui lui sont imposées. 

LA SITUATION EN AFGHANISTAN (S/2023/678)

Déclarations

Mme ROZA OTUNBAYEVA, Représentante spéciale du Secrétaire général et Cheffe de la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan, a rappelé qu’à l’occasion de son discours d’acceptation du prix Nobel de la paix en 2001, le Secrétaire général de l’ONU, feu M. Kofi Annan, s’était interrogé sur le sort réservé aux filles qui naissent en Afghanistan.  Elle a également cité une jeune fille afghane du sud-ouest du pays, fille d’une veuve qui n’a jamais fréquenté l’école, qui a confié à la Mission d'assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA) que sa principale préoccupation consiste à trouver suffisamment d’eau pour sa famille. Pour Mme Otunbayeva, ces exemples décrivent à souhait les dilemmes et complexités de l’Afghanistan actuel et montrent à quel point la réponse est malaisée.  Aujourd’hui, a-t-elle poursuivi, les communautés afghanes sont dévastées par les répercussions de deux années de sécheresse dans un pays où 80% de la population dépend de l’agriculture.  Or, les changements climatiques et l’absence d’eau ont des effets dévastateurs sur les habitants des zones affectées.  À tel point que « les familles qui ont tout sauf l’eau migrent vers là où il n’y rien que de l’eau », a-t-elle constaté, reprenant l’expression de « migration inversée » utilisée par un gouverneur provincial. 

La Représentante spéciale a ensuite indiqué que, depuis le 20 juin, date de son dernier exposé, la MANUA a publié trois rapports en lien avec les droits humains: sur l’impact des engins explosifs improvisés sur les civils; sur l’amnistie accordée par les autorités de facto à d’anciens membres du Gouvernement et à d’anciens membres des forces armées; et sur le traitement des détenus.  Ces rapports ont fait la lumière sur les violations du droit international commises par les autorités de facto, a-t-elle souligné, tout en précisant que les réponses de ces dernières sont annexées aux rapports.  « L’heure est venue d’appuyer un dialogue soutenu avec les différents représentants des autorités de facto pour respecter les normes internationales », a encouragé Mme Otunbayeva, avant de saluer la visite en Afghanistan de dignitaires religieux d’États membres de l’Organisation de la coopération islamique.  Une visite qui, selon elle, s’inscrit dans le cadre de la médiation « précieuse » du monde islamique, notamment sur les questions liées à l’éducation des filles, aux droits des femmes et à la bonne gouvernance. 

La Cheffe de la MANUA a aussi fait état de consultations entre les autorités de facto et les responsables tribaux, avec la création de conseils dans 34 provinces.  Elle a toutefois jugé prématuré de se prononcer sur ces conseils qui, à ses yeux, pourraient être « des instruments de contrôle ou des outils d’application des normes ».  Mme Otunbayeva a, d’autre part, noté que les Taliban ont nettement revu à la baisse la culture du pavot, ce qui sera évalué en octobre par l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC).  À cet égard, elle a précisé que la MANUA a créé un groupe chargé de porter assistance aux cultivateurs ainsi qu’aux millions de toxicomanes dans le pays. Elle s’est par ailleurs déclarée préoccupée par le déficit de l’assistance humanitaire.  Plusieurs programmes ont dû fermer leurs portes à l’approche de l’hiver et des millions d’Afghans risquent d’être plongés dans la famine, a-t-elle alerté, avant d’appeler les donateurs à renforcer leur appui, notamment en faveur des femmes, des déplacés et des rapatriés. 

La MANUA, a-t-elle expliqué, adopte une stratégie de modération avec les autorités de facto et entend faire fonctionner les projets.  Si les Taliban se montrent compréhensifs quant à une gouvernance plus inclusive, la poursuite du dialogue avec eux est sapée par la cinquantaine de décrets qu’ils ont pris, dont nombre ont des conséquences dramatiques sur les femmes, a-t-elle regretté.  Ainsi, 46% des femmes afghanes interrogées affirment-elles que les Taliban ne devraient pas être reconnus, quelles que soient les circonstances, a fait observer Mme Otunbayeva, pour qui les politiques d’exclusion des femmes sont tout à fait inacceptables.  De l’avis de la Représentante spéciale, la stratégie révisée de dialogue, adoptée par l’ONU à l’égard des autorités de facto, nécessite une coordination étroite de la communauté internationale.  Alors que la « porte reste ouverte », il faut saisir l’occasion qui se présente pour le bien-être de millions de femmes qui doivent pouvoir contribuer à un Afghanistan ouvert, a-t-elle plaidé en conclusion.

Mme SIMA SAMI BAHOUS, Directrice exécutive d’ONU-Femmes, a indiqué qu’alors que le Conseil de sécurité a adopté plusieurs résolutions condamnant la répression dirigée contre les femmes et les filles afghanes, ONU-Femmes a, pour sa part, collaboré avec la MANUA et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) pour consulter régulièrement les femmes afghanes et essayer de les placer au centre du processus décisionnel, comme l’exige le programme pour les femmes et la paix et la sécurité.  De ces consultations, a-t-elle précisé, il ressort que l’accès à l’éducation reste la plus grande priorité puisqu’environ les quatre cinquièmes des jeunes femmes et filles en âge d’étudier ne sont pas scolarisées. De plus, l’influence des femmes sur la prise de décisions a considérablement diminué, y compris au sein des communautés, de la famille élargie et des ménages, en raison notamment de l’augmentation de la pauvreté, de l’imposition par les Taliban de normes patriarcales et de l’isolement croissant des femmes . Mme Bahous a ainsi relevé que seulement 22% des femmes consultées ont déclaré rencontrer d’autres femmes non membres de leur famille au moins une fois par semaine. 

Selon la Directrice exécutive d’ONU-Femmes, les femmes afghanes disent aussi être confrontées à une liste toujours croissante de restrictions souvent appliquées avec plus de sévérité, en particulier par les membres masculins de la famille.  Elle a en outre constaté une baisse du taux d’emploi des femmes afghanes, estimé à 25% depuis la prise du pouvoir par les Taliban, contre 7% pour les hommes, ainsi qu’une augmentation du mariage et du travail des enfants.  De plus, 90% des jeunes femmes interrogées déclarent avoir une santé mentale mauvaise ou très mauvaise, avec des idées suicidaires omniprésentes, a-t-elle déploré, ajoutant que les femmes continuent d’exiger de la communauté internationale qu’elle leur fournisse des espaces pour discuter directement avec les autorités de facto.  Elles demandent également que les acteurs internationaux ne rencontrent pas les Taliban sans la présence de femmes dans leurs délégations, a poursuivi la responsable onusienne, selon laquelle 46% des femmes interrogées considèrent qu’il ne faut pas reconnaître les autorités de facto ou qu’elles ne devraient l’être qu’une fois qu’elles auront mis fin aux violations des droits liés à l’éducation, à l’emploi et à la participation des femmes à un gouvernement inclusif.

Mme Bahous a ensuite estimé que, par le passé, les voix des femmes afghanes n’ont que trop été ignorées.  Rappelant que les femmes ont été exclues de 80% des négociations de paix entre 2005 et 2020, elle a observé que les discussions autour de l’Accord de Doha en 2020 se sont seulement déroulées sans elles et ne faisaient aucunement référence aux droits des femmes.  « Ces échecs font partie de ce qui nous a amené là où nous en sommes aujourd’hui », a-t-elle regretté.  Pour cette raison, elle a recommandé au Comité du Conseil de sécurité créé par la résolution 1988 (2011) de convoquer une session consacrée au rôle que le Comité peut jouer dans la réponse aux violations des droits des femmes en Afghanistan.  Elle a également souhaité que l’on cesse de considérer la situation en Afghanistan comme une simple crise humanitaire.  À ses yeux, il s’agit aussi d’une crise économique, d’une crise de santé mentale, d’une crise de développement « et bien plus encore ».  Il faut enfin que le Conseil de sécurité apporte son plein soutien au processus intergouvernemental visant à codifier explicitement « l’apartheid sexiste » dans le droit international, a-t-elle préconisé. 

Mme KARIMA BENNOUNE, experte juridique internationale, a dit coopérer avec les défenseuses afghanes des droits humains depuis près de 30 ans. Rappelant que, depuis août 2021, pas moins de 65 décrets des Taliban ont privé les femmes afghanes de la plupart de leurs droits fondamentaux, elle a indiqué que cette situation relevant de l’« apartheid » se traduit notamment par des cas de torture et a entraîné une augmentation du nombre de suicides.  Elle a ainsi rapporté les mots d’une femme ouzbèke de la province de Takhar ayant récemment tenté de mettre fin à ses jours:  « J’ai peur qu’ils interdisent aux femmes de respirer sans la permission d’un homme. »  Une manifestante de Kaboul parle, elle, de « mort progressive » due à la « situation d’apartheid entre les sexes », a-t-elle ajouté. 

L’experte a expliqué que des défenseuses afghanes des droits humains ont récemment entamé une grève de la faim pour protester contre les tentatives de normalisation des relations avec les Taliban entreprises par certains États, tout en exigeant une reconnaissance internationale de « l’apartheid des sexes » qui règne en Afghanistan.  Elle a appelé le Conseil de sécurité à agir pour tenir les autorités de facto responsables de la destruction des droits des femmes.  À cet égard, Mme Bennoune a appuyé les appels du Rapporteur spécial sur la situation des droits humains en Afghanistan et du Groupe de travail sur la discrimination à l’égard des femmes et des filles à promouvoir une condamnation juridique internationale de la situation.  Appelant à reconnaître « l’apartheid sexiste » dans le droit international, elle a fait valoir que l’Afrique du Sud a non seulement adopté cette terminologie au Conseil des droits de l’homme mais a aussi appelé à une réaction internationale semblable à celle qui avait contribué à mettre fin à l’apartheid racial. 

Mme Bennoune a d’autre part rappelé qu’elle avait publié en décembre 2022 une étude intitulée « L’obligation internationale de lutter contre l’apartheid sexiste en Afghanistan ».  À ses yeux, les Taliban ne se contentent pas de ne pas respecter les droits des femmes, leur oppression est « au cœur de leur système de gouvernance ». Compte tenu du fait que l’approche ordinaire des droits humains ne peut fonctionner dans le cadre d’un apartheid, elle a plaidé pour une action menée par le Conseil, sur la base de ses 10 résolutions sur les femmes, la paix et la sécurité, et soutenue par des États de toutes les régions.  L’experte a également rappelé que le Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) enquête sur la situation afghane et pourrait engager des poursuites contre certains auteurs présumés de crimes internationaux.  Elle a toutefois jugé que la responsabilité individuelle, bien qu’essentielle, n’est pas suffisante pour faire face à l’ampleur de cette crise. 

« L’approche de l’apartheid sexiste signifie qu’aucun État Membre ne peut être complice des actions illégales des Taliban ou les normaliser, et que tous les États Membres doivent prendre des mesures efficaces pour mettre fin à cette situation », a résumé Mme Bennoune.  Dès lors, il ne peut être question de reconnaître les Taliban et encore moins de les laisser entrer à l’ONU, en tout cas tant que leur système d’apartheid entre les sexes persiste.  Insistant sur le fait que l’objectif n’est pas d’isoler l’Afghanistan ou de lui couper l’aide humanitaire dont il a désespérément besoin, l’experte a estimé que la fourniture d’une aide fondée sur des principes et non discriminatoire constitue « une question de vie ou de mort ».  Elle a appelé le Conseil de sécurité et les autres organes compétents des Nations Unies à envisager d’adopter des résolutions qualifiant le traitement des femmes afghanes par les Taliban à la fois de persécution fondée sur le sexe et de cadre institutionnalisé d’apartheid fondé sur le sexe.  Selon elle, ces résolutions devraient exiger des États et de l’ONU qu’ils prennent des mesures efficaces pour mettre fin à ces graves violations du droit international. Elle a par ailleurs souhaité que le traité sur les crimes contre l’humanité, actuellement à l’étude, prenne en compte les questions de genre et fasse référence à l’apartheid sexiste. « Comme me l’a dit un jour une défenseuse afghane des droits humains, l’optimisme est la clef de la survie », a-t-elle conclu. 

M.ISHIKANE KIMIHIRO (Japon), qui s’est ému des restrictions imposées aux femmes et aux jeunes filles, a toutefois estimé que la communauté internationale ne doit pas isoler les Taliban comme dans les années 90, mais plutôt s’engager dans un dialogue avec eux.  Il a salué le maintien de la présence de la MANUA en Afghanistan, rappelant que son propre pays a rouvert son ambassade à Kaboul en 2022.  À ce titre, le délégué a rappelé la signature, fin août, par le Japon et l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), d’un document de coopération pour un projet visant à améliorer la production agricole grâce à des systèmes d’irrigation pris en charge au niveau communautaire.  Il a souhaité que ce projet permette non seulement de combler les graves pénuries alimentaires qui sévissent dans le pays, mais aussi d’aider le peuple afghan à regagner son autonomie.  Le représentant a, en conclusion, indiqué que, d’ici à novembre, une évaluation indépendante de l’approche internationale vis-à-vis de l’Afghanistan serait fournie conformément, à la résolution 2679 (2023) du Conseil de sécurité.

Mme LANA ZAKI NUSSEIBEH (Émirats arabes unis) a présenté ses attentes concernant la prochaine évaluation de la situation en Afghanistan, qui devrait être transmise en novembre.  Il faut, en premier lieu, une feuille de route claire sur un processus politique et un dialogue avec les autorités de facto, qui devraient inclure une reconnaissance de leur contrôle du territoire sans pour autant légitimer leur pouvoir par défaut, a-t-elle estimé.  Des millions de vies dépendent de notre capacité à marcher sur cette corde raide, a reconnu la représentante, en appelant à veiller à ce que le peuple afghan ne soit pas doublement victime des politiques extrémistes et de l’inaction du Conseil de sécurité.  Pour que le processus politique se mette en place, il doit être cohérent, assorti d’un calendrier et d’objectifs concrets.  Il faut aussi une approche qui contraindra les autorités de facto à respecter les obligations des autorités de facto en vertu du droit international, à respecter les droits humains, dont ceux des femmes et des filles. 

La représentante, qui a exhorté à faire converger les différentes initiatives en cours, a voulu que les femmes y soient pleinement associées.  En outre, la déléguée a souligné l’importance de mesures de relance de l’économie afghane, en préconisant la réintégration de l’Afghanistan dans le système bancaire international.  Le secteur privé et les petites et moyennes entreprises ont besoin de capitaux, en particulier celles dirigées par les femmes, a-t-elle observé.  Concernant les problèmes sécuritaires, elle a appelé à veiller à ce que l’Afghanistan ne serve pas de base arrière aux organisations terroristes qui mènent des opérations contre d’autres États.  Elle a enfin exhorté à investir dans l’économie et la société afghanes pour leur donner les moyens de relever le défi des changements climatiques, notamment le développement des systèmes d’alerte précoce et la diversification des moyens de subsistance de la population. 

M. HERNÁN PÉREZ LOOSE (Équateur) a indiqué que le rapport à l’ordre du jour du Conseil établit l’absence d’amélioration des conditions de vie des femmes en Afghanistan, l’insuffisance de l’assistance humanitaire dans le pays, la multiplication du nombre de nécessiteux, ainsi que les obstacles dressés par les Taliban à l’acheminement de l’aide, autant de questions hautement préoccupantes.  Il a dénoncé ce qu’il a qualifié d’apartheid des femmes, en appelant à une réforme visant au renforcement des institutions afghanes.  Plusieurs organisations terroristes, dont Al-Qaida et l’État islamique d’Iraq et du Levant-Khorassan (EIIL-K), pourraient bénéficier d’un tel contexte, selon le délégué, qui a donc incité à resserrer la coordination dans la prévention et la lutte contre le terrorisme et le trafic d’armes.  L’Équateur a pris également note des efforts de dialogues bilatéraux et régionaux avec le régime des Taliban aux fins de promouvoir des politiques respectueuses des droits humains.

Mme BARBARA WOODWARD (Royaume-Uni) a déclaré reconnaître les acquis des Taliban en matière de lutte contre le terrorisme.  Mais les droits des femmes doivent rester une priorité de la communauté internationale, tout comme doit l’être la lutte contre la crise humanitaire dans ce pays où 40% de la population est confrontée à l’insécurité alimentaire aiguë, a-t-elle fait valoir.  Appelant les États Membres à soutenir le plan d’intervention humanitaire révisé de l’ONU pour l’Afghanistan, actuellement sous-financé, elle a souligné que, depuis 2011, le Royaume-Uni a contribué à hauteur de plus de 500 millions de dollars pour atténuer cette crise. À l’approche de l’hiver, davantage doit être fait, notamment en obtenant que l’aide humanitaire ne soit plus gérée uniquement pas des institutions dirigées par les hommes, a-t-elle ajouté. La représentante a également estimé que les Taliban doivent comprendre qu’une reconnaissance de leur autorité ne pourra pas se faire tant qu’ils excluent de la vie publique et privent de leurs droits 50% de la population afghane. 

Mme ANNA M. EVSTIGNEEVA (Fédération de Russie) a pris note de la volonté de Kaboul de développer des contacts avec la MANUA et s’est réjouie du fait que l’ONU reste déterminée à maintenir une présence sur place et à fournir une assistance au peuple afghan.  Brossant le tableau des 20 dernières années, elle a rappelé que la guerre menée par les États-Unis et de leurs alliés a abouti à leur « fuite ignominieuse », amené au pouvoir ceux qu’ils combattaient et conduit le pays au bord de l’effondrement.  Selon elle, l’Afghanistan était devenu « un lieu d’expérimentation pour la stratégie régionale américaine, où l’on testait différents types d’armes et blanchissait des milliards de dollars. »  Elle a ajouté que la guerre contre le terrorisme a transformé le pays en un refuge pour les extrémistes de tous bords, dont une franchise de Daech.  Elle a en outre accusé les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN d’y avoir perpétré de nombreux crimes de guerre et d’en effacer les traces. 

« Dans ce contexte, les déclarations fracassantes de nos collègues américains sur leurs prétendues préoccupations concernant le sort des Afghans, notamment les femmes et les enfants qu’ils ont eux-mêmes trahis et abandonnés à leur sort, paraissent hypocrites », a-t-elle martelé, relevant que les Occidentaux se mobilisent moins pour la population afghane que pour « la guerre contre la Russie en Ukraine ».  Après s’être alarmée de la situation sécuritaire en Afghanistan, notamment des activités de l’État islamique d’Iraq et du Levant–Khorassan, elle a dénoncé le « soutien de services secrets étrangers » à ce groupe terroriste, faisant état de transferts d’hélicoptères de l’OTAN aux combattants de l’EIIL-K.  La déléguée s’est aussi inquiétée de la sécurité du personnel de la MANUA et des travailleurs humanitaires sur le terrain, tout en notant les efforts, « louables mais insuffisants », des autorités de facto.  Elle a d’autre part souligné le lien entre drogue et terrorisme, avant d’appeler à une aide régionale et internationale, notamment de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC). 

Sur le plan humanitaire, la représentante a regretté que les efforts de l’ONU pour étendre l’assistance au-delà des besoins de base soit « bloquée par les donateurs occidentaux ».  Dénonçant la « réduction délibérée » de leur aide à l’Afghanistan « sous divers prétextes politisés », elle a établi une comparaison avec la somme de 1,83 milliard de dollars reçue cette année par les Nations Unies pour l’aide humanitaire à l’Ukraine, alors que l’Afghanistan et la plupart des autres situations de crise dans le monde souffrent d’un sous-financement chronique. 

La représentante a ensuite pris note des déclarations faites par les autorités de facto sur les droits fondamentaux des femmes et des filles à l’éducation et au travail, et a dit attendre avec impatience une résolution rapide de ces problèmes.  Elle a également appelé à la formation d’un gouvernement véritablement inclusif, avec la participation de tous les groupes ethno-politiques du pays.  La déléguée a par ailleurs appelé à une coopération régionale avec l’Afghanistan en vue d’un règlement global, indiquant à cet égard que son pays travaille à l’élaboration d’une approche commune dans le cadre du « processus de Moscou », dont une réunion est prévue le 29 septembre à Kazan.  Elle a précisé à cet égard que les Émirats arabes unis, le Qatar, l’Arabie saoudite, la Türkiye, l’Indonésie et une délégation des Taliban y sont attendus. 

Mme VANESSA FRAZIER (Malte) s’est tout d’abord alarmée de l’essor du trafic de méthamphétamines en Afghanistan, ainsi que de la poursuite des incidents frontaliers avec les pays voisins.  Elle a ensuite estimé que la ségrégation et l’exclusion des femmes et des filles par les autorités de facto pourraient constituer une persécution fondée sur le sexe et un crime contre l’humanité.  La représentante a rappelé que les récentes fermetures de salons de beauté et le licenciement de femmes travaillant dans des jardins d’enfants ont privé de nombreuses travailleuses afghanes de leurs dernières sources d’emploi et d’espace leur permettant de trouver un soutien communautaire en dehors de leur foyer.  Elle a demandé aux Taliban de revenir immédiatement et inconditionnellement sur toutes les politiques et pratiques qui restreignent les libertés fondamentales des femmes et des filles. 

La déléguée s’est aussi inquiétée de la détérioration de l’économie du pays, qui accentue encore la crise humanitaire.  Elle a regretté, à cet égard, que la fourniture de l’aide internationale montre des signes de faiblesse, notamment du fait de restrictions budgétaires. Enfin, après avoir réitéré son soutien à l’action de la MANUA et appelé le régime taliban à se conformer à la résolution 2681 (2023), elle a dit attendre avec intérêt les recommandations du Coordinateur spécial de l’évaluation de la situation en Afghanistan, M. Feridun Sinirlioğlu, sur la manière dont les Nations Unies peuvent renforcer plus efficacement leurs actions dans le pays.

M. PEDRO COMISSÁRIO AFONSO (Mozambique), qui s’exprimait au nom de l’A3 (Gabon, Ghana et Mozambique), a pris note de l’amélioration de la situation macroéconomique en Afghanistan, saluant la promotion par les autorités de facto du commerce et de la coopération régionale.  En revanche, il s’est dit préoccupé par la poursuite des violences contre les civils, en particulier les enfants, ainsi que par les exécutions extrajudiciaires et les arrestations arbitraires.  L’A3 est particulièrement préoccupé par les discriminations faites aux femmes et aux filles, et par la restriction de la liberté d’expression, a-t-il souligné.  Il a par ailleurs déploré que le Gouvernement actuel de l’Afghanistan soit entièrement composé d’hommes, parmi lesquels figurent des individus inscrits sur la liste des sanctions de l’ONU.  Le représentant a également constaté le manque de représentation de la diversité du peuple afghan et appelé les autorités de facto à revoir cette situation. Il a en outre demandé l’annulation de la mesure interdisant le travail des femmes dans le domaine humanitaire, avant de plaider pour l’égalité d’accès à l’éducation pour les garçons et les filles. 

Le représentant a ensuite exigé des réponses aux problèmes humanitaires auxquels le peuple afghan est confronté.  Il a appelé à fournir de toute urgence des vivres, de l’eau, des soins de santé et des abris, en particulier aux provinces reculées.  Il a aussi prié les donateurs d’accroître leur assistance à l’approche de l’hiver.  S’agissant de la situation sécuritaire, le délégué a constaté une baisse des incidents mais a encouragé les autorités à poursuivre la lutte contre le terrorisme et à assurer la sécurité des citoyens afghans.  Il a d’autre part demandé aux pays voisins d’intensifier leurs efforts pour stabiliser la situation en Afghanistan et à l’échelle régionale.  Avant de conclure, il a souligné que la stabilité politique du pays nécessite un processus inclusif et respectueux des droits humains et des valeurs démocratiques. 

M. ROBERT A. WOOD (États-Unis) a évoqué trois questions urgentes aux yeux de son pays: les droits des femmes et des filles, l’accès à l’assistance humanitaire et le respect des droits humains en Afghanistan.  Fustigeant des restrictions qu’il a qualifiées d’injustifiables, il a appelé les Taliban à les lever sans délais.  Le délégué a insisté sur la participation des fonctionnaires femmes de l’ONU sur place, et jugé inacceptable toute entrave à l’acheminement de l’assistance humanitaire, soulignant que son pays avait fourni, depuis août 2021, 2 milliards de dollars d’aide humanitaire aux pays, dont 969 millions au Programme alimentaire mondial (PAM).  Alors que le rapport sur les activités de la MANUA fait état de 800 cas d’exécutions, d’exactions et de violations injustes des droits humains, le Conseil de sécurité devrait agir pour que les Taliban inversent la tendance actuelle et facilitent l’acheminement de l’aide humanitaire, a-t-il conclu. 

M. SÉRGIO FRANÇA DANESE (Brésil) a jugé « épouvantable » la situation des droits humains en Afghanistan, en particulier ceux des femmes et des filles.  Selon lui, les mesures discriminatoires, notamment l’accès à l’éducation et au travail, compromettront toute perspective de construction d’une société stable et prospère en Afghanistan.  Cela ne pourra jamais être réalisé sans l’inclusion adéquate et la participation significative des femmes à la vie publique et une éducation adéquate pour les filles.

Le représentant a ensuite estimé que les récents indicateurs économiques offrent une lueur d’espoir pour l’Afghanistan.  Il ne faut donc pas compromettre ces fondamentaux en suivant une voie politique qui aliène davantage des pans importants de la société afghane et continue d’isoler le pays, a-t-il préconisé.  Dans le cadre de ce processus, la communauté internationale doit assumer sa part.  Le retour prudent des avoirs gelés vers la Banque centrale afghane doit être un élément clef de toute stratégie visant à un engagement constructif avec les autorités de facto, a estimé le délégué, en lançant un appel aux États qui ont été ou sont encore plus impliqués dans l’histoire récente du pays.  Ils ont l’obligation politique et morale d’aider les Afghans à relever les défis politiques, économiques et humanitaires complexes auxquels ils sont confrontés. 

Mme PASCALE CHRISTINE BAERISWYL (Suisse) a rappelé que plus des deux tiers de la population afghane ont besoin d’aide, à commencer par les femmes, qui restent systématiquement exclues de l’éducation et du travail rémunéré, ainsi que de la vie politique, économique et sociale.  La violation de leurs droits continue de peser lourdement sur les perspectives économiques et humanitaires du pays entier.  En outre, a déploré la représentante, le travail humanitaire effectué par les femmes est en grande partie suspendu.  L’exclusion des femmes met en péril l’ensemble de l’action humanitaire, décourage le financement nécessaire et encourage le détournement économique.  Pour que l’Afghanistan puisse se relever, il a besoin de femmes qui peuvent déterminer leur propre avenir et participer activement à la vie publique et politique, a estimé la déléguée, pour laquelle cela commence à l’école. 

La représentante a ensuite apporté son soutien à la collecte de données à travers le pays et l’établissement de rapports pertinents, pour élaborer des solutions durables qui nécessitent une étroite collaboration avec les organisations de la société civile.  Elle a ensuite plaidé en faveur de mesures d’atténuation des conséquences des changements climatiques.  Pour elle, les Taliban n’obtiendront l’autonomie économique que s’ils parviennent à établir une relation de confiance avec la communauté internationale, a ajouté la représentante, en paraphrasant le Secrétaire général.  Pour la Suisse, cette confiance passe par une gouvernance inclusive et le respect des droits humains du peuple afghan dans son ensemble.

M. ZHANG JUN (Chine) a salué les mesures prises par les Taliban pour stabiliser la situation sécuritaire et augmenter les recettes de l’État.  Il a néanmoins regretté que des difficultés subsistent s’agissant de la situation humanitaire, des droits des femmes et des filles, et de la réponse à la menace terroriste.  Dans ce contexte, il a exhorté les autorités de facto à garantir l’inclusion des femmes, des filles et des minorités, tout en appelant la communauté internationale à maintenir le financement de l’assistance humanitaire.  À cet égard, le représentant a demandé aux bailleurs de fonds de donner la priorité à la survie de la population afghane, plutôt que d’instrumentaliser l’assistance humanitaire pour faire pression sur le pays. 

Le délégué s’est ensuite indigné du gel illégal de 7 milliards de dollars d’actifs appartenant à la Banque centrale afghane, dont 1,3 milliard ont été versés dans un fonds établi à l’étranger, soi-disant pour soutenir l’économie du pays.  Or, deux ans se sont écoulés et aucun montant n’a bénéficié à la population afghane, alors que ledit fonds aurait amassé 128 millions de dollars en intérêts. « C’est une nouvelle forme de pillage », a-t-il dénoncé, avant d’enjoindre aux États-Unis de rendre ces actifs « dans leur totalité et sans condition ».  Il a, d’autre part, appelé à la levée des mesures coercitives unilatérales qui, selon lui, entravent l’acheminement de l’assistance humanitaire.  La résolution 2615 (2021) du Conseil de sécurité stipule très clairement que l’octroi de l’aide humanitaire à la population ne constitue en rien une violation des sanctions du Conseil, a-t-il argué, avant d’inviter la MANUA à ajuster ses effectifs pour améliorer la situation sur le terrain. 

Constatant que les Taliban poursuivent leur oppression systématique des Afghanes, Mme NATHALIE BROADHURST ESTIVAL (France) a affirmé que son pays « n’accepterait jamais cette politique de ségrégation ». Elle a rappelé que Paris avait coorganisé, pendant le segment de haut niveau de l’Assemblée générale, une réunion ministérielle pour dénoncer les discriminations systématiques imposées aux Afghanes par les Taliban.  Rappelant que la France continue à fournir de l’aide directement à la population afghane sur la base du principe « pour les femmes, par les femmes », la représentante a indiqué que plus de 140 millions d’euros avaient été versés depuis 2021.  Cette aide, a-t-elle précisé, se poursuivra dans les domaines de la santé, de l’éducation et de la sécurité alimentaire, avec une contribution supplémentaire de 1,5 million au Programme alimentaire mondial (PAM) cette année, afin de prévenir le risque de famine pour les femmes et les filles.  La déléguée a rappelé que la résolution 2593 (2021) du Conseil de sécurité fixe cinq attentes en matière de lutte contre le terrorisme, d’aide humanitaire et de respect des droits humains, que « les Taliban continuent de fouler aux pieds », comme du reste la résolution 2681 (2023), adoptée à l’unanimité il y a six mois.

M. FERIT HOXHA (Albanie) a déclaré que, deux ans après la prise de pouvoir par les Taliban, la situation afghane demeure précaire, notamment en ce qui concerne les femmes et les filles.  Face aux politiques « radicales » de Kaboul, la communauté internationale s’efforce de coordonner son action, a-t-il salué, dénonçant les « règles sociales médiévales » adoptées par les autorités de facto.  Selon le représentant, les Taliban n’ont pas l’intention d’honorer leurs promesses au titre des droits humains, notamment du respect des droits fondamentaux des femmes. De plus, rien n’indique jusqu’à présent que la population, dont les deux-tiers dépend de l’assistance humanitaire, connaisse les progrès mentionnés par les Taliban.  Au contraire, ceux-ci continuent de « trahir la population afghane », ce qui est intolérable, a martelé le représentant, selon lequel un véritable « apartheid sexiste » est à l’œuvre en Afghanistan.  En conclusion, il a appelé les États Membres à faire preuve de solidarité avec le peuple afghan. 

M. NASEER AHMAD FAIQ, (Afghanistan), a constaté que, deux ans après la prise du pouvoir par les Taliban, la situation en Afghanistan n’a pas changé. Elle ne fait même que se détériorer dans les domaines humanitaire, sécuritaire et politique, a-t-il déploré, relevant qu’aujourd’hui, 90% de la population vit dans la pauvreté et que les deux tiers des Afghans luttent pour survivre.  La faim touche 20 millions de personnes, le chômage augmente et la migration se poursuit malgré les graves risques qu’elle comporte, a-t-il noté, avant de rappeler que les femmes et les filles sont confrontées à de strictes limitations en matière de mobilité, d’accès à l’éducation et de participation à la vie publique.  De plus, les expressions culturelles et artistiques sont supprimées et la population vit dans la peur constante de représailles, a ajouté le représentant. 

L’orateur a ensuite mis l’accent sur l’importance du soutien de la communauté internationale pour aider son pays à surmonter ses défis.  Il s’est félicité à cet égard des discussions organisées par l’ONU à Doha en mai dernier, de la nomination du Coordonnateur spécial pour l’amélioration de la situation en Afghanistan et de la récente réunion de haut niveau en faveur des femmes et des filles afghanes.  Ce sont des développements bienvenus, reconnus et appréciés par le peuple afghan, a-t-il dit, appelant à ce que ces efforts soient maintenus et renforcés, dans le but de « libérer l’Afghanistan des chaînes de l’apartheid sexiste, de la radicalisation et de l’extrémisme ».  Il s’agit, a-t-il souligné, de permettre aux femmes, aux filles et aux jeunes afghans de contribuer à la croissance et à la prospérité de leur pays. 

Malgré les défis, le peuple afghan reste déterminé, divers groupes travaillant sans relâche pour défendre les droits des citoyens et les valeurs nationales, a poursuivi le représentant.  Selon lui, la société civile, les femmes, les jeunes et les mouvements politiques sont mobilisés pour former un « programme national uni ». Pour preuve, a-t-il indiqué, la mission afghane auprès des Nations Unies a organisé le 16 septembre une réunion en ligne avec des représentants de l’armée afghane, des membres de la diaspora, des personnalités politiques afghanes indépendantes, des militants des droits humains ainsi que des dirigeants de partis et d’associations progressistes et démocratiques, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Ces acteurs demandent à la communauté internationale de maintenir la pression sur les Taliban pour qu’ils renoncent à leurs politiques anti-femmes, a-t-il souligné.  Ils demandent aussi à l’ONU de respecter sa promesse de classer le sort des femmes et des filles afghanes comme relevant d’un « apartheid sexiste ».  Ils demandent en outre que l’assistance humanitaire soit maintenue pour la population afghane et sollicitent l’attention prioritaire du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) pour la protection et la réinstallation des personnes ayant fui les persécutions des Taliban.  Enfin, a-t-il conclu, ces acteurs soutiennent les sanctions contre les autorités de facto pour violation des droits des femmes et s’opposent à la normalisation des liens avec eux jusqu’à ce qu’ils respectent les droits et la volonté des populations de l’Afghanistan. 

M. AMIR SAEID IRAVANI (République islamique d’Iran) a souligné l’urgence de déployer une aide impartiale et sans conditions en Afghanistan, où il faut lever les sanctions unilatérales pour soutenir le redressement économique. La coopération régionale pourra faciliter le retour en toute sécurité des réfugiés afghans, qui pèsent lourdement sur la sécurité et la stabilité régionales.  La présence de Daech et des affiliés d’Al-Qaida sont des menaces pour l’Afghanistan, les pays voisins et la communauté internationale, a mis en garde le délégué, en dénonçant l’attentat terroriste en date du 13 août 2023, visant des civils innocents et des pèlerins dont deux Iraniens visitant le sanctuaire Shah-e-Cheragh à Chiraz.

Le représentant a ensuite dénoncé le manque d’inclusion ethnique et politique en Afghanistan, en appelant la formation d’un gouvernement représentatif de sa diversité.  Il a brocardé les mesures prises par les autorités de facto, qui affaiblissent les liens culturels, linguistiques et historiques des Afghans avec la langue farsi. Ces mesures qui menacent la stabilité et la sécurité de l’Afghanistan et violent les droits fondamentaux de tous les habitants doivent être levées, a insisté le délégué.  Pour sa part, l’Iran poursuit sa collaboration avec les pays voisins, les partenaires internationaux et l’ONU pour promouvoir une paix, une sécurité et une stabilité durables en Afghanistan, a indiqué le délégué, en soulignant le rôle de son pays dans l’acheminement de l’aide humanitaire en Afghanistan, notamment la nouvelle route de distribution qui passe par le port de Chabahar en Iran.  Il a plaidé le maintien des engagements avec les Taliban même s’ils n’ont pas respecté les leurs, avant de soutenir le processus de Moscou dont la prochaine réunion est prévue le 29 septembre à Kazan, en Russie. 

Mme RUCHIRA KAMBOJ (Inde) a souligné les liens historiques et civilisationnels qui unissent l’Inde au peuple afghan, avant de rappeler les priorités de son pays en Afghanistan et son approche collective telle que définie dans la résolution 2593 (2021) du Conseil de sécurité.  La situation humanitaire désastreuse exige de donner la priorité à l’acheminement d’une aide humanitaire à la population civile, a estimé la déléguée, en soulignant celle déjà apportée par son pays.  L’Inde a aussi établi des partenariats avec plusieurs agences des Nations Unies sur le terrain, s’est-elle enorgueillie.  En conclusion, elle a dit attendre impatiemment l’évaluation intégrée et indépendante de la situation afghane par le Secrétaire général, comme demandée par la résolution 2679 du Conseil de sécurité.

M. MUNIR AKRAM (Pakistan) a noté une évolution positive de la situation en Afghanistan, saluant l’amélioration de l’ordre public, la stabilisation du Gouvernement, la poursuite de la lutte contre Daech, le recul de la corruption et la progression du commerce avec les pays voisins.  Il s’est toutefois inquiété de la situation humanitaire, qui « reste grave », les deux tiers du peuple afghan ayant besoin d’une aide d’urgence.  Si les restrictions imposées aux femmes et aux filles restent en vigueur, un « espace » a été créé pour elles, a-t-il observé, avant d’assurer que son pays ne ménage aucun effort pour parvenir à une solution durable grâce à la concertation.  Il a d’autre part déploré que l’économie afghane soit paralysée par un système bancaire dysfonctionnel, ce qui entraîne une contrebande de dollars vers l’Afghanistan aux effets catastrophiques pour le Pakistan.  Il a appelé à relancer le système bancaire afghan en débloquant les avoirs nationaux gelés à l’étranger et en reprenant le financement pour le développement.  Constatant par ailleurs que la production d’opium a été réduite de 80%, il a jugé essentiel de fournir des cultures de substitution et des financements aux agriculteurs afghans. 

Le représentant s’est ensuite déclaré préoccupé par la présence de groupes terroristes en Afghanistan, qui menacent aussi les pays voisins.  Il s’est notamment alarmé de la menace représentée par le mouvement des Taliban du Pakistan, responsables de la mort de centaines de soldats et de civils pakistanais au cours de l’année écoulée. Rappelant à cet égard que, suite à des contacts établis par l’intermédiaire de la Représentante spéciale, des mesures devaient être prises contre ce mouvement, il a souhaité qu’elles se matérialisent de manière crédible.  Il a également rappelé que plus de 4 millions de réfugiés afghans ont trouvé refuge au Pakistan, avant d’inviter la communauté internationale et les autorités afghanes à collaborer avec son gouvernement pour s’assurer qu’aucun d’eux n’est membre d’un groupe terroriste et pour rapatrier les Afghans sans papiers. 

En conclusion, le représentant a plaidé en faveur d’une approche collaborative pour trouver des solutions et a dit compter sur le « Gouvernement intérimaire » pour qu’il coopère avec tous ses voisins.  Il a aussi espéré que l’évaluation indépendante sur l’Afghanistan permettra au Conseil de sécurité d’établir une feuille de route sur la normalisation de situation dans et avec ce pays.  Il a enfin appelé la communauté internationale à prendre en compte les priorités du Gouvernement et de la population de l’Afghanistan, notamment en fournissant un appui financier adéquat, en levant les sanctions et en accordant au régime en place une reconnaissance politique et une représentation auprès de l’ONU. 

Reprenant la parole, le représentant de l’Afghanistan a dit représenter son pays et les souffrances de la population devant le Conseil de sécurité et rejeté les allégations du Pakistan, pays qui, d’un côté, prétend être victime du terrorisme, et, de l’autre, appuie et normalise les groupes terroristes en Afghanistan.

Son homologue du Pakistan a dit ne pas considérer légitime « cette personne » qui prétend représenter l’Afghanistan.  Il est anormal que le Conseil l’ait invitée à intervenir devant lui, a-t-il affirmé. 

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